L’Algérie demande à la France la «totalité de ses archives» sur la colonisation

   Avec AFP

Cérémonie de prise de fonction du gouverneur général d’Algérie Roger Léonard le 18 mai 1951 à Alger.           Source: AFP (image d’illustration).

 

Le directeur des archives algériennes a, au nom de son pays, réclamé la «totalité de ses archives» françaises sur plus de 130 ans d’histoire coloniale dans la logique avancée de bâtir des «relations apaisées et équilibrées» entre les deux pays.

L’Algérie exige de la France qu’elle lui remette «la totalité» des archives de la période coloniale (1830-1962) la concernant, comme l’a réaffirmé le 21 décembre le directeur des archives algériennes, Abdelmadjid Chikhi.

Nous œuvrons à ce qu’il fasse partie de relations apaisées et équilibrées

Abdelmadjid Chikhi a été chargé en juillet par le président algérien Abdelmadjid Tebboune de travailler sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, de concert avec l’historien français Benjamin Stora. «L’Algérie réclame la totalité de ses archives, dont une grande partie se trouve en France, qui a toujours avancé de faux prétextes, comme par exemple la déclassification de nombre d’archives pourtant réunies depuis plusieurs décennies», a déclaré Abdelmadjid Chikhi, cité par l’agence officielle APS.

«Les demandes de la partie algérienne sont claires et ne nécessitent pas de concertations», a estimé le directeur des archives nationales algériennes, ajoutant que «la question [était] immuable car le passé ne saurait être effacé ou oublié». «Nous œuvrons à ce qu’il fasse partie de relations apaisées et équilibrées» à construire entre les deux pays, a-t-il ajouté, lors d’une conférence de presse au siège de la radio publique à Alger.

Un rapport prévu en France

Evoquant la mission conjointe sur les questions mémorielles, Abdelmadjid Chikhi a précisé ne pas avoir commencé à travailler avec Benjamin Stora qui, explique-t-il dit, l’a contacté une seule fois par téléphone «pour s’excuser de ne pouvoir entamer le travail ensemble en raison d’un rapport demandé par le président Macron sur les étapes et les priorités de ce travail pour la partie française».

Benjamin Stora a été chargé par Emmanuel Macron de «dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie», dans le but de «favoriser une réconciliation franco-algérienne». L’historien français, spécialiste de l’histoire de l’Algérie, doit remettre son rapport à l’Elysée le mois prochain.  Abdelmadjid Chikhi a fait état d’«entraves» au travail de Benjamin Stora, mentionnant «des parties en France qui cherchent à enterrer le passé et veulent que nous l’oublions».  «Il existe dans la société française des associations actives clamant que nous avons volé l’Algérie à la France, c’est inconcevable», a accusé l’archiviste algérien.

Des archives «inaliénables et imprescriptibles»

Ce dernier a également critiqué la législation française de 2006 sur les archives publiques, stipulant qu’elles sont «inaliénables et imprescriptibles», en estimant que ce dossier «objet de négociations, n’est pas encore clos». La France a restitué à l’Algérie une partie des archives qu’elle conservait, mais elle a gardé la partie concernant l’histoire coloniale et qui relève, selon elle, de la souveraineté de l’Etat français. L’accès aux archives de la colonisation, déménagées en France après l’indépendance de l’Algérie en 1962, est une des principales revendications des anciens combattants algériens.


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L’Algérie exige de la France qu’elle lui remette «la totalité» des archives de la période coloniale algérienne. Une erreur selon Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS, pour qui ces archives devraient être déclassifiées et ouvertes à l’étude de tous les historiens, seul moyen d’avoir une lecture dépassionnée de cette période délicate.

Depuis l’été 2020, l’historien Benjamin Stora et le directeur des archives algériennes, Abdelmadjid Chikhi, travaillent ensemble pour «confronter et discuter» les mémoires de part et d’autre de la Méditerranée.

 

Une initiative politique prise de consort entre Alger et Paris, dans le but de produire une historiographie plus équilibrée de cette période extrêmement controversée, et ainsi de réconcilier les mémoires. Un objectif qui, selon Brahim Oumansour, spécialiste franco-algérien du Maghreb et chercheur associé à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), serait impossible à atteindre:

«C’est trop ambitieux de vouloir réconcilier des mémoires qui sont, de fait, irréconciliables. On ne peut pas réconcilier les mémoires d’un colonisé et d’un colonisateur, ou les mémoires d’un tortionnaire et d’un torturé.»

Pour lui, «conditionner la réconciliation des populations des deux pays à travers la réconciliation des mémoires est non seulement un leurre, mais également un processus condamné à l’échec. Le procédé logique devrait être de réconcilier les populations

Une histoire, plusieurs mémoires

Il conviendrait donc selon lui d’établir l’historiographie la plus précise possible, de laisser les gens étudier cette histoire et se l’approprier comme ils l’entendent.

 

D’autant que ces mémoires s’avèrent «multiples» et non «unitaires» de part et d’autre de la Méditerranée, pense le chercheur. Entre un pied-noir français et un individu qui se revendique du courant indigéniste français, le fossé sur la question mémorielle de l’Algérie est abyssal. Idem en Algérie concernant un ancien harki (Algérien s’étant battu aux côtés des troupes françaises lors de la guerre d’Algérie), et un ancien du FLN (Front de libération national algérien).

«Pour aller au-delà de ces visions opposées et de ces tensions, il faudra dépassionner et dépolitiser le sujet», explique Brahim Oumansour avant de préciser: «La question mémorielle de la période coloniale a souvent été instrumentalisée tant par la France et que par l’Algérie. Cela complique le travail des historiens, car beaucoup d’archives restent classées pour des raisons purement politiques.»

L’origine politique de l’initiative ne peut que la fausser, pense notre interlocuteur.

D’autant que nombre d’archives restent classifiées, ce qui empêche les chercheurs d’atteindre une vision parfaitement empirique de la question. Pour lui, les archives devraient être déclassifiées et laissées entre les mains d’historiens, aussi bien français qu’algériens.

Instrumentalisation de l’Histoire

Tant que ces questions seront débattues à chaud dans l’arène politique, il sera impossible d’en discuter de manière apaisée, constate notre interlocuteur. Le défi serait donc d’assurer les conditions d’une étude véritablement scientifique.

«Du côté algérien, la question coloniale a toujours été utilisée par le pouvoir en place comme légitimation du pouvoir», analyse Brahim Oumansour.

Une instrumentalisation qui est aussi présente côté français: «elle est le fait de certains lobbies et autres groupes de pression, notamment d’extrême droite.» Parmi lesquels les harkis et pieds-noirs, et l’ensemble des nostalgiques de l’Algérie française, qui bloquent souvent toute initiative de réconciliation.

«Le récit algérien est exalté comme tous les récits fondateurs, le récit français est amputé. Le premier doit se rapprocher de la réalité des faits avec leurs nuances. Le second doit se libérer pour accepter les faits», plaide dans La Croix l’éditeur de livres d’histoire Rachid Khettab.

Archives françaises ou algériennes?

Les grandes déclarations à la presse, comme celle d’Abdelmadjid Chikhi réclamant le transfert de la totalité des archives de l’époque, résulteraient d’une forme de démagogie, nourrissant les antagonismes, estime Oumansour. Aussi juge-t-il que «la demande d’Alger risque de tuer dans l’œuf la démarche entreprise par Benjamin Stora et Abdelmadjid Chikhi de réconciliation des mémoires, même si celle-ci a déjà peu de chances d’aboutir.» D’autant que ce sujet des archives pose le u problème de leur propriété:

«Sur la question des archives, deux légitimités s’affrontent. L’Algérie joue sur le fait que celles-ci se trouvaient sur le sol algérien au moment des faits, et elles font donc partie de l’histoire algérienne. La France de son côté, joue sur le fait que ces archives concernent les autorités françaises, car l’Algérie était considérée comme un territoire français.»

Un accroc de plus qui illustre les nombreux obstacles qu’il reste à franchir pour arriver à avoir un regard apaisé et historique sur la question de la colonisation de l’Algérie. Et ce, des deux rives de la Méditerranée.


 

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