LIVRES / ALGER… JUSQU’AUX TRÉFONDS DE LA NUIT !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

                                                                       Livres

Minuit à Alger.Roman de Nihed El-Alia. Barzakh Editions, Alger 2022, 242 pages, 800 dinars

Réaliste ? Surréaliste ? Le nouveau roman est en train d’arriver… avec «Minuit à Alger», un titre qui, à lui seul est tout un programme. On a eu, par le passé, quelques rares ouvrages (dont «Cœur de métal», de Micha, Dalimen 2013 et «Alger, quand la ville dort», ouvrage collectif, Barzakh 2010… lire plus bas) décortiquant la Capitale de nuit, mais jamais dans ses profondeurs. C’est, désormais, fait.

L’histoire? Le journal de bord d’une jeune fille (?) encore en fleurs, belle, sexy et rebelle (n’ayant aucun souci financier et matériel, étant fille unique d’un couple de médecins soucieux seulement de sa propre réussite ), faussement superficielle et totalement déjantée, qui brûle sa vie, de préférence de nuit, entre Alger et Paris, en compagnie de la «jeunesse «dorée algéroise et en des endroits réputés, aux prix inabordables, donc peu connus du citoyen lambda.

C’est donc une chronique de l’autodestruction d’une vie assumée sur fond de drogues, de sexe et d’abus en tous genres.

On danse, on s’enivre, on sniffe, on écoute en boucle des sons hypnotiques, on roule à tombeau ouvert sans respect pour le code de la route au nez et à la barbe des agents de police…

L’écho d’une époque (années post-2010, durant lesquelles l’argent facile de la rente coulait à flots dans les comptes des nouveaux oligarques et des «barons» du pouvoir de l’heure) certes, mais l’image d’une frange de société – nouveaux et anciens riches, beggarine ou bourgeois – bel et bien ayant existé et… existant depuis toujours, malgré toutes les nouvelles pressions cultuelles. Alger by night… «Une ville que l’on dit blanche mais qui est en fait noire. Noire dedans dehors et autour» selon Mohamed Kacimi… comme toutes les grandes capitales du monde… a ses fans, ses «générations scarface» et ses… amoureux. Un amour absurde, destructeur mais une alliance éternelle.

L’Auteure : Pseudonyme. Née à Alger en 1940. Premier roman

Extraits : «Ici (Alger), on dira d’une femme qui fume discrètement qu’elle a un mauvais genre, de celle qui le fait en public, qu’elle est une pute» (p14), «Circuler dans la ville, la nuit, c’est goûter, un peu, à l’interdit, et surtout à ma liberté. C’est vivre dans un monde qui voudrait m’effacer» (p28), «Les repas donnent leur sens à une journée algéroise. On parle de ce qu’on a mangé ou de ce qu’on va manger… Le choix manque pour se divertir, alors on se remplit le ventre et les repas finissent par ponctuer la vie» (p87), «Alger by night, c’est aussi ça.

Des lieux underground, où sont célébrés l’ivresse, l’amour et les plaisirs de la chair. Ces lieux où ni ton origine sociale, ni ton métier, ni ta gueule, ni ton orientation sexuelle n’ont d’importance. Voilà ce qu’est un cabaret algérien, une zone grise, une enclave, où tout jugement est suspendu» (p168)

Avis : Vie excessivement romancée ou roman réellement vécu ? On ne sait. Peut-être les deux. Les «très fofolles nuits d’Alger» ? En tout cas, un petit «pavé» qui brille bien plus par ce qui est raconté que par le style avec lequel la vie est racontée.

Citations : «Le jour, Alger retire ses bas résille et enfile sont haik. Cette ville est atteinte d’une forme de trouble de la personnalité. Bipolaire, narcissique, Alger est malade» (p 85), «A Alger, on mange, ici (Paris) on dépense» (p 129), «L’alcool n’a pas les mêmes effets sous des cieux où il n’est pas un péché» (p135), «Nous sommes dans un pays gouverné par les femmes. Ce sont elles qui ont le pouvoir, parce que ce sont elles qui inculquent le code de conduite à leur progéniture» (p179)

Alger, quand la ville dort. Récits de Kaouther Adimi, Chawki Amari, Habib Ayoub, Hajar Bali, Kamel Daoud, Ali Malek, Nasser Medjkane, Sid Ahmed Semiane. Editions Barzakh, Alger 2010. 168 pages, 750 dinars (fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)

Huit auteurs : Kamel Daoud, Habib Ayoub, Kaouther Adimi, Chawki Amari, Hajar Bali, Nacer Medjkane (photos), Ali Malek, Sid Ali Semiane (photos et texte), chacun à sa manière ou, plutôt, chacun avec un «angle d’attaque» (jargon journalistique) qui lui est propre, s’attachant, à travers une ou plusieurs histoires s’enchevêtrant, à «décrire» une «ville dans la nuit» (on se souvient de «Asphalt jungle»… le fameux film de John Huston)… une ville qui n’a rien d’une Capitale d’un pays «émergent», fortuné et méditerranéen, ouvert sur la vie et l’espoir d’un lendemain meilleur : Alger-triste, Alger-solitaire, Alger-misérable, Alger –monotone, Alger-lugubre, Alger-violente, Alger sale, Alger –folle, Alger-sauvage, Alger-meurtrière, Alger-vautour… Ville- traîtresse, ville-fourbe, livrée aux putes, aux maquereaux (- elles) et aux dealers, livrée aux bars et aux salles de jeux clandestines, destinés aux paumés, livrée aux nouveaux «beaucoup flouss » (et/ou à leurs fistons chéris) qui confondent, avec arrogance, possession d’argent («arrivé» souvent bien facilement ) et «pouvoir»… Des «saigneurs».

Peu de sourires et encore moins de rires. Peu de scènes cocasses, mais surtout des drames. Tragi-comédie de la vie ? Drames ordinaires ? Oh, que non ! La tragédie de la vie avec des vies banales, frisant (et souvent vivant) le tragique, pour sûr ! Entre le réalisme cru et le surréalisme, leurs plumes balancent. Des textes d’une rare «dureté»… avec le regard d’ «observateurs sociaux» qui ont su transcrire la misère, le désespoir, la solitude, et la violence des gens de la nuit algéroise. Elles sont vraiment loin, très loin, les «folles nuits d’Alger» des années 60 et 70 avec, malgré tous les dépassements, une certaine joie de vivre. Aujourd’hui, la jouissance sans limites, au moment où les «honnêtes gens» dorment… tranquillement dans les bras de «bobonne». Alger 2000… Brr !froid dans le dos.

Avis : A lire pour le grand, l’immense plaisir de (re-) découvrir la «littérature djadida», celle du mal-être, «engagée» sans tabous ni garde-fous. Et, quel style. Mais, attention à la déprime !

Phrases à méditer : «Il n’y a rien de blanc dans cette ville, le drap d’une pute n’est jamais blanc» (p.17), «Tout est si loin quand on est si petit» (p.73), «Clint Eastwood a raison : il y a ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Je crois que moi, je creuse, et que c’est cette ville de malheur qui est armée» (p.147) et «La police ne protège pas du crime. Quand sa présence est démesurée, elle le crée en créant des coupables» (p 153)


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