Dans le cadre de son cycle d’études diplomatiques, l’Académie de Géopolitique de Paris a organisé le 26 mars 2024 une conférence de son Excellence l’Ambassadeur de la Fédération de Russie en France, Monsieur Alexeï MESHKOV, intitulée « Quel bilan pour le nouveau concept de la politique étrangère de la Fédération de Russie ? »
Depuis l’accélération des bouleversements géopolitiques d’une ampleur inédite, tant en Europe qu’au Proche-Orient et au niveau international, les responsables russes ont dû analyser, prendre leur dimension véritable et s’adapter aux défis et enjeux auxquels leur pays était confronté.
L’intervention de Son Excellence l’Ambassadeur de la Fédération de Russie en France, a permis d’aborder de façon inédite le sujet du conflit ukrainien, l’évolution des rapports avec la France et l’Union Européenne, la mutation de l’ordre international, la structuration de l’alternative à l’ordre occidental, la guerre en Palestine, etc.
Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur de la Fédération de Russie en France nous a fait bénéficier de son analyse et réflexions sur le nouvel angle adopté par la Russie face à la mise en cause du paradigme occidental des relations internationales. Il interviendra en qualité de représentant officiel d’un pays placé au cœur de l’architecture géopolitique de la nouvelle donne mondiale.
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Intervention Ali RASTBEEN, Président de l’Académie de Géopolitique de Paris
Au nom du conseil scientifique ainsi que du corps pédagogique de l’Académie de géopolitique de Paris je vous remercie de votre présence à cette conférence.
Je remercie également son Excellence l’Ambassadeur de la Fédération de Russie en France, Monsieur Alexey Meshkov, de nous faire bénéficier de son analyse et de ses réflexions sur le nouvel angle adopté par la Russie face à la mise en cause du paradigme occidental dans les relations internationales.
Permettez-moi tout d’abord d’exprimer notre solidarité avec les victimes d’attentat, leurs proches et le peuple russe. Votre Excellence Nous affirmons notre détermination à être à vos côtés dans la guerre contre le terrorisme, Le terrorisme est un phénomène global, tous les États sont concernés, et doivent à ce titre collaborer contre lui, car le terrorisme n’a ni frontière, ni religions, , ni ethnie et ni couleur. J’ouvre la conférence avec une minute de silence à la mémoire de toutes les victimes du terrorisme.
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Pour la plupart des experts de géopolitique médiatiquement en vue , la fin de la double mandature de Boris Eltsine de 1991 à 2000, est celle de la déchéance car chassées d’Afrique et du Moyen-Orient dans la foulée de l’effondrement politique et économique de 1991, les militaires et conseillers diplomatiques russes n’étaient pas prêts d’y remettre les pieds.
Après le tournant de 1990 l’écrasement de l’Irak par la coalition militaire montée par les néoconservateurs américains pour punir Saddam Hussein après l’attaque contre le Koweït, dans un contexte d’expansion vers l’ouest de diffusion du droit moral et historique de l’Iran à assurer le leadership spirituel, moral et militaire dans l’affrontement présent et surtout à venir du monde musulman et occidental.
La présence russe en Afrique et au Moyen-Orient semblait donc appartenir à ces vieux vestiges d’un passé définitivement révolu. Les chancelleries occidentales affirmaient haut et fort qu’on n’était pas prèt de revoir un conseiller militaire russe en Afrique ou au Moyen-Orient.Aujourd’hui, force est de constater que ces prophéties hâtivement formulées ne se sont pas réalisées.
En Afrique, le retour de la Russie au premier plan du jeu diplomatique et géopolitique est spectaculaire. Les putsch et changements de gouvernement induits par les révoltes populaires survenues ; en Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina-Faso, Guinée Conakry, Niger) ont porté au pouvoir des organisations militaires et politiques très favorables à Moscou ; en Afrique de l’Est, les processus de reprise en main politiques et militaires de territoires menacés d’implosion ou de partition territoriale (Soudan, Erythrée, Mozambique) ont consolidé le pouvoir d’autorités, militaires ou civiles qui sont immédiatement parties chercher à Moscou des assurances militaires et une protection diplomatique pour conjurer le risque d’effondrement global de leur Etat.
En Afrique centrale, dans un contexte général de pillage systématique des ressources naturelles, de financements externes de guérillas et d’entretien artificiel depuis l’extérieur de guerres civiles sans fin, plusieurs pays ,République démocratique du Congo, République centrafricaine, se sont tournés vers la Russie pour solliciter ses conseils et se défaire des stratégies néolibérales imposées par les Etats-Unis.
En Afrique australe, la distanciation toujours plus grande des puissances régionales locales (Afrique du Sud et Angola) à l’égard des Etats-Unis ont illustré la puissance des liens noués avec la Russie soviétique du temps de la guerre froide.
Au Moyen-Orient la réorganisation russe fut plus rapide encore. L’année 2014 fut celle du grand retour de la Russie au premier plan. L’appui sans faille porté au régime de Bachar el Assad menacé par des groupes djihadiste partiellement autonomes et partiellement soutenus et financés par certaines pétromonarchies du Golfe, permet à la Russie de faire d’une pierre quatre coups :
- Contrer les projets occidentaux de développement de projets gaziers et pétroliers visant à acheminer le gaz produit par le Qatar et l’Arabie saoudite vers la Méditerranée orientale ; projet nécessitant de s’assurer de la docilité complète du régime syrien.
- Endiguer les velléités expansionnistes de la Turquie en Syrie et dans le Kurdistan irakien.
- Contrer les projets de déstabilisation politique et militaire des territoires du Caucase – Sud (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) et du Caucase Nord (Tchétchénie, Daghestan, Ingouchie, Ossétie) via l’élimination des groupes terroristes (al Nostra et Etat islamique) qui ne cachent plus dès cette époque leur volonté d’étendre le califat islamiste vers le Nord jusqu’aux Républiques autonomes de la Fédération de Russie ;
- Redonner corps et crédit au projet de gazoduc russe Southstream face aux projets rivaux de l’UE (Nabucco) des Etats-Unis et de la Turquie (Bakou, Tbilissi, Ceyhan) ou Qataris.
Les victoires décisives de l’armée russe à Alep, Palmyre, Lattaquié sont l’occasion de découvrir la supériorité de l’armement russe et l’efficacité des forces spéciales des renseignements de l’État-Major des Forces armées russes pour nombre de pays.
A partir de 2015, les contrats d’achats d’armement produits par la Russie explosent en volume aussi bien qu’en valeur. Plus révélateur encore l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Inde et l’Égypte, ces pays longtemps considérés comme des soutiens inconditionnels des États-Unis et des consommateurs privilégiés de l’armement américain, se tournent désormais vers Moscou pour se doter en missiles sol-air S300 ou S400, d’avions Soukoy dernière génération et de systèmes de brouillage électronique.
La redistribution globale des cartes à l’échelle mondiale dans le contexte de retrait partiel des Etats-Unis du Moyen Orient et de focalisation américain sur le pivot indo – pacifique, ouvre dès lors à la Russie des perspectives nouvelles et des promesses de gains insoupçonnées jusqu’alors. Les vingt-cinq années de leadership du Président Poutine à la tête de la Russie ont changé radicalement la donne. Les Russes sont redevenus scientifiquement et militairement puissants. Leurs projets de refonte de l’ordre juridique et diplomatique international, de rééquilibrage des puissances et de remise en cause de l’hégémonie sans partage des Etats-Unis a rencontré l’attente de nombreux pays du Sud. Désormais des pans entiers du Sud global s’ouvrent à la Russie à travers de nouvelles alliances, des accords de coopération noués sur de nouvelles bases et des partenariats stratégiques renouvelés. En dépit d’un contexte hautement concurrentiel, liées notamment à l’émergence de solides partenariats Sud-Sud (par exemple Brésil-Angola, Inde-Afrique du Sud), la Russie devrait probablement pouvoir s’implanter militairement, économiquement, financièrement et diplomatiquement au moins dans 3 zones clés d’Afrique :
– à l’Ouest sur l’ensemble du territoire de l’ancienne Afrique-Occidentale française, partant des territoires sahéliens du Niger, du Mali et du Burkina-Faso étendrait le vaste mouvement de bascule anti-occidental vers l’Est l’Ouest et le Sud.
Ce mouvement est né du rejet des schémas de domination militaire, économique et financière et d’aide au développement états-uniens et onusiens (avec à terme constitution possible d’une zone unifiée sur des projets antiimpérialistes et panafricains allant du Soudan au Sénégal et de l’Algérie au Golfe de Guinée).
– au Centre à travers la création de nouveaux partenariats de défense et de coopération économique avec les anciennes possessions de l’Empire belge ainsi que, possiblement, certains États de l’ancienne Afrique-Équatoriale française comme (Centrafrique, Gabon et Congo Brazzaville)
Au Sud, à travers la consolidation des partenariats stratégiques existants (Afrique du Sud, Mozambique, Angola) et le renforcement des liens d’amitié noués durant la guerre froide avec les forces marxistes et les partis anticolonialistes tel le Mouvement populaire de libération de l’Angola.
Avec l’appui de l’Afrique du Sud et de l’Angola une partie essentielle du continent africain, héritage direct de ce qui fut jadis la perle du Commonwealth, pourrait ainsi entrer dans l’alliance globale que s’attache aujourd’hui à bâtir Moscou et Pékin , lui aussi très actif sur le continent africain.
L’on pourrait ainsi assister dans les années à venir à une redistribution globale des cartes au détriment de l’Occident.
L’intervention de Son Excellence l’Ambassadeur de la Fédération de Russie en France, devrait aborder de façon inédite le sujet du conflit ukrainien, l’évolution des rapports avec la France et l’Union Européenne, la mutation de l’ordre international, la structuration de l’alternative à l’ordre occidental, la guerre en Palestine, etc.
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Intervention de S.E.M Alexey Meshkov,
Ambassadeur de la Fédération de Russie en France,
sur le sujet : « Quel bilan pour le nouveau concept de la politique étrangère de la Fédération de Russie ? »
Il y a un an, le 31 mars 2023, le président Vladimir Poutine a approuvé le nouveau Concept de la politique étrangère de la Russie. Ce texte est véritablement révolutionnaire. Pour la première fois, il consacre au niveau doctrinal le rôle civilisationnel particulier qui revient à notre pays. Il fixe comme objectif principal la formation d’un ordre mondial juste et durable comme étant le seul moyen de garantir la sécurité et la souveraineté de la Russie et de créer des conditions pour son développement. Le Concept fait état des vains espoirs de rapprochement avec les États-Unis et l’Europe et, de fait, officialise la désolidarisation avec l’Occident, en dressant une hiérarchie très claire des priorités régionales de notre politique étrangère : les pays de la CEI, d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine viennent en premier, tandis que l’Europe et les Anglo-Saxons sont tout en bas de la liste.
Ces orientations stratégiques reflètent les changements fondamentaux survenus dans le monde au cours des dernières années. Il s’agit avant tout de la formation de l’ordre mondial véritablement multipolaire. Les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine font preuve de leur détermination à définir de leur propre chef leur vecteur de développement et à choisir leurs partenaires. Ils exigent, à juste titre, que leurs intérêts soient pris en compte pour traiter des questions mondiales et régionales.
Ce processus est cependant mal perçu par un certain nombre d’États habitués à suivre la logique de la domination mondiale et du néocolonialisme. Ils refusent de s’entendre, dans un esprit d’égalité et de respect mutuel, sur les paramètres d’une organisation plus équitable de la vie sur la planète. Les pays qui ne veulent pas se soumettre aux diktats de l’Occident collectif sont pris pour cible avec tout l’arsenal des moyens de pression dont il dispose. Ainsi, les tensions internationales ont atteint un niveau sans précédent depuis la fin de la guerre froide.
On n’a pas à chercher bien loin pour des exemples concrets. Jusqu’à récemment, l’Europe du Nord a été une région paisible et tranquille. L’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN a transformé cet espace en une zone de rivalité géopolitique. Notre ligne de contact avec l’alliance a ainsi doublé. Il existe un risque réel de l’apparition de troupes américaines dans la région – celles qui agiront selon leurs propres lois et n’obéiront pas aux autorités locales. Les tensions montent dans l’Arctique. Nous constatons que l’OTAN a commencé à former des coalitions dans des formats restreints dans la région Asie-Pacifique, avec une orientation non seulement antirusse mais aussi antichinoise. Cette activité du bloc sape la stabilité internationale et crée des menaces pour la sécurité des centres de pouvoir alternatifs à l’Occident.
Malgré les promesses faites par l’OTAN au tournant des années 1980 et 1990 de ne pas s’élargir vers l’est, l’alliance s’est rapprochée au plus près de nos frontières. Cela s’explique par le simple fait que le bloc n’a jamais pu se trouver une nouvelle raison d’être et qu’il est donc revenu à son objectif principal de l’époque de la guerre froide – l’endiguement de la Russie. Le concept stratégique de l’OTAN, adopté au sommet de Madrid en 2022, désigne notre pays comme « la menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité, la paix et la stabilité des Alliés dans la région euro-atlantique ». La Russie se voit défiée dans toutes les zones géographiques et tous les environnements opérationnels : sur terre, sur mer, dans les airs, dans l’espace et dans le cyberespace. Les leaders occidentaux, ainsi que les fonctionnaires du bloc déclarent constamment que l’alliance se prépare à un conflit avec la Russie, tout en nous adressant des appels à une « désescalade ». La Russie n’a menacé ni ne menace aucun pays de l’OTAN.
Les États-Unis et leurs alliés, ayant mis le cap sur l’affaiblissement de la Russie par tous les moyens possibles, ont choisi notre pays-frère, l’Ukraine, pour la transformer en une anti-Russie. Les mesures prises pour protéger les intérêts vitaux de notre pays ont été instrumentalisées par l’Occident qui en a fait un prétexte pour déclencher une guerre hybride à grande échelle contre la Russie. Dans ces circonstances, la Russie est déterminée à défendre son droit au développement souverain par tous les moyens dont elle dispose. Il ne s’agit ni d’une menace ni d’une tentative de créer une « ambiguïté stratégique » dont on parle beaucoup à Paris ces derniers temps. L’opération militaire spéciale a clairement démontré que nous sommes prêts à défendre avec la plus grande fermeté la sécurité de notre pays et de nos citoyens.
Nous constatons aujourd’hui la présence en Ukraine du matériel militaire étranger, de spécialistes militaires et de mercenaires étrangers directement impliqués dans des opérations militaires. Aujourd’hui, on entend même parler de l’éventuel envoi de troupes de l’OTAN en Ukraine. En même temps, les pertes subies par les Ukrainiens n’ont aucune importance pour les Occidentaux. Pour l’alliance, ils ne sont que du matériel sacrifiable dans la poursuite de ses objectifs géopolitiques.
À cet égard, un épisode éloquent de l’histoire des relations russo-françaises me vient à l’esprit. En 1812, lors de l’invasion de la Russie, Napoléon a demandé au général russe Alexandre Balachov quelle était la route la plus rapide pour atteindre Moscou. La réponse a été la suivante : « Les routes sont nombreuses. Charles XII, par exemple, a choisi celle qui passe par Poltava ». Tout le monde connaît bien la fin de cette campagne napoléonienne, tout comme celle de l’intervention suédoise. La génération actuelle de dirigeants européens ferait mieux de se rappeler le sort de leurs prédécesseurs, ceux qui ont autrefois envoyé leurs contingents en Russie.
En ce moment, Kiev et ses « parrains » occidentaux mobilisent leurs efforts pour organiser une conférence internationale de haut niveau sur la paix en Ukraine, qui devra se tenir en Suisse dans les mois à venir. La mention du mot « paix » dans son titre ne doit tromper personne. Il s’agit de promouvoir la fameuse « formule de Zelenski », qui est en réalité une formule de poursuite du conflit. L’initiative de cette nouvelle la conférence vise à remplacer le « format de Copenhague » qui, apparemment, n’a pas réussi à rassembler sous la bannière de la guerre suffisamment d’États, surtout parmi ceux qui n’appartiennent pas au camp occidental. En d’autres termes, la forme change, mais l’essence des ultimatums reste inchangée.
Notre position de principe reste également inchangée. Toute négociation de paix et toute discussion sur son lancement sont impossibles sans la Russie et n’ont aucune valeur ajoutée. Elles doivent être précédées en amont par l’annulation du décret de Zelenski interdisant les négociations avec la Russie, la cessation des livraisons d’armes par les pays de l’OTAN au régime de Kiev et la confirmation sans équivoque par Kiev et ses « maîtres » de leur volonté de prendre en compte les réalités politiques et territoriales actuelles et les intérêts légitimes de notre pays.
Ayant mis le cap sur la confrontation, l’Occident a réduit à zéro pratiquement tous les liens avec notre pays, a imposé des sanctions économiques sans précédent, a procédé à un véritable pillage des avoirs russes à l’étranger et n’a même pas dédaigné, à son déshonneur, d’imposer des restrictions à la culture russe et d’adopter un comportement discriminatoire à l’égard de nos athlètes. Toutes ces démarches sont effectuées dans le but non dissimulé d’infliger une « défaite stratégique » à notre pays, de détruire son économie et d’ébranler la société russe dans l’espoir d’une déstabilisation interne et d’un changement de pouvoir en Russie.
Or, ces projets ne sont pas réalisés. Contrairement aux calculs occidentaux, la société russe s’est solidarisée face à une menace extérieure. Les résultats de l’élection présidentielle en Russie l’ont clairement démontré : Vladimir Poutine a remporté une victoire convaincante avec 87,28 % des voix et un taux de participation sans précédent de 77,44 %. Une forte impulsion a été donnée au développement économique. Selon les résultats de 2023, le PIB russe affichait le taux de croissance le plus élevé d’Europe (3,6 %), le revenu monétaire réel de la population augmentait de 4,6 % et le taux de chômage moyen n’était que de 3,2 %. L’opération militaire spéciale a contribué à une mobilisation spirituelle et culturelle des Russes, renforçant l’identité nationale de la Russie en tant qu’ »État-civilisation authentique », comme le stipule le Concept de politique étrangère.
Actuellement, nos efforts se focalisent sur l’approfondissement de la coopération avec la majorité mondiale, c’est-à-dire les États d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine que le Concept définit en tant que zones géographiques prioritaires de notre politique étrangère. Comme l’a montré l’année écoulée, l’écrasante majorité d’entre eux est intéressée par une coopération constructive avec la Russie. Et ceci est leur choix souverain, basé sur leurs intérêts nationaux, fait sans contrainte et souvent même en dépit des tentatives de pression de l’Occident qui, dans la pire des traditions coloniales, cherche à les forcer à ne jouer que selon ses règles.
Nos relations avec la Chine traversent la meilleure période de leur histoire séculaire. En témoignent la visite d’État de Xi Jinping en Russie en mars 2023, qui était d’ailleurs son premier déplacement à l’étranger après sa réélection à la présidence de la République populaire de Chine, ainsi que la participation de Vladimir Poutine en octobre 2023 au forum international « Une ceinture, une route » à Pékin. Avec l’Inde, nous entretenons des relations de partenariat stratégique privilégié qui marquent des progrès soutenus. Les échanges se font régulièrement au plus haut niveau, ainsi qu’au niveau des diplomaties et des ministères spécialisés.
Les relations avec l’Iran, la Turquie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar se développent de manière dynamique. Notre partenariat avec les pays africains s’oriente également vers un niveau stratégique. Le sommet Russie-Afrique qui s’est tenu en juillet 2023 a démontré l’intérêt mutuel pour l’approfondissement de la coopération. Une étape importante dans le développement de nos relations avec le continent latino-américain a été la conférence parlementaire internationale « Russie – Amérique latine », qui s’est tenue à l’automne 2023. Le dialogue Russie-ANASE affiche également une dynamique positive.
Par ailleurs, nous accordons une attention particulière à la concertation avec nos partenaires dans les enceintes multilatérales, avant tout les Nations unies. Le Concept de politique étrangère stipule, entre autres, qu’il est nécessaire de rétablir le rôle des Nations unies en tant que mécanisme central de coordination pour concilier les intérêts et les actions des États. À cet égard, nous œuvrons en vue de l’élargissement du Conseil de sécurité, mais uniquement par l’inclusion des pays de la majorité mondiale. L’Occident, étant déjà largement représenté au sein du Conseil de sécurité et du Secrétariat de l’ONU, abuse de sa position privilégiée au détriment de l’équilibre mondial. Le jalon important a été l’adoption de la résolution de l’AGNU sur la lutte contre la glorification du nazisme. Le fait que ce document ait été contesté par l’Allemagne, l’Italie et le Japon, c’est-à-dire les pays qui ont déclenché la Seconde Guerre mondiale, montre clairement la nature des idées qui prévalent non seulement dans ces pays, mais aussi dans l’ensemble de l’Occident.
Les BRICS, dont la Russie a repris la présidence cette année, constituent l’une de nos priorités. Cette association reflète au mieux l’émergence d’un ordre mondial multipolaire. Entre 1992 et 2022, la part du G7 dans le PIB mondial en termes de parité de pouvoir d’achat est passée de 45,7 % à 30,3 %, tandis que celle du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud est passée de 16,5 % à 31,5 %. En 2028, les BRICS élargis au G10 devraient générer environ 37 % du PIB mondial, tandis que le G7 tombera en dessous de 28 %. Notre présidence se donne comme priorités : l’approfondissement de la coopération politique, sécuritaire, économique, financière, culturelle et humanitaire, ainsi que l’intégration la plus rapide et organique des nouveaux membres dans le travail de tous les mécanismes des BRICS. Nous considérons que le modèle de coopération des BRICS, fondé sur des relations d’ouverture et de confiance et sur les principes d’égalité souveraine, de respect du choix de sa propre voie de développement et de prise en compte garantie des intérêts de chacun, est le mieux adapté pour devenir le fondement d’un ordre mondial multipolaire plus juste.
En plus des BRICS, la Russie préside également la CEI cette année. Nous envisageons d’accorder une attention particulière à la mise en place de l’Organisation internationale de la langue russe, créée par la décision du sommet de la CEI à Bichkek à l’automne 2023.
Au sein de l’Union économique eurasiatique, la Russie et ses partenaires cherchent à approfondir l’intégration eurasienne, tout en faisant le lien avec des projets tels que « Une ceinture, une route » de la Chine, l’OCS et l’ANASE. Ces efforts visent à contribuer à la formation d’un Grand partenariat eurasiatique, qui donnera non seulement un élan au développement économique des pays de notre continent, mais créera également une nouvelle architecture de sécurité égale et indivisible en Eurasie, sans que des États extrarégionaux puissent infiltrer ces processus avec leurs propres règles.
Nous avons l’intention de progresser le plus activement possible dans la mise en œuvre de ces priorités de notre politique étrangère au nom de la construction d’un ordre mondial juste et stable dans lequel les intérêts de la Russie et de tous les autres États seront également garantis.
Enfin, je tiens à évoquer l’attentat terroriste atroce et barbare perpétré le 22 mars à Moscou. Nous sommes reconnaissants aux pays et aux peuples qui ont partagé cette douleur avec nous. Les exécutants directs de cet attentat ont été arrêtés, mais il reste à identifier ses organisateurs et commanditaires. Quoi qu’il en soit, la tragédie de Moscou est un nouvel avertissement brutal que le terrorisme est bien vivant et nécessite une action concertée de l’ensemble de la communauté internationale doit joindre ses efforts dans la lutte contre ce fléau.
Débat avec le public
Professeur Bruno DREWSKI
Je pense qu’après 1991 l’opinion russe s’est évidemment repliée sur elle-même, ce qui était la conséquence de la crise dramatique dans laquelle la Russie se trouvait. Maintenant, évidemment, nous voyons que la Russie est redevenue une puissance qui joue un rôle essentiel dans le rétablissement d’un équilibre international. Maintenant, quand j’observe l’opinion russe et disons, la presse russe, je me rends compte qu’il n’y a par exemple pas grand intérêt pour la crise du Moyen-Orient dans les journaux russes. Pensez-vous que l’opinion russe est en train de reprendre contact avec le reste du monde, ou est-ce qu’il y a encore un décalage à travailler ?
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Je ne dirais pas que nous sommes au plus bas, ou que le travail a diminué aux yeux du public en raison de la situation au Moyen-Orient. La situation actuelle est une preuve évidente de la position active que la Russie occupe actuellement au sein des Nations Unies. Comme vous le savez, la Résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu a finalement été adoptée hier. Nous ne sommes pas consacrés exclusivement à une seule ou certaines questions, mais je ne vous cacherai pas que le sujet le plus douloureux pour nous reste la crise en Ukraine. Il faut noter que nous continuons à jouer un rôle actif, notamment en Syrie, où chaque jour nos militaires apportent leur soutien au processus de redressement du pays pour l’aider à sortir de la crise. C’est vrai, je reviens encore une fois sur ce sujet, dont on a constamment essayé de nous accuser dernièrement à Paris, à savoir que la Russie accroit sa présence militaire en Afrique. La seule chose que je puisse dire à Monsieur le Président, c’est que oui, en effet, la Russie dispose aujourd’hui d’un excellent armement, ce que nous apprenons en récupérant les armes occidentales en Ukraine et en les comparant à nos armes. Mais la Russie, ce n’est pas qu’une question d’armes. Nous avons réduit nos exportations d’armes l’année dernière, ce qui est compréhensible, alors que la France s’est classée, je crois, au deuxième rang mondial en matière d’exportation d’armement. À l’opposé de l’ère Staline, notre pays est le plus grand producteur de céréales au monde. Aujourd’hui, la vente de céréales donne plus d’argent au trésor que la vente de grains. Je vous remercie.
Madame Patricia LALONDE
Monsieur l’Ambassadeur, qu’attendez-vous d’une éventuelle arrivée de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis ? Et pensez-vous, comme lui l’affirme, qu’il va régler les problèmes avec la Russie et l’Ukraine, en vingt-quatre heures comme il le dit ? Je voudrai avoir votre opinion par rapport à cela.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
(…) La Russie travaillera avec n’importe quel Président choisi par le peuple américain. Je pense que cette réponse est exhaustive.
Monsieur HAMROUNI, Président de Solidarité et Harmonie
D’abord et encore une fois, toutes mes condoléances pour le peuple russe, pour le Gouvernement, pour la présidence. Monsieur l’Ambassadeur, comme tout le monde le sait, la Russie est aujourd’hui au premier plan avec le bloc anglo-saxon, qui a toujours cherché à encercler la Russie. Y-a-t-il vraiment aujourd’hui, comme le pensent certains responsables européens, les allemands et les français aussi, un risque réel d’affrontement militaire entre la Russie et l’Europe d’ici dix ans ?
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Je pense que ce genre de déclarations sont faites par des gens qui n’ont pas d’enfants, qui n’ont pas de petits-enfants. Moi par exemple, j’ai quatre enfants et j’ai déjà des petits enfants. Pour moi, dix ans est une période trop courte, et j’aimerais quand même transmettre le monde stable, sans menace de guerre, aux générations futures. Effectivement, on entend ce genre de déclarations, qui sont pour moi des appels à la 3ème guerre mondiale, mais il faut justement comprendre si l’on souhaite ou non avoir cette perspective, car il faut être conscient que la 3ème guerre mondiale ne pourra pas être limitée dans l’espace, ne pourra pas être limitée géographiquement, et que par conséquent elle signifiera la destruction totale de l’humanité. Ce n’est pas le destin que je veux donner à mes petits-enfants, mais après, c’est aux autres de prendre leurs décisions.
Sébastien PERIMONY, Bureau Afrique de l’Institut Schiller
Bonjour Monsieur l’Ambassadeur. D’abord, toutes mes condoléances, que je réitère. On sait que le vrai ennemi de l’impérialisme occidental, de l’oligarchie financière, c’est le développement économique, scientifique et industriel. Et si nous prenons le cas de l’Afrique par exemple, on sait que le Mali, le Burkina Faso, le Niger étaient classés parmi les pays les plus pauvres du monde. Je sais qu’aujourd’hui la Russie a signé avec Rosatom des partenariats dans le cadre du développement de l’énergie nucléaire en Afrique, avec une dizaine de pays, mais ma question est la suivante : y-a-t-il d’autres projets qui sont envisagés dans le domaine des infrastructures, comme le fait la Chine, par exemple dans le domaine de l’irrigation, de la santé, des chemins de fer, etc. ? Y-a-t-il une volonté accentuée de la Russie aujourd’hui d’aller dans le développement industriel, infrastructurel du continent africain ?
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Oui, il y a effectivement plusieurs projets qui sont en cours, mais dont une certaine partie sont mis en pause, comme c’était le cas du projet de construction de chemin de fer en Libye. Mais sinon oui, il y a des projets de construction de pipelines, gazoducs, des projets médicaux également, ou de formation, dans le domaine de l’éducation aussi. J’ai évoqué qu’il y a aussi eu un sommet Russie-Afrique, organisé récemment, qui a pu déboucher sur toute une série d’accords de coopération dans différents domaines. Déjà, au début de cette année, il y a eu le président du Tchad qui a fait une visite en Russie, le Premier ministre de la République centrafricaine également. En 2023, le Ministre Lavrov s’est rendu dans toute un série de pays : Angola, Burundi, Kenya, Mauritanie, Mali, Mozambique, Soudan, Érythrée, Eswatini et la République d’Afrique du Sud. Bien sûr, dans chacun des cas avec chacun de ces pays, la discussion portait sur des projets économiques très concrets. C’est juste que la philosophie des approches russes à l’égard de la coopération avec les pays africains est différente de la philosophie de certains autres pays. Pendant l’Union soviétique, tout n’a pas été mauvais, et justement parmi les atouts, les points positifs, on peut citer les programmes d’aides aux pays africains. La philosophie de ces programmes était de lancer des industries, lancer des infrastructures, pour qu’ensuite les citoyens de ces pays puissent prendre le relais et se développer par eux-mêmes. Bien sûr, il serait beaucoup plus simple de se limiter à livrer tout simplement du blé et du maïs en Afrique – et d’ailleurs nous livrons les deux dans des volumes assez importants – mais il est beaucoup plus compliqué de créer les conditions pour que ces pays puissent eux-mêmes cultiver du maïs ou du blé. Pour que les pays, disons de l’Afrique centrale, puissent se doter des infrastructures pour assurer les exportations de leurs produits vers la côte Atlantique, par exemple. Pendant plusieurs années, j’ai été le représentant de la Russie au sein de la FAO (L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies) et ça a justement été le message que nous avons toujours essayé de promouvoir au sein de l’organisation : que notre aide occidentale devrait consister à créer justement les conditions pour que ces pays puissent ensuite se développer par eux-mêmes.
Soter DOVI, Chef d’entreprise SFE
Je voudrai d’abord remercier Son Excellence pour son développement. Tout à l’heure, je l’écoutais, et il parlait de la mutation qui permet aujourd’hui à la Russie d’être un partenaire incontournable, et cette mutation moi je l’appelle une rupture. Qui eut cru que la Russie pourrait tenir tête aux occidentaux ? Donc c’est une rupture pour le monde aujourd’hui. Et au sujet de cette rupture, qui permet à la Russie de s’imposer et d’avoir des partenaires un peu partout, je me dis qu’elle peut continuer à s’imposer, à développer sa stratégie multipolaire, tout en inscrivant dans son escarcelle une résolution de paix pour le monde. Elle pourrait jouer le double-rôle de réunir le monde entier, et également de proposer une paix. Je sais que cette résolution sera sabotée par les occidentaux, mais elle aura le mérite d’être posée et proposée. Voilà ce que je voulais rapporter.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Oui, là-dessus nous sommes d’accord. Très souvent, nos initiatives de paix sont torpillées par les autres. Mais dans ces cas-ci, nous n’hésitons pas à partager ces initiatives avec d’autres pays, et dans ces cas si ces pays-là les formulaient ça ne serait pas si mal accueillis et ces propos ne sembleraient pas si toxiques. Mais c’est vraiment la réalité, et je vais vous citer l’un des exemples les plus flagrants. Il y a déjà plus de vingt ans, la Russie a pu trouver la formule de règlement du conflit antérieur Moldave, donc pour que les deux parties (la Moldavie et la Transnistrie) puissent se mettre d’accord. Le texte de l’accord a été rédigé, finalisé et même paraphé. Mais ensuite est venu Javier Solana, qui était à cette époque le représentant de la diplomatie européenne, qui a tout simplement interdit la signature de cet accord. Et du coup, vingt-cinq ans se sont écoulés depuis et la situation n’a pas beaucoup bougé et reste dans la même impasse.
Jean-Pierre VETTOVAGLIA, ancien Ambassadeur de Suisse
Merci beaucoup. Je suis un ancien Ambassadeur de Suisse, et je partage totalement vos vœux sur l’inutilité des efforts de la diplomatie helvétique d’organiser une conférence de paix sur les idées de Monsieur Volodymyr Zelensky. J’écris d’ailleurs fréquemment dans la presse suisse pour exprimer mon mécontentement de la politique suivie par la Suisse. Ça m’amène à Genève en décembre 2021, où vous aviez proposé deux accords à la partie américaine, qui ont été rejetés sans beaucoup d’élégance. J’ai vu l’autre jour, que l’Ambassadrice des États-Unis au Conseil de Sécurité des Nations Unies venait de proposer à la Russie et à la Chine, sans condition et immédiatement, des propositions de négociations de paix. Qu’est-ce que vous en pensez ?
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Sa proposition était dans le cadre du dialogue sur la stabilité stratégique. Mais comme toujours, vous savez, le diable se trouve dans les détails. Ni la Russie, ni que je sache nos collègues chinois ne refusent le dialogue sur la stabilité stratégique, mais si c’est le sujet il faut alors parler de l’ensemble des points qui en font partie. Et la proposition de Madame l’Ambassadrice portait en fait sur un seul point qui répondait aux intérêts américains. Plus largement, comment peut-on aujourd’hui discuter de stabilité stratégique globale, de sécurité globale, si la Russie est proclamée comme ennemi à Washington et pas uniquement à Washington. Adversaire plutôt, car il ne reste probablement plus qu’un petit pas pour devenir ennemis… Il faut d’abord créer des conditions pour nous puissions lancer ce genre de négociations. Et puis ces trente dernières nous ont appris une chose que nous avons pu observer à maintes reprises, qui est que nos partenaires anglo-saxons ont rompu les accords déjà conclus, notamment dans le domaine de la stabilité stratégique ou encore sur le traité sur la défense anti-missiles, et on peut continuer la liste.
(…)
Ma question porte sur une chose paisible. La guerre va se terminer un jour ou l’autre, et ça sera sans aucun doute la victoire de la Russie. Et on peut déjà dire que beaucoup de français ont déjà des préoccupations, des soucis pour l’avenir de leurs enfants. Il y a beaucoup de jeunes, d’étudiants, par exemple diplômés des universités techniques, des jeunes ingénieurs, et en fait beaucoup d’entre eux aimeraient déménager en Russie, notamment dans les nouvelles régions. Alors pourra-t-on espérer avoir certaines préférences, peut-être un régime allégé pour pouvoir déménager en Russie, y travailler, parce que c’est l’un des débouchés qu’ils considèrent, et parce qu’à part là, où est-ce qu’ils vont travailler, aux États-Unis ? Oui, peut-être, mais beaucoup préfèreraient aller en Russie. Alors est-ce qu’on peut espérer avoir un accueil un peu privilégié pour nous les français ?
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Pas besoin d’attendre la fin du conflit. Nous sommes déjà prêts à accueillir les jeunes talents, les jeunes ingénieurs. Bien évidemment, les ingénieurs ont une valeur dans n’importe quel pays. Il y a un programme de déménagement spécialisé. Ici, dans le passé c’était vraiment des cas isolés, mais aujourd’hui il y a un nombre croissant des familles françaises qui vont habiter en Russie. Oui, ces programmes ciblent en fait les jeunes talents et ils sont ouverts à tous. Il y a plusieurs programmes d’études par exemple, à tous les niveaux universitaires. Par exemple, au niveau de la maîtrise nous avons récemment fini la sélection et 40 étudiants vont faire leurs études en Russie. Bien évidemment, ce genre d’initiative est salué, mais naturellement nous accordons une attention prioritaire aux chercheurs et scientifiques russes qui ont dû immigrer dans le passé suite à des problèmes financiers, donc nous essayons de créer des conditions avantageuses pour qu’ils puissent revenir. Parfois les États étrangers nous aident pour atteindre cet objectifs. CERN – je pense que Monsieur l’Ambassadeur connaît très bien – semble licencier cette année autour de 400 chercheurs et scientifiques russes qui apporteront donc une grande contribution au développement de notre science. Nous sommes ouverts à tout le monde, tout le monde est le bienvenu.
Karel VEREYCKEN, Chargé de l’Asie centrale à l’Institut Schiller
Bonjour. En Asie centrale, il y a un autre pays qui est frappé par le terrorisme – notamment par l’État islamique du Khorassan (EI-K) – et qui a un autre problème énorme, celui des narcotiques et de la production du pavot. Donc j’ai eu la bonne nouvelle via mes amis de Kaboul que dans quelques semaines va s’y tenir un sommet organisé par Pino Arlacchi, l’ancien chef du bureau de l’Office des Nations Unies pour la Lutte contre la Drogue et les Crimes. Il organise donc une conférence à Kaboul sur la lutte contre les narcotiques – il veut remplacer les cultures de pavot par des cultures agricoles – et aussi de la lutte contre le terrorisme, et souvent l’un finance l’autre. Je pense que la leçon très amère de ces attentats est aussi un appel au secours, et je pense que le moment est venu pour que les pays occidentaux, mais aussi la Russie, œuvrent pour lever les sanctions sur l’Afghanistan et que nous stabilisions l’ensemble de la région par un développement économique mutuel permettant d’éradiquer aussi bien les narcotiques que ce fléau du terrorisme. Est-ce que la Russie sera partenaire dans cette entreprise de stabilisation ? Merci.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Oui, la Russie s’est en fait toujours prononcée en faveur du renforcement de la lutte anti-narcotiques, notamment en Asie centrale, et nous entretenons des contacts avec différentes forces politiques en Afghanistan. Aujourd’hui, nous observons un phénomène un peu surprenant : vous savez que les Talibans se sont attelés très activement à la lutte contre les trafics de drogue, ce qui amène du coup les trafiquants à chercher d’autres itinéraires, d’autres pays dans lesquels poursuivre leurs affaires au noir. Cela exerce du coup une pression supplémentaire sur d’autres pays de l’Asie centrale, d’où nos efforts et nos activités avec ces pays-là, dans différents formats. Bien sûr, la lutte contre la drogue est très intimement liée à la lutte contre le terrorisme, parce que les cellules terroristes migrent également depuis les pays d’Asie centrale, notamment vers la Russie. À ce niveau-là, il y a une coopération très professionnelle. Les exécutants de l’attentat terroriste qui vient de se produire à Moscou étaient tous originaires de pays de l’Asie centrale, et donc aujourd’hui nos autorités coopèrent très étroitement avec les autorités de ce pays-là pour pouvoir identifier le réseau plus large des gens qui pourraient y être associés. Les leaders de tous les pays d’Asie centrale, dans leurs déclarations publiques ou entretiens téléphoniques avec le Président Vladimir Poutine, ont tous souligné leur volonté de mener cette lutte conjointe contre le terrorisme. En fait, je suis profondément convaincu que la lutte contre le terrorisme ou contre le trafic de stupéfiants devrait rester en dehors de toute confrontation politique ou même militaire parce que c’est une menace qui plane au-dessus de nous tous. Et ce n’était pas la Russie qui avait suspendu les contacts et la coopération dans ce domaine, c’était nos partenaires occidentaux.
Armelle CHARRIER, journaliste à France 24
Merci. Bonjour. Je vous pose juste une question par rapport au conflit en Ukraine et les annonces du Président Macron d’envoyer des troupes françaises. Nous sommes souvent confrontés, du coup, au problème du nucléaire et de sa montée. Alors, en dehors de toute polémique, pouvez-vous d’abord juste rappeler quelle est la doctrine nucléaire russe ? Ensuite, compte tenu du fait qu’il y a eu des référendums dans le Donbass – non-reconnus par la communauté internationale mais reconnus par la Russie – pouvez-vous considérer que ces territoires sont par conséquent sous votre protection, et y compris de l’armement nucléaire s’il y en avait un quelconque besoin un jour ?
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
La doctrine nucléaire russe n’a pas changé. Cette doctrine est basée sur un certain nombre de principes, dont l’un des principaux est que l’arme nucléaire ne peut être utilisée que face à une menace directe à la sécurité du pays. Je peux d’ailleurs vous citer le texte, que j’ai devant mes yeux : le premier cas pour l’utilisation de l’arme nucléaire serait l’existence d’informations fiables sur le lancement de missiles balistiques ciblant le territoire de la Fédération de Russie ou le territoire de ses alliés ; le second cas est l’utilisation par l’ennemi d’armes nucléaires ou d’autres armes de destruction massive contre le territoire de la Fédération de Russie ; l’attaque de l’ennemi contre les sites ou infrastructures critiques nationales ou militaires dont la destruction pourrait saper la possibilité de réponse symétrique ; et le principe principal, s’il y a une menace à l’existence même de l’État russe. Actuellement, la Russie compte 89 sujets de Fédération, c’est-à-dire unités administratives, qui sont donc inscrits à la Constitution russe, et la Crimée en fait partie, Sébastopol, ainsi que 4 régions de la Nouvelle-Russie. Et ces régions jouissent des mêmes droits et privilèges, portent les mêmes obligations que toute autre région russe. Encore une fois, je souligne que ces territoires sont devenus des unités administratives, des régions russes comme les autres.
Adnan AZZAM, écrivain syrien et ancien Gouverneur de la région de Soueïda (au sud de la Syrie)
Comme vous le savez tous, le monde occidental domine le reste du monde depuis des siècles. Pas seulement par les forces militaires et économiques, mais surtout par la force civilisationnelle (films, livres…). Le Président Vladimir Poutine parlait souvent dans ces discours, je le remarque depuis deux ans, de l’aspect civilisationnel de la Russie. Vous-mêmes vous avez évoqué cet aspect. Est-ce qu’il y a une stratégie réelle encore plus avancée pour la Fédération de Russie en vue de conquérir le cœur du reste du monde afin d’asseoir son autorité culturelle ou morale ? Surtout que les valeurs véhiculés par le monde occidental depuis des siècles sont toutes tombées à l’eau après les génocides en Afghanistan, Irak, Libye, Syrie et surtout ces derniers jours en Palestine. Ma deuxième remarque est pour Monsieur Ali Rastbeen. Vous avez évoqué que la Russie a soutenu le régime de Bachar el-Assad. Moi j’étais en Syrie, j’étais vice-gouverneur, et c’était l’État syrien qui a demandé un partenariat avec la Fédération de Russie, qui a donc porté son aide à l’État syrien menacé par les terroristes.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
La Russie, comme d’ailleurs la France, à chaque étape de son Histoire a été aussi une grande puissance culturelle. Et bien évidemment, nous avons des programmes spécialisés d’aide, d’appui dans le domaine culturel. Il y a par exemple un programme spécialisé pour les jeunes cinéastes, beaucoup de prix littéraires, mais c’est vrai qu’aujourd’hui nous nous retrouvons dans une situation unique. Avant, les meilleures productions de la culture russe arrivaient toujours ici, en Occident. Chaque année, il y avait par exemple des spectacles du Théâtre Bolchoï, du Théâtre Mariinsky, il y a toujours eu beaucoup de grandes expositions dont la dernière – j’espère que ce n’est pas vraiment la dernière – était celle des frères Morozov à la Fondation Louis Vuitton, mais aujourd’hui le fait est qu’au niveau officiel la culture russe est interdite en France. Il n’y a que des petites structures non-gouvernementales qui peuvent toujours mener ce genre d’activités, mais quoi qu’il en soit j’ai déjà évoqué le sort du jeune artiste russe qui n’a pas obtenu son Visa bien qu’il n’ait aucun lien avec le Gouvernement. Cela fait qu’au cours des deux dernières années, tout ce flot et ces grandes exportations de spectacles et expositions russes ont été redirigés vers l’Asie, la Chine avant tout, mais ce que moi j’ai personnellement beaucoup apprécié c’est que ce flot a été aussi redistribué entre différentes régions russes. Ici, la France ne peut malheureusement qu’écouter des chanteurs et interprètes plutôt médiocres dans les cafés chantants qui sont là. Mais j’espère que la situation va encore changer.
Odette AUZONDE, Maître de conférences retraitée
Vous avez longuement parlé des investissements russes en Afrique. La Chine aussi investit de son côté énormément en Afrique. Je voudrai savoir dans quelle mesure la Russie et la Chine peuvent collaborer, coopérer, ou éventuellement rivaliser dans ce domaine ?
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Je pense que la réponse dépendra largement des intérêts économiques, avant tout ceux des pays où nous investissons. En fait, nous avons très souvent des intérêts d’investissement différents d’avec la Chine. Après oui, toute éventualité est possible. Dans le passé nous avons développé des projets de coopération similaires avec la France, mais malheureusement ça n’a pas été réalisé par la suite.
Ismaël PAIENDA, co-fondateur Afghan Peace Dialogue et de l’assemblée des experts et spécialistes de l’Afghanistan et Président du Comité d’entraide afghan
Monsieur le Président Rastbeen, Son Excellence, bonjour et merci de m’avoir donné l’occasion de poser des questions. Vous avez parlé tout à l’heure du rôle de l’ONU. Le Général de Gaulle avait dit que si les Nations Unies ne jouent pas le rôle pour lequel elles ont été créées, ça ne resterait qu’un « machin ». Comment pensez-vous rendre les Nations Unies utiles dans ce sens-là et efficaces ? La deuxième question est : quel avenir voyez-vous pour l’Afghanistan dans les conjonctures que nous vivons actuellement là-bas ? Et quel regard de la part des américains et de l’Europe par rapport aux BRICS qui forment quand même une puissance économique ?
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Pour ce qui est de l’ONU, ça me fait penser aux discussions sur la sélection nationale de football : quand la sélection se produit mal on la critique, mais on ne peut pas s’en passer. La même chose vaut pour l’ONU. L’ONU exige bien évidemment des réformes, j’en ai parlé et notamment la réforme du Conseil de Sécurité pour rendre cette organisation plus efficace. L’ONU c’est nous tous, et si on se dispute entre nous, que peut-on vraiment exiger de cette institution ? Qu’elle soit efficace ? Seuls les États membres ont la capacité de la rendre plus efficace. Effectivement, cela est nécessaire et s’impose pour tous. Je pense qu’au cours des dernières années nous avons en fait perdu la culture du dialogue diplomatique. Ce que nous voyons, c’est en fait des tentatives d’imposition. Tout le monde essaie tout simplement d’imposer sa position sans être vraiment à l’écoute de son partenaire. Or, c’était l’objectif et même la raison d’être de l’ONU que de se mettre d’accord, de trouver une solution et puis la mettre en œuvre. Aujourd’hui, quelqu’un a évoqué la Représentante des États-Unis au sein du Conseil de Sécurité. Comme je l’ai dit hier, la résolution appelant à cesser les hostilités en Palestine a été adoptée, et après l’adoption de la résolution la représentante américaine a dit qu’en fait il s’agissait d’une solution facultative… Cela fait 40 ans que je suis dans la diplomatie et c’était la première fois que j’ai entendu que la décision du Conseil de Sécurité de l’ONU n’était pas un document juridiquement contraignant (du point de vue du droit international). Au sujet de l’avenir de l’Afghanistan, je suis profondément convaincu – et d’ailleurs notre pays en a une triste expérience – que l’avenir de l’Afghanistan doit être défini par les afghans. Et cela parce que toutes les tentatives d’imposer une solution quelconque depuis l’extérieur de l’Afghanistan ont été un échec, et c’est bien le cas depuis l’Empire britannique. Donc je voudrais tout simplement souhaiter beaucoup de succès au peuple afghan, car il est grand temps de se mettre d’accord. Pour ce qui est du regard des anglo-saxons sur les BRICS, je pense qu’on peut vraiment se passer de leurs commentaires. Le sommet des BRICS grandit et se renforce. Je vous ai cité des chiffres. Je ne vais pas vous le cacher, il y a bien eu des efforts pour semer une discorde parmi les membres des BRICS. D’autant plus qu’au niveau bilatéral certains pays des BRICS ont toujours des questions en suspens, mais cela ne les empêche pas de travailler ensemble. Nous n’allons pas lâcher les BRICS.
Myassa MESSAOUDI, écrivaine et militante pour les droits des femmes
Je voulais vous poser une question à propos de l’Algérie, des relations privilégiées entre l’Algérie et la Russie, et vous questionner par rapport au rendez-vous manqué du BRICS. Le Président Abdelmadjid Tebboune avait mis tout son poids dans cette adhésion qui n’a pas eu lieu, et surtout je pense qu’il avait beaucoup parié sur les relations fortes et historiques entre la Russie et l’Algérie. Pourquoi est-ce que cela n’a pas eu lieu ? Car cela n’a pas été effectif. Et dans un deuxième temps, il y a entre le Maroc et l’Algérie une très forte tension autour de la question du Sahara occidental, et cette question est en train de créer d’autres tensions dans le Sahel. Quelle est la position de la Russie par rapport au Sahara occidental ? Merci.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Je ne formulerai pas la question ainsi en disant que quelqu’un n’a pas été accepté au sein des BRICS. Ce n’était qu’une première étape, une première vague d’élargissement de la composition des BRICS avec les 5 nouveaux membres. Par conséquent, aujourd’hui nous réfléchissons bien aux prochaines vagues d’élargissement, parce que nous ne voulons pas répéter le sort de l’Union européenne, qui s’est quand même un peu précipitée avec les adhésions hâtives de plusieurs pays qui ne répondaient pas vraiment aux critères initialement pensés. Toutes les décisions au sein des BRICS sont adoptées par consensus, il y a des pays au sein des BRICS qui se prononcent plus activement pour un élargissement, d’autres qui sont plus réservés et sceptiques, qui se prononcent plutôt pour la création des mécanismes tels que les « membres associés des BRICS ». Aucun pays n’a été rejeté, et cette possibilité reste ouverte pour l’avenir. En fait, nous adoptons une position très calme, pour ce genre de changement. Par exemple, les nouvelles autorités de l’Argentine ont révisé leur volonté d’adhérer aux BRICS et nous avons accueilli cette nouvelle de manière tout à fait neutre, car pour adhérer à une association il faut d’abord avoir un consensus au niveau national. Et puis, ça aurait été bien pire si l’Argentine avait par exemple adhéré aux BRICS pour s’en retirer un mois plus tard. En ce qui concerne les questions du Sahara, la Russie s’en tenait toujours strictement aux résolutions adoptées par l’ONU. Et d’ailleurs, l’un des hauts-fonctionnaires onusiens – russe – qui travaille sur ce sujet est sur le terrain, est présent dans la région.
Patrick JOUAN, de la Fédération pour la Paix Universelle (FPU)
Excellence, condoléances pour les victimes de cette situation malheureuse. Vous avez parlé de votre famille, de vos enfants, donc du futur. Et je voudrais poser la question : est-ce que ce n’est pas une question de philosophie, à cause de la dialectique, que nous avons toujours des conflits qui vont et qui viennent, qui reviennent ? Vous siégez aux Nations Unies au Conseil de Sécurité, l’autre fois nous avions reçu ici l’année dernière l’Ambassadeur de Chine, la France a investi en Afrique, on en est repartis plus ou moins, vous faites la même chose, la Chine aussi. Ce que je ne comprends pas, c’est que vous ne vous battez pas au Conseil des Nations Unies pour la paix, et que nous préférons nous battre sur le terrain. Quelle serait la solution ? Pour moi, c’est une question de philosophie. Ne pas mettre en avant la dialectique de conflit, mais les valeurs qui nous rapprochent. J’ai rencontré votre Président il y a quelques années. Est-ce que ce n’est pas d’ordre philosophique ? Quand j’ai rencontré votre Président, j’avais l’impression que nous avions les mêmes valeurs, que nous voulions les mêmes choses. Et là, nous perdons le sens de « public », la protection de l’humanité, et je voudrais donc savoir quelles solutions pour que le Conseil de sécurité puisse se battre et se débattre pour trouver une solution de paix ? Merci.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
De par mon métier je suis obligé de lutter pour la paix. Oui, je suis bien d’accord, il faut régler les questions par la voie pacifique. Mais après, il y a des situations où il faut aller sauver les gens. Le problème principal du Conseil de Sécurité c’est à mon avis que certains de nos collègues préfèrent imposer leurs décisions plutôt qu’avoir des échanges avec les autres. Vous savez, il y a ces dernières années une sorte de culture qui s’est constituée au sein du Conseil de Sécurité. Il semble que les tenants de cette culture cherchent à proposer des initiatives tout en sachant que le droit de véto y sera opposé, donc trouver l’initiative qui sera de toute manière bloquée, au lieu de justement trouver des points de convergence. Mais je le répète, il n’y a rien de meilleur, pas de meilleure organisation que l’ONU. Et du coup oui, il faut changer de philosophie, vous avez raison, pour une philosophie de la paix au lieu d’une philosophie de la guerre.
Agnès Ollivier
Une question toute simple. Dans l’état actuel des tensions qu’il y a eu entre la France et la Russie, quelle place comptez-vous accorder Monsieur l’Ambassadeur aux commémorations du débarquement de juin 1944 ? C’est important parce que nous avions des valeurs communes à l’époque, qui étaient la lutte contre le nazisme et le fascisme. Merci.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Malheureusement, aucune place n’est envisageable, parce que les autorités françaises ont décidé de ne pas inviter les représentants officiels russes, en fait à toute manifestation publique. Ni la fête nationale, ni le jour du débarquement, ni le 11 novembre. Bien évidemment, cela nous laisse perplexe parce qu’il y a des pays qui ont lutté dans le passé contre la France et qui sont bien présents à ce genre de commémorations, et les pays qui ont été ses alliés en sont exclus. Vendredi dernier, j’ai été présent à une cérémonie très touchante, c’était au cimetière orthodoxe russe, à Sainte-Geneviève du Bois, et nos concitoyens ont restauré la pierre tombale, la tombe d’A(…) Dumesnil. Je suis sûr que la majorité des français ne savent pas qui elle est. C’est une femme qui a combattu dans les rangs de l’armée du Général de Gaulle, et qui a créé la toute première escadrille féminine en France, et a été décorée de 8 ordres, y compris l’Ordre de la Légion d’Honneur, la Grand-Croix. Or, sa mémoire a été perdue. De notre côté, nous essayons très activement de sauvegarder la mémoire des soldats russes qui ont notamment combattu pour la France lors de la Première Guerre mondiale, ceux qui ont lutté pendant la Seconde Guerre mondiale, avec toute notre appréciation à la contribution de l’escadrille Niémen. Pour revenir à la réponse à votre question, je ne serai probablement pas invité à la célébration du jour du débarquement, mais cela ne veut pas dire que nous n’allons pas le célébrer. C’est un anniversaire tout à fait remarquable, un événement que notre peuple a attendu pendant trois ans puisque le débarquement signifiait l’ouverture du deuxième front.
Sébastien PERIMONY, Bureau Afrique de l’Institut Schiller
Je voulais ajouter quelque chose par rapport à la coopération Russie-Chine-Afrique, à la question qui a été posée par Madame. Il y a un document qui s’appelle « Russie-Chine : coopération bilatérale en Afrique », qui a été réalisé par le Docteur Andrey Kortunov (du RIAC) avec l’Université de Pékin, qui est un document d’une centaine de page et rédigé en anglais et dont j’ai traduit une grande partie en français. Ce document explique toute la politique de la coopération entre la Russie et la Chine sur le continent africain. Donc voilà, si les gens sont intéressés je pourrai leur envoyer le document s’ils veulent prendre connaissance de la politique officielle, qui a été confirmée par Monsieur l’Ambassadeur.
Recteur Gérard-François DUMONT, Professeur à la Sorbonne et Vice-Président de l’Académie de Géopolitique de Paris
Je voulais d’abord, Excellence, vous remercier de nous avoir explicité de très nombreux points de la stratégie de la Russie, ce qui nous permet de mieux la comprendre. Je souhaiterai évoquer deux points sur lesquels nous souhaiterions avoir des éclairages complémentaires. Ma première question est sur la stratégie de la Russie dans le conflit militaire actuel – un conflit qui a d’ailleurs démarré il y a dix ans, comme chacun le sait – qui au plan militaire se présente de deux façons différentes, c’est-à-dire qu’il y a le conflit sur terre, et le conflit sur mer. En ce qui concerne le conflit sur terre, nous sommes effectivement dans une situation où l’armée russe a montré sa capacité à contrôler les territoires qu’elle souhaite contrôler, même si elle n’en contrôle pas la totalité. Par contre, en ce qui concerne le conflit sur mer, l’impression que nous avons c’est que la flotte russe s’est trouvée plutôt en difficulté alors qu’historiquement la Russie souhaite avoir la possibilité d’aller vers les mers chaudes, or là elle semble plutôt en difficulté, ce qui fait que nous nous interrogeons sur ce qu’est la stratégie russe compte tenu des évolutions militaires qui se sont déroulées depuis le début du conflit. Ma seconde question est tout simplement sur la stratégie de la Russie dans le cadre des Jeux Olympiques qui vont se dérouler à Paris très prochainement.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Vous parlez de la flotte de la Mer Noire, c’est bien cela ?
Recteur Gérard-François DUMONT, Professeur à la Sorbonne et Vice-Président de l’Académie de Géopolitique de Paris
Oui.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Oui, sur la terre effectivement, il y a, comme disent les militaires, du travail en cours, avec notre objectif principal qui est de sauver des vies, d’où le grand décalage si l’on regarde les chiffres des morts du côté ukrainien et du côté de la Russie. C’est 1 contre 7 à peu près. Notre objectif est de ne pas occuper des territoires. L’objectif est de libérer la totalité du territoire des républiques qui font déjà partie de la Russie, et puis assurer les conditions de notre sécurité. Pourquoi disons-nous toujours à nos partenaires – nous leur disons ouvertement – que la livraison de missiles à longue portée nous forcerait à déplacer davantage, d’éloigner la ligne de front plus loin de nos frontières. D’ailleurs je ne sais pas, et je ne comprends pas pourquoi la France leur livre des obus (à l’Ukraine, ndlr) qu’ils n’utilisent pas à bonne fin puisqu’ils ne font que bombarder les villes avec la population civile. Si tu veux faire la guerre, choisit tes cibles parmi les militaires. C’est aussi vrai pour la Crimée d’ailleurs, avec le Pont de Crimée que personne n’utilise d’ailleurs pour transporter du matériel militaire, les livraisons militaires s’effectuant par voie terrestre, et le pont n’étant utilisé que par des civils, des touristes, russes ou étrangers, qui vont y passer leurs vacances. N’étant pas expert militaire, je ne serai pas en mesure de vous dire beaucoup sur la flotte en Mer Noire, mais on peut dire que cette confrontation militaire a déjà apporté son mot dans la science militaire, si vous voulez. Par exemple, il y a trois ou quatre ans je regardais moi-même les drones comme une sorte de dispositif un peu exotique tandis qu’aujourd’hui ils comptent parmi les armements les plus utilisés. Avant, personne n’a jamais entendu parler – je pense – de ces bateaux autoguidés, automoteurs livrés par la Grande-Bretagne. La pensée militaire ne s’arrête jamais et il y a des nouveaux systèmes de défense qui sont en cours de conception. Mais la flotte ukrainienne n’existe pas, et je ne pense pas que cela poserait beaucoup de difficultés à notre flotte. Ce qui crée vraiment une menace, c’est la présence des avions et drones de reconnaissance des pays de l’OTAN, qui planent le long de la côte de Crimée et transmettent du coup toutes les informations recueillies, ce qui est évidemment mal accueilli, avec très peu d’enthousiasme, par la Russie. Sur les Jeux Olympiques, je ne saurais pas quoi vous dire… (rires) Je m’explique : nous pensons que tout ce qu’il se passe aujourd’hui au sein du mouvement olympique piétine en fait tous les principes et règles de ce même mouvement olympique. Je pense que les leaders actuels du mouvement olympique n’ont jamais lu l’histoire des Jeux Olympiques, et pourquoi ils ont été créés en Grèce. Donc, pour des prétextes vraiment artificiels, farfelus, la Russie – et la Biélorussie d’ailleurs – ont été exclues des Jeux Olympiques. Par contre, l’Israël sera invité, oui. C’est parce que la Russie est bien évidemment un pays autoritaire… Alors, quelle a été la réponse de la Russie ? Nous comprenons très bien que les athlètes ont mis plusieurs années pour se préparer à ces Jeux Olympiques, et ce sera donc leur choix d’y venir ou non. Après, c’est encore une fois comme dans le football. Chacun à son opinion. Mais vous savez, ces athlètes ne seront même pas admis à la cérémonie d’ouverture des Jeux, parce qu’ils sont russes. Et puis aucune équipe ou sélection n’a le droit d’y participer. Des fois, on pense qu’il devrait y avoir une autre explication, le deuxième fond derrière tout ça, qu’on essaye d’éliminer les sportifs les plus forts (rires). Vous savez, il y a un sport olympique, mais qui appartient aux Jeux d’Hiver, le patinage artistique. L’équipe russe n’a pas été admise à la compétition européenne. Et du coup, savez-vous qui a gagné ce championnat de patinage artistique européen ? Une fille russe qui a changé de nationalité et est devenue géorgienne, tout simplement (rires) ! Mais le fait encore plus curieux est qu’au sein du championnat russe elle n’a été classée qu’à la 13ème place, alors qu’ici elle est devenue championne. La raison pour laquelle j’ai dit que je ne saurai pas beaucoup vous dire au sujet des Jeux Olympiques, c’est que nous, l’Ambassade, sommes totalement ignorés. Ma résidence, par une heureuse ou malheureuse coïncidence, se trouve rue de Grenelle, et j’ai du coup appris des journaux que la Rue de Grenelle sera bloquée pendant tous les Jeux Olympiques et Paralympiques… (rires). Ce ne sont pas mes premiers Jeux Olympiques et je n’ai donc pas l’aspiration à y assister, mais j’aimerais bien pouvoir me rendre au travail, depuis ma résidence jusqu’à mon bureau à l’Ambassade ! Cela fait donc plusieurs mois que nous cherchons à obtenir – quand même – une réponse des autorités françaises, afin de savoir s’ils vont me donner ou non une autorisation, un laisser-passer. Et puis sinon, j’en informerai Moscou, et je demanderai l’autorisation de me rendre à Nice pour des vacances (rires). Les questions deviennent plus nombreuses avec l’approche de la nuit (rires).
Alain CORVEZ, Ancien officier de l’Armée française, membre de la Fondation Charles de Gaulle, et ancien Secrétaire-général de la Fondation de la France Libre
Je veux vous dire, au sujet de débarquement de Normandie où vous ne serez pas invité au commémorations, que c’est un honneur, parce que le Général de Gaulle lorsqu’il était Président de la République, avait toujours refusé qu’une quelconque délégation française, et lui en particulier, aille honorer ce débarquement car les américains l’avaient ignoré comme vous le savez, ou on peut encore évoquer les titres des journaux américains du 6 juin 1944, qui n’étaient pas titrés « Débarquement en Normandie » mais « Invasion de la France ». Donc c’est un honneur.
Olivier MILLET, ancien Lieutenant-colonel de l’Armée française
Ma question est la suivante. Entre la Russie et l’Ukraine, il y a pour l’instant une guerre de position. Pour faire avancer les choses, il y aura des élections cette année en Ukraine, et il serait bien qu’il y ait une politique de premiers pas, de petits pas, entre les deux belligérants, et cette politique pourrait être conduite – déjà vous avez sauvé les enfants des combats en les emmenant en Russie. Peut-être en proposant de rendre ces enfants avant les élections.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
C’est vous qui dites que l’Ukraine est un pays démocratique, mais apparemment et pour cette raison il n’y aura pas d’élection (rires). Et donc tout le monde se pose la question de savoir quelle sera la situation après le 20 mai, quand Monsieur Volodymyr Zelensky perdra même le droit officiel d’être à la tête de l’Ukraine. En fait, c’est une campagne d’informations délibérément déployée contre la Russie. Les informations ont été complètement défigurées. Oui, les enfants ont été amenés sur le territoire russe, parce que les troupes ukrainiennes étaient en train de les bombarder et qu’il fallait sauver les enfants. Et donc, avec ces enfants qui se sont retrouvés en Russie, il y a tout un programme très avancé, développé, d’ailleurs russo-ukrainien, qui vise à rechercher les proches et la famille de ces enfants. Et s’il y en a, ces enfants reviennent en Ukraine. Donc si jamais demain vous lisez dans les journaux qu’il y a 1600 enfants qui sont emmenés de la ville de Briansk, tous les jours bombardée par les troupes ukrainiennes, sachez que Briansk est une ville russe, et que c’était leur familles, les parents, qui les ont mis dans ces transports. Personne n’est capable de savoir combien d’enfants non-accompagnés se sont retrouvés dans les pays européens, les enfants ukrainiens je veux dire, notamment en Grande-Bretagne. Oui, cela suscite bien évidemment des préoccupations.
Xavier HOUZEL, longue carrière dans le pétrole
Merci Monsieur l’Ambassadeur. J’aimerais que vous nous parliez de Gaza. Vous aviez reçu tous les palestiniens, il y a trois semaines, vous les avez invités, et Mahmoud Abbas n’est pas venu, il avait fait démissionner son premier ministre. Donc c’est un échec. Cela veut dire que la Russie semble embarrassée sur ce sujet de Gaza. Beaucoup d’observateurs font une comparaison, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, entre le Donbass et la Palestine ou la Cisjordanie. Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Oui, notre position sur Gaza est très claire. Nous connaissons tous les chiffres, le nombre de femmes et d’enfants tués à Gaza, qui est largement supérieur au même bilan fait au cours des dix dernières années du conflit, au regard des chiffres. Nous avons commencé cette conférence en disant que nous condamnons tous le terrorisme, et que c’est la seule attitude possible à l’égard des atrocités commises le 7 octobre contre les civils. Mais cela ne peut pas être un prétexte pour tuer les femmes et les enfants en si grand nombre. Nous avons l’impression, et c’est aussi mon impression de par mes contacts avec les collègues des pays arabes, que l’objectif est en fait d’évincer les palestiniens de Gaza. Et puis, on connaît très bien le sort de tous les camps de réfugiés pour les palestiniens, l’expérience des derniers 50-60 ans montre que personne n’est en fait rentré de ces camps. Voilà pourquoi la Russie prône toujours une solution politique. Nous nous sommes toujours prononcés, et nous continuons à le faire, en faveur de la solution à deux États en Palestine. Effectivement, il n’y a pas longtemps Moscou a accueilli les représentants de presque tous les groupes palestiniens pour débattre de la question, pour savoir comment revenir, comment assurer l’avenir de la Palestine. Et comment revenir vers la plateforme de l’Organisation de Libération de la Palestine. Et c’est la voie qui est privilégiée, appuyée par plusieurs pays de la région. Les palestiniens doivent se mettre d’accord entre eux-mêmes parce que cette discorde, cette disparité, n’aide pas bien évidemment. Et puis, il y a bien sûr la question des otages qui doit être résolue. Si je ne me trompe pas, il y a trois citoyens russes qui font partie des otages. Mais la priorité aujourd’hui est de mettre fin aux hostilités et donc d’arrêter une catastrophe humanitaire. Tout le monde et même les américains ont compris que s’il y a une intervention directe à Rafah, ça sera une catastrophe.
Ngoc Quan TRAN, Premier Secrétaire de l’Ambassade du Vietnam
Merci pour votre présence, Excellence. J’ai trois questions. Comme vous le savez, le conflit militaire est entré dans sa troisième année. D’après vous, quelles sont les perspectives de la fin du conflit ? Peut-être, pouvez-vous inventer un scénario pour la fin du conflit ? Deuxième question : quel est l’avenir de la relation entre la Russie et la Chine ? Et de la Russie avec la Corée du Nord, dans le contexte actuel ? Et troisième question : quelles sont selon vous les causes principales de l’attentat survenu à Moscou ces derniers temps ? Merci.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
En ce qui concerne le règlement du conflit, en fait la solution était déjà sur la table en avril 2022, et l’accord a été presque paraphé, tous les points qui sont là, restent en vigueur sauf quelques changements parce qu’à l’époque les anglo-saxons n’ont pas permis la signature de cet accord et que par conséquent la situation sur le terrain a changé depuis. Mais sinon, les grands principes restent les mêmes. Donc, démilitarisation ; dénazification – qui signifie l’abolition de toutes les lois nazies, comme par exemple celle qui interdit l’utilisation de la langue russe – ; et déjà le respect de la Constitution ukrainienne qui proclame l’Ukraine comme un État neutre ; non-déploiement de troupes étrangères sur le territoire de l’Ukraine. En fait, cet accord avait même en annexe la liste des armements qui seraient autorisés pour les troupes de l’armée ukrainienne, et cette partie-là était également validée par la partie ukrainienne. Mais après, il y a l’ancien Premier Ministre britannique qui est venu à Kiev dire « non, vous devez faire la guerre », et du coup en avril ça fera deux ans depuis cette occasion manquée. Ensuite, Volodymyr Zelensky a adopté la loi interdisant toute négociation avec la Russie, et bon, c’est comme une boule de neige, vous connaissez la suite. Pour ce qui est de notre relation avec la Chine, comme je l’ai dit aujourd’hui nous traversons une période unique, vraiment la meilleure de toute notre Histoire séculaire. Nous partageons la même vision sur beaucoup d’aspects des processus globaux. Quand je suis venu en France, il y a six ans, les échanges commerciaux entre la Russie et l’Union européenne s’élevaient à 435 milliards d’euros. Avec la Chine, ce n’était que 50 milliards. Aujourd’hui, les échanges commerciaux avec la Chine s’élèvent à 245 milliards d’euros, alors qu’avec l’Europe ce doit être autour de 79… Je peux confondre le chiffre exact, mais en tout cas l’échelle est bien là. C’est un témoignage très éloquent pour apprécier l’évolution de nos relations avec la Chine et avec l’Union européenne. Mais vous avez également évoqué la Corée du Nord. Là encore, on peut faire une comparaison. Il y a deux ans, nos échanges commerciaux avec la France s’élevaient à 29 milliards d’euros, et avec la Corée du Nord 3,5. Aujourd’hui, avec la Corée du Nord c’est 29 milliards, alors que les échanges commerciaux avec la France ont baissé de 70 %. Nous sommes profondément convaincus que toutes les questions sur la péninsule coréenne doivent être résolues par la voie de la négociation – qui a d’ailleurs existé et a porté ses fruits – et non par la terreur ou les tentatives d’intimidation.
Alesya Miloradovich, géopoliticienne dans le domaine de la défense et de la sécurité, diplomate, personnalité publique.
Bonjour Monsieur l’Ambassadeur. Je voudrai revenir sur le futur de la guerre. À la fin de l’année dernière, conscients de l’échec de la contre-offensive ukrainienne, les alliés, l’Amérique, ont décidé d’une nouvelle stratégie. Cette nouvelle stratégie a commencé à se mettre en place à partir du mois de janvier. Au mois de janvier, il y a eu un accord qui a été passé entre le Premier Ministre anglais et Monsieur Volodymyr Zelensky, au mois de février l’Allemagne a fait de même, et la France également a fait la même chose entre le Président Macron et le Président Zelensky. Et il est envisagé qu’il pourrait y avoir jusqu’à 33 ou 35 pays qui pourraient décider de ces relations bilatérales, entre eux et l’Ukraine. Il y a déjà 4-5 pays qui ont signé un document dans lequel ils prenaient un certain nombre d’engagements vis-à-vis de l’aide à l’Ukraine, tel autre pays prenait d’autres types d’engagements, mais tout cela demande une coordination et je me pose la question de savoir qui va encore donner tout ça ? Il faut savoir aussi que ces relations bilatérales sont prises pour dix ans, donc quel va être le comportement des États-Unis vis-à-vis de ces relations bilatérales, quand on voit que l’Amérique est par ailleurs dans l’hésitation, quant à son comportement dans les mois qui vont venir ?
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
En tout cas, le coordinateur, ça ne sera pas nous (rires) ! La décision, comme toujours, sera prise à Washington. Un de ces jours, il y a eu le sénateur Lindsey Graham, assez célèbre, qui s’est rendu à Kiev. Il a dit que c’était tout de même un peu bizarre, leur nouvelle loi sur la mobilisation à partir de 25 ans parce qu’ils n’auront pas assez de chair à canon ainsi et qu’il fallait commencer dès l’âge de 18 ans… Et d’ailleurs hier, ils ont proposé un projet de loi au sein du Parlement ukrainien pour baisser l’âge. L’auteur du projet est un député assez connu en Ukraine, l’ancien président de leur Parlement, justement. Nous sommes bien conscients du fait que la Russie mène actuellement la guerre, je ne parle pas de l’Ukraine mais d’une guerre contre l’OTAN, une guerre par procuration, une guerre hybride, vous pouvez l’appeler comme vous voulez. J’ai d’ailleurs une liste des armements livrés par la France, c’est une liste publiée par le Ministère français de la Défense. Et comme je l’ai dit, ces armes servent aujourd’hui à tuer non seulement nos soldats, mais aussi nos femmes, nos enfants… Et si je comprends bien, dans tous les pays – je ne sais pas si vous pouvez le confirmer – le mercenariat est une chose interdite. À chaque fois que je rencontre mes collègues français, je leur transmets un document intéressant. Ce document est la page d’accueil du site internet de l’Ambassade d’Ukraine en France : « Fight for Ukraine, enlist to the volunteer legend »… Donc pour aller lutter contre les russes c’est très simple, il suffit de remplir un formulaire de deux pages ! Et du coup, je transmets cette copie au Ministère des Affaires Étrangères, à l’Assemblée nationale, toujours en demandant comment est-ce que cela est possible. Et à chaque fois je vérifie si, peut-être, cette page a été effacée, mais non, et j’ai par exemple vérifié celle-ci qui date de ce matin. Donc oui, vous voyez bien le sort des accords que ça pourrait prendre. Après, je ne sais pas si les gens qui signent ce genre d’accords, savent où ils vont se trouver eux-mêmes dans dix ans. Franchement, vous pouvez simplement vous rendre sur le site de l’Ambassade d’Ukraine.</p
Raphaël BERLAND, journaliste et réalisateur
Ma question concerne les relations entre la Russie et Israël. Je ne vais pas remonter jusqu’au Congrès sioniste à Bâle en 1897, ni même à la création d’Israël en 1948, mais les relations entre les deux pays sont intenses et complexes, du fait de la forte présence de la communauté juive en Russie historiquement, et de l’émigration massive de russes en Israël – on parle d’1 million d’israéliens qui sont d’origine russe. Je voudrais parler spécifiquement du conflit en Syrie, qui a vu s’opposer géopolitiquement la Russie et Israël, sans qu’il n’y ait vraiment d’affrontement direct entre les deux, ce qui est sans doute le fruit d’un accord tacite. Il y a eu quand même un avion militaire russe qui a explosé en vol à cause d’une manœuvre militaire israélienne, et ça a été, je crois, l’un des épisodes les plus tendus dans les relations récentes entre la Russie et Israël, et nous avons vu, le jour même de l’attentat à Moscou, l’Ambassadeur russe à l’ONU tancer sévèrement Israël. On connaît – ou pas – les liens qui peuvent éventuellement unir l’État islamique (Daech) avec Israël, puisqu’un haut responsable israélien avait affirmé que Daech s’était excusé d’avoir tiré par erreur sur l’armée israélienne, sur Tsahal, ce qui peut paraître étonnant – mais pas tant que ça… Donc comment estimez-vous l’évolution future des relations entre la Russie et Israël ?
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Oui, vous avez fait un petit cours d’Histoire des relations entre la Russie et Israël. Effectivement, nous entretenons une relation particulière avec Israël, d’abord parce qu’il y a plus d’1 million de nos anciens concitoyens qui vivent maintenant en Israël. D’ailleurs, c’est amusant, car quand ils habitent en Russie ils sont appelés « juifs » et dès qu’ils émigrent en Israël ils sont appelés « les russes » (rires). Oui, malheureusement beaucoup d’entre eux ont adopté une position très strictement anti-palestinienne, mais la situation est telle qu’elle est, nous continuons le travail, nous n’avons jamais rompu le dialogue avec Tel-Aviv. Depuis de longues années, nous essayons de convaincre les autorités israéliennes que la solution à deux États est en fait le salut pour Israël, car il y a deux côtés de la médaille : d’une part c’est la création de deux États, et d’autre part c’est la reconnaissance d’Israël par tout le monde arabe. Donc c’est quand même une tentative de penser des conditions qui pourraient assurer le retour de la paix sur ces territoires. Je me souviens, au début des années 2000, environ dix jours avant la deuxième intifada, nous étions en visite officielle en Palestine et Israël. Là, nous avions l’impression que la paix était toute proche, qu’il fallait juste faire quelques pas. Et puis, Ariel Sharon qui se rend sur le Mont saint et c’est quelque chose qui déclenche la deuxième intifada. Et du coup, seulement dix jours plus tard, nous sommes revenus en Palestine et Israël, et nous avons été choqués par ce changement, par ce retour de la haine immédiate. Ce qu’il se passe là-bas aujourd’hui est une tragédie, avec le bilan des morts des deux côtés. Mais cela ne permet pas d’éradiquer le terrorisme tel que nous le concevons, nous tous, et au contraire cela crée un risque supplémentaire, rajoute de l’huile sur le feu.
Michel RAIMBAUD, ex-Ambassadeur de France
Nous sommes rentrés en plein dans les sujets sur lesquels portera ma dernière question, ou plutôt ma dernière réflexion. Nous parlions par exemple du conflit de Syrie. Je crois que le Président Vladimir Poutine a eu de nombreuses déclarations sur le conflit syrien qu’il disait être le « conflit emblématique », le « conflit du siècle », et que la façon de régler le conflit de Syrie, au fond, présagera de la manière dont tous les conflits du moment seront réglés. À l’époque, il n’y avait pas de guerre d’Ukraine quand il disait ça. J’imagine que le Président Poutine considère également que le conflit d’Ukraine, ce qui est vrai, est un conflit emblématique, notamment pour la Russie, mais aussi pour beaucoup de gens. Il y a en même temps un troisième conflit emblématique, dit de Gaza, qui n’est pas – entre nous – un conflit entre Israël et le Hamas, mais un conflit entre Israël et la résistance palestinienne, ce qui est autre chose. Les résistants, en général, on les accuse toujours d’être des terroristes, l’inverse étant vrai également mais ça on ne le dit pas. Je pense que tout le monde souhaite ardemment que le conflit de Syrie soit réglé de manière satisfaisante, de façon juste, et beaucoup de gens – dont je suis – pensent que le conflit d’Ukraine est emblématique également et qu’il doit être réglé d’une façon juste, et que la justice ne passe pas par Zelensky – de mon point de vue pas d’ambiguïté là-dessus ! Troisièmement, il y a le conflit de Gaza. Je me pose une question. C’est également un conflit emblématique, parce qu’on le met sans cesse en parallèle avec la guerre d’Ukraine, sinon avec la guerre de Syrie, avec laquelle les liens sont extrêmement forts. Qui dit Syrie dit Palestine, et qui dit Palestine dit Syrie. Mais je me demande, et au fond j’ai ma propre réponse, je me demande si on peut quelque fois envisager une solution pacifique sur le long-terme en niant, en ne réparant pas l’horrible injustice dont été victimes lors du plan de partage de la Palestine les arabes de Palestine, les palestiniens. Je pense que tant que ce problème-ci ne sera pas réglé, à savoir quand même quelque chose qui n’est pas banal : que nous avons demandé à un peuple, à tout un peuple qui était installé-là depuis des temps mémoriaux, de plier bagage pour laisser la place à des gens venus un petit peu de tous les coins de la création. Et du jour au lendemain avec, comme disent les palestiniens, une « Naqba » (une catastrophe) qui ressemblait en 1947 ou 1948 aux horreurs que l’on voit actuellement dans la Palestine, à Gaza et en Cisjordanie, à Jérusalem. Je pense que tant qu’on fera l’économie de régler ce problème-là sur le fond, à savoir qu’on a fait payer aux palestiniens et aux arabes – certains le nient et disent que ce n’est pas exactement cela, mais si, c’est le génocide dont les juifs ont été victimes pendant la Deuxième Guerre mondiale et avant, du fait d’Hitler – et peut-être pour se débarrasser d’eux on leur fait payer en évacuant les palestiniens, en disant « ôtez-vous de là », et on met finalement un autre peuple qui ont soi-disant habité dans cette terre il y a 2000 ans. Mais on ne peut pas faire une carte du monde ainsi… Alors, je me demande si on peut vraiment faire l’économie d’une solution juste si on ne répare pas cette injustice suprême. Car on dit que les centaines de milliers de palestiniens qui ont été évacués à l’époque de la Palestine, c’était exactement le même procédé, ni plus ni moins, que ceux qui ont utilisés à Gaza pour faire fuir, regrouper et évacuer la population palestinienne de Gaza. Je me demande donc si vraiment une solution politique peut faire l’économie de réparer cette injustice. C’est-à-dire, en ce qui concerne la solution à deux États, je me demande qui voudra vivre avec l’autre, dans la situation actuelle, après les horreurs que nous avons vues ? Je me demande qui pourrait avoir envie de vivre ensemble, des deux côtés d’ailleurs ? Tout en pensant qu’il y a un occupant et un occupé, et on ne peut pas les renvoyer dos-à-dos de mon point de vue. Il y a la résistance, et pas le Hamas seulement. Il existe huit ou neuf organisations palestiniennes. Voilà ce que je voulais dire. Je pense que nous n’en ferons pas l’économie. Autrement, il y aura peut-être un cessez-le-feu immédiat, humanitaire comme on dit, mais cette question n’est pas une question humanitaire, c’est une question politique, une question de justice. Et je pense qu’à présent on ne s’oriente pas dans cette direction. Tous ces palestiniens qui sont en train de mourir, les femmes, les enfants, les vieillards, et j’en passe et des meilleures. C’est vraiment l’horreur quand on voit les vidéos tournées à Gaza, et y compris ce qu’il se passe en Cisjordanie et à Jérusalem. Si nous ne réglons pas cela, on pourra faire un cessez-le-feu humanitaire mais ça n’arrêtera le conflit que quinze jours… D’ailleurs, je note qu’Israël ne cède à aucune pression, qu’il est au-delà du droit international, et il faut donc revenir au droit international, mais pour tout le monde et donner une solution aussi juste que possible, y compris pour les palestiniens qui sont les grandes victimes, les grands dindons de la farce. C’est une farce tragique et meurtrière. Voilà ce que je voulais dire. Moi je n’ai évidemment pas de remède, j’ai bien conscience qu’il y a plein d’ambiguïté à Gaza sur tout ce qu’il s’est passé, les événements, mais il y a la propagande, il y a ceci, cela, et je ne suis pas sûr de ce qu’il s’est passé exactement, en tout cas c’est vrai que ce n’était pas très beau globalement, mais c’est un peuple qui est résistant parce qu’il est occupé. Et un peuple résistant, d’après le droit international, a le droit de lutter contre l’occupation par tous les moyens, y compris par la guerre. Y compris tous les moyens. Il n’y a pas de terrorisme pour un peuple qui se bat contre l’occupation. Tant qu’on ne tient pas compte de cela, je crois qu’il y aura peut-être un cessez-le-feu et tout le monde sera content – content d’être heureux et heureux d’être content – mais disons que la guerre sera encore là, parce que derrière tout terroriste il y a un résistant. Et derrière tout résistant, il y a quelqu’un qui a un désir de vengeance. Les palestiniens ne feront certainement pas exception à la règle. C’est mon sentiment, je m’excuse, car je crois que je sais que la Russie fait tout son possible pour gagner, je comprends tout à fait, mais je voulais quand même soulever une préoccupation qui me tient à cœur. Pour moi, les palestiniens ont aussi droit à la justice.
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV
Oui, je vais si vous le permettez faire un petit commentaire. Vous avez évoqué des conflits « emblématiques ». L’un de nos grands écrivains a dit que toutes les familles heureuses se ressemblent, tandis que toutes les familles malheureuses le sont de différentes façons. Parlant des conflits emblématiques, il est temps de se rappeler des 25 ans du bombardement de la Yougoslavie. Je pense que ça a été, en quelque sorte, le point de départ en Europe de la situation actuelle. Oui, la Russie est aussi parfois comparée à Carthage, mais en fait les palestiniens sont les descendants directs.
Ali RASTBEEN, Président de l’Académie de Géopolitique de Paris
Merci beaucoup. Si vous le permettez, nous avons tourné deux fois autour de la table, il n’y a plus de questions, et même s’il y en a, le temps est écoulé déjà. Je remercie tous les participants, Messieurs les Ambassadeurs, les corps diplomatiques et différentes ambassades, ainsi que les chercheurs, les scientifiques, les universitaires, les militaires, et aussi les personnalités qui sont avec nous en ligne, en distanciel. Et aussi je remercie Son Excellence, Monsieur l’Ambassadeur, qui a répondu avec une patience extraordinaire à vos questions, une par une. Ça sera un plaisir de vous revoir à nouveau, Votre Excellence. Merci bien, et bonne soirée
S.E.M. L’Ambassadeur Alexeï MESHKOV (en français)
C’était un grand plaisir pour moi d’avoir participé à cette conversation, aussi profonde.