Algérie / Avril 80, ferment du projet démocratique

40e ANNIVERSAIRE DU PRINTEMPS AMAZIGH

Mouvement de rupture et d’ouverture, Avril 80 s’inscrit dans le droit fil des revendications prônant les droits de l’Homme. Au premier rang desquels figurent la justice et le droit à un procès équitable, garanties essentielles de tout pacte civil, conforme aux règles démocratiques universelles.

Le 40e anniversaire du Printemps amazigh intervenant dans le contexte de la pandémie planétaire et la trêve de la révolution citoyenne, la réflexion commémorative sur le sens profond de ce repère, à la fois historique et identitaire, suggère de situer cet événement comme le vecteur du projet démocratique. Un moment de convergence historique. Les solidarités anonymes à l’œuvre dans le combat quotidien contre le Covid-19, signe le prolongement de la société nouvelle, née dans le sillage de la révolution populaire.

À l’image de la Kabylie où les comités de village font preuve de gestion exemplaire, axée sur la confiance et l’abnégation. En témoigne la foi citoyenne, paisible et audacieuse, en cette structure millénaire, sans laquelle l’organisation du congrès la Soummam, à quelques kilomètres des forces coloniales, n’aura été possible. D’ailleurs, l’auto-confinement s’est déclenché dans les esprits comme réflexe protecteur de soi et de l’entourage. Protéger l’Histoire millénaire, tolérer la parole libre et les dynamiques régionales, garantir les libertés démocratiques et la revendication pacifique sous-jacente, s’ouvrir au monde, se moderniser, se hisser à l’universel : telles sont, en substance, les bases principielles d’Avril 80.

Mouvement humaniste et progressiste, le Printemps amazigh est adossé aux vertus et valeurs qui fondent les sociétés issues des Lumières. Valeurs perverties, combattues, bâillonnées par le système de la pensée unique. En cela, les militants de la clandestinité ont montré le chemin. Traversée reprise par la fougue de la jeunesse de 2019, au travers d’une mobilisation pacifique populaire exceptionnelle. Réhabilitant le génie de la nation. Outre la capacité créatrice d’un peuple livré aux pires décadences. En somme, l’insurrection citoyenne actant la naissance d’une démocratie participative est une donnée réelle, dans la perspective des transformations politiques, engageant le nouveau destin.

Exigence de justice
Mouvement de rupture et d’ouverture, Avril 80 s’inscrit dans le droit fil des revendications prônant les droits de l’Homme. Au premier rang desquels figurent la justice et le droit à un procès équitable, garanties essentielles de tout pacte civil, conforme aux règles démocratiques universelles (Cf. Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’ONU, le 16 décembre 1966). En cela, les récentes condamnations des militants du mouvement populaire confortent le fait que le soulèvement du Printemps berbère, le Printemps noir sont consécutifs à des injustices inédites. Qui plus est, les circonstances ayant abouti au maintien en détention du responsable politique Karim Tabbou incitent à faire de l’exigence de justice la revendication cardinale de l’Etat de droit.

1948-1980-2019
Les témoignages des acteurs de Tafsut imazignen conduisent à inscrire cette rupture comme référent fondamental dans “l’histoire longu”. Ce sont les déchirures causées par la crise berbériste de 1948, l’anéantissement des principes soummamiens, les détournements des rêves de 1962 et la provocation de 1963, qui ont façonné la culture politique des jeunes de 1980. Continuité militante et mémorielle, le message d’Avril 80 est à la fois politique, culturel et socio-identitaire, en résonnance avec le manifeste Idir El Watani de 1949 : “Libération politique d’abord, c’est-à-dire indépendance nationale, car l’oppression colonialiste s’exerce sur un peuple dont elle a usurpé la souveraineté. Il faut avant tout rendre ce peuple maître de ses destinées.

Le peuple algérien, souverain, pourra alors se donner un Etat démocratique, seul capable d’assurer le respect des libertés individuelles et de guider la nation algérienne dans la voie du progrès et de la prospérité. Libération sociale ensuite, car l’indépendance nationale doit signifier aussi bonheur des Algériens et, dans le cadre de notre nation, disparition de l’exploitation de l’homme par l’homme, disparition de la misère, établissement d’un système économique et social permettant à chacun de vivre dans la dignité et le bien-être. Libération culturelle, enfin…”.

Principes essentiels de la République
La fondation d’une République de fraternité, de tolérance, un Etat multiculturel et universel, telle est la portée historique de Tafsut imazignen. En cela, de nouveau, la filiation intergénérationnelle est sans ambages : “La Révolution algérienne n’est pas une guerre civile, ni une guerre de religion. La Révolution algérienne veut conquérir l’indépendance nationale pour installer une république démocratique et sociale garantissant une véritable égalité entre tous les citoyens d’une même patrie, sans discrimination.” Extrait de la Plateforme de la Soummam.

Ces principe fondamentaux, admis par la morale universelle, sont repris par les voix pacifiques de la révolution populaire, dans des termes de fidélité à leurs aînés du 20 Août 1956 : “[la jeunesse], elle se caractérise par un fait rare. Très nombreuse, elle représente près de la moitié de la population totale…Elle possède une qualité originale, la maturité précoce. En raison de la misère, de l’oppression coloniale, elle passe rapidement de l’enfance à l’âge adulte ; la période de l’adolescence est singulièrement réduite. Elle suit avec passion, avec le mépris de la peur et la mort, l’organisation révolutionnaire qui peut la conduire à la conquête de son pur idéal de liberté.”  

Tolérance et solidarité nord-africaine
À l’instar des rédacteurs de la Charte de 1956, les militants berbères ont continuellement inscrit leur combat, épris de diversité culturelle et liberté cultuelle, dans la grande conquête nord-africaine : “La Révolution algérienne n’est pas une guerre civile, ni une guerre de religion. La Révolution algérienne veut conquérir l’indépendance nationale pour installer une république démocratique et sociale garantissant une véritable égalité entre tous les citoyens d’une même patrie, sans discrimination.” Et plus largement, “…les Algériens ne laisseront jamais leur culte de la patrie, sentiment noble et généreux, dégénérer en un nationalisme chauvin, étroit et aveugle.

C’est pourquoi ils sont en même temps des Nord-Africains sincères attachés, avec passion et clairvoyance, à la solidarité naturelle et nécessaire des trois pays du Maghreb. L’Afrique du Nord est un tout par : la géographie, l’histoire, la langue, la civilisation, le devenir”. Ciblée et cycliquement provoquée par les régimes successifs, la Kabylie, bastion de l’exigence démocratique, enfantera un nouveau printemps, sanglant. L’esprit de 80 renaît.

L’autre “Printemps amazigh”
Que dire de l’autre printemps “Noir” ? De l’aveuglement sournois, qui s’est abattu sur les jeunes manifestants de la vérité. Des plaies des collines et rues meurtries. Toujours vivaces. D’une provocation à une autre, il faut dire que l’affaire de l’emblème amazigh a achevé un malentendu historique : les régions du pays, s’appropriant le symbole de la liberté, attribut de l’étendard amazigh, ont exprimé à la Kabylie reconnaissance et sympathie pour son lourd tribu, dans la construction démocratique et citoyenne : le combat pacifique, pluralité linguistique, libération des énergies et des territoires à travers la régionalisation, la tolérance et la laïcité. à quoi s’ajoute la protection des minorités.

La volonté résolue à éradiquer le souffle de 1980 a subi un cuisant échec, essaimant, pour le coup, une citoyenneté libérée. En tous points, l’éclosion de la demande démocratique publique, post-indépendance, est née le jour où l’expression libre a été interdite au savant Mouloud Mammeri.

Message et présage
Avril 80 a posé les fondations de la lutte pacifique, l’affirmation solennelle d’un projet émancipateur. La révolution initiée à Kherrata, en passant par octobre 1988 et le Printemps de Massinissa de 2001, ont redonné ses lettres de noblesses au projet de l’Etoile nord-africaine de 1926, le Manifeste de 1948, la Plateforme de la Soummam-transformant l’insurrection de 1954 en révolution d’émancipation…, pour défricher de nouveaux chemins salvateurs. La méditation du message du Printemps amazigh incite à réinventer de nouvelles formules de lutte, à commencer par le plus immédiat : ne plus jamais prêter le flanc aux chants des sirènes.

Être du côté des voix citoyennes que l’on étouffe. Exiger la fin des poursuites à l’encontre des militants pacifiques. Et la libération immédiate des détenus d’opinion. C’est là un esprit principiel, rassembleur et libérateur d’Avril 80. Dont les jalons sont posés à Ifri, le 20 août 1956, retranscrits en épitaphe sur chaque tombe des martyrs de la démocratie. En leur souvenir, Avril 80 sonne le tocsin de la fidélité mémorielle : faire triompher la longue lutte de la vérité. Et de la démocratie. à bien des égards, la génération du relèvement national doit saisir la portée de liaison socio-historique de ces événements-repères, fondateurs, avec tous les combats menés depuis la naissance du mouvement national moderniste algérien.

Un socle irréfragable de l’identité de la contrée de Jugurtha, Juba, Kahina (Dihya), Axel (Aksel ou Koceila)… Avril 1980 aura été le référent identitaire et historique d’une nouvelle ère. Son aboutissement inéluctable sera la fondation de la République moderne de tolérance et des libertés. “Une République démocratique et sociale” apaisée, réconciliée.  


par : Mohammed Kebir, Avocat-Chargé d’enseignement, Paris


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