Algérie / Crise financière: Une question d’argent !

       par Ghania Oukazi

«Pour nous, c’est une énigme parce que pour que l’Etat donne de l’argent, il faut qu’il ait des ressources, des rentrées financières, c’est comme un travailleur qui attend son salaire ».

   La réplique est de banquiers publics et privés à une question sur comment le gouvernement pourra-t-il mettre en œuvre les mesures décidées par le président de la République, qui consistent en le paiement mensuel de 10 000 DA aux personnes dont le pouvoir d’achat est impacté par les incidences de la crise sanitaire, la suppression de certaines taxes sur les salaires de 30 000 DA et moins et autres comme l’octroi de 30 000 DA aux travailleurs libéraux (chauffeurs de taxis, coiffeurs…).

    Ils demandent comment le gouvernement a-t-il pu recenser les bénéficiaires des 10 000 DA en l’absence d’instruments fiables de statistiques dignes de ce nom et d’enquêtes techniques sérieuses, pour que cette aide ne parte pas là où il ne faut pas ? Quel circuit s’est-il tracé pour les toucher et pour pouvoir parler de première et de deuxième tranche ?!? » Ils évoquent ce problème de la même manière que celui lié à l’argent informel. « Personne ne sait exactement le poids de la masse monétaire qui tourne en dehors des circuits bancaires, comment peut-on le savoir alors qu’on n’arrive même pas à recenser de manière exacte ceux qui doivent bénéficier de l’aide de l’Etat ?! ».

     Ils notent d’ailleurs qu’« on ne sait pas combien ces dépenses reviennent-elles à l’Etat et coûtent-elles au Trésor public, tout semble être fait pour mettre plein les yeux à l’opinion publique mais les comptes financiers sont bien plus difficiles à faire ». Il est fait état de la difficulté de « recenser les travailleurs au noir, ceux qui ne déclarent pas leurs employés, si le discours politique ne s’accorde pas à la réalité, l’Etat va entamer sa crédibilité parce que les crises sont déclenchées les unes après les autres, et comme la crise sanitaire est mondiale, elle entrave les initiatives les plus simples (….) ». A moins, pensent nos interlocuteurs « qu’on a de l’argent et on ne le sait pas, parce que l’équation est simple, pour payer quelque chose, il faut avoir de l’argent». Ils notent que «la majorité des entreprises sont à l’arrêt, soit par manque de plans de charge, de matières premières pour cause de fermetures des frontières, d’autres parce que leurs patrons sont en prison, des PME-PMI mort-nées pour causes de difficultés économiques et financières (…) ».

«Il faut faire redémarrer les entreprises fermées !»

Ils estiment que «l’activité économique avait déjà diminué au temps du hirak et les plus grosses pertes financières sont engendrées par la chute du prix du cours du pétrole qui empêche l’Etat d’engager des dépenses d’investissements parce qu’il vend son pétrole à bas pris pour n’engranger que très peu de rentrées fiscales ». Non seulement disent-ils « il y a une forte baisse de la fiscalité pétrolière mais l’Etat a décidé de retarder le paiement des impôts à cause de la crise sanitaire ». Question évidente « comment l’Etat peut-il dans ces cas-là équilibrer entre le peu de ressources financières qu’il détient et ses dépenses qui augmentent ? », interrogent nos sources. Leur autre interrogation presque au même moment est « comment va s’arranger le président pour ramener l’argent qu’il dit savoir où trouver ? » Il s’agit pour eux, « de l’argent dilapidé, bien sûr mais ça a pris beaucoup de temps, une année c’est trop pour décider de récupérer celui ici en Algérie, si les comptes ont bien été faits et qu’il existe vraiment, il a dû depuis changer de circuit, de main et de domiciliation, l’argent disparaît vite vers d’autres destinations, alors celui à l’étranger, il est inutile d’y penser, il fallait le négocier tout à fait au début de l’arrestation de ses « détenteurs ». Le plus urgent à faire, selon ces banquiers est de « faire redémarrer les entreprises fermées, il faut absolument éviter ce qui a été fait à Tonic Emballages comme destruction alors qu’il utilisait la point des technologies, c’est un véritable gâchis pour une économie qui cherche à remplacer la rente pétrolière par des activités productrices de richesses ». Nos sources abordent l’autre problème explosif « le manque de liquidités qui poussent des retraités à pleurer de détresse devant les bureaux de poste submergés par les files d’attente ». L’un des banquiers rappelle que « durant les années 90, on a beaucoup travaillé pour ne plus recourir à la monnaie Banque Centrale (monnaie fiduciaire) et la remplacer par la monnaie scripturale, depuis le temps que les établissements bancaires auraient utilisé le jeu d’écriture, ça aurait fait éviter de nombreux problèmes à l’économie, on aurait évité aussi ce genre de situation qui impacte les retraités les plus vulnérables (…) ».

Le poids de la centralisation et de la bureaucratie

Il rappelle que «chaque année, à chaque fête, ils vivent le même calvaire à cause du manque de liquidités, c’est dramatique». Nos interlocuteurs des banques privées nous renseignent qu’«il y a quelques années, certains d’entre nous ont fait convoyer des fonds vers les bureaux de poste de banlieues algéroises pour renflouer leurs caisses, mais le gouvernement a toujours refusé que ça continue de se faire alors que c’est ce genre de coopération et d’entente qu’on doit encourager».

Les banquiers dénoncent la lourdeur des procédures « pour lancer un certain nombre de services monétiques, pour régler un problème de carte bancaire, pour maintenir des DAB en service, sans compter que les banques publiques ne sont pas outillées pour en faire un instrument de paiement « populaire »». Incompétence ? Manque de volonté politique ? « Non, répondent-ils, c’est bloquer pour bloquer, des banques privées ont essayé de développer la monétique comme c’est fait ailleurs mais la bureaucratie les en a empêchées ». Certains ont, selon eux, proposé l’utilisation du téléphone mobile comme « terminal de paiement ». Ils expliquent « tout le monde a un téléphone en main, certains pays africains sont arrivés à le faire accepter comme moyen de paiement « électronique » par leurs populations, c’est simple mais chez nous on n’a pas pu le faire ! Il faut juste avoir un peu de bon sens ! » C’est, avoue-t-on « tout un système qu’il faut changer, un système qui doit en premier casser la centralisation des tâches et permettre aux initiatives de se libérer sans brandir le retour de bâton, sans menaces de sanctions (….) ». Interrogés sur l’efficacité des produits de la finance islamique, nos interlocuteurs répondent « ils ne sont pas nouveaux, ils existent chez nous depuis longtemps mais ne règlent pas toutes les crises ». Ils demandent alors « pourquoi en faire une question politique ?!? »

Ils sont unanimes à soutenir que « pour développer les systèmes modernes de paiement, il faut des compétences, des vraies et un plan clair ». Ils exhortent le président de la République à «faire appel aux anciens cadres des finances et du plan, ils sont tous à la retraite et n’attendent rien de personne mais ils ont des idées à donner, il faut les solliciter, leur permettre de s’organiser en think-thank, ils serviront d’éclaireurs, de lanceurs d’alerte, il faut leur donner la parole et leur permettre de donner leur avis, il faut éviter de les museler comme ça été le cas depuis les années 70, ces cadres à l’expérience reconnue pourront mettre au point des plans précis pour en premier arrêter l’hémorragie, le pays doit comptabiliser le peu de ressources qu’il a pour pouvoir les utiliser à bon escient ». Les banquiers reprochent par ailleurs à l’Etat la création en ces temps de crises, d’institutions et d’agences de recherche, de coopération internationale… « Si les objectifs sont nobles, si le pays en a tant besoin, ces institutions sont budgétivores, la conjoncture s’y prête mal parce qu’il n’a pas de moyens pour leur permettre de se déployer à travers le monde, alors à quoi il sert de les créer maintenant ? »

A toutes ces questions, celle cruciale s’impose «sur quelles hypothèses a tablé le président de la République pour affirmer que l’Algérie ne va recourir ni à l’endettement extérieur ni à la planche à billets ». Si pour la première option, les banquiers acquiescent, ils sont moins sûrs pour la seconde. «La planche à billets n’est pas du tout à exclure, si elle n’a pas été déjà mise en marche ».


 SELON UNE ENQUÊTE DU CREAD   Ce qu’il faut changer dans le système de santé 

 par Nawal Imès

Centralisé à outrance, budgétivore, très peu porté sur les nouvelles technologies, le système de santé est mis à rude épreuve depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Cette crise sanitaire est néanmoins riche en enseignements qui pourront servir de base à une réforme entamée depuis des années déjà. Moins de centralisation, un meilleur management, une plus grande rationalisation des dépenses et une meilleure estimation de l’élément humain sont des chantiers prioritaires. Le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement s’est intéressé à la problématique, livrant un diagnostic et des perspectives.

Dans une longue publication intitulée « Le système de santé algérien face à la crise sanitaire de Covid-19 : quels enseignements sur ses défaillances ? », le système de santé a fait l’objet d’une véritable autopsie.

L’auteur de la publication s’intéressant à l’impact du Covid-19 sur le système de santé affirme que la crise sanitaire « a clairement révélé les dysfonctionnements de notre système de santé ». Elle pourrait surtout ouvrir des pistes de réflexion pour le réformer. Premier axe : la décentralisation.
Zoulikha Snoussi, professeure à l’Université de Khemis-Miliana, estime, en effet, que « la réforme sanitaire devra commencer par une décentralisation du secteur donnant une vraie autonomie aux régions sanitaires ». Le système de santé algérien est qualifié de « fortement centralisé ». La preuve ? L’Institut Pasteur était seul habilité à effectuer les tests PCR depuis le début de la pandémie et jusqu’à fin mars 2020, alors qu’il n’était pas en mesure de répondre aux besoins de dépistage croissants. Résultat : plusieurs régions se trouvaient dans l’incapacité de mener des analyses pour confirmer ou non des cas suspects. Une hypercentralisation qui remonte à la période post-indépendance, estime l’auteure qui écrit que « c’est déjà à partir de 1973, date d’instauration de la gratuité des soins, qu’une triple centralisation est apparue: l’implantation des structures de soins à travers le territoire national à l’aide d’une carte sanitaire; le financement des dépenses de santé par un budget global forfaitaire préétabli, mais budgétisé au niveau des ministères de tutelle, et l’affectation autoritaire des médecins en fonction des localisations spatiales des structures publiques ».
L’approche centralisatrice, estime-t-elle, fait preuve de limites depuis déjà longtemps, dans plusieurs pays du monde et il serait temps de donner « une large autonomie » aux régions sanitaires pour planifier et décider sans y avoir l’obligation de recourir à chaque fois à l’administration centrale. Second axe de la réforme suggérée : la revalorisation de la ressource humaine. « Il devient impératif de revoir la formation et la gestion de la ressource humaine. De même que le soutien au secteur public est plus que jamais nécessaire, puisqu’il a prouvé en cette période de crise la disponibilité et la compétence de son personnel », écrit l’auteure de la publication.
Le développement de la téléconsultation devient également indispensable, dit-elle, estimant que « mis à part ces quelques initiatives timides, la téléconsultation reste encore peu utilisée en Algérie en raison, d’une part, d’une faible maîtrise des outils de la nouvelle technologie, particulièrement chez les personnes âgées, d’autre part, le problème de couverture du réseau internet dans certaines zones rurales et les perturbations des réseaux de connexion n’aident pas.
Des solutions peuvent rapidement être apportées, dit-elle, comme celle consistant à autoriser les pharmaciens à accepter les ordonnances scannées et envoyées au patient par internet avec, bien sûr, le cachet apposé et la signature du médecin et ce, lorsque le patient, l’assuré social consulte en ligne, notamment pour les malades chroniques qui sont déjà fichés dans la base de données des pharmaciens. Elle plaide pour « la mise en place d’un système de gestion électronique des ordonnances pour qu’elles soient acheminées directement par le médecin prescripteur vers le pharmacien d’officine, qui les transmettra à son tour aux Caisses d’assurances sociales, sans passer par le patient ».
Après plus de trente ans d’attente, dit-elle, il est temps « d’actualiser les tarifs de remboursement des actes médicaux et la procuration sûre et durable des médicaments ».
Pour l’auteure de la publication sur les cahiers du Cread, les dépenses de santé sont en augmentation, mais le problème de fond est le management défaillant.
Les questions à traiter sont diverses : gestion et valorisation de la ressource humaine, financement de la santé, décloisonnement public-privé, prise en charge des malades, manque de moyens, corruption, inégalités d’accès aux soins et aux médicaments, programme d’enseignement et formation des médecins, acquisition et maîtrise des nouvelles technologies.
Des pistes que le nouveau ministère délégué à la Réforme hospitalière aura certainement à explorer, une fois tous les enseignements de la crise tirés.
N. I.


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