Algérie / Colonisation : l’histoire (de France) en «zig-zag»

par Belkacem Ahcene Djaballah  

Pauvre Benjamin Stora ! Voilà donc « le plus Algérien des historiens français » qui se retrouve brutalement  l’objet  d’attaques et de critiques  auxquelles il ne s’attendait guère, lui qui a toujours voulu être un pont de rencontre et d’intelligence entre l’Algérie et la France, entre le passé et  le futur, entre ce qui était (et est) de sain dans les deux sociétés . A la demande (commande ?) du président français , E.Macron, et avec l’accord du président algérien, A.Tebboune,  il a élaboré un rapport ‘’sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie’’. Côté algérien, A. Chikhi devait en faire de même.

Son rapport donc, médiatisé, s’est retrouvé sous les feux de la rampe médiatique.

Une conséquence tout à fait normale côté français…..mais l’était-elle côté algérien ?

Une anormalité normale tant il est vrai que les Algériens sont restés assez sensibles à tout ce qui se dit ou s’écrit sur eux outre-Méditerranée, tout particulièrement par leurs anciens « occupants » ( Ainsi d’ailleurs , étonnant, n’est-ce pas ? qu’aux contentieux « franco-français » relatifs à la « guerre d’Algérie ») .On se débarrasse très difficilement, sinon « impossible -ment » des « boulets » de l’Histoire qui , bien longtemps , parfois plusieurs siècles après , bien qu’enfouis dans les subconscients collectifs , ne manquent pas de ressurgir….. encore plus dans une société où l’oralité, avec ses histoires vraies ou détournées,  est une arme fatale…..encore plus dans une société où l’Histoire écrite  reste encore à (par-) faire……encore plus lorsque le champ de l’écriture de l’Histoire est envahie par  toutes sortes d’énergumènes (péri-, para- et pseudo -historiens) laissant les historiens vrais – ceux qui ont cherché, écumé les archives et les bibliothèques, fouillé méthodiquement les mémoires,  enseigné, écrit , publié – dans les vestiaires ou les caves de la communication.

Une anormalité normale dans un pays où n’avons pas encore une idée précise sur ce que nous voulons produire exactement comme réponse (puisque l’ Algérie est en retard de « rapport »)   ou comme demandes (exigences ?)  officielles à l’Etat étranger qui a envahi ,  sans raison valable, sinon celle de « dominer mieux ou pire et plus que les autres », notre pays , l’a occupé durant plus d’un siècle et demi, l’a exploité, quasi-exterminé, dépossédé, sous-humanisé, martyrisé….

En fait, on a mille et une demandes ! Il est vrai que la  colonisation a causé -ici et en France même, aux Algériens et à des  français eux-mêmes, tout particulièrement aux sympathisants de la cause…..ainsi qu’à pas mal d’ « Algériens » d’origine européenne entraînés contre leur gré dans des conflits qu’ils ne souhaitaient peut-être pas   – mille et un dégâts dont plusieurs irréparables et impardonnables .Cela va des excuses aux  réparations financières  en passant par la reconnaissance des crimes commis……Il y a , aussi, certains ….qui ne veulent ni réparations , ni excuses, ni reconnaissances, le verdict de l’Histoire étant déjà prononcé par la victoire par les armes (et la diplomatie, bien sûr) et une indépendance arrachée (et non octroyée) …..à célébrer avec éclat chaque année que Dieu fait.

Donc, aujourd’hui, côté ancien occupant , tout du moins durant la mandature Macron, en tout cas ce qui lui  en reste pour l’actuelle, on sait exactement ce que la France officielle actuelle veut. Ne pas trop se faire d’illusions quand on sait  combien l’histoire du passé colonial avec l’Algérie (et avec d’autres pays) est étroitement lié  à la vie politique franco-française….Depuis la fin de la guerre, quelques percées mais  un parcours  « en zig-zag »  ! Aujourd’hui, le rapport Stora, a le mérite d’exister…….Ainsi ,   d’ailleurs,  que les observations de Apathie, Manceron, Blanchard , Le Cour Grandmaison……. Pour mieux en discuter, le déconstruire ou l’améliorer , le rejeter ou l’accepter.  On attend le nôtre. L’essentiel et le plus important. Pour la première fois, chez nous , un document officiel. Un grand pas !


         Les 22 recommandations du rapport Stora

Commémorations. Poursuivre les commémorations, comme celle du 19 mars 1962 demandée par plusieurs associations d’anciens combattants à propos des accords d’Evian, premier pas vers la fin de la guerre d’Algérie. D’autres initiatives de commémorations importantes pourraient être organisées autour de la participation des Européens d’Algérie à la Seconde Guerre mondiale; du 25 septembre, journée d’hommage aux harkis et autres membres de formations supplétives dans la guerre d’Algérie; du 17 octobre 1961, à propos de la répression des travailleurs algériens en France. À tous ces moments de commémoration pourraient être invités les représentants des groupes de mémoires concernés par cette histoire.

Témoignages. Organiser le recueil par cette commission de la parole des témoins frappés douloureusement par cette guerre pour établir plus de vérités et parvenir à la réconciliation des mémoires.

Emir Abdelkader. Construire une stèle à l’effigie de l’émir Abdelkader, qui lutta contre la conquête de l’Algérie par la France au milieu du XIXe siècle, à Amboise (Indre-et-Loire), où il vécut en exil entre 1848 et 1852. Le monument pourrait être érigé à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, en 2022.

Ali Boumendjel. Reconnaissance par la France de l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel, ami de René Capitant et dirigeant politique du nationalisme algérien, tué pendant la bataille d’Alger, en 1957. Ce geste ferait suite à la déclaration du président Emmanuel Macron concernant Maurice Audin en septembre 2018.

l Disparus. OEuvrer à la publication d’un «guide des disparus» (algériens et européens) de la guerre d’Algérie, sur la base des recherches du «groupe de travail» créé à la suite de la déclaration d’amitié signée lors de la visite du président François Hollande à Alger en 2012. Ce groupe avait été mis en place pour permettre la localisation des sépultures des disparus algériens et français de la guerre d’indépendance. Il devra poursuivre son travail.

Essais nucléaires et mines. Poursuivre le travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires français en Algérie, réalisés entre 1960 et 1966, et leurs conséquences, ainsi que la pose des mines aux frontières.

Restes humains. Poursuivre l’activité du comité mixte d’experts scientifiques algériens et français chargés d’étudier les restes humains de combattants algériens du XIXe siècle conservés au Muséum national d’histoire naturelle.

Harkis. Voir avec les autorités algériennes la possibilité de faciliter les déplacements des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie.

Oran, juillet 1962. Mettre en place une commission mixte d’historiens français et algériens pour faire la lumière sur les enlèvements et assassinats d’Européens à Oran en juillet 1962; entendre la parole des témoins de cette tragédie.

Cimetières européens et juifs. Encourager la préservation des cimetières européens en Algérie (travaux, entretien, réhabilitation des tombes), ainsi que des cimetières juifs (comme ceux de Constantine et de Tlemcen).

Noms de rues. À l’instar de la mesure instaurée par le président de la République visant à donner à des rues de communes françaises des noms de personnes issues de l’immigration et de l’outre-mer, inscrire des noms de Français d’origine européenne particulièrement méritants, en particulier médecins, artistes, enseignants, issus de territoires antérieurement placés sous la souveraineté de la France.

Archives. Activer le groupe de travail conjoint sur les archives, constitué en 2013 à la suite de la visite du président Hollande en 2012. Le groupe s’est réuni à six reprises, jusqu’au 31 mars 2016. Ce groupe de travail sur les archives devra faire le point sur l’inventaire des archives emmenées par la France et laissées par la France en Algérie. Sur la base de ce travail d’inventaire, certaines archives (originaux) seraient récupérées par l’Algérie. Celles laissées en Algérie pourront être consultées par les chercheurs français et algériens. Le «comité de pilotage» pourrait proposer la constitution d’un premier fond d’archives commun aux deux pays, librement accessible.

Visas de chercheurs. La coopération universitaire pourrait, avant le règlement de la domiciliation des archives, trouver un moyen pour chacune des parties de montrer la volonté de transparence du passé commun. La France proposerait ainsi de donner chaque année à dix chercheurs, inscrits en thèse sur l’histoire de l’Algérie coloniale et la guerre d’indépendance dans un établissement universitaire algérien, la possibilité d’effectuer des recherches dans les fonds d’archives en France. Le visa de chercheur à entrées multiples serait d’une durée de six mois, pouvant être prolongée de trois mois, ce qui correspond à une année universitaire. Le chercheur pourrait ainsi effectuer des allers-retours en fonction des besoins de sa recherche. Ce visa pourrait être renouvelable.
Afin que ces recherches puissent être effectuées dans de bonnes conditions matérielles, un accord serait passé avec le Centre national des oeuvres universitaires (Cnous) pour mettre à disposition une chambre au sein d’une cité universitaire proche des lieux d’archives dans des modalités pratiques à approfondir. Enfin, ces étudiants pourraient bénéficier pendant leur séjour en France de la même bourse d’études que les étudiants français inscrits en thèse, au prorata de la durée de séjour.
En parallèle, des étudiants français, dans un nombre qui reste à discuter avec les autorités algériennes, devraient pouvoir bénéficier d’un visa à entrées multiples et d’un accès facilité aux archives algériennes concernant la même période.

Edition. Favoriser la diffusion des travaux des historiens par la création d’une collection «franco-algérienne» dans une grande maison d’édition. L’objectif serait de poser des bases communes aux mémoires particulières, de définir un cadre acceptable par tous, des deux côtés de la Méditerranée.

Traductions. Créer un fonds permettant la traduction du français vers l’arabe et de l’arabe vers le français d’oeuvres littéraires et à caractère historique. Ce fonds pourra également prendre en charge les écrits de langue berbère.

Programmes scolaires. Accorder dans les programmes scolaires plus de place à l’histoire de la France en Algérie. A côté d’une avancée récente – ne plus traiter de la guerre sans parler de la colonisation -, il convient de généraliser cet enseignement à l’ensemble des élèves (y compris dans les lycées professionnels).

Jeunes créateurs. Aller vers la mise en place d’un office franco-algérien de la jeunesse, chargé principalement d’impulser les oeuvres de jeunes créateurs (oeuvres d’animation, courts-métrages de fiction, création de plate-forme numérique pour le son et l’image).

Musée. Réactiver le projet de musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, prévu à Montpellier et abandonné en 2014.

Colloque. Organiser en 2021 un colloque international dédié au refus de la guerre d’Algérie par certaines grandes personnalités comme François Mauriac, Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, André Mandouze et Paul Ricoeur.

Exposition. Organiser en 2021 au Musée national de l’histoire de l’immigration une exposition ou un colloque sur les indépendances africaines.

Gisèle Halimi. Entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, grande figure de l’opposition à la guerre d’Algérie.

Canon Baba Merzoug. Créer une commission franco-algérienne d’historiens chargée d’établir l’historique du canon «Baba Merzoug» ou «La Consulaire», ravi lors de la conquête d’Alger en 1830 et installé à l’arsenal de Brest, et de formuler des propositions partagées quant à son avenir, respectueuses de la charge mémorielle qu’il porte des deux côtés de la Méditerranée.


        Mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie

              Brèves remarques sur le rapport de Benjamin Stora

OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

La mission confiée à Benjamin Stora s’inscrit dans une stratégie de reconquête politique destinée à réhabiliter, sur des sujets particulièrement importants, le «en même temps» si prisé par le locataire de l’Elysée.

De là, de très nombreuses lacunes dont l’accumulation débouche sur de multiples compromissions. «Crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité» perpétrés par la France depuis 1830 en Algérie, comme le prouvent les enfumades du général Bugeaud et de ses officiers supérieurs, les déportations massives de civils dès les années 1840, les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, à partir du 8 Mai 1945, la torture, les exécutions sommaires, les disparitions forcées et les viols de masse commis au cours de la dernière guerre d’Algérie…

Très singulièrement, Benjamin Stora n’utilise jamais cette première qualification. Aucune occurrence. En atteste la courte mais efficace recherche lexicographique à laquelle nous nous sommes livrés.

Les résultats en disent long sur la forme comme sur le fond de ce rapport. Quant à la seconde, «crimes contre l’humanité», elle n’apparaît qu’une seule fois à l’occasion d’une citation. En lieu et place, l’historien abuse du terme d’exactions pour désigner les actes perpétrés par la puissance coloniale française en Algérie.

Etonnante régression langagière et analytique. Elle euphémise des actes constitutifs de violences extrêmes aux conséquences humaines, sociales et économiques catastrophiques pour les colonisés.

Qui plus est, ces derniers ont été dominés par un Etat d’exception permanent s’appuyant sur des mesures répressives particulières qui, jusqu’en 1945, les ont privés des droits et libertés fondamentaux en en faisant non pas des «citoyens» mais des «sujets» soumis à un ordre colonial raciste et discriminatoire.

Réformé, assurément, ce dernier n’en a pas moins perduré sous différentes formes jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie, laquelle clôt, dans les conditions particulièrement meurtrières, une longue suite de massacres antérieurs destinés à défendre coûte que coûte l’Algérie française. Employer à de nombreuses reprises le terme d’exactions pour rendre compte de cette histoire participe d’une euphémisation.

De même, qualifier les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris de «répression brutale», sans plus de précision, est parfaitement inadéquat eu égard au nombre de manifestants abattus ce jour-là par les forces de l’ordre agissant sous l’autorité du préfet de police Maurice Papon.

Avec une rigueur et un courage salués par beaucoup, le regretté Jean-Luc Einaudi a mis au jour le contexte parisien, national et international, et les consignes orales données par ce préfet aux policiers qu’il commandait.

De là, ce massacre de civils, qui est le plus important de l’après-Seconde Guerre mondiale. Ni son travail ni son nom ne sont cités dans le rapport de Benjamin Stora ! Benjamin Stora dénonce «les guerres de mémoires», leur «communautarisation», la «compétition victimaire» et la «culture de repentance». Toutes sont supposées menacer le «paysage culturel et politique» français.

Si la droite parlementaire est en partie responsable des polémiques mémorielles en raison de la loi du 23 février 2005 qui a officialisé une vision apologétique de la colonisation française – soit écrit en passant cette loi scélérate, indigne d’un Etat démocratique, n’a jamais été abrogée –, Benjamin Stora ajoute peu après : ces «incendies de mémoires enflammées» ont été «surtout» allumés «dans la jeunesse».

Très classique accusation qui fait des jeunes des quartiers populaires, notamment, une catégorie dangereuse pour l’ordre social, politique et commémoriel établi.

Il ne faut donc pas s’étonner si les recommandations faites par Benjamin Stora sont muettes sur la reconnaissance des crimes précités. Sans reconnaissance officielle et claire, la réconciliation tant vantée restera une formule incantatoire bien faite pour les périodes électorales et les envolées diplomatiques ronflantes qui, depuis des années, n’engagent à rien et ne changent rien.

Quant aux descendants des victimes, qu’ils soient français ou algériens, ils seront toujours en butte à des discriminations commémorielles inacceptables.

Emmanuel Macron, candidat, avait déclaré que «la colonisation (était) un crime contre l’humanité». Emmanuel Macron, chef de l’Etat, doit désormais le dire haut et fort lors des commémorations qui s’annoncent.


Olivier Le Cour Grandmaison, Universitaire. Dernier ouvrage paru : Ennemis mortels. Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, La Découverte, 2019.


   par Mohamad Bouhamidi, membre du collectif de Novembre pour le socialisme. Animateur de l’École populaire de philosophie

Novembre fait référence au 1er Novembre 1954, qui marque le début de la guerre d’indépendance de l’Algérie.

Benjamin Strora, historien reconnu de l’Histoire de l’Algérie, a remis mercredi 21 janvier 2021, son rapport au président Emmanuel Macron visant à surmonter le contentieux entre la France et l’Algérie, colonisée par la France pendant 130 ans, qu’elle contraindra à reconnaître son indépendance, au terme d’une guerre de libération nationale de 8 ans (1954-1960).

L’historien a préconisé la mise en place d’une commission «Mémoire et Vérité» chargée d’impulser des initiatives mémorielles communes entre les deux pays, assortie des recommandations suivantes : Emir Abdelkader. Construire une stèle à l’effigie de l’émir Abdelkader, qui lutta contre la conquête de l’Algérie par la France au milieu du XIXe siècle, à Amboise (Indre-et-Loire), où il vécut en exil entre 1848 et 1852. Le monument pourrait être érigé à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, en 2022.

Ali Boumendjel. Reconnaissance par la France de l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel, ami de René Capitant et dirigeant politique du nationalisme algérien, tué pendant la bataille d’Alger, en 1957. Ce geste ferait suite à la déclaration du président Emmanuel Macron concernant Maurice Audin en septembre 2018.
Œuvrer à la publication d’un «guide des disparus» (algériens et européens) de la guerre d’Algérie, sur la base des recherches du «groupe de travail» créé à la suite de la déclaration d’amitié signée lors de la visite du président François Hollande à Alger en 2012. Ce groupe avait été mis en place pour permettre la localisation des sépultures des disparus algériens et français de la guerre d’indépendance. Il devra poursuivre son travail.
Essais nucléaires et mines. Poursuivre le travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires français en Algérie, réalisés entre 1960 et 1966, et leurs conséquences, ainsi que la pose des mines aux frontières.

« La France ne veut ni s’excuser… ni se repentir », résume en une le quotidien arabophone « El Khabar » qui consacre deux pages au travail de l’historien français.


Le texte de Mohamad Bouhamidi
  • L’on exige des excuses des gens dont on veut partager l’humanité.
  • En quoi avons-nous besoin des excuses de l’État colonial français que nous avons vaincu ou d’un président coincé dans son discours de Dakar quand nous avons eu l’amitié solidaire et la fraternité du meilleur du peuple français
  • Cette insistance pour se faire reconnaître par l’État français, toujours colonial, pour des raisons de système économique, autrement plus contraignantes que les vœux pieux, relèverait de l’ingratitude et du déni de l’histoire réelle.

Nous n’avons guère oublié les Zaatcha, les Righas, les Beni Menacer…

Des remarques hautement pertinentes ont déjà souligné l’incohérence d’une telle démarche avec les faits de la guerre de libération et avec la logique des solidarités internationales, notamment françaises. Résumons autant que possible ces remarques.
La plupart des combattants considèrent que nous avons terminé victorieux une résistance ininterrompue de cent trente années, malgré une répression de masse et des massacres, dont la tentative de quasi-génocide du 8 mai 1945, tous actes délibérés de la part des militaires et poétisés par les Victor Hugo ou théorisés par les De Tocqueville.

Et si l’insurgée de la commune, Louise Michel, bannie par Cavaignac, le général génocidaire qui a mené les plus grands massacres de la conquête de notre pays, devient la compagne de l’insurgé El-Mokrani, c’est bien le signe que les luttes du peuple algérien et les luttes du prolétariat et des progressistes français allaient tout le temps se recouper jusqu’aux sacrifices du métro Charonne, en passant par le réseau Jeanson.
Bref, nous sommes sortis vainqueurs de la guerre malgré les prolongations que voulait jouer l’OAS, et ce, avec le sentiment d’être aussi les vainqueurs sur le plan moral.

Une sale guerre se finissait et «La question» d’Henri Alleg restera comme la preuve la plus irréfragable qu’elle fut une sale guerre menée par des salauds de première classe.

A-t-on jamais vu un vainqueur exiger des excuses au vaincu ?

Cette question taraude beaucoup de nos concitoyens quant à sa logique profonde. D’abord, que valent des excuses non spontanées ?
Et puisque nous parlons d’une guerre qui a fait de la torture une règle de base de la conduite militaire, osons une image: que peuvent valoir des excuses extorquées? Rien ; aucune valeur. Ou les excuses sont spontanées et, donc, sincères, ou elles résultent d’un rapport de force et elles ne reflètent qu’un marchandage.

Alors, reprenons depuis le début. On exige des excuses de la part de ceux qu’on aime ou de ceux avec qui on vit.

On exige des excuses de son enfant ou de son conjoint ou de son voisin, c’est-à-dire de gens avec lesquels on partage notre humanité; qu’on considère nos semblables et nos frères. Des personnes auxquelles nous tenons et avec lesquelles une rupture serait douloureuse ou, pour le moins, embarrassante.
On demande ces excuses car, fondamentalement, on considère que la faute du fils, du conjoint, du frère, du voisin, relève de l’erreur ou de l’inadvertance, mais pas de l’intention réfléchie, élaborée, ou de l’acte délibéré dont les résultats sont suffisamment graves ou douloureux pour nous qu’on ne peut les laisser passer sans le risque de rompre ou d’altérer une relation profonde et intime. Bref, on exige des excuses des gens dont on veut partager l’humanité. Et on les demande quand on pense que c’est un accident.

Les responsables algériens qui réitèrent leurs exigences d’excuses auprès du président français lequel a pris fait et cause pour le colonialisme, tout en faisant une question de souffrances partagées, de circonstances et de responsabilités diluées, pensent-ils vraiment que le colonialisme n’est pas un crime par essence? Pensent-ils vraiment que les massacres de la conquête sont juste des dépassements ? Croient-ils vraiment que dans leurs lettres, les De Bourmont, Cavaignac, Bugeaud et Lamoricière, se vantant d’avoir livré la «populace» aux couteaux de leurs soldats ou d’avoir détruit des villages de fond en comble, après avoir exterminé toute la population, parlaient de jeux de cirque ?

Tenez, pour rappeler un crime oublié de nos responsables: Zaâtcha !

L’oasis de Zaâtcha cernée par la harka du bachagha ayant trahi Ahmed Bey, les légionnaires de Carbuccia et les zouaves de Canrobert et dont toute la population fut passée au couteau après le viol des femmes et le martyre des enfants.
Mettons sous les yeux de nos responsables ce passage qui prouve la délibération froide du meurtre: «Rien ne fut sacré, ni le sexe ni l’âge. …. Il y eut des enfants dont la tête fut broyée contre la muraille devant leurs mères; des femmes qui subirent tous les outrages avant d’obtenir la mort qu’elles demandaient à grands cris comme une grâce.

Les bulletins militaires insistèrent sur l’effet que produisit, dans toutes les oasis du désert, la nouvelle de la destruction de Zaâtcha, bientôt répandue, de proche en proche, avec toute l’horreur de ces détails.». (in Histoire de la conquête de l’Algérie,op. cité, p. 298-299)
«… insistèrent sur l’effet que produisit, dans toutes les oasis du désert, la nouvelle de la destruction de Zaâtcha,».

Il faut clairement poser la question: l’État colonial français et ses représentants appartiennent-ils à notre humanité? Avons-nous des liens affectifs si étroits et un besoin d’image si impérieux que nous les sommons, sur le mode de l’urgence et de la détresse, de nous remettre dans leur acception de l’homme et du monde ?

Question subsidiaire mais non moins importante. Quand votre proche s’excuse, vous lui pardonnez ? C’est bien cela le but de la démarche ? Clore l’incident et reprendre les relations dans l’état où elles se trouvaient.

Franchement, au nom de qui et de quel droit les responsables algériens, même issus de l’ALN, peuvent-ils accorder le pardon à Canrobert?
Au nom de qui et de quoi, peuvent-ils passer l’éponge sur Paul Aussaresses ou Jacques Massu ?

Quel martyr les a mandatés pour cela et le peuple algérien a-t-il dit son mot, ne serait-ce que sous la forme d’un débat ? Enfin, nos responsables sont-ils conscients de l’ultime mais non moins logique conséquence qu’après les excuses nous reprendrons nos relations comme elles l’étaient avant l’incident, la querelle, la scène de ménage, la saute d’humeur du 1er novembre?

Car c’est cela la trame de fond sur laquelle se construit la logique de l’excuse. Si le colonialisme n’était pas un crime par essence, alors le 1er novembre était une erreur.

La clé de cette énigme se trouve encore une fois chez Fanon. Cette démarche revient à demander inconsciemment à Sarkozy de reconnaître les demandeurs dans son humanité à lui; de s’excuser, en réalité, que le colonialisme n’ait pas pris ces demandeurs dans son humanité à lui et dans son acception de l’humanité. Ils sont en demande d’une reconnaissance de la part de leurs bourreaux.

Ce n’est pas la conception de tous les Algériens et on peut parier que beaucoup, beaucoup d’Algériens n’ont aucune envie de partager l’humanité de Sarkozy et de son discours de Dakar, ou l’humanité des Canrobert et compagnie, car il faut être des humains pour commettre des crimes aussi abominables. Nous, nous voulons être de l’humanité de Ben Boulaïd pas celle de Massu.

Enfin, cette insistance pour se faire reconnaître par l’État français, toujours colonial, pour des raisons de système économique, autrement plus contraignantes que les vœux pieux, relèverait de l’ingratitude et du déni de l’histoire réelle. En pleine nuit coloniale, et au plus noir de nos souffrances, nous avons trouvé en France la reconnaissance de notre humanité. Pas seulement par Louise Michel et son compagnonnage, si hautement symbolique, avec El Mokrani.

Pas seulement par la commission coloniale du PCF qui a aidé à la naissance des partis nationalistes en Algérie, comme ailleurs, au Viet-Nam.

Pas seulement par l’extraordinaire combat philosophique de Francis Jeanson qui a commencé dès 1945, puis s’est poursuivi par son combat politique dans les réseaux.

Pas seulement par le Père Davezies. Pas seulement par Hélène Cuénat. Pas seulement par Henri Curiel ou Jacques Charby ou tous ces autres et innombrables Français «porteurs de valises».

Pas seulement par Jean Paul Sartre. Pas seulement par les signataires de l’Appel des 121. Et pas seulement par les morts du métro Charonne. Ces Français, qui se sont engagés avec nous comme Français pour témoigner aussi d’une France que ne peuvent ni ne pourront jamais représenter ni Sarkozy ni l’idéologie coloniale ou néocoloniale, nous ont fait deux dons d’une incommensurable valeur.

C’est après eux que nous n’avons pu désespérer de toute humanité. C’est par eux que nous avions compris, qu’au-delà de nos demeures différentes, nous pouvions être sans être les mêmes dans la même acception de l’homme.

C’est par eux que nous avions guéri des Cavaignac, en apprenant la légende des Hélène Cuenat. Ces Français- là nous ont retenu de tomber dans la haine de toute l’humanité, et c’est ainsi que, pendant notre lutte, nous avons été TOUTE l’humanité et que l’humanité entière nous a soutenus.

Le deuxième don de ces Français est de nous avoir évité la haine. Nous nous souvenons de la légende de ces avocats qui défendaient nos sœurs et nos frères, de ces journalistes qui faisaient percer la vérité, de ces intellectuels qui éveillaient les consciences, de ces appelés qui refusaient la conscription.

En quoi avons-nous besoin des excuses de l’État colonial français que nous avons vaincu ou d’un président coincé dans son discours de Dakar quand nous avons eu l’amitié solidaire et la fraternité du meilleur du peuple français ?

Au lieu de se perdre dans l’ingratitude et dans la demande perverse d’excuses au gouvernement français, nous devrions multiplier les actes et les écrits pour remercier ces Français d’avoir existé et d’exister encore et l’apprendre à nos enfants.

Francis Jeanson, Philosophe, connu pour son engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie, animateur du réseau Jeanson des «porteurs de valise» en vue de collecter les fonds pour le FLN algérien.

  • Hélène Cuenat: membre du PCF, et du réseau Jeanson.
  • Henri Curiel: Fondateur du Parti communiste égyptien, militant anti colonialiste.
  • Jean Paul Sartre: Philosophe français, militant anti impérialiste.
  • Jacques Massu, Commandant des troupes françaises en Algérie, particulièrement lors de la bataille d’Alger.
  • Paul Aussaresses: alias le Commandant Zéro, initiateur de la torture en Algérie. Il participe à la création du 11e choc, le bras armé du SDECE (l’ancêtre de la DGSE), avant de prendre part à la guerre d’Indochine (1946-1954) puis à la guerre d’Algérie (1954-1962).
  • Thomas Robert Bugeaud, Gouverneur général de l’Algérie, il joua un rôle décisif dans la colonisation de celle-ci.
  • François Marcellin Certain de Canrobert, Maréchal français. Il s’illustra dans les principales campagnes du Second Empire.
  • Eugène Cavaignac: Gouverneur de l’Algérie (1848)

       Algérie-France : Incarner l’espoir

                             par Hafid Adnani *

  Une des préconisations du rapport rédigé par Benjamin Stora sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » est « l’organisation en 2021 d’un colloque international dédié au refus de la guerre d’Algérie par certaines grandes personnalités comme François Mauriac, Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, André Mandouze et Paul Rioeur ».

Il est en effet important pour les Algériens et les Français, notamment les jeunes, de se souvenir du débat intense qui régna autour de la guerre d’Algérie en France, de ne pas oublier que de nombreux Français d’Algérie et de métropole se sont opposés au système colonial en se positionnant du côté des colonisés durant cette guerre.Mais il faut aller plus loin encore, me semble-t-il : ajouter « les anticolonialistes de la première heure » qui ont jalonné l’histoire de la colonisation française de manière générale. Ils représentent de véritables ponts qui permettent de différencier la France en tant que nation, du système colonial ; les idéaux de la Révolution française, dont la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, de cette perversion de ces mêmes idéaux qui a permis le maintien de l’esclavage et la relance de l’aventure coloniale en 1830.

Ces femmes et ces hommes étaient français, attachés à une certaine idée de la France ; ils ont dit non au colonialisme en soutenant, lorsqu’ils ont vécu à cette période, la lutte de ceux qui étaient encore « les indigènes d’Algérie », pour leur indépendance.

Dans son «histoire de l’anticolonialisme» du XVIème siècle à nos jours (Editions Armand Colin, Paris, 2007) l’historien Claude Liauzu affirme qu’entre «l’exaltation du «rôle positif» de la colonisation et le procès de la République colonialiste, la France semble découvrir aujourd’hui son passé colonial. » Or le colonialisme et l‘anticolonialisme, mots inventés au XIXème siècle, renvoient à une réalité longue de cinq siècles qui va de la conquête de l’Amérique à la fin des grands empires coloniaux dans les années 1960. L’anticolonialisme est présent dès l’origine, se manifestant au cours des siècles par la critique du sort des Indiens (Bartolomé de Las Casas) ou la dénonciation de l’esclavage par les philosophes du XVIIIème siècle.

C’est un mouvement certes minoritaire, mais il est présent, entre autres, dans toutes les couches de la société française.

Les deux questions des anticolonialistes sont toujours d’actualité : comment aller vers des solidarités entre l’Occident et les pays anciennement colonisés ? Comment éviter la guerre des cultures par la reconnaissance de la pluralité et de la diversité de toutes les sociétés ? En ce qui concerne la recherche de relations apaisées entre la France et l’Algérie, ces deux questions deviennent lancinantes. Leur trouver des réponses, c’est permettre sans doute la naissance, en Méditerranée, d’un couple franco-algérien, à l’image du couple franco-allemand en Europe, qui serait d’une telle force, qu’il rendrait possible d’envisager un meilleur avenir pour les relations Europe-Afrique de manière générale.

Les véritables ponts que représentent ces personnages qui incarnent cette possible fraternité les rend indispensables comme repères pour tous, notamment pour la jeunesse des deux côtés de la Méditerranée, qui pourrait se reconnaître en eux et imaginer un rapprochement humaniste. L’Office Franco-Algérien de la jeunesse, préconisé par Benjamin Stora dans le même rapport, pourrait valoriser leur action. C’est qu’il n’y a pas une France colonisatrice et esclavagiste uniforme, mais une France qui a été traversée depuis le début, par des contestations, de la résistance et des débats sur des deux aspects de sa réalité. Il y a également, même si elle a été minoritaire, une France humaniste, une France des lumières, à laquelle tous les jeunes peuvent heureusement s’identifier aujourd’hui, qui s’est battue notamment, et parfois jusqu’à la mort, pour défendre ses idéaux, au profit des indigènes pendant la guerre d’Algérie.

Si Victor Hugo et Jules Ferry firent l’éloge de la colonisation française au XIXème siècle, on peut affirmer que de la controverse sur l’Algérie depuis l’expédition de 1830 jusqu’en 1962 et même à nos jours, les pourfendeurs de la colonisation puis les défenseurs de la liberté du peuple algérien ont été nombreux : Clémenceau, qui s’opposa violemment à Ferry à la Chambre des députés en 1885, le géographe Elisée Reclus, anarchiste et anticolonialiste, qui disparut en 1905, le peintre Etienne Dinet (qui se fit appeler Nasr Eddine) disparu en 1929 et converti à l’Islam, en 1913 et bien d’autres… jusqu’à Maurice Laban, mort les armes à la main en 1956 et engagé dans l’indépendance de l’Algérie, Fernand Yveton, guillotiné en février 1957 pour une « tentative de sabotage » pendant la guerre d’Algérie, Maurice Audin, mathématicien assassiné sous la torture en juin 1957, Henri Alleg, célèbre auteur de « La question » en 1958, réquisitoire contre la torture, qu’il a subie lui-même pendant la guerre d’Algérie, Pierre Vidal-Naquet, un des fondateurs du comité Maurice Audin et auteur notamment de l’affaire Audin en 1958… On peut encore citer, l’Abbé Pierre, le célèbre avocat Jacques Vergès, le mathématicien Laurent Schwartz, et plus proches de nous, les journalistes Hervé Bourges et Jacques Julliard, le géographe Yves Lacoste et bien d’autres encore…

Le philosophe Francis Jeanson, dont l’engagement pour l’indépendance de l’Algérie ne s’est pas limité à un engagement moral, mais s’est concrétisé par un acte politique qui avait pour objectif de maintenir, selon lui, « les chances d’une amitié franco-algérienne », créa le réseau « Jeanson » bien connu, notamment pour ses « porteurs de valises » en 1957 (réseau qui fût démantelé en 1960). Pour lui, une génération de jeunes algériens supplanteraient un jour « les combattants » du FLN et qu’il ne fallait pas que pour ces jeunes, l’image de la France soit celle de la violence guerrière et de la répression.

Cette chance sera préservée ; cette amitié franco-algérienne sera possible, si ces figures positives, comme Jeanson qui a vu manifestement très juste, sont mises en avant, notamment pour leur engagement contre la guerre d’Algérie et contre le système colonial. Personnellement, je me suis mieux senti en France après avoir lu et découvert bon nombre de ces noms, connu des professeurs notamment en classes préparatoires à Paris, qui m’ont « élevé » sans se soucier de mes origines, alors que j’arrivais d’Algérie à la fin des années 80, avec une image quelque peu écornée de la France. J’ai rencontré Pierre Bourdieu et connu l’engagement de Michel Rocard contre les camps de regroupement, je me suis lié d’amitié avec l’écrivain Jean Pélégri qui disait « Je crache sur le colonialisme » alors même que son père était un colon, j’ai appris ce qu’a été l’histoire de la famille Chaulet en Algérie et j’ai eu la chance de rencontrer certains de ses membres comme Christiane Chaulet-Achour, ce qu’ont été les combats de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir pour l’indépendance de l’Algérie, je me suis lié d’une amitié qui compte beaucoup pour moi, avec l’historien exceptionnel Jean-Luc Einaudi, qui s’est battu toute sa vie pour la reconnaissance du massacre des Algériens, le 17 octobre 1961 à Paris, et j’ai eu également la chance de croiser le chemin , ces dernières années, de Michèle Audin, mathématicienne et écrivaine, membre de l’Oulipo, et fille de Maurice Audin…

C’est à travers ces exemples, sans doute exceptionnels, mais nombreux, leur mémoire aussi pour ceux qui ne sont plus là, qu’une fraternité est possible entre la France et l’Algérie, qu’un rapprochement est possible pour faire front ensemble, une nécessité pour co-construire l’avenir.

Il est important de valoriser en France leur sentiment ou leur combat anticolonial et notamment pour l’indépendance de l’Algérie, dans les écoles, les collèges et les lycées comme une composante importante de leur action qui est toujours plus large que cela, et de mieux les faire connaître en Algérie.

Là encore, le rôle de l’école comme vecteur de ce message, est fondamental. C’est ainsi que Gisèle Halimi, disparue le 28 juillet 2020 est valorisée en France pour son combat féministe et à juste titre, mais son engagement total et courageux pour l’indépendance de l’Algérie, elle qui est native de la Goulette en Tunisie, est encore trop souvent occulté. Sa panthéonisation, recommandée encore une fois par Benjamin Stora, serait un acte fort dans cette fraternité franco-algérienne. On pourrait en dire autant, par exemple, de l’ethnologue Germaine Tillion, déjà panthéonisée pour sa part, qui réussit à obtenir de Yacef Saâdi en 1957 et en pleine bataille d’Alger, et après une rencontre secrète, l’arrêt des attentats contre l’arrêt des exécutions capitales des militants du FLN. Elle s’éleva également contre la torture. Ces Justes existent jusque dans l’armée française ; il faut ici ne pas oublier d’honorer la mémoire du Général Jacques Pâris de Bollardière, qui a pris publiquement position contre la torture, à son retour d’Algérie, en 1957, et qui en paya le prix fort…

Les Algériens et les Français quels qu’ils soient ; les jeunes, notamment algériens et français d’origine algérienne, souvent désorientés au milieu de cette histoire lourde et sanglante, cette histoire de domination, d’humiliation et d’aliénation qui n’en finit pas, ont besoin de cette incarnation, de la possibilité de ce lien fort entre deux rives que tout pourrait pourtant rassembler aujourd’hui, sur des bases réciproques de respect, d’amitié et d’intelligence.

Il faut alimenter leur pensée de ces exemples, de cette complexité, de cette possibilité du bien à travers ces itinéraires singuliers.

Rappelons-nous Hannah Arendt : « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal ».


* Est né en Algérie. Il est cadre supérieur de l’éducation nationale et doctorant en anthropologie au Laboratoire d’Anthropologie sociale du Collège de France où il travaille sur les élites « indigènes ».


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