LIVRES / Exils forcés

par Belkacem Ahcene-Djaballah   

                                                               Livres

Mokrani, la retraite d’Algérie. Essai de Mohamed Fadhel Mokrani. El Qobia éditions, Alger 2024, 122 pages, 1 000 dinars

C’est vrai, « il n’est jamais aisé de raconter l’histoire quand il s’agit de celle de ses propres ancêtres ». Encore plus lorsque la dite histoire bien que chargée de gloire, est alourdie de douleur, de déchirements, d’exils et de larmes.

Et, l’histoire de la famille (El) Mokrani l’est pleinement. Elle a commencé en 1871 avec la révolte (en fait une insurrection, courte mais une des plus meurtrières… avec 340 combats, la France ayant mobilisé près de 200.000 soldats) contre la colonisation du pays par la France… et ne s’est terminée… qu’en 1962… avec Mohamed Aboulkacem Boumezrag, footballeur de son état et responsable au sein du Fln en France. Né en 1911, il n’était autre que le propre petit-fils d’Ahmed Boumezrag et le fils de Boumezrag El Ouennoughi El Mokrani. C’est lui qui a été le démarreur, le moteur puis l’animateur de la fameuse équipe de foot, porte-drapeau du Fln et ambassadrice de la lutte du peuple algérien dans le monde.

1830-1962… une très longue période, celle de la « nuit coloniale ». Avec, au départ de la saga, un vendredi 5 mai 1871 qui vit El Hadj Mohamed Ben Ahmed El Mokrani, entouré de trois cent cavaliers, conduire un contingent de huit mille cavaliers. Après son décès au combat, c’est son frère Ahmed Boumezrag qui lui succéda. Lundi 2 octobre 1871, le combat va reprendre… malgré de « nombreuses soumissions et redditions »… ailleurs.

La suite est marquée par la route de l’exil… vers la Tunisie… parallèlement aux combats menés. Durant toute la période de l’insurrection, la résistance a couvert une zone dont le centre est la Medjana et dont l’étendue est estimée à 600 km d’est en ouest et à 760 km du nord au sud. Pour sa part, la caravane des Mokrani (surtout les femmes et les enfants, environ 500 personnes réparties en 150 tentes) parcourait plus de 1750 km de son fief, la Kâala des Béni Abbès) à la frontière tunisienne où elle allait se réfugier.

Le 20 janvier 1872, Ahmed Boumezrag est fait prisonnier. Il sera déporté en Nouvelle-Calédonie en septembre 1874 où il y croisera Louise Michel, la communarde française

Boumezrag ne sera libéré qu’en janvier 1904. Il revient à Alger le 19 juillet, en compagnie de son fils et son neveu enfin retrouvés… En janvier 1905, malade (32 ans de bagne), il décèdera… sans avoir jamais retrouvé ses parents qu’il avait tant tenu à mettre à l’abri en Tunisie (et où beaucoup de descendants y demeurent encore). Il fut inhumé au cimetière de Belcourt (actuel Belouizdad).

L’Auteur : Né à Gafsa (Tunisie). Etudes en Tunisie et en Belgique. Cadre supérieur dans une compagnie aérienne. Déjà auteur de deux ouvrages.

Extraits : « La date du 5 mai 1871 marquait donc un tournant, un point de non-retour. Il y avait donc un avant et un après le 5 mai 1871 » (p 27), « Les relations entre tribus algériennes et tunisiennes ne se résumaient certainement pas dans les razzias menées habituellement d’autre de la frontière ou dans les crises dues à l’occupation des pâturages ou à l’enlèvement de troupeaux mutuels.

Les populations vivant près des frontières sont souvent parentes et alliées et se réclament des mêmes tribus ou des mêmes confédérations de tribus » (p 46), « Dans cette famille, même les femmes se transformaient en vraie guerrières quand, à l’appel du sacrifice, elles s’invitaient à la bataille » (p 54), « Les Mokrani se sont, plus tard, totalement fondus dans la société tunisienne mais gardent toujours une mémoire vive et une conscience totale de leur passé glorieux et de leur appartenance à la terre algérienne. Fiers de leur passé et de leur origine, ils sont nombreux à avoir choisi de rentrer en Algérie après l’Indépendance » (p 83).

Avis – Un ouvrage qui fourmille de détails intéressants sur la résistance à la colonisation des Mokrani. Une saga passionnante plus qu’un ouvrage d’Histoire. D’où une lecture ininterrompue.

Citation : « La guerre ne se conduit pas uniquement par le canon, une part essentielle revient à la propagande de guerre destinée à saper le moral de l’ennemi » (p 48)

La gloire des vaincus. Roman de Saïd Saad (Préface de Abderrahmane Mekhlef). Editions El Qobia, Alger 2024, 223 pages, 1100 dinars

Dans sa longue marche pour « rendre hommage à des oubliés de l’histoire » l’auteur revisite cette fois-ci la ville d’Alger en 1872 avec son bouleversement du tissu urbain.

Tout ceci à travers le parcours d’un tout jeune journaliste parisien (qui rêve de suivre l’exemple de son père qui avait combattu contre l’occupant prussien), qui s’est « exilé » en Algérie.

Travaillant pour un journal assez « ouvert », il s’en va découvrir (« accrédité » auprès d’un contingent de l’armée), sur le terrain, les réalités de la colonisation, la politique d’extermination menée par l’armée française, les Arabes réduits à la famine, la spoliation des terres, les massacres odieux des populations qui osent se révolter… et les condamnations à mort ou au bagne lors de procès expéditifs (à Cayenne ou en Nouvelle-Calédonie où s’y trouvent aussi des « communards »).

Mais aussi, il fait connaissance de combattants algériens (il avait été fait prisonnier et relâché… car, par le passé, il avait aidé un des combattants algériens prisonnier à s’évader). De retour à Alger, il démissionne du journalisme car ne voulant plus être associé aux contre-vérités publiés… pour se consacrer à l’écriture de sa « vérité », ce qu’il a vu et entendu. Il s’en ira même à effectuer un séjour à Nouméa pour enquêter sur le vie des exilés forcés, tout particulièrement les Algériens. Un manuscrit qui ne sera jamais accepté par les éditeurs.

L’Auteur : Né en 1955 en Kabylie. Etudes en langues étrangères, traducteur puis journaliste à l’Aps (Algérie presse service) durant 32 ans. Grand reporter spécialisé, il a été, aussi, correspondant permanent de presse à Londres. A déjà publié plusieurs romans.

Extraits : « A quoi bon continuer à mettre sa foi en des choses dont on est sûr qu’elles ne pourront jamais se réaliser ? Les Français devaient comprendre que cette terre ne leur appartient pas, c’est la nôtre » (p 73), « Ces hommes bien armés sortis des hautes écoles militaires et solidement charpentés, étaient prêts à la conquête d’autres territoires.(…). Leur mot d’ordre : Exterminer les indigènes et faire place aux colons » (p 77).

Avis – Un roman historique assez bien documenté

Citations : « Les journaux, c’est comme une vieille tuyauterie à travers laquelle coulent non pas à flots, rarement, mais coulent toujours, les discours trompeurs, provocateurs et dangereux de ceux qui nous gouvernent » (p 167),« A quoi bon couper une branche quand le mal attaque les racines mêmes de l’arbre ? » (p 188).


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