_par Farid Daoudi *
Messali Hadj est une figure centrale et controversée de l’histoire du nationalisme algérien. Connu comme l’un des pionniers de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, son influence a marqué plusieurs générations de militants. Cet article retrace la vie et l’impact de Messali Hadj sur le mouvement indépendantiste algérien.
Jeunesse et formation
Messali Hadj, né le 16 mai 1898 à Tlemcen, dans l’ouest de l’Algérie, a grandi dans une famille modeste. Dès son plus jeune âge, il a été exposé aux inégalités et aux injustices de la colonisation française. En 1923, il émigre en France où il travaille comme ouvrier. C’est en France qu’il découvre les idées révolutionnaires et anticolonialistes qui façonnent sa pensée politique.
Fondation de l’Étoile nord-africaine
En 1926, Messali Hadj fonde l’Étoile nord-africaine (ENA), une organisation qui prône l’indépendance des pays du Maghreb. L’ENA devient rapidement un bastion du nationalisme algérien en France. Messali Hadj, grâce à son charisme et à son éloquence, réussit à rallier de nombreux travailleurs immigrés algériens à sa cause.
Parti du peuple algérien (PPA) et Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD)
Après la dissolution de l’ENA par les autorités françaises en 1937, Messali Hadj crée le Parti du peuple algérien (PPA). Ce parti se distingue par son approche radicale et son rejet de toute forme de compromis avec le pouvoir colonial. En 1946, il fonde le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), qui devient rapidement la principale organisation nationaliste algérienne.
Les années de lutte et d’emprisonnement
Le parcours de Messali Hadj est marqué par de nombreux emprisonnements et périodes d’exil. En 1939, il est arrêté et emprisonné pour ses activités politiques. Malgré la répression, il continue de militer pour l’indépendance de l’Algérie. En 1945, après le massacre de Sétif, Messali Hadj est de nouveau emprisonné. Sa détention renforce son aura auprès des militants nationalistes, qui le voient comme un martyr de la cause algérienne.
La crise au sein du mouvement nationaliste
Dans les années 1950, le mouvement nationaliste algérien est marqué par des divisions internes. Une faction du MTLD, mécontente de la direction de Messali Hadj, fonde le Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA) en 1954. Ce comité donne naissance au Front de libération nationale (FLN), qui lance la guerre d’indépendance le 1er novembre 1954. Messali Hadj, qui refuse de s’aligner sur le FLN, crée le Mouvement national algérien (MNA). Les tensions entre le MNA et le FLN aboutissent à une violente lutte fratricide.
Les années d’après-guerre
Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, Messali Hadj est marginalisé par le nouveau régime, dominé par le FLN. Malgré son rôle crucial dans le mouvement nationaliste, il est écarté de la scène politique. Il passe les dernières années de sa vie en exil en France, où il meurt le 3 juin 1974. Son héritage reste néanmoins profondément inscrit dans l’histoire de l’Algérie indépendante.
Héritage et influence
Messali Hadj est souvent appelé le «Père du nationalisme algérien». Son engagement et ses sacrifices ont inspiré de nombreux militants et ont joué un rôle déterminant dans la lutte pour l’indépendance. Malgré les controverses et les divisions, son influence est indéniable. Il a laissé un héritage complexe mais fondamental dans l’histoire de l’Algérie moderne.
Conclusion
Messali Hadj restera une figure emblématique et paradoxale du nationalisme algérien. Son parcours, jalonné de luttes et de sacrifices, a pavé la voie pour l’indépendance de l’Algérie. Bien que souvent éclipsé par d’autres figures du mouvement indépendantiste, son rôle de pionnier et de visionnaire continue d’être reconnu et célébré.
*Journaliste-essayiste
Références :
1. *Julien, Charles-André*. *Histoire de l’Algérie contemporaine*. Paris : Presses universitaires de France, 1964.
2. *Stora, Benjamin*. *Messali Hadj, pionnier du nationalisme algérien*. Paris : Éditions Stock, 2004.
3. *Ageron, Charles-Robert*. *L’Histoire de l’Algérie contemporaine*. Paris : Presses universitaires de France, 1979.
4. *Harbi, Mohamed*. *Aux origines du FLN : le populisme révolutionnaire en Algérie*. Paris : Éditions Gallimard, 1975.
5. *Horne, Alistair*. *A Savage War of Peace : Algeria 1954-1962*. New York : Viking Press, 1977.
6. *MacMaster, Neil*. *Burning the Veil: The Algerian War and the Emancipation’ of Muslim Women, 1954-62*. Manchester : Manchester University Press, 2009.
7. *Evans, Martin, and John Phillips*. *Algeria : Anger of the Dispossessed*. New Haven : Yale University Press, 2007.
8. *Ruedy, John*. *Modern Algeria: The Origins and Development of a Nation*. Bloomington: Indiana University Press, 1992.
9. *Willis, Michael*. *The Islamist Challenge in Algeria: A Political History*. New York : New York University Press, 1996.

En mémoire de sa femme Emilie que nul n’oublie
Émilie Busquant a été une militante active pour l’indépendance de l’Algérie et a joué un rôle important dans le mouvement nationaliste algérien. Elle a été impliquée dans de nombreuses activités politiques et militantes tout au long de sa vie (Harbi, 2001).
Sa principale activité a été la direction et l’organisation du Parti du peuple algérien (PPA) et de son successeur, le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), en France. Elle a travaillé en étroite collaboration avec son mari, Messali Hadj, pour promouvoir les objectifs du mouvement nationaliste algérien et mobiliser le soutien des Algériens vivant en France (Stora, 2004).
Émilie Busquant a également été impliquée dans la conception et la création du premier drapeau algérien, qui est devenu un symbole important de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie (Harbi, 2001). En outre, elle a écrit de nombreux articles et brochures pour promouvoir la cause de l’indépendance de l’Algérie et a participé à de nombreuses manifestations et rassemblements politiques (Stora, 2004).
Malgré les nombreuses arrestations et les périodes de détention qu’elle a subies, Émilie Busquant est restée déterminée à lutter pour l’indépendance de l’Algérie jusqu’à sa mort en 1953 (Harbi, 2001).
F. D.
Références :
Harbi, M. (2001). Messali Hadj : 1898-1974. Jeune Afrique.
Stora, B. (2004). Messali Hadj : 1898-1974. Hachette Littératures.
Il y a 50 ans, le 7 juin 1974, Messali Hadj était enterré à Tlemcen
par Amine Bouali
Il y a 50 ans, le 7 juin 1974, Messali Hadj, décédé 4 jours plus tôt (ou 5 jours, selon les versions) dans la petite ville française de Gouvieux, (à une soixantaine de kilomètres au nord de Paris) était enterré au cimetière de Sidi Senouci de sa ville natale, Tlemcen. Depuis, à cette date, tous les ans, dans la discrétion ou sous le regard de reporters et de photographes, des citoyens fidèles à sa mémoire se recueillent sur sa tombe en récitant des versets du Saint Coran. Ces dernières années, avec le recul et la relative sérénité des esprits retrouvée, chaque Algérien s’est au moins rendu compte que le destin de ce grand patriote a été exceptionnel. Lorsqu’on revoit les photos de Messali Hadj haranguant la foule dans un meeting ou tenant par la main son épouse Émilie Busquant, vêtu d’une gandoura, un fez sur la tête, le contour de son visage anobli par une longue barbe blanche, on se convainc sans difficulté que sa vie a été hors normes, sans pareille, unique.
Sur le plan politique, nous nous contenterons d’écrire, dans le cadre de cet article, que pour lui comme pour tous les acteurs de la cause nationale, le verdict de l’Histoire est plus important et objectif que les jugements versatiles de l’actualité. Messali n’obtiendra la nationalité algérienne qu’en 1965 et il sera finalement réhabilité par l’ancien président feu Abdelaziz Bouteflika. En 2007, l’aéroport de Tlemcen-Zenata fut baptisé de son nom.
Sa fille Djanina Messali-Benkalfat, dans un chapitre de son livre de mémoire paru à Alger en 2014, «Une vie partagée avec mon père» décrit, comme elle l’a ressenti, l’enterrement de Messali à Tlemcen, le vendredi 7 juin 1974, après la Grande prière du midi à «Djamaâ El-Kebir». De son côté, l’ami et l’avocat de Messali, maître Yves Dechezelles, a eu l’occasion, de son vivant, de s’exprimer sur cet événement. Pour les lecteurs du Quotidien d’Oran, nous avons résumé leurs deux témoignages.
Deux jours (ou trois, selon les versions) après le décès de Messali, soit le mercredi 5 juin 1974, l’ambassade d’Algérie à Paris, qui devait transmettre à la famille le permis d’inhumer établi par la mairie de Tlemcen, ne s’était toujours pas manifestée. En fin d’après-midi de ce 5 juin, toujours sans nouvelles, le docteur Anouar Benkalfat, le gendre de Messali, s’impatiente et joint l’ambassade par téléphone : «Je ne réponds plus de rien. Il y a une foule immense ici au cimetière musulman de Bobigny, qui va descendre sur l’ambassade pour chercher ce permis». Une demi-heure plus tard, l’autorisation arrive enfin !
Le soir même, Ali Messali accompagne la dépouille de son père jusqu’à Marseille par route. Le lendemain, le reste de la famille et maître Dechezelles prennent l’avion de Paris jusqu’à Marseille où ils récupèrent les premiers nommés, avant de poursuivre leur vol sur Oran. À l’arrivée en terre algérienne, à 18h30, ce jeudi 6 juin 1974, il y avait un important détachement de soldats le long du mur de l’aérogare d’Oran. La fille de Messali demande au porte-faix de service d’ouvrir la caisse de bois blanc qui protège le cercueil de son père, sort de son sac un drapeau vert et blanc au croissant et à l’étoile rouges puis le déploie sur le cercueil, en s’inclinant. C’est à ce moment-là qu’un youyou de femme, venu de nulle part, brise le silence tendu alentour, puis une prière fuse d’une bouche anonyme : «Allah yachtmen el-batâl Messali Hadj »!
Ce n’est qu’à 22h30, soit quatre heures après l’atterrissage de l’avion transportant le corps sans vie de Messali, que le cortège funèbre quitte enfin Oran en direction de Tlemcen. Il aura fallu à la famille beaucoup d’attente et de patience avant de réussir à accomplir une banale formalité sanitaire. Vers minuit trente, à la première heure de ce vendredi 7 juin 1974, le cortège entre dans Tlemcen endormi. La maison de Larbi Hamidou, au quartier tlemcénien de Fekharine, où devait se dérouler la veillée mortuaire (une demeure qui abrita pendant la guerre de Libération, des moudjahidine comme Abdelhafid Boussouf ou Larbi Ben M’hidi) était pavoisée du drapeau national.
Ce 7 juin 1974 fut, d’après la fille de Messali, «long et tumultueux». Dès la prière de l’aube, un homme attendait à l’intérieur de «Djamaâ El-Kebir», au centre-ville de Tlemcen, pour être au plus près du défunt, le moment venu : Hocine Lahouel (l’un des compagnons les plus proches de Messali). La Grande mosquée de Tlemcen ne put contenir toute la foule venue assister à l’enterrement du père du nationalisme algérien. Les témoins racontent que des femmes de la ville dérogèrent aux usages et accompagnèrent Djanina, la fille du défunt, en tête du cortège, jusqu’au cimetière de Sidi Senouci. Les adeptes de la confrérie Darkaoua, derrière le cercueil de Messali, porté à épaules d’hommes, recouvert du drapeau national, déclamèrent à voix haute la «Borda» (une célèbre louange du Prophète/PSDL) tandis que fusaient de temps à autre, les youyous de femmes tlemcéniennes éplorées.
Au cimetière de Sidi Senouci, après une mise en terre sobre et émouvante dans le carré familial, Mohammed Mamchaoui (le neveu de Messali Hadj, un militant messaliste de la première heure) prononcera en arabe une oraison funèbre, suivi par un discours en français de maître Yves Dechezelles. Noyé dans la foule, un jeune étudiant assistera à l’enterrement sans attirer l’attention : le futur historien Benjamin Stora qui consacrera, une vingtaine d’années plus tard, une biographie à Messali.
Pour informer ses lecteurs de l’événement (ou plutôt du «non-événement»), le journal «El Moudjahid» fera paraître dans ses pages intérieures, un bref entrefilet libellé comme suit : «Messali n’est plus. Il est décédé dans une clinique parisienne, le dimanche 2 juin. Rappelons qu’il a été le cofondateur du PPA et le président du PPA et du MTLD».
Ce vendredi 7 juin de l’année 1974, Messali Hadj a rejoint pour l’éternité la terre de ses ancêtres, cette terre bénie qu’il aura tant aimée. Est-ce ainsi que les hommes meurent ?