Algérie / La rue refuse «la solution article 102 de la Constitution»

Sixième vendredi de la mobilisation pour le départ du système : Le message fort à l’armée

Les mobilisations de plus en plus impressionnantes (Photo : B. Souhil)

La mobilisation populaire déjoue encore une fois la manœuvre du régime. Comme pour le 5e mandat du chef de l’Etat et sa tentative de proroger sa 4e mandature, l’appel à l’application de l’article 102 de la Constitution est rejeté massivement.

Des millions d’Algériens ont battu à nouveau le pavé, hier, dans tout le pays, pour réaffirmer l’exigence du départ du système. L’option de la démission du président Bouteflika ou de l’empêchement mis en avant durant la semaine ne passe plus. La réponse de la rue est claire. A Alger et dans tous les coins et les recoins du pays, les manifestants sont catégoriques : «Toutes les figures du clan doivent partir.» C’est une condition sine qua non.

En effet, le sixième vendredi de la mobilisation a été une occasion pour les Algériens de dire : «Non à toutes les manœuvres.» Dans une ambiance festive, comme ce fut le cas durant les précédents week-ends, les protestataires, arborant l’emblème national et le drapeau amazigh, deux symboles de l’unité du pays, ont actualisé leurs slogans pour répondre aux propositions faites dans la semaine.

Ainsi, ils s’en prennent, cette fois-ci, au vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP, Ahmed Gaïd Salah, auteur de l’appel à l’application de l’article 102 de la Constitution.

Un appel vite repris, comme une bouée de sauvetage, par les partis de l’alliance présidentielle qui ont appelé, à leur tour, le président Bouteflika à démissionner, alors qu’ils étaient tous favorables à sa feuille de route proposée au début du mois de mars dernier.

«Gaïd Salah dégage !»

Ne figurant pas dans la liste des personnalités contestées durant les premières semaines de la mobilisation, Ahmed Gaïd Salah s’invite désormais aux manifestations. Son nom est scandé par les foules. Mais pour lui demander de partir aussi, en lui rappelant que «l’armée est celle du peuple». En effet, des slogans hostiles au général de corps d’armée : «Gaïd Salah dégage !», «Gaid n’est pas salah» (ne convient pas) », «Ils dégagent tous !» Les foules compactes des manifestants invitent aussi le président Bouteflika à emmener avec lui le chef d’état-major et le président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah.

«Bouteflika nta rayah, di m3ak Gaïd Salah ou balak tensa Benshalah (Boutelika, vous allez partir, il ne faut pas oublier Gaïd Salah et Bensalah)», lit-on sur des affiches brandies par les manifestants. Certains ont même fait un jeu en mots avec le nom et le prénom du vice-ministre de la Défense : «Gaïd ghayr saleh (Gaïd ne convient pas).» Il a même été qualifié de «complice du système». «Taisez-vous ! L’armée ne vous appartient pas, c’est l’armée du peuple», lit-on aussi sur une autre pancarte. Ces slogans témoignent ainsi de la colère des manifestants qui n’acceptent pas les demi-solutions à la crise actuelle.

«Le numéro 102 ne répond pas»

En outre, les manifestants ont également axé sur le refus de l’application de l’article 102 de la Constitution relatif à la destitution du chef de l’Etat. «Le peuple veut l’application de l’article 7 : le peuple est la source du pouvoir», rétorquent-ils à travers d’autres affiches.

Toujours en réponse à la proposition de Gaïd Salah, les manifestants ont tourné en dérision à l’appel à une solution constitutionnelle à cette crise politique : «Le numéro 102 ne répond plus» et «après l’article sans deux (Bouteflika et son frère cadet Saïd), on veut l’application de l’article sans eux (le reste du clan au pouvoir)», ajoutent également les manifestants, en brandissant d’autres banderoles.

Toujours en faisant preuve d’imagination et d’humour, certains manifestants ont même adapté les réponses des opérateurs téléphoniques pour expliquer au tenant du régime que leurs propositions sont caduques. «Le numéro 102 que vous proposez est hors service», lit-on aussi sur une affiche. «On veut l’application de l’article 2019, ils partent tous», ajoute-t-on sur une autre pancarte. Pour ce sixième vendredi, la mobilisation, faut-il le souligner, était au rendez-vous. A Alger, les manifestants ont commencé à affluer vers la Grande-Poste et la place Audin dès les premières heures de la matinée. Vers 12h, toutes les rues d’Alger grouillaient de monde.

Des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux ainsi des enfants hâtaient le pas vers Alger-Centre, devenu depuis le 22 février dernier, la «sahat Ettahrir (place de la liberté) d’Alger». Pour la journée d’hier, les retraités et les radiés de l’ANP étaient aussi au rendez-vous à la Grande-Poste pour créer une ambiance particulière avec leur «parade habituelle».

Outre les slogans précités, les manifestants reprennent aussi en chœur les mêmes slogans refusant «le 5e mandat et la prorogation de l’actuelle mandature qui expirera le 28 avril prochain». Les partis au pouvoir, dont le FLN et le RND, ont été, à leur tour, la cible des manifestants qui leur demandent de dégager.


Constitution: Ce que stipulent les articles 7, 8 et 102    (le quotidien d’oran)

L’article 7 de la Constitution stipule que «le peuple est la source de tout pouvoir» et que «la souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple». 

L’article 8 réaffirme que «le pouvoir constituant appartient au peuple». «Le peuple exerce sa souveraineté par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne et qu’il (le peuple) l’exerce aussi par voie de référendum et par l’intermédiaire de ses représentants élus».» Le président de la République peut directement recourir à l’expression de la volonté du peuple». 

L’article 102 de la Constitution applicable quand le président de la République «pour cause de maladie grave et durable se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions» ou en cas de démission, stipule que le président du Conseil de la Nation prend pendant 45 jours l’intérim en cas «d’empêchement» du chef de l’Etat. Ce sont les deux chambres du Parlement qui sur proposition du Conseil constitutionnel «réuni de plein droit» doivent voter à la majorité des deux-tiers «l’état d’empêchement». 

A l’issue du délai de 45 jours, si «l’empêchement» se poursuit, est déclarée la «vacance» du pouvoir. «L’intérim se poursuit alors durant 90 jours maximum, période durant laquelle une présidentielle est organisée.» 


Article 102 : Ce qu’il faut comprendre

L’application immédiate de l’article 102 de la Constitution : une proposition, un appel ou un ordre ? Le vice-ministre de la Défense nationale et chef d’état-major de l’ANP , le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, ne le précise pas. Mais le même article parle aussi de démission. Depuis mardi, aucun des cas prévus par cet article n’a eu de suite. Avec le constitutionaliste Hakim Saheb, El Watan week-end décortique cet article et explique qu’il s’agit aussi d’une simple manœuvre du régime.

1 – Premièrement, on doit se demander si une telle «invitation» ou «injonction» de l’armée émane du chef d’état-major ou du vice-ministre de la Défense nationale en tant que tel. Si c’est en tant que ministre de la Défense, ce dernier est déjà dans une posture d’inconstitutionnalité vu qu’il fait partie d’un gouvernement qui a été démis. Et s’il l’a fait en sa qualité de chef d’état-major, cela s’apparente tout bonnement à un coup d’Etat et l’armée est la véritable détentrice du pouvoir réel. Car du point de vue de la Constitution, il n’avait pas à le faire. La seule institution chargée de la régulation et du fonctionnement des institutions est le Conseil constitutionnel.

2– La demande d’application de l’article 102 de la Constitution est, faut-il le dire, venue tardivement. Le mandat de l’actuel chef de l’Etat va être épuisé dans une vingtaine de jours. L’application de cet article devient caduque. Dans le cas contraire, elle permet de pérenniser encore le système en place. Normalement, le Conseil constitutionnel devrait se saisir de cette question. Le mandat de Abdelaziz Bouteflika se termine le 28 avril et il ne saurait aller au-delà, au risque d’entrer dans l’illégalité.

3– Une autre aberration, lorsque nous avions accepté que le Président, au lendemain de son installation de ce Conseil, a prêté allégeance au président en cours et non pas au respect de la Constitution. Donc cette institution, à l’instar des autres institutions, est fantoche, elle ne répond pas à la volonté populaire. Elles sont frappées d’illégitimité.

4 – L’article 102 de la Constitution prévoit deux procédures. D’abord, pour cause de maladie grave et que le Président se trouve dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et spontanément. Après avoir vérifié la situation se propose et déclare à l’unanimité l’état d’empêchement et propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement.

Le Parlement, siégeant en Chambres réunies, déclare l’état d’empêchement du président de la République à la majorité des deux tiers de ses membres, et charge de l’intérim des fonctions du chef de l’Etat, pour une période maximale de 45 jours, le président du Conseil de la nation, qui exerce ses prérogatives dans le respect des dispositions de l’article 104 de la Constitution. Toujours selon la Constitution, en cas de continuation de l’empêchement à l’expiration du délai de 45 jours, il est procédé à une déclaration de vacance par démission de plein droit. Et c’est là qu’on peut détecter une manœuvre.

5- La question qui se pose actuellement est de savoir pourquoi toute l’opinion publique s’est braquée sur le cas d’empêchement et pas sur la démission. Ahmed Ouyahia, le Premier ministre démissionnaire, nomme directement le cas de démission. Dans le même article 102 de la Constitution, on lit qu’en cas de démission ou de décès du président de la République, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la Présidence.

Il communique immédiatement l’acte de déclaration de vacance définitive au Parlement, qui se réunit de plein droit. Le président du Conseil de la nation assume la charge de chef de l’Etat pour une durée de 90 jours au maximum, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées. Tout compte fait, le pouvoir exécutif aura une période de 45 jours plus 90 jours pour organiser des élections. Gaid Salah parlait de l’article 102 sans nommer le cas ! Et pourquoi pas la démission alors?

6– L’article 104 de la Constitution est aussi important. Le gouvernement en fonction au moment de l’empêchement ou décès ne peut être démis jusqu’à la nomination du nouveau président. Il ne peut être démis ni remanié. Article 104 : «Le gouvernement en fonction au moment de l’empêchement, du décès ou de la démission du Président de la République, ne peut être démis ou remanié jusqu’à l’entrée en fonction du nouveau Président de la République.» D’ailleurs inutile de rappeler que depuis le 11 mars, Noureddine Bedoui, alors installé Premier ministre n’a pas encore constitution son gouvernement. Un vide est créé. Ils se sont fourvoyés dans un vide sidéral. Il y a une lutte d’influence et de clan entre les différents pouvoir.

7– Le mauvais scénario ? Si le président démet Gaïd Salah de ses fonctions ? C’est le chaos. Nous ne nous savons pas qui est qui. ce serait chaotique et hallucinant. Le meilleur article de la Constitution à adopter ? Même si toute les décisions sont prises en dehors de la Constitution, les articles 7 ou 8 restent inévitables. Article 7 : «Le peuple est la source de tout pouvoir.» Article 8 : «Le pouvoir constituant appartient au peuple.

Le peuple exerce sa souveraineté par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne. Le peuple l’exerce aussi par voie de référendum et par l’intermédiaire de ses représentants élus. Le président de la République peut directement recourir à l’expression de la volonté du peuple.» Le constitutionaliste se demande s’il y a une véritable volonté d’aller vers une vraie conférence de transition pour organiser une transition apaisée et tranquille. Une impasse institutionnelle.

Un dilemne historique. Soit une transition inclusive et transparente pour préserver une deuxième république.

Nassima Oulebsir / (Photo B. Souhil)

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