Aucun autre pays dans le monde ne dispose comme l’Algérie de cette proximité géographique, culturelle, économique, historique avec la France.
Par Zaïr Kedadouche *
Comment ne pas voir dans l’interview du Figaro du 26 mai 2023 de M. Xavier Driencourt, ambassadeur à la retraite, qui a occupé à deux reprises le poste d’ambassadeur de France en Algérie, une approche intellectuelle néocoloniale où «la France doit dénoncer unilatéralement le traité franco-algérien de 1968» et «faire pression sur les consulats algériens en France afin de délivrer des laissez-passer consulaires».
Cette nouvelle déclaration incendiaire au regard des relations diplomatiques entre la France et l’Algérie nous montre qu’un ancien diplomate du Quai d’Orsay ne devrait pas dire cela. S’il me parait nécessaire de revoir nos accords qui datent de 1968, sur les problèmes relatifs à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens sur le territoire français, comme ça été fait par trois avenants contractuels, les dispositifs doivent évoluer de manière concertée et dans l’interêt de nos deux pays.
Il me parait cependant, tout à fait normal et juste qu’au regard de l’histoire si douloureuse et si forte avec la France que l’Algérie dispose d’un régime dérogatoire. Sauf à flatter un électorat en perte de repère, cette vision de l’Algérie, uniquement sur la base du contrôle des flux migratoires démontre une méconnaissance totale de l’Algérie d’aujourd’hui. Je trouve consternant, inefficace et contraire aux intérêts de la France que de vouloir «faire pression sur les consulats algériens en France» afin d’obtenir plus de laissez-passer consulaires afin d’expulser plus facilement les Algériens. D’abord, les Algériens sont souverains pour décider qui rentre ou ne rentre pas en Algérie, et le problème des relations entre nos deux pays n’est pas en priorité sur la gestion des expulsions de délinquants, mais sur la force des projets économiques et culturels entre nos deux pays.
De nombreux Algériens rencontrés depuis des mois s’interrogent sur cette stratégie de déstabilisation de notre diplomatie française avec des relations que nous voulons sereines, fortes et nouvelles entre la France et l’Algerie. Que des citoyens algériens bénéficient en France d’un régime spécifique et que l’Algérie soit traitée différemment des autres pays ne me choque nullement.
D’abord au regard des blessures tragiques, des amours si intenses de notre histoire commune, mais aussi de l’importance des millions de Français concernés par l’Algérie (pieds- noirs et harkis), des millions de citoyens algériens présents sur le territoire français auxquels s’ajoutent des millions de Français d’origine algérienne, très attachés au pays de leurs parents et grands-parents. On peut et on doit assumer son histoire algérienne en étant fidèle à la France et assumer son histoire française en étant fidèle à l’Algérie. Rien ne s’oppose à cette bi-nationalité revendiquée par des millions de Franco-Algériens.
Comme l’a écrit le président de la République Emmanuel Macron, «la jeunesse franco-algérienne est une chance». Aucun autre pays du Maghreb et en Afrique, ni dans le monde ne dispose comme l’Algérie de cette proximité géographique, culturelle, économique, historique avec notre pays de Gaulois. L’Algérie est une exception car elle est exceptionnelle si l’on veut bien regarder la réalité des enjeux et défis qui s’offrent à nos deux pays que ce soit dans les domaines économique et industriel, la transition énergétique, la sécurité et la lutte contre l’intégrisme, l’agriculture, la santé, l’éducation, la culture et la jeunesse. Faut-il rappeler à M. Driencourt que les échanges commerciaux entre la France et l’Algérie ont augmenté de près de 40% en 2022, soit environ 11 milliards d’euros, que les entreprises françaises en Algérie gérèrent plus de 100000 emplois directs et indirects, et que l’avenir de notre richesse économique passe aussi par l’Algérie.
Par ses propos, M. Driencourt reprend ainsi à son compte la proposition du candidat, M. Eric Zemmour, condamné à plusieurs reprises par la justice, qui lors de la dernière élection présidentielle voulait revenir sur ces accords entre nos deux pays, «Élu président de la République, je mettrai définitivement fin aux privilèges migratoires exorbitants des Algériens».
Le multirécidiviste, M. Driencourt, comme l’a surnommé un journaliste, reprend son bâton de pèlerin avec une haine diffuse et indicible envers les Algériens, pour remettre en cause la qualité de nos relations avec l’Algérie. Il avait déjà versé son fiel il y a quelques mois dans le même journal Le Figaro, de manière pas très diplomatique que «L’Algérie s’effondre…entraînera-t-elle la France dans sa chute?» alors que le taux de croissance de l’Algérie est de 4,9%. Par cette nouvelle déclaration qui repose plus sur une méconnaissance de l’Algérie, et une idéologie anti-arabe, anti-maghrébine, anti-musulmane, que sur une analyse politique sérieuse, M. Driencourt devient peu ou prou, le porte-parole d’une extrême droite de plus en plus violente et raciste. La caution pseudo scientifique et la légitimité données par sa nomination au poste d’ambassadeur de France qu’il a occupé à deux reprises en Algérie est récupérée, aujourd’hui, par certains responsables politiques français qui veulent faire de l’Algérie la variable d’ajustement de leur échec dans le domaine du contrôle nécessaire de l’immigration. Ce n’est plus l’ancien diplomate qui s’exprime depuis des mois, mais un militant dont les déclarations successives se rapprochent de l’extreme droite. Au moment où M. Michel Bisac, le président de la Chambre économique algéro-française estime que «l’Algérie est le pays où il faut s’installer aujourd’hui», ce diplomate continue à jouer contre les intérêts de la France. Quand le ministre de l’Intérieur français M. Gérald Darmanin déclare que «LR dérive vers l’extrême droite», cette dernière saillie de M. Xavier Driencourt vient le confirmer, mais les millions de Franco-Algériens ne baisseront pas la tête et sauront manifester leur choix lors des prochaines échéances électorales. Comment peut-on proposer au gouvernement français de dénoncer de manière unilatérale un accord international d’exception avec l’Algérie? Sauf à penser que le temps des colonies soit revenu et que l’Algérie vive encore sous le joug de notre ancien Empire colonial? Depuis son Algérie, Albert Camus s’exprimait ainsi «Ici, l’homme est comblé et assuré de ses désirs, il peut alors mesurer ses richesses», mon seul désir est que la France et l’Algérie reprennent leur désir de vivre ensemble comme veulent le construire Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune.
*Ancien ambassadeur français et Consul général
Xavier Driencourt appelle les dirigeants français à «agir vite» contre l’Algérie
Par Kamel M. – L’ancien ambassadeur de France à Alger de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020 récidive à quelques semaines de la visite officielle que le président Tebboune s’apprête à effectuer à Paris mais qui demeure, à ce jour, incertaine. Xavier Driencourt s’est à nouveau exprimé dans les colonnes du Point pour répéter à l’envi ses formules figées et ses expressions redondantes sur l’accord de 1968 qui lui reste en travers de la gorge. Il le dit, l’assume et ne s’en cache pas. Dans ce nouveau jeu de questions-réponses, qui intervient sur fond de controverse au sujet d’une loi sur l’immigration qu’Emmanuel Macron et Gérald Darmanin essayent de faire passer sans trop de grabuge, le diplomate à la retraite pousse le bouchon plus loin que d’habitude en appelant les dirigeants de son pays à user de la force contre le «régime brejnévien d’Alger».
«Les dirigeants français font une erreur d’analyse en pensant que les embrassades, les coercitions et les tapes dans le dos permettront d’amadouer leurs homologues algériens qui reviendraient à une position plus raisonnable. Ceux qui tiennent le pouvoir à Alger fonctionnent au rapport de force», pilonne cet ambassadeur qui semble à deux doigts de suggérer une déclaration de guerre à l’ancienne colonie. «L’Algérie pourrait rompre les relations diplomatiques si la France dénonçait l’accord de 1968, […] ce serait une crise majeure», prédit-il, en exhortant Paris à «braver cela afin d’établir un rapport de force qui permette, lorsque les choses se calmeront, de redéfinir notre relation avec l’Algérie […] notamment sur la question migratoire, qui est l’un des aspects importants de notre relation.» «Il faut être lucide : il n’existe pas de manière apaisée d’atteindre cet objectif», s’acharne-t-il.
Xavier Driencourt est obnubilé par les chiffres. «Aujourd’hui, 12,6% des immigrés vivant en France sont algériens et plusieurs millions de personnes sur notre territoire sont d’origine algérienne. C’est pourquoi le projet sur l’immigration qui exclurait une dénonciation de l’accord de 1968, extrêmement protecteur [à l’égard des Algériens, ndlr), réduirait à presque rien les chances de maîtriser l’immigration», s’alarme-t-il, en confessant avoir demandé aux ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères, quand il était en poste à Alger, quelles étaient leurs instructions. «Devais-je poursuivre la tendance et délivrer 800 000 visas ? Stabiliser à 410 000 ? Revenir au chiffre de 2012 [213 000, ndlr] ?» Selon lui, ses supérieurs hiérarchiques «étaient embarrassés». «Mais, soutenus par les préfets concernés [Paris, Lyon, Marseille, ndlr] et le ministère de l’Intérieur, nous avons mis en place à partir de fin 2017 un plan d’action qui a permis de réduire à 180 000 le nombre de visas délivrés, en un peu moins d’un an», proclame-t-il non sans vanité.
«Nous ne sommes qu’à l’aube du problème, c’est pour cela qu’il faut agir», recommande Xavier Driencourt au locataire actuel de l’Elysée et à son gouvernement.
K. M.
par Abdelkrim Zerzouri
Pourquoi fustiger l’accord de 1968 maintenant ? L’intervention de cet ancien ambassadeur en Algérie, connu pour ses positions anti-algériennes, n’est pas fortuite, bien sûr. En ce moment, le débat sur le projet de loi sur l’immigration est au pic de l’excitation en France. Et on craint que le texte signé en 1968 écrase cette loi sur l’immigration qui fait débat intense en France, puisque quelle que soit sa teneur, elle ne s’appliquera pas aux Algériens, qui constituent la première nationalité étrangère en France, comme le rappelle l’auteur de cette étude.