Abdelhak Lamiri : «L’Algérie risque un K.O. économique d’ici trois ans»

par Z. Mehdaoui

La situation se dégrade en Algérie. Le pays doit impérativement retrouver la sérénité pour s’orienter vers le développement économique et social. «On est dans une logique de désordre pour le moment, une logique qui a un impact très négatif sur l’économie, sur les entreprises et sur le comportement des agents économiques», a averti hier l’économiste Abdelhak Lamiri sur les ondes de la chaîne 3 de la radio nationale. 

Le désordre qui règne actuellement risque de provoquer des complications assez sérieuses en matière de développement économique, soutient cet expert qui note que «nous sommes déjà en situation compliquée parce qu’on voit que les acteurs de la transition sont divers et les stratégies ne sont pas coordonnées». 

M.Lamiri dira qu’«il faudrait s’inspirer des transitions réussies», tout en insistant à dire que tous les acteurs algériens de «cette transition politique» – qui ne fonctionne, selon lui, pas bien pour le moment – «ne doivent pas perdre de vue les deux principaux objectifs phares», à savoir: la construction d’une nouvelle République démocratique moderne et un fonctionnement économique de haut niveau, mais surtout récupérer le maximum de richesses nationales dilapidées. «Tout le reste doit faire l’objet d’une sagesse collective et fera en sorte d’atteindre ces objectifs dans un minimum de calme politique et au moindre coût», a-t-il déclaré avant de suggérer de lancer «un dialogue serein» entre les acteurs de la société civile et les décideurs afin de surmonter la transition politique tant revendiquée. 

«Il faut aller vers une logique de sagesse où il faut dépasser l’esprit de prison, de règlement de compte et de vengeance», préconise l’invité de la chaîne 3 qui propose de prendre comme exemple le cas de l’Afrique du Sud où Nelson Mandela a su aller, en dépit de toutes ses souffrances, vers une politique de pardon. Cela, ajoute M. Lamiri, permettra à notre pays d’instaurer une politique du pardon, ce qui permettra, selon lui, de reconstruire cette deuxième république propre, sans corrompus ni corrupteurs où seule la loi est appliquée pour tous. 

«Il faut qu’il y ait une politique d’apaisement parce qu’il y va de l’avenir économique du pays pour permettre de mettre une stratégie d’investissement, de développement de PME, afin que le secteur industriel reprenne ses droits et ainsi tout sera remis dans l’ordre », recommande-t-il encore. Il avertit clairement que, au risque de nouveaux affrontements au sein de la société, dans une situation explosive, l’économie en pâtira et va droit vers la récession et vers la dépression et ainsi hypothéquera éventuellement l’avenir du pays. 

Le professeur Lamiri déplore en outre qu’on soit «déjà en récession sachant que le taux de croissance régresse déjà de 1.5% sinon plus» et la situation s’aggrave. «La sagesse est aussi d’instaurer des politiques managériales pour les entreprises en difficulté, surtout, à l’ombre du marasme politique conjoncturel, afin d’aider notre économie à surmonter le cap», dit-il en soulignant que la préservation de l’outil de production, c’est préserver l’emploi. 

«Il ne faut pas sous-estimer l’impact socio-économique de la crise politique », soutient-il en proposant de mettre en place des mécanismes pour sauvegarder à la fois les postes d’emploi et l’outil de production, pour ainsi éviter de retomber, estime-t-il, dans «le spectre Khalifa-gate où l’on a détruit tout un outil de production pour des considérations politiques». 

L’expert met en garde en outre contre des pertes nettes de 15 à 20 milliards de dollars de réserves de change par an, ce qui engendrera, selon lui, «un KO économique au bout de trois années». «Il faut aller vers la constitution d’un comité technique d’avocats pour l’expertise et le suivi des capitaux en fuite à l’étranger», soutient M. Lamiri qui suggère également de s’appuyer sur l’association des experts comptables et/ou les compétences de la diaspora nationale pour trouver des solutions à la crise. 

Abdelhak Lamri ajoute enfin qu’il faut mettre en place rapidement un comité d’experts pour aller vers l’essentiel à savoir bloquer les comptes ciblés et récupérer les ressources détournées garce à des organismes spécialisés de l’ONU. 


L’Invité de la Rédaction avec Souhila ELHACHEMI


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par Reghis Rabah*

1-Position du problème 

Les Algériens comparés à leurs voisins en Afrique et ceux des pays de l’Amérique latine font, si l’on se réfère aux statistiques, trop de protestations sous forme d’avertissement qui réussit à chaque fois de monnayer un compromis avec le pouvoir en place, mais ils n’ont fait que deux révolutions : une le premier novembre 1954 et une autre le 22 février 2019. Dans les deux cas ils ont dit aux colons et au système «assez d’humiliation, dégagez !». Cette revendication est irréversible quelles qu’en soient les conséquences, ce qui fait dire au sociologue Nacer Djabi qui a travaillé longtemps sur ces mouvements «les Algériens cette fois-ci ne quitterons pas la rue avant le départ du système». Comparer donc le processus transitionnel dans le monde pour en tirer un modèle serait un peu prétentieux pour ne pas dire carrément caricatural. Les raisons sont simples : Les Algériens n’auront pas à inventer la démocratie car la Constitution de 1996, venue dans des circonstances particulières, fortement débattue par le bas, accordait déjà des libertés mais triturée par la suite au gré des circonstances et des hommes pour concentrer leur «pouvoir» au détriment de cette première fenêtre vers le processus démocratique. La seconde raison, est pas des moindres, est que l’expérience montre que chaque transition vise un objectif qui doit être adapté aux moyens choisis et surtout le contexte propre à la situation en présence. En fait, les nombreux spécialistes qui ont tenté de théoriser le processus transitionnel se sont heurtés à une absence de «stratégie de transition démocratique applicable universellement». Chaque société se distingue par ses attentes qui ne peuvent faire l’objet d’une corrélation inter-sociétés pour en tirer un modèle universel à suivre. 

L’Algérien par exemple a montré qu’il jouit de la primeur de ses contestations, depuis la révolution pour son indépendance, octobre 1988, janvier 2011 à celle du 22 février 2019. Une seule constante spécifie, la motivation du protestataire algérien, il n’aime pas la hogra et sait incontestablement fixer les objectifs de ces revendications qu’il finira par obtenir quel qu’en soit le prix à payer tout en sachant faire des concessions lorsqu’elles s’avérèrent nécessaires. 

2-La première révolution des Algériens 

Le déclenchement de la révolution en novembre 1954 constitue en fait une forme de contestation ou de protestation, aux effets de cette contradiction qui a rendu l’Algérien frustré par une compétitivité déloyale. En effet, la société algérienne fut l’une des plus dépossédées du monde : la colonisation de peuplement avait expulsé une partie de la paysannerie de sa terre et condamnait, par son existence même, les chômeurs ruraux à ne pas trouver d’emploi dans le secteur agricole. La majorité des postes de cadres moyens ainsi que des fonctions administratives subalternes étaient dévolus aux Européens. Enfin l’identité algérienne elle-même était niée, le pays ayant un statut départemental tandis que sa langue n’était même pas enseignée dans les écoles. Le succès de l’insurrection du 1er novembre 1954 trouve là ses sources. Tous les mouvements nationalistes, fussent-ils petits-bourgeois, n’avaient d’autre programme que l’indépendance, d’autre idéologie que l’anticolonialisme. En dépit de certaines divergences d’avant le déclenchement de la lutte armée, divergences qui portaient plutôt sur la marche à suivre que sur les objectifs communs, d’ailleurs très connues et qu’il est inutile de rappeler, ici, on peut dire que ces conditions étaient favorables pour trouver un «premier consensus» qui rassemble toutes les fractions autour d’un seul objectif prioritaire : la conquête de l’indépendance politique.»(01). En dépit des orientations qui ont été projetées quant au développement économique et social à entreprendre plus tard et consignées dan une charte dite de Tripoli qui retient deux volets «l’industrialisation» et «la révolution agraire». Mais à l’indépendance le pouvoir en place ne pouvait asseoir un modèle solide.(02) Il s’agit de l’incapacité des dirigeants qui sont venus après, de comprendre ce qu’ils feraient de cette indépendance, et donc ont tous échoué. Ils ont réussi en conséquence, entre autres à confisquer la souveraineté du peuple au nom de la légitimité révolutionnaire pour asseoir un «pouvoir» en monnayant une paix sociale qui est un espèce d’un ordre établi où chacun trouve son compte en définitive. 

Ces vingt dernières années, la corruption s’est généralisée et a métastasé le système de gouvernance. Pourquoi ? Abdelaziz Bouteflika, bien que coopté par le système, a voulu se démarquer des partis politiques, notamment du FLN, pour se présenter en candidat libre pour ne pas, dit-il, gouverner en ¼ de président. Pour financer sa campagne, son entourage s’est tourné vers des hommes d’affaires qui ne sont ni des oligarques et encore moins des industriels. Pour la première fois en Algérie, l’argent s’est mélangé avec la politique pour que l’informel règne en maître dans le circuit économique. Le premier mandat de Bouteflika a débuté avec plusieurs catastrophes naturelles de l’Est à l’Ouest en passant par le centre du pays dont les plus meurtriers sont le séisme de Boumerdès et les inondations de Bab El-Oued. A partir de son deuxième mandat, les prix du baril se sont redressés jusqu’en 2013 pour atteindre une moyenne de 89,52 dollars le baril avec un point haut qui a atteint 147,50 dollars le baril et un point bas de 36,20 dollars le baril. Cette période faste a permis la création d’un fonds de régulation des recettes pour absorber le choc des déficits budgétaires et surtout économiser un matelas de réserves de change qui ont frôlé 200 milliards de dollars. Malheureusement, cette période a nourri aussi les circuits informels pour enfanter de vrais barons de la maffia politico-financière qui dirigent le pays. 

3-Le régime Bouteflika a poussé le bouchon trop loin 

Bouteflika, quant à lui, a trompé tout le monde. Pourquoi ? Pour beaucoup d’analystes, il pouvait concilier les deux tendances, dirigiste et ultralibéraliste. Il a «bâti» avec Boumediene le modèle de développement par l’industrie industrialisante. N’était-il pas membre du Conseil de la révolution qui a cautionné cette politique depuis plus d’une décennie ? Nombreux sont les citoyens qui ont été trompés par son mimétisme et sa comédie pour imiter Boumediene lors de sa première campagne électorale. Ils n’espéraient aucunement revenir au dirigisme boumediéniste, mais se disaient enfin un homme politique qui a hérité de son aura sans gant ferré. Il nous fera l’économie d’un débat d’école stérile entre les deux tendances technocrates. Malheureusement, personne ne doutait ni pouvait remarquer le moindre signe suspect chez l’habile roitelet. «On ne naît pas roi, on le devient par hallucination collective». Son mode de gouvernance basé sur la cooptation, le régionalisme, le règlement de compte, auxquels s’ajoutent ses traits de caractère particuliers comme le narcissisme, la vanité et la paranoïa, ont favorisé la création d’un système qui fait de lui un atome social autour duquel gravitent les opportunistes de tout bord. Ils s’accommodent dans cette espèce de modus vivendi pour la simple raison que chacun y trouve son compte. Même les partis de la coalition dont l’existence est censée noyer le poisson à défaut de le pêcher, ânonnent, en pâmoison, à longueur de journée : «Le seul responsable, c’est lui ; nous, nous obéissons puisque nous n’avons aucun programme, aucune idée et encore moins des propositions.» Ceci explique son comportement public, voire insultant, envers certains de ses ministres. Ils encaissent, baissent la tête, mais c’est les règles du clan qui l’emportent. Cette situation pouvait durer indéfiniment tant que le noyau central tient et supporte ce sociogramme, mais la maladie sérieuse de Bouteflika a changé les donnes en affolant les membres du clan. Catastrophe pire que pour celle de Boumediene où les aberrations de l’acharnement thérapeutique sous perfusion politique n’auraient pas hésité un seul instant à sacrifier toute la populace si le miracle en dépendait. Le résultat est que au quatrième mandat le chef a perdu son «immortalité» et sa bonne santé, le cannibalisme de son entourage veut maintenir le statu quo quelle qu’en soit l’issue. Ce mode de gouvernance, en vigueur depuis plus de cinq ans explique la bipolarité dans les décisions que relèvent certains partis politiques et surtout ce suspense autour de sa candidature pour un cinquième mandat que les médias spéculent sur son annonce officielle depuis février-août 2018. Ces forces extra-constitutionnelles ont voulu par impunité humilier le peuple et le toucher dans sa dignité, exactement comme a fait le colon. Ils étalent leur richesses indûment acquises jusqu’au jour où ils tentaient carrément de leur présenter un candidat malade, absent du pays pour en faire une responsabilité de la nation, et plus grave par procuration. C’est la goûte qui a fait déborder le vase et créer le déclic pour que les revendications d’aujourd’hui soient le départ de tout le système et sa clientèle. Ce sont là les hypothèses qui détermineront les objectifs de la transition revendiquée. 

4-Pourquoi les générations d’avant ont raté la fondation d’un Etat de droit 

Ce serait aussi un leurre de croire ou de tenter de faire croire que la première Constitution algérienne, validée par plus de 300 délégués proposés pare Ahmed Ben Bella du Front de Libération Nationale au cinéma Majestic de l’époque et qui a été fortement contestée par ce qu’on a identifié en ces temps le courant révolutionnaire de ce parti représenté par Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed et Krim Belkacem, avait touché les fondamentaux qui ont servi à bâtir la nation algérienne après tant de sacrifices pour une indépendance méritée. La Constitution algérienne a été toujours un enjeu de «pouvoir». La démission de Ferhat Abbas à l’époque était logique, puisque le clan d’Oujda à confisqué le «pouvoir» de l’assemblée constituante qu’il préside pour la voter au lieu de la confier à un bureau politique. 

5- L’équilibre de pouvoir et le verrouillage de la Constitution devront être la priorité 

C’est donc un équilibre de «pouvoir» et un verrouillage de la Constitution qui permettront d’enclencher le processus transitionnel vers un Etat de droit réel. En termes simples, les changements vers une deuxième république ne devraient pas toucher les constantes nationales, mais revoir les mécanismes de l’équilibre du pouvoir et surtout le verrouillage de la Constitution pour la protéger contre la violation aux grés des circonstances et des hommes. Revenir à une nouvelle constituante, c’est rejeter ce qu’il y a de positif dans l’existant et ouvrir la boite de Pandore qui permettra aux virus de s’incruster dans cette cohésion populaire formidable. Il ne s’agit pas de revoir la nation dans son histoire, sa langue, sa culture et ses frontières mais les règles de son administration et de sa gestion qui sont actuellement en cause. Les conditions favorables pour refonder un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. L’environnement de gouvernance contiendrait des normes juridiques hiérarchisées de telle sorte que cette puissance publique s’en trouve balisée. Un tel système assurera une justice «juste et équitable» avec une juridiction indépendante. La souveraineté appartient au peuple, lequel peuple exerce le pouvoir public directement ou par l’intermédiaire de ses représentants qu’il aura à choisir lui-même en toute liberté et transparence. Dans cette nouvelle configuration politique, la jeunesse d’aujourd’hui longtemps marginalisée, on favorise l’initiative citoyenne pour en faire des citoyens socialement présents, intéressés au corps social. 

6- C’est un processus long mais ses résultats sont assurés 

Il s’agit là de tout un processus qui prendra du temps et reste unique dans son modèle de manière à n’attendre de l’aide d’aucun pays limitrophe, africain ou arabe. La Tunisie par exemple qui a débattu sa nouvelle Constitution pendant plus deux ans pour obtenir un semblant de consensus le 27 janvier 2017 sans pour autant étoffer entièrement les différents aspects des libertés individuelles et l’égalité qui ont fait l’objet d’une commission ad hoc dite «des libertés individuelles et de l’égalité (COLIBE)», installée par un président «très peu consensuel» le 13 août 2017 qui a pris plus d’une année de discussion. Il est donc urgent que les feuilles de route soient revues pour oublier Bouteflika, les 3 B et s’inscrire dans une option durable pour au moins un mandat présidentiel afin, entre autres, de ne pas entraver la démarche économique dont les réformes ne pourront en aucun cas attendre jusqu’à la mise en œuvre de ces changements revendiqués par tous les Algériens. Les glissements vers un retour en arrière se situent justement à ce niveau et l’Algérie n’en est pas à sa première expérience. 

*Consultant, économiste pétrolier 

Renvois : 

(01) M. Harbi FLN « mirages et réalités » Edition Jeunes Afrique 1980 

(02)-P. Balta, C. Rousseau « Travail et travailleurs en Algérie » Edition Mouton Paris 

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