Algérie / Soufiane Djilali : «L’attitude de Xavier Driencourt est honteuse !»

Soufiane Djilali. D. R.

     

Algeriepatriotique : Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a annoncé officiellement être candidat à sa propre succession pour la présidentielle de septembre. Quelle a été votre réaction ?

Soufiane Djilali : La candidature du Président n’est pas une surprise. Depuis l’annonce des élections présidentielles anticipées et l’explication qui en a été donnée par le communiqué signé APS, il était une évidence pour tout le monde que les autorités s’étaient entendues pour la continuité. En réalité, depuis au moins l’été 2023 et la tentative de constitution d’un «front» avec les éternels appareils et affidés politiques du pouvoir, il était devenu clair qu’il y avait un fort désir d’un second mandat. Pour ma part, j’avais expliqué dans un entretien que la «continuité dans la continuité» ne représentait pas une solution pour le pays. Cependant, les dés étaient jetés.

Lors du conseil national de Jil Jadid du 7 juin, il a été décidé que votre parti ne présentera pas de candidat. Pourquoi ?

A partir du moment où le parti était convaincu que l’opération électorale n’était qu’un habillage pour justifier les prolongations, il ne restait plus qu’à mettre en cohérence les actes avec les convictions.

Je ne vous cache pas que de nombreux responsables à Jil Jadid avaient défendu l’idée d’une participation qui aurait permis une plus grande visibilité au projet politique que nous défendons même si les jeux étaient faits d’avance. Toutefois, un écueil de taille nous a dissuadé : la campagne sera forcément muette. Ni débat, ni véritable animation politique ne sont au programme. A quoi bon participer alors ?

Votre exhortez les citoyens à se rendre massivement aux urnes et, dans le même temps, vous ne présentez aucun candidat à cette présidentielle. N’est-ce pas une vision dichotomique que vous exposez ?

La construction de la démocratie est un processus de longue haleine qui ne pourra pas aboutir sans la participation citoyenne. Il ne faut pas laisser une forme de ressentiment envahir la classe politique, déjà que le nihilisme fait rage. Maintenant, les citoyens peuvent choisir l’un ou l’autre parmi les candidats ou même mettre un bulletin blanc s’ils ne sont pas satisfaits du processus électoral. Je n’appelle pas au boycott. Mais bon, j’imagine que la réalité de la participation sera anémique au vu de l’état d’esprit des citoyens. Sincèrement, pour moi, la logique qui a prévalu à la préparation de ces élections est défectueuse. Le Président sera de toutes les manières réélu, alors pourquoi avoir fait avorter le processus politique démocratique ? Il était possible de laisser se dérouler une campagne à la hauteur des attentes des citoyens. En bout de course, le Président a l’Etat à son service.

Il est anormal pour vous qu’aucun parti, ni figure politique n’ait émergé alors que la classe dirigeante du pays est en fin de carrière. Comment l’expliquez-vous ?

Cette situation peut s’expliquer mais ne se justifie pas. Il y a, chez les hommes du pouvoir, une peur du changement. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que les changements qui ne sont pas opérés au moment qu’il faut se transforment toujours en queue de poisson.

Il y a, en fait, une dimension culturelle à ce comportement. Dans mon précédent ouvrage sur la société algérienne, j’avais décrit la mentalité qui était le produit de la société traditionnelle. Parmi ses traits de caractère, il y a le conformisme et la recherche des solutions aux problèmes du présent dans les recettes du passé. L’ethos des hommes du pouvoir a été formaté par les choix des années 1970. L’échec patent des réformes depuis 1988 au moins a poussé l’ensemble du système à se réfugier dans les méthodes du passé qui leur semblent être porteuses de stabilité. En fait, c’est une fausse idée, mais comment sortir de ce cercle stérile ?

Espérons que les nouvelles générations qui accéderont au pouvoir à l’avenir ne referont pas simplement que répéter inlassablement les mêmes menus démoralisants.

La cheffe du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, a retiré sa candidature à la présidentielle et annoncé que son parti boycottera le vote du 7 septembre, prétextant des «conditions injustes et un cadre législatif répressif et antidémocratique». Comment expliquez-vous ce revirement ?

Ce n’est pas, à mon sens, un revirement mais le contact avec le réel. Lorsque vous êtes proches du pouvoir, les choses vous paraissent simples et faciles. La presse vous soutient, les portes s’ouvrent et les facilités vous sont acquises. Lorsque vous êtes dans une attitude d’autonomie (même pas d’opposition frontale), vous êtes stigmatisés, vous n’avez plus accès aux médias ou à peine, et les opérations électorales deviennent quasi impossibles. Jil Jadid n’a vécu que cette dernière situation depuis sa fondation. Louisa Hanoune aurait sans nul doute apporté un peu de sel à cette campagne présidentielle. Pour ma part, je pense que sa participation aurait été un bon point pour l’élection, mais apparemment cela ne répond pas aux critères énoncés par les décideurs.

Les dernières élections législatives françaises ont vu la création d’un Front populaire qui, soit dit en passant, a remporté une majorité parlementaire pour faire barrage aux partis de droite et d’extrême droite. Une coalition pareille est-elle toujours difficilement applicable en Algérie, selon vous ?

Le spectre politique algérien est différent de celui de la France. La longue pratique du multipartisme dans ce pays a permis une décantation des différents courants idéologiques. Même en changeant de dénomination et de poids politiques, les partis restent engagés dans des choix programmatiques. La gauche est cristallisée sur la demande sociale et une forme de progressisme culturel qui va de l’écologie au wokisme et au cosmopolitisme. La droite défend le milieu capitaliste classique ainsi que des valeurs traditionnelles, enfin, de ce qu’il en reste. Comme la gauche est très éparpillée, elle a dû se rassembler pour garantir sa survie face à une extrême droite en pleine ascension, favorisée par la conjoncture.

En Algérie, rares sont les partis qui sont déterminés par un choix doctrinal, si ce ne sont quelques poncifs. En réalité, les problèmes fondamentaux de l’Algérie ne nécessitent pas forcément une confrontation comme celle qui existe ailleurs. Je pense que, malgré cela, la classe politique a tout intérêt à se structurer au moins en deux principales tendances. Il y a une tendance islamo-conservatrice qu’il faudra équilibrer avec une tendance moderne (avec une précaution cependant quant à la signification du mot «moderne»).

Sinon, je pense que le moment est venu pour construire une véritable alternative politique. Il faut que les patriotes, au-delà de leurs différences, acceptent de se parler, de débattre ensemble, de réfléchir à l’avenir du pays. Comment construire notre Etat de droit, quelle démocratie voulons-nous ? Comment établir des rapports de confiance avec les institutions du pays ? Enfin, quel programme rassembleur proposer à la nation ?

J’en appelle à cette élite algérienne, dispersée, atomisée, marginalisée et qui, pourtant, possède un potentiel remarquable. Des femmes et des hommes politiques de bonne volonté peuvent établir des ponts au-dessus des divergences et se mettre à travailler pour un projet qui va au-delà des intérêts partisans.

L’ancien ambassadeur français à Alger Xavier Driencourt ne rate pas une occasion pour s’attaquer à l’Algérie, multipliant les rencontres. Que pensez-vous de ses élucubrations extravagantes depuis qu’il n’est plus tenu par le devoir de réserve ?

Franchement, son comportement est tout simplement honteux. Il est le mercenaire d’une politique anti-algérienne flagrante. Il vient de répéter ses propos tendancieux aux relents colonialistes contre l’Algérie à partir du Maroc. Il veut mettre de l’huile sur le feu entre les deux pays voisins du Maghreb. Son rôle ainsi que celui de certains pseudo-universitaires est de dénigrer l’histoire de l’Algérie et de tenter de saper les fondements mêmes de notre nation. Je ne parle même pas des visées territoriales et des remises en cause des frontières, ce qui signifie clairement un conflit armé. Je déplore l’inertie flagrante de nos médias dans cette affaire. Si le gouvernement n’est pas tenu de répondre à un retraité diplomatique, il n’empêche que les propos de ce dernier sont dangereux et auraient mérité une bonne réplique. Comme nos médias sont de simples rouages du discours officiel, l’Algérie ne dispose de pratiquement aucun canal de communication suffisamment puissant pour y faire face. Je note que de simples citoyens, des «youtubeurs» font le travail bien mieux que nos organismes d’Etat subventionnés à fonds perdu. Cela est vrai dans la politique mais aussi en ce qui concerne l’histoire ou la culture du pays, points très sensibles et qui font l’objet d’incessantes attaques. Certains citoyens youtubeurs font un travail remarquable dans ce domaine et mériteraient d’être aidés par l’Etat. Malheureusement, nos officiels sont plus prompts à organiser des zerdas à la façon du Carnaval fi dechra et à empocher des frais de mission en devises pour se pavaner à l’étranger qu’à défendre le pays. C’est tout cela qui doit changer et dans l’urgence !

Dans une émission récente avec Alain Juillet, un ancien de la DGSE, Driencourt suggère insidieusement aux Marocains de revendiquer des territoires algériens tandis qu’Alain Juillet se demandait pourquoi la France a abandonné le Sahara au profit de l’Algérie. Qu’est-ce qui se cache réellement derrière ces déclarations dangereuses ?

Derrière ces messieurs, il y a la culture franc-maçonne, européo-centrée, dont Jules Ferry en est quelque part le modèle. Ils traînent cette mentalité de supériorité qui veut annihiler ceux qui leur résistent. Il y a une telle suffisance dans leurs propos qu’ils deviennent suspects. L’Algérie dérange profondément car elle a mis à bas un Empire colonial, a dénudé le pseudo-discours civilisateur de l’Occident et a récupéré sa souveraineté. A contrario, le Maroc, en tant que nation, fait l’objet d’un négoce entre le Makhzen et les représentants du sionisme mondial. C’est un pays soumis aux intérêts étrangers. Cependant, ce qui est grave dans son cas, c’est qu’il désire consolider le pouvoir de la famille royale en rassemblant les Marocains contre le seul voisin qu’ils ont. Leurs intellectuels organiques n’ont même pas la subtilité de le cacher, en prônant la mise en application de la théorie de Carl Schmitt, adepte du nazisme, vis-à-vis de l’Algérie !

Cependant, au-delà des discours, il nous faudra être très prudents pour l’avenir. Le retour maintenant pratiquement acté, à moins d’un bouleversement inattendu, de Donald Trump à la tête des Etats-Unis risque fort de déséquilibrer le Maghreb. Il prendra des positions radicales en faveur de l’entité sioniste et fera tout pour faire revivre les Accords d’Abraham, en achetant la soumission du Makhzen, le Sahara Occidental étant l’appât dans l’opération.

L’Algérie devra, dans tous les cas de figure, se donner les moyens de se protéger. Un danger potentiellement grave est incontestablement à nos portes !

Propos recueillis par Kahina Bencheikh El-Hocine 


>>>     Driencourt «explique» aux Marocains pourquoi l’Algérie est une «énigme»

Xavier Driencourt ne cache pas son «tropisme» pour le Maroc. D.R.

      Par Karim B.

C’est dans le protectorat marocain que l’ancien ambassadeur de France à Alger a assisté à la Fête nationale française, célébrée officiellement en présence de plusieurs ministres marocains, ce 14 juillet à Rabat, où La Marseillaise a été chantée à gorge déployée et le drapeau tricolore hissé à quelques encablures de la statue du fondateur du royaume, le maréchal Lyautey, qui trône sur la ville voisine de Casablanca, capitale économique.

Xavier Driencourt a profité de son séjour dans ce pays que «les Français aiment par-dessus tout» et «connaissent on ne peut mieux» puisqu’ils sont «quelque sept à huit millions de touristes» à s’y rendre chaque année, pour s’exprimer au micro de l’outil de propagande de la DGED le plus hostile à l’Algérie. Le diplomate «à la retraite», qui a assuré – encore une fois – s’exprimer «à titre personnel», n’a rien dit de nouveau en réalité, faisant sien le proverbe latin bis repetita placent [les choses répétées plaisent]. Dans l’interview diffusée sur les réseaux sociaux, le «journaliste» marocain pose ses questions orientées, foncièrement anti-algériennes, ruminant le vocabulaire de Nasser Bourita et Omar Hilale tel un jacquot, et incitant son interlocuteur à en rajouter une couche.

Mais à force de régurgiter les mêmes mots, Xavier Driencourt a fini par ne plus avaler ses propres couleuvres, tentant à grand-peine d’expliquer à ses amis marocains pourquoi l’Algérie «est une énigme» et s’enfonçant dans des justifications redondantes, fruit de la vision étroite qu’est la sienne. «C’est une énigme et c’est un paradoxe parce que la France a occupé l’Algérie, a été présente en Algérie pendant 132 années et, finalement, c’est un pays que les Français connaissent très mal, très peu, parce que c’est un pays compliqué, c’est un pays qu’on qualifie d’opaque en France, et puis il y a une histoire compliquée, il y a eu la colonisation, il y a eu la guerre d’indépendance, il y a eu les pieds-noirs, il y a eu les harkis», a-t-il prétexté. Le diplomate, normalement habile, ne se rend pas compte qu’il dit la chose et son contraire, tant les faits qu’il évoque font que les Français connaissent l’Algérie et les Algériens mieux que quiconque.

A la question boiteuse de l’agent de Yassine Mansouri : «Quand vous traitiez avec le régime algérien, est-ce que vous aviez affaire à des gens sensés qui faisaient de la politique ou à des militaires qui essayaient de vous convaincre de leur doxa nationale qui a érigé la haine de la France et du Maroc en politique algérienne ?» Driencourt privilégie la feinte de corps. «J’ai passé presque huit ans en tant qu’ambassadeur à deux reprises, à deux périodes complètement différentes. Durant la première période, le président Bouteflika était en pleine forme, donc dirigeait le pays de manière très forte, très ferme, et dans mon deuxième séjour, en revanche, le président était malade, affaibli, on ne le voyait plus», a répondu Xavier Driencourt, qui esquive la question.

«J’ai vécu cette période qu’on appelle le Hirak qui a abouti à la chute de Bouteflika. Pour un ambassadeur de France en Algérie, c’est évidemment une expérience – j’allais dire – exceptionnelle, extraordinaire, d’assister à une révolution, à la chute d’un Président. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser à mes collègues qui, dans le passé, avaient été en poste en Russie, au moment de la chute du Tsar Nicolas II, il y a des périodes de l’histoire, comme ça, quand on est en poste à ce moment-là, on vit des choses incroyables», a-t-il étayé, s’éloignant encore plus de la question du Marocain.

Xavier Driencourt concède néanmoins à son interrogateur que le président français, Emmanuel Macron, a eu un «tropisme algérien», alors que «du côté du Maroc, il y a eu plutôt une période de froid». Seule réponse consentante qui a, toutefois, laissé le Marocain sur sa faim.

K. B.


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