Algérie / Contre le cinquième mandat : La pression de la rue s’accentue

par M. A., F. H., H. B., E. H. D. et A. Z.

La dynamique protestataire du mouvement estudiantin à Alger, comme partout ailleurs à travers les différentes wilayas du pays, ne connaît pas de fléchissement. Au contraire, les étudiants et même des lycéens continuent à investir en force les lieux publics, pour dire non au cinquième mandat et pour exiger des changements dans leur pays. De leur côté, les avocats de la région de Constantine, englobant également les wilayas de Skikda, Mila et Jijel, ont décidé de boycotter le travail juridique dans toutes les cours et tribunaux relevant de la compétence territoriale de l’organisation de Constantine. Une décision qui semble faire tache d’huile, puisque les robes noires de la région de Tizi Ouzou ont eux aussi décidé de faire de même. 

Hier encore, des milliers d’entre eux ont rejoint le centre de la ville d’Alger. Des étudiants sont arrivés de l’Université des sciences et de la technologie Houari Boumediene (USTHB) de Bab Ezzouar, accompagnés de leurs enseignants, brandissant une banderole sur laquelle on pouvait lire « Les enfants de Houari Boumediene sont à la recherche des principes de Boumediene ». Ces derniers se sont mêlés à d’autres étudiants de la Fac centrale d’Alger, de la Faculté de médecine d’Alger et de la Faculté de Ben Aknoun et de Saïd Hamdine. Tout le monde scandait d’une même voix des slogans contre le cinquième mandat. 

Beaucoup plus organisés que la dernière fois, les étudiants déployaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Le pouvoir revient au peuple » ou encore « Etudiant réveille-toi pour défendre ton droit et celui de ton pays ». Les étudiants dont certains portaient des blouses blanches, d’autres drapés de l’emblème national ont défilé pacifiquement, répétant en chœur « les étudiants toujours engagés pour le changement ». 

Les étudiants qui ont marché de la Grande Poste vers la Faculté centrale à Maurice Audin, avant de faire demi-tour et revenir à leur point de départ se sont montrés très coopératifs avec les forces de l’ordre. Ces dernières essayaient à chaque fois de les orienter vers des parcours moins denses pour ne pas paralyser la circulation. Les éléments antiémeutes étaient là pour encadrer les étudiants, veillant à chasser les intrus ou les fauteurs de troubles. Un étudiant a été interpellé par un élément des services de la police qui lui a ordonné d’effacer les images filmant des policiers, sans toutefois le brusquer. 

Les protestataires se sont rassemblés après avoir effectué plusieurs tours, au niveau de l’esplanade de la Grande Poste, brandissant tous ensemble l’emblème national et en répétant le chant patriotique des éléments de l’armée nationale et des forces de sécurité « Watani watani ghali thamani… » 

Si les éléments antiémeutes étaient plus souples dans la matinée, la stratégie de gestion de la foule a changé dans l’après-midi, après l’arrivée d’un flux important d’étudiants au centre-ville d’Alger, ce qui les a contraints à bloquer l’accès vers l’avenue Maurice Audin. 

Etudiants et enseignants marchent à Bouira 

A Bouira, l’université Akli Mohand Oulhadj a été paralysée hier mardi. Une grève générale d’une durée d’une semaine a été décidée en réponse à l’appel du collectif des étudiants. Le principal slogan de cette protestation est « Système dégage » selon le communiqué émanant du collectif. Après que les enseignants universitaires aient tenu un grand sit-in devant le siège du rectorat, portant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Non à la violation de la Constitution », « Oui pour le respect des lois », « Oui pour bâtir une vraie 2ème République et une vraie transition politique » et « Non au 5ème mandat », ils ont décidé d’une marche qui les conduira jusqu’à l’entrée du siège de la wilaya. En arpentant cet itinéraire, les enseignants ont été rejoints par des étudiants pour une marche unifiée. Dans ce qui est devenu un rendez-vous hebdomadaire, les étudiants oranais ont investi, une fois de plus, hier, la rue comme ils l’avaient fait le mardi précédent avec une nouveauté tout de même : une participation non négligeable des lycéens de la wilaya. En effet, dès 10 heures du matin, des groupes composés de centaines de manifestants issus des différents campus universitaires de la wilaya ont commencé à affluer aux abords du siège de la wilaya d’Oran. Aux environs de midi, les trois pôles universitaires de Belgaïd, d’Es-Sénia et de l’USTO étaient tous représentés au niveau du grand rassemblement encadré par un dispositif sécuritaire déployé sur l’ensemble du périmètre entourant le siège de la wilaya. Et comme le tout début de ces manifestations anti-5ème mandat à Oran, le principe de non violence a été respecté par tous. Vers 13h, et vu le nombre impressionnant des participants à la marche pacifique, un nouveau mot d’ordre est passé aux jeunes manifestants de mettre le cap sur la place du 1er Novembre, espace beaucoup plus adapté pour accueillir les milliers de manifestants. Il faut dire que des centaines de citoyens de tout âge étaient parmi la foule de manifestants, soit en prenant activement part à la marche, soit par simple curiosité vu l’ambiance festive et bon enfant que les étudiants ont su créer par leurs chants. Les différentes vagues de manifestants qui se sont dirigés vers la place du 1er Novembre créeront une ambiance digne des supporters de foot. Instruments de musique à vent et de percussion ont rythmé ainsi la cadence des chants au niveau de la place du 1er Novembre donnant ainsi au site des allures de grand défouloir qui a attiré des dizaines curieux de tous bords. Il est à noter enfin que le service de transport par tramway a été quelque peu perturbé ce mardi entre 10h et 13h avant de reprendre graduellement une activité normal. 

Aucun incident à Tiaret et Constantine 

A Tiaret, des centaines d’étudiants des différentes facultés relevant de l’université « Ibn Khaldoun » ont marché, eux aussi, hier en milieu de journée, encadrés par un imposant dispositif de sécurité. En effet, brandissant des banderoles appelant au changement du système politique dans le pays et s’exprimant contre le cinquième mandat de Bouteflika, la marche pacifique des étudiants s’est ébranlée du siège de l’ancien rectorat à Zaâroura pour sillonner les principales artères de la ville avant de faire un crochet par le siège de la wilaya pour enfin arriver devant le siège du nouveau rectorat, devant le nouveau pôle universitaire de Karman. Vers 13h, un discret dispositif des forces antiémeutes a été déployé dans le centre-ville et autour du siège de la wilaya et le siège de la cour de justice, même si aucun incident n’est à signaler au moment où nous écrivons ces lignes. Sans relâche, les étudiants des universités des Constantine ont encore organisé, hier, des marches à l’intérieur des campus, scandant des slogans contre la candidature de Bouteflika à un 5e mandat, enregistrant cette fois-ci l’adhésion des enseignants universitaires, notamment à l’université Salah Boubnider Constantine ‘3′. Et une partie des manifestants ont marché vers le centre-ville de Constantine où ils y arriveront aux environs de la mi-journée. Un moment de pic de la circulation, provoquant ainsi un embouteillage monstre au niveau de tous les accès du centre-ville. Les manifestants observeront un rassemblement devant le palais de la culture Med Laïd Al Khalifa, après une marche à travers le boulevard de la République et l’avenue Abane Ramdane. 

Comme à l’accoutumée, les manifestants portaient des affiches sur lesquelles l’on pouvait lire « Non au 5e mandat », « Djazaïr Djoumhouria machi mamlaka » (l’Algérie est une république et non un royaume), sans s’arrêter de scander des slogans hostiles au gouvernement. Le cordon sécuritaire déployé au centre-ville a tout juste canalisé les manifestants, les empêchant de se diriger vers le siège de la wilaya, sans intervenir. Une manifestation qui s’est déroulée donc dans une atmosphère pacifique, « Silmia », comme le scandaient les étudiants. 

HAMDI BAALA HUFFPOST ALG


En finir avec l’homme «providentiel» (analyse)

par Kharroubi Habib

Les marées humaines qui défilent depuis bientôt deux semaines dans les rues de nos villes clament à l’unisson à la fois leur rejet de l’humiliant cinquième mandat, du processus électoral qui y conduirait inéluctablement et du régime qui cherche à se maintenir à travers cette innommable cuisine politique. Contrairement à ce qu’a prétendu Bouteflika, ni lui ni les autres « décideurs » ne les ont entendus ni ne sont prêts à consentir à leurs revendications. C’est la raison pour laquelle la voix de ces marées humaines doit monter en puissance pour démontrer au pouvoir qu’elles n’accepteront aucun arrangement qui lui permettrait de ne pas satisfaire leur revendication primordiale qui est ni plus ni moins que son départ. Elles ne doivent surtout pas tendre l’oreille aux « conseilleurs » qui arguant que le pouvoir n’étant pas prêt de céder à la rue, la voie des urnes en avril pourrait permettre aux anti-cinquième mandat mobilisés de mettre en échec son prétendant et ouvrir ainsi avec son vainqueur celle du changement radical qu’ils demandent. 

Ceux qui distillent cette inepte solution avancent masqués et la justifient au nom de la préservation de la stabilité du pays et cela paradoxalement au moment où s’est bouchée pour le pouvoir la perspective d’une élection présidentielle de laquelle se sont retirés pratiquement tous les acteurs politiques susceptibles de lui donner un semblant de crédit en tant que compétition électorale. En fait, ces « conseilleurs » plaident sans le dire ouvertement la cause du seul candidat présentable restant en lice qu’ils créditent pouvoir faire échec au cinquième mandat et avoir pour programme et volonté de satisfaire les revendications portées par l’insurrection populaire en cours. 

Les écouter serait accepter le fait que c’est au peuple à céder malgré l’unanimité qui est la sienne à refuser la voie des urnes avant que le prétendant au cinquième mandat et le régime ne dégagent. Ces « conseilleurs » et le candidat dont ils prônent le soutien électoral sont pour le moins crédules quant au machiavélisme imaginatif du pouvoir sinon sciemment en collusion avec celui-ci en lui offrant une solution qui lui sauvegarde l’essentiel et leur donnerait dans le même temps droit d’être partie prenante dans la redistribution des cartes qui aura inéluctablement lieu avec la succession de Bouteflika. 

En persistant dans la candidature malgré la déferlante contre un processus électoral auquel prendrait part le postulant au cinquième mandat, Ali Ghediri, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a clairement donné à comprendre que c’est au peuple à se plier à sa volonté et non l’inverse. Ce qui est façon pour lui d’exiger de ce peuple qu’il le plébiscite en tant qu’homme « providentiel ». N’est-ce pas ainsi que débute toute dictature ? Aux Algériens de démontrer qu’ils peuvent résoudre la crise nationale sans retomber dans les scénarios qui en ont été à l’origine et ont tous pour acteur premier un prétendu « homme providentiel ». 

Ces cris du cœur (éditorial)

par Mahdi Boukhalfa

La colère de la rue ne faiblit pas contre la volonté du président Bouteflika d’aller jusqu’au bout de sa logique de briguer, coûte que coûte, un 5ème mandat qui est en train de tourner à la révolte populaire. Hier encore, les étudiants sont sortis dans la rue pour la troisième journée consécutive en cette semaine finissante avant la troisième grande épreuve populaire de vendredi 8 mars. Cela est en train de prendre la forme d’un bras de fer extraordinaire entre la volonté populaire, dans un parfait mouvement pacifique synchronisé de faire barrage à un 5ème mandat, qui se présente plus comme une obligation morale, et celle de parties au pouvoir de faire passer au forceps une mandature que la rue refuse. 

Le cri de protestation des étudiants, un peu partout dans le pays, pour le moment politiquement correct, et un certain professionnalisme des forces de police, il faut bien le souligner également, ne peut rester indéfiniment sur les bords de la protestation angélique, mais doit être écouté et compris, avant que les choses n’aillent là où personne ne le souhaite. Faire machine arrière, revenir sur cette élection et la lester d’une très bonne dose de patriotisme, de clairvoyance politique et, plus que tout, de concessions citoyennes devant la volonté populaire, n’est pas une défaite ni un échec quand l’avenir de la nation en dépend. Avant qu’il ne soit trop tard, il est extrêmement recommandé, en ces moments où l’expression populaire s’est libérée, où les lignes rouges ont été fracturées, de bien décrypter cet élan d’une jeunesse qui veut reprendre son destin en main. Ne pas comprendre, maintenant, ce désir de délivrance exprimé par toute une jeunesse qui, il n’y a pas longtemps, avait abdiqué à améliorer son sort et ses futurs possibles, serait une faute grave. Et qui sera dommageable pour le pays. 

La question est posée et il appartient au gouvernement, aux plus hautes autorités du pays d’écouter « ce cri du cœur » des Algériens qui ont trop souffert, fait trop de concessions, qui ont patienté longtemps pour que leur désir de changement soit jeté dans la poubelle de l’histoire. Il faut le répéter et le confirmer : les forces de sécurité sont restées jusque-là très professionnelles, sans doute encadrées par des instructions fermes d’éviter les provocations d’intrus à ces manifestations. En face, les cris de « silmya, silmya » doivent être interprétés par le gouvernement comme un autre raccourci politique citoyen vers la libération de la volonté populaire, maintenant que l’échec des partis est patent, d’imposer le changement, maintenant et de la manière la plus civilisée qui soit. En fait, ce besoin pressant de changement social, politique et économique dans la gouvernance du pays, longtemps légué par les Algériens aux partis, qui n’ont pu réaliser la transition politique, a été repris par ceux auxquels il est destiné. C’est en tous les cas l’image et le sentiment qui se dégagent de « ce ras-le-bol » général des Algériens qui ne semblent plus enclins à des concessions, à ne plus être ni floués dans leurs espérances à une vie meilleure, encore moins trompés quant à leur avenir. Il reste que cette élection présidentielle du 18 avril, dans le cas où elle est maintenue en dépit de la volonté populaire de rejet du 5ème mandat, ne doit pas être le terrain à des antagonismes qui mettront le pays en danger. 


La gronde, quel bilan? Qui doit le faire?

par El Yazid Dib

Il est dit dans la légende qu’un jour un sultan reçut son ministre de l’intérieur venu en urgence l’informer d’une grosse agitation de ses sujets : – Sire, il y a un problème ! – Vous avez la solution ? répondit aussitôt le sultan – Non Sire, balbutia le ministre – Alors sortez, vous êtes le problème ! 

Voyez-vous, quand un œil supposé regarder tous les plans de la société, ses rythmes cardiaques, ses penchants et ses instincts n’arrive point à situer le mal ou le fait gauchement, c’est que son regard n’est destiné qu’à suivre une carrière. 

La sienne. Ainsi c’est le mauvais diagnostic qui prescrit les mauvaises ordonnances. C’est là toute la problématique du défaut de maitrise de la profondeur citoyenne. Il ne suffit plus de parler pour charmer la foule ou de s’obliger de paraitre visiblement gentil. Certes, faire la fine bouche ou se la jouer angélique peut rapporter, mais quand l’on se trouve devant une blessure oncologique et béante qui n’a que trop duré, la chirurgie devient impérative. Deux semaines de gronde, quel bilan ? Qui doit le faire ? 

L’opinion publique est transvasée de rumeurs, de colportage et d’informations à la mesure du besoin de ceux qui les façonnent. De grands événements se sont produits ces jours-ci. 

L’absence de communication officielle a été très chiche, laissant croire que chaque ministre ou autre opérateur pourtant publiquement affilié au pouvoir se garde dans une réserve tactique faisant sentir qu’il ne veut pas se mouiller. Même ceux qui quelques jours avant le 22 février se faisaient apparaitre ont subitement disparu du champ de vision ou d’audition. Depuis deux semaines, aucune déclaration. Le ministre de la Communication semble s’être placé en sourdine, pas un mot. Le ministre de la Santé a balancé un chiffre de blessés, sans nul commentaire. Le ministre de l’Intérieur pourtant habitué aux shows des caméras n’a été vu qu’à l’hôpital, au chevet des policiers et de quelques manifestants. L’on aura retenu sa déclaration du caractère « pacifique » des marches, laquelle chez certains avait été prise pour un fléchissement et chez d’autres une façon d’amadouer les foules. Chez les autres acteurs gouvernementaux ou leurs satellites, rien. Bouche cousue. 

Où sont les Ghoul, Benamara, Sidi Said, l’UNPA ? Salhi, Sahli, Zeghdoud, Benhamou, etc. Ou le contesté patron du FLN ? Pour quelle raison se gardent-ils dans un mutisme au moment où le paysage politique et son opinion ont grand besoin d’éclairage ? Qu’ils disent ce qu’ils pensent de cette « agitation » de ces quelques « jeunes égarés » ! 

Sur le plan de la communication officielle, il n’y avait que le frais nouveau directeur de campagne de Bouteflika qui est venu au four et au moulin juste pour une mission de dépôt et de lecture. 

Quel bilan doit-on faire de ces marches en dehors de leur message politique qui n’échappe à personne en raison de sa forte résonnance, mais en termes de nombre de participants, de dégâts matériels, de villes, de corporations, d’ordres professionnels et d’unions associatives concernées et de bien d’autres éléments d’analyse ? Qui doit le faire ? 


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