Les actions secrètes du gouvernement britannique pour financer des médias vénézuéliens

Le media d’opposition Efecto Cocuyo, qui reçoit donc de l’argent des services britanniques, a aussi reçu des financements de la part d’un paravent historique de la CIA, la Fondation Ford. Ce média est une des sources privilégiées de nombreux médias européens particulièrement issue d’une certaine gauche impérialiste. Souvent présenté comme un « média indépendant », ce qu’il n’est pas puisqu’il est financé par des gouvernements étrangers hostiles au gouvernement vénézuélien, la propagande d’Efecto Cocuyo se retrouve dans de nombreux articles à l’international. Malgré les sommes gigantesques déversées depuis de nombreuses années par des gouvernements étrangers aux les médias d’opposition vénézuélien, pas un n’a été fermé par le gouvernement bolivarien – Les 2 Rives

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Alors que la crise politique du Venezuela se poursuit, le gouvernement britannique a lancé un nouveau projet de promotion du journalisme d’investigation en Amérique latine qui couvre le Venezuela.

Ce projet, lancé l’été dernier et destiné à « influencer » l’agenda des médias dans le pays, s’inscrit dans la longue histoire du gouvernement britannique qui utilise le journalisme comme un outil d’influence. On soupçonne qu’il vise à contribuer à la destitution du gouvernement de gauche du président vénézuélien Nicolás Maduro.

Dans un programme distinct, la Westminster Foundation for Democracy (WFD), une organisation financée en majorité par le gouvernement britannique, a dépensé plus de 750 000 livres sterling (830 000 euros) pour « renforcer la démocratie » au Venezuela depuis 2016, selon des documents obtenus par Declassified.

Les programmes de la WFD dans le pays sont entourés de secret en raison des inquiétudes apparentes concernant la sécurité de son personnel, bien que son représentant dans le pays annonce son affiliation à l’organisation en ligne.

Le gouvernement britannique reconnaît de manière controversée la figure de l’opposant Juan Guaidó comme président et mène un certain nombre de programmes antigouvernementaux dans le pays en utilisant le Fonds pour les Conflits, la Stabilité et la Sécurité (Conflict, Stability and Security Fund – CSSF) qui soutient des projets conçus « pour lutter contre l’instabilité et prévenir les conflits qui menacent les intérêts britanniques ».

L’objectif du nouveau projet de journalisme du fonds est de créer une « nouvelle plate-forme qui renforce l’organisation des médias [sic] dans toute la région et fournit aux journalistes une plate-forme dans laquelle ils peuvent collaborer et construire des histoires régionales ».

La documentation du programme indique que les candidats retenus doivent faire preuve « d’une capacité à s’intégrer dans les programmes des médias locaux et nationaux et, en fin de compte, à les influencer ».

Mais ils sont avertis que « le gouvernement britannique – et les ressources qu’il alloue au projet – ne doivent pas être expressément mentionnés ou liés aux résultats individuels du projet (c’est-à-dire les articles individuels, les événements, etc.) ».

Géré par l’ambassade britannique à Bogotá, en Colombie, l’appel à candidatures indiquait que les candidatures retenues commenceraient en août 2020. Il n’y a pas eu de mise à jour publique depuis, bien que le Ministère des affaires étrangères ait déclaré à Declassified qu’il y avait eu des retards dus à la pandémie de coronavirus.

Sur l’annonce publique, il est conseillé aux candidats de prévoir jusqu’à 250 000 livres sterling pour leurs projets, mais le Ministère des Affaires étrangères a déclaré à Declassified : « il n’est pas possible actuellement de confirmer quel budget sera disponible pour ce projet ».

Les questions répétées de Declassified à propos du projet à ses deux coordinateurs à Bogota sont restées sans réponse. Cependant, un porte-parole du Ministère des Affaires étrangères a déclaré à Declassified : « Il est inexact de confondre cet appel d’offres avec la position britannique sur le Venezuela, qui n’a pas changé. Nous voulons voir une transition démocratique avec des élections libres et équitables au Venezuela ».

L’ambassadeur du Royaume-Uni au Venezuela Andrew Soper participe à un événement sur la liberté de la presse à Caracas, Venezuela, le 26 avril 2019. (Photo : EPA-EFE / Miguel Gutierrez)

La CSSF a lancé un appel public en juin dernier pour recueillir les candidatures de journalistes souhaitant couvrir la criminalité et la corruption en Colombie, au Pérou et au Panama, ajoutant qu’il y avait « la possibilité de couvrir des événements liés dans d’autres pays voisins ». Le mot « Venezuela » n’est pas apparu.

Cependant, la documentation de la CSSF publiée trois jours avant l’annonce décrivait le même programme avec l’ajout du Venezuela dans son titre. L’inclusion furtive du pays semble refléter la réticence du Ministère des Affaires étrangères à faire connaître son implication accrue au Venezuela.

Le résumé d’un autre programme de la CSSF, toujours en Colombie pour l’année se terminant en mars 2020, inclut la recommandation « d’engager » les fonctionnaires du Ministère des Affaires étrangères « sur les options de développement des programmes de la CSSF au Venezuela ».

Une offre d’emploi de septembre 2019 pour un responsable de programme de la CSSF à Lima, au Pérou, indique que le candidat retenu travaillera « avec des collègues en Colombie, au Panama et, potentiellement, au Venezuela ».

Déclassified récemment, a révelé que la CSSF a dépensé 450 000 livres sterling pour mettre en place une coalition anti-gouvernementale au Venezuela, là encore en ajoutant furtivement le projet à un programme existant axé sur la Colombie et débutant en 2019.

Le journalisme comme guerre de l’information

Le gouvernement britannique utilise depuis longtemps les médias pour saper les dirigeants étrangers et les mouvements politiques qu’il perçoit comme une menace pour les intérêts commerciaux britanniques.

Declassified a révélé qu’une unité secrète de propagande de la Guerre froide, nommée Information Research Department (IRD), a tenté d’empêcher le socialiste chilien Salvador Allende de remporter les élections présidentielles de 1964 et 1970.

Les dossiers déclassifiés révèlent également que pendant la dictature brésilienne de 1964-1985, l’IRD a « assidûment assisté » l’un des principaux éditeurs de gauche du Brésil, Samuel Wainer.

Bien que l’unité ait été fermée en 1977, la Grande-Bretagne a continué à parrainer des entreprises journalistiques en Amérique latine. En réponse à une demande de liberté d’information, le Ministère des Affaires étrangères a révélé qu’entre janvier 2016 et septembre 2018, il a financé la Fundación Efecto Cocuyo, un organe de presse vénézuélien, ainsi que l’Instituto Radiofónico Fe y Alegría et le Sindicato Nacional de Trabajadores de la Prensa.

Tout en recevant des fonds du gouvernement britannique, Efecto Cocuyo a fait équipe avec deux organisations britanniques – Bellingcat et Forensic Architecture – pour « demander plus de preuves » concernant le meurtre d’Óscar Pérez aux mains de la police vénézuélienne. Óscar Pérez, un officier de police, avait détourné un hélicoptère de la police et, le 27 juin 2017, l’avait utilisé pour bombarder plusieurs bâtiments gouvernementaux dans le centre de Caracas.

En juillet 2019, la rédactrice en chef d’Efecto Cocuyo, Luz Mely Reyes, a pris la parole lors de la « Conférence mondiale pour la Liberté des Médias » organisée par le gouvernement britannique à Londres. Le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Jeremy Hunt, s’est adressé à la conférence et a déclaré que Luz Mely Reyes « a défié le régime Maduro en co-fondant un site d’information indépendant, Efecto Cocuyo« , sans mentionner les liens du site avec le gouvernement britannique.

Le soutien de Londres aux projets médiatiques au Venezuela semble refléter celui du National Endowment for Democracy (NED) étasunien. Selon ses comptes, la NED a financé des projets de « liberté d’information » au Venezuelavisant à favoriser une « meilleure compréhension des retombées de la corruption et des activités criminelles vénézuéliennes » en travaillant avec « des journalistes d’investigation et des organisations partenaires ».

Un projet de la NED pour 2017, doté d’un budget de plus de 60 000 dollars, vise à « accroître la transparence et la responsabilité dans les processus de passation des marchés publics au Venezuela ». Et à encourager la collaboration avec les journalistes de toute la région ».

Le groupe de défense de la liberté des médias, Reporters sans Frontières, qui est également financé par la NED, note : « Le président du Venezuela depuis 2013, Nicolás Maduro, persiste à tenter de faire taire les médias indépendants et de maintenir un contrôle constant sur la couverture de l’actualité ».

Il ajoute : « Le climat pour les journalistes est extrêmement tendu depuis le début de la crise politique et économique en 2016, et est exacerbé par les fréquentes références de Maduro à la « guerre des médias » dans une tentative de discréditer les critiques des médias nationaux et internationaux contre son administration ».

La journaliste vénézuélienne Luz Mely Reyes s’exprime lors de la Conférence mondiale pour la liberté des médias organisée par le gouvernement britannique aux côtés de Jeremy Hunt, alors ministre britannique des affaires étrangères, à Londres, le 10 juillet 2019. (Photo : Twitter / Press Gazette)
L’Ambassade à Bogotá

L’un des deux points de contact du Ministère des Affaires étrangères pour le projet à l’Ambassade britannique à Bogota est Claudia Castilla, une ressortissante colombienne qui a été une Chevening Scholar financée par le gouvernement britannique à Londres de 2017-18.

Claudia Castilla semble être une fervente partisane de l’opposition vénézuélienne. Elle a écrit en février 2014 « Je crois que je suis tombée amoureuse de Leopoldo López », en référence à une figure de proue de l’opposition. À l’époque, Léopoldo López, qui a fait ses études aux États-Unis, encourageait les manifestations de rue dans le cadre d’une stratégie insurectionnelle connue sous le nom de « La Salida », après la victoire de Maduro aux élections présidentielles d’avril 2013.

De 2014 à 2015, Mme Castilla a travaillé comme assistante de recherche pour la section colombienne de Transparency International, où elle a « formulé des recommandations de politique publique ». Declassified a montré récemment, que le chapitre vénézuélien de Transparency International, financé par le gouvernement britannique, a révélé la mise en place d’une coalition « anti-corruption » dans le pays.

De 2012 à 2013, Castilla a travaillé pour la Fondation Cerrejón, la branche caritative de l’entreprise minière controversée Cerrejón en Colombie, qui est gérée par trois multinationales minières cotées à Londres. Pendant la dernière période de son emploi, Castilla a été le « conseiller en contrôle social » de la fondation.

Des machines travaillent à l’extraction du charbon dans la mine El Cerrejon en Colombie. (Photo : EPA / Rafa Salafranca)

Promotion de la démocratie

Les documents obtenus par Declassified montrent également que la Westminster Foundation for Democracy – la branche britannique de « promotion de la démocratie » – a mené des programmes au Venezuela.

La WFD prétend être « l’organisation la plus efficace pour partager l’expérience démocratique britannique », mais ses opérations sont entourées de secret.

Le Venezuela accueille le seul programme à grande échelle et le seul bureau permanent de la WFD en Amérique latine dans le cadre d’un projet qui a débuté en 2016. Depuis lors, la WFD a dépensé 760 680 livres sterling, selon les chiffres obtenus par Declassified.

La dépense la plus importante a été de 248 725 £ en 2017-2018, alors que l’UE a annoncé un régime de sanctions  contre le Venezuela et que les responsables britanniques ont intensifié les appels à « des personnes différentes à la tête » du gouvernement vénézuélien.

Alan Duncan, alors ministre d’État pour les Amériques, a déclaré en 2018 « Le double crime de Maduro est que sa destruction de l’économie a été suivie par l’affaiblissement systémique de la démocratie ». Il a ajouté : « La relance de l’industrie pétrolière [au Venezuela] sera un élément essentiel de toute reprise, et je peux imaginer que des sociétés britanniques comme Shell et BP, voudront en faire partie ».

L’année dernière, la WFD a dépensé 113 193 £ pour ses opérations au Venezuela, tandis que Declassified a prouvé qu’une offre de financement d’un peu plus de 27 500 £ pour l’année prochaine est en attente d’approbation. La WFD a deux employés à plein temps au Venezuela.

En décembre, des experts [indépendants, NdT] des droits de l’homme des Nations unies ont constaté que « depuis novembre 2020, le Venezuela a systématiquement stigmatisé et persécuté les organisations de la société civile, les voix dissidentes et les défenseurs des droits de l’homme ».

La WFD n’a pas de programmes similaires dans les dictatures alliées au gouvernement britannique comme l’Arabie Saoudite, Oman, Bahreïn ou les Émirats Arabes Unis.

La Fondation a déclaré à Declassified : « La WFD travaille à renforcer la démocratie dans le monde entier. Nous sommes financés par le Royaume-Uni ainsi que par d’autres gouvernements (dont le Canada, l’Allemagne, la Norvège et la Suisse) et organisations internationales (comme le Programme des Nations unies pour le Développement) et sommes indépendants sur le plan opérationnel ».

Mais la grande majorité du financement de la WFD provient du gouvernement britannique. Jusqu’en mars 2020, il a fourni 11,4 millions de livres sterling à la Fondation, alors que toutes les autres sources de revenus s’élevaient à 1,5 million de livres sterling.

La WFD a déclaré qu’au Venezuela, elle travaille « avec une série de députés, de membres de l’Assemblée nationale, de la société civile et d’universitaires », mais elle a refusé de divulguer à Declassified des informations sur l’identité de ces partenaires. Elle a déclaré que c’était « pour éviter de mettre en danger la santé ou la sécurité physique de ces partenaires ».

Cependant, le représentant de la WFD au Venezuela annonce son poste sur sa page publique Linkedin, et son courriel et son numéro de téléphone sont disponibles dans les offres d’emploi de la WFD.

Comme son programme au Venezuela a débuté en 2016, la WFD a publié un article sur le site d’information indépendant openDemocracy en association avec Daniel Fermín, un chercheur vénézuélien.

L’article demandait : « Le président du Venezuela [Nicolás Maduro] peut-il être destitué pacifiquement ? ». Au cours des deux années suivantes, openDemocracy a reçu 99 661 dollars (74 131 livres sterling) de l’équivalent américain de la WFD, le National Endowment for Democracy.

Selon une annonce de la DCE de 2018 pour un poste dans la capitale du Venezuela, Caracas, son représentant dans le pays devrait travailler avec l’Ambassade britannique et doit « contribuer au développement de futures opportunités commerciales au Venezuela ».

Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle se concentrait sur le Venezuela, la fondation a répondu à Declassified : « Les programmes de la WFD ont été actifs dans d’autres pays d’Amérique latine. Nous sommes prêts à lancer de nouveaux programmes et de nouveaux bureaux nationaux lorsque l’occasion se présentera ».

Alan Duncan, alors ministre britannique pour l’Europe et les Amériques, informe la presse lors d’une réunion d’urgence du groupe de Lima visant à accroître la pression sur le président Maduro du Venezuela pour qu’il quitte le pouvoir, Ottawa, Canada, 4 février 2019. (Photo : EPA-EFE / Andre Pichette)

Neutralité

La WFD dit qu’elle « travaille sur une base multipartite » au Venezuela, « cherchant à engager toutes les parties de la division politique tout en soutenant les institutions démocratiques dans le pays ».

En janvier 2019, peu après que Guaidó se soit proclamé président, le représentant de la WFD dans le pays a écrit que « les élections de l’année dernière [sic] étaient une imposture et que Maduro est donc un usurpateur ».

Le mois suivant, après que des camions de l’Agence américaine pour le Développement international (USAID) ont tenté d’entrer sur le territoire vénézuélien, il a déclaré : « La non-intervention ne peut être un principe absolu qui ne tient pas compte d’autres facteurs ».

Le 30 avril, lorsque Guaidó a lancé une tentative de coup d’État armé à Caracas, le représentant de la WFD a annoncé que les actions de Guaidó n’étaient « pas une attaque contre la démocratie mais l’inverse ». Ailleurs, il a décrit le chavisme – en référence à l’ancien président Hugo Chávez – comme un « fléau ».

Les parlementaires britanniques qui supervisent les opérations de la WFD ont également dénigré le gouvernement vénézuélien. Le député conservateur Richard Graham, président du conseil d’administration de la WFD pour la durée de son projet au Venezuela, a déclaré en décembre 2019 que « les fanatiques de Corbyn [sic] ne comprennent pas que les idées d’extrême gauche ne fonctionnent jamais, que ce soit au Venezuela en 2019 ou à Liverpool dans les années 80 ».

Le conseil d’administration de la WFD est nommé par le ministre britannique des Affaires étrangères et s’inspire de la NED, que le Washington Post a décrit comme le « modus operandi ». Depuis l’élection de Chávez en 1998, le NED a été la main directrice d’un certain nombre d’efforts visant à renverser le gouvernement au Venezuela.

Alors que les opérations de la NED à l’étranger ont fait l’objet d’un certain contrôle indépendant, la WFD – qui a reçu 10 millions de livres sterling de fonds publics l’année dernière – a largement fonctionné sous le silence des médias.

Matt Kennard

John McEvoy


Article original en anglais : Revealed: UK sets up media influencing project in Venezuela amid secretive £750,000 ‘democracy promotion’ programme, Daily Maverick, le 6 janvier 2021.    Traduit par Romain Migus pour Les 2 Rives


Matt Kennard est le chef des enquêtes de Declassified UKJohn McEvoy est un journaliste indépendant qui a écrit pour International History Review, The Canary, Tribune Magazine, Jacobin, Revista Forum et Brasil Wire.


La source originale de cet article est Daily Maverick


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