Algérie / 55e vendredi de mobilisation dans le pays : «Liberté pour tous les détenus»

Alger, 6 mars 2020. 55e vendredi du hirak populaire. 12h30. Des clameurs montent du côté de la rue Khelifa Boukhalfa, près de la mosquée Errahma.

Quelques dizaines de manifestants donnent de la voix sous forte surveillance policière. Des interpellations ont été opérées dans les rangs des contestataires, selon des témoignages concordants. «Arrestation arbitraire des étudiants Amine Sediri et Imad Dahmane à la rue Victor Hugo à 12h10» alerte le CNLD sur sa page Facebook.

«La police a confisqué mes drapeaux, mes pancartes et mes stylos», témoigne Boumediène, un hirakiste de la première heure. «Mais heureusement que j’avais caché ces pancartes dans un lieu sûr», lâche-t-il, imperturbable, brandissant un large panneau avec ce message : «Nous sommes tous Karim Tabbou. De quel droit les forces de sécurité tabassent, insultent, et humilient les manifestants. Séparation du militaire et du judiciaire.»

A 13h, la police commence à se retirer de la rue Victor Hugo sous les huées d’une foule compacte. 13h42. Fin de la prière hebdomadaire. Une vague imposante de protestataires déferle sur la rue Didouche Mourad en martelant : «Dawla madania, machi askaria !» (Etat civil, pas militaire) ; «Qolna el îssaba t’roh, ya ehnaya ya entouma !» (On a dit la bande doit partir, c’est nous ou vous)… Certains marcheurs portent des masques protecteurs contre le coronavirus.

D’autres prennent le sujet avec dérision et en profitent pour accabler le «système», à l’image de ce jeune homme qui écrit : «Le système qui nous gouverne est pire que le coronavirus».

Une jeune fille dans les 18-19 ans qui l’accompagne écrit : «Remettez le pouvoir au peuple et déguerpissez !» Un autre manifestant s’est fendu de ce message : «Vous pouvez porter tous les masques que vous voulez, vos actions diront toujours qui vous êtes. L’arbre peut être reconnu par ses fruits».

Marche, hier à Alger, pour le 55e vendredi, où les revendications du hirak ont été réitérées / Photo : Sami k.

Un triomphe pour Karim Tabbou

On pouvait voir également défiler : «Marche ou crève !» «L’escalade, la révolution vaincra» ; «Libérez les détenus du hirak» ; «Algérie algérienne. L’unité nationale est notre force et la silmiya est notre arme» ; «Bouteflika et Tebboune : deux faces d’une seule monnaie» ; «On ne s’arrêtera pas jusqu’à ce que vous partiez tous» ; «Djibou fakhamatouhou l’Sidi M’hamed» (Ramenez son excellence – allusion à Bouteflika – au tribunal de Sidi M’hamed).

A noter, en outre, la forte présence de portraits à l’effigie de Karim Tabbou qui a fait sensation lors de son procès qui s’est tenu mercredi dernier. La foule scandait inlassablement son nom en répétant : «Allah Akbar Karim Tabbou !», «Karim Tabbou, echaâb ihabbou !» (Karim Tabbou, le peuple l’aime)…

En pleine couverture de la manif, nous apprenons l’arrestation de notre confrère Khaled Drareni. Il a été embarqué au commissariat du 6e. Un rassemblement de solidarité est improvisé par plusieurs journalistes soutenus par de nombreux citoyens près de la rue Salah Boulhart qui donne sur ledit commissariat.

Peu après 14h, à notre grand soulagement, Khaled Drareni est relâché.

A hauteur du carré féministe, des tracts sont distribués en prévision de la célébration de la Journée internationale des droits des femmes. Au programme, débat, slam et projection de films à la Cinémathèque, aujourd’hui, tandis qu’une manif’ est annoncée pour demain, dimanche, près de la Fac centrale, à partir de 14h.

Sur la rue Hassiba Ben Bouali, plusieurs carrés enflammés se succèdent. Qassaman est scandé à deux reprises par des manifestants exaltés. On crie «L’istiqlal !» (l’indépendance), «Tahia El Djazair !» (Vive l’Algérie).

Sifflements stridents. Lu sur une pancarte : «Nous sommes le peuple, pas une foule». Une banderole détaille : «Oui au changement du système, à un régime civil, à l’Etat de droit, des élections honnêtes et la souveraineté au peuple».

«Traduire politiquement nos revendications»

Nous laissons la parole, pour finir, à Drifa Mezenner, cinéaste lumineuse qui filme assidûment le hirak depuis le début. Nous l’avons croisée plus tôt dans la matinée, à la rue Khelifa Boukhalfa, brandissant une pancarte sur laquelle elle a écrit : «Diversité idéologique. Unis contre le système corrompu».

Sur l’autre face de sa belle pancarte, elle a ajouté : «Un même objectif : l’Algérie de la justice et du droit». Dressant succinctement un bilan d’étape du hirak, Drifa Mezenner déclare : «La révolution pacifique entame sa deuxième année, et en cette deuxième année, il y aura beaucoup plus de contenu, j’ai l’impression. A propos des questions idéologiques, c’est un faux problème à mon avis. Il n’y a pas de polarisation au sein du hirak.

Au contraire, il y a une diversité, et l’objectif principal, c’est l’Etat de droit dans lequel chacun par la suite pourra défendre son projet. Les revendications et les objectifs du hirak sont clairs. Reste la question de l’organisation et de la représentation qui se pose à chaque fois.

Je pense que le système horizontal a toujours fonctionné et marche encore. Plusieurs initiatives ont été proposées. Le plus important maintenant, c’est de traduire politiquement nos revendications et imaginer un projet commun.

Et lorsque nous aurons les espaces pour nous exprimer, chacun pourra défendre son projet. A ce moment-là, on ira vers la représentativité.»


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Amnesty International: «Les manifestants pacifiques doivent être libérés»

par R. N. – «Les autorités algériennes doivent libérer immédiatement et sans condition, tous les manifestants pacifiques arrêtés uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique», a déclaré Amnesty International, dans un communiqué publié vendredi. L’ONG rappelle qu’«au lendemain de l’élection présidentielle», «au moins 76 personnes ont été arrêtées de manière arbitraire». «Des militants de la société civile, des journalistes et des leaders politiques comptent parmi ceux qui sont inculpés de diverses charges fondées sur des infractions figurant dans le Code pénal, notamment «attroupement non armé», «atteinte à la sécurité nationale», «atteinte au moral de l’armée» et «outrage à des fonctionnaires».

Pour Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, à Amnesty International, «les autorités algériennes brandissent la menace de procès au pénal contre des dizaines de manifestants pacifiques, visiblement dans le but d’intimider et de faire taire les voix critiques». Ajoutant que «persécuter des manifestants pacifiques n’est, certainement, pas la réponse qu’attendent les Algériennes et les Algériens qui descendent dans les rues et réclament des réformes de grande envergure.» Selon Amnesty International, citant «les organisations locales de défense des Droits humains et les avocats qui observent la situation sur le terrain», depuis le début des manifestations contre le 5e mandat, en février 2019, «le nombre total de poursuites engagées contre des manifestants pacifiques a dépassé 1.400».Un an plus tard, les arrestations se poursuivent. «Le 29 février, lors d’une autre manifestation, à Alger, un groupe de 56 manifestants pacifiques ont été arrêtés de manière arbitraire».

Amnesty International affirme suivre «le procès de plusieurs manifestants, dont ceux du leader politique Karim Tabbou et du président de l’Association de la société civile Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), Abdelouahab Fersaoui». L’ONG «a interviewé Raouf Rais, un manifestant pacifique, arrêté lors d’une manifestation le 1er novembre 2019 et maintenu en détention provisoire pendant deux mois, à la prison d’El Harrach». «Il a été déclaré coupable d’atteinte à la sécurité nationale pour avoir brandi le drapeau amazigh et condamné à deux mois de prison avec sursis. Il a ensuite été relâché le jour du jugement. Son audience en appel est fixée au 26 mars». «Nous demandons aux autorités algériennes de cesser immédiatement leur campagne d’arrestations et de poursuites arbitraires» et de libérer «sans conditions» toutes les personnes «détenues uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique», ajoute le communiqué d’Amnesty International.



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