L’autorité corrompue : quand l’État devient l’ennemi

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Patrick de Pontonx, pour
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« L’autorité est un principe politique vital, qui oriente une société vers des finalités correspondant globalement à son bien. »        (c) Image par Reimund Bertrams de Pixabay

TRIBUNE/OPINION – La crise démocratique actuelle, exaspérée par les comportements gouvernementaux, n’a pas que des mauvais côtés. Comme toutes les crises, elle porte à réfléchir. Qu’est-ce qui se passe, et pourquoi ? Au centre de ces interrogations, se situe celle de l’autorité. Il faut à cet égard distinguer « l’autorité » et « les chefs ».

Les chefs exercent l’autorité. Là où il n’existe pas de chefs, l’autorité, en effet, n’est pas exercée. Mais là où de mauvais chefs l’exercent, alors c’est l’autorité qui est corrompue.

L’autorité est un principe politique vital, qui oriente une société vers des finalités correspondant globalement à son bien. Par l’impulsion donnée, elle apporte au corps social sa cohésion, son unité, sa paix relatives. Celle-ci est l’équilibre résultant d’un mouvement sagement dirigé. Il en est analogiquement de même dans toute forme de société, y compris familiale, chacun le sait bien.

« De mauvais chefs, à dire vrai, il y en eut toujours, comme il y eut toujours de mauvais parents. »

Les anciens la qualifiaient de « force ordonnatrice ». Le bon chef, par sa vision, par les vertus qu’il cultive, sert ce principe, notamment par l’exemple donné. Le mauvais chef, au contraire, l’oriente vers des fins destructrices et, en retour, tous les liens sociaux sont distendus et dévoyés. C’est ce que nous vivons. Et lorsque ces fins sont recherchées pour le profit propre de celui qui exerce l’autorité ou du milieu auquel il appartient, il y a tyrannie, qu’elle soit individuelle ou oligarchique.

De mauvais chefs, à dire vrai, il y en eut toujours, comme il y eut toujours de mauvais parents. La singularité de notre époque est que le chef a été remplacé par le technicien et le gestionnaire, par le spécialiste des mécanismes. À la malice susceptible d’affecter en tout temps n’importe quel « dirigeant », elle a ajouté l’aveuglement propre à des personnels étatiques incapables d’aucune appréhension du monde qui ne soit seulement comptabilisable et chiffrable, selon des « indices » allant du niveau de satisfaction des opinions à celui de la notation financière d’un pays. La facilité avec laquelle ces personnels migrent vers le « monde des affaires », une fois leurs échecs gouvernementaux consommés, est à cet égard significative.

Autrefois, pour parler d’un « chef », dans la sphère politique, on parlait d’un « homme d’État ». Cette expression, qui a déserté la terre parce qu’elle a désespéré d’y trouver un ami, suggérait autorité et compétence. Elle illustrait surtout ce fait que le « chef » exerce paradoxalement un service. Celui de « l’État » en l’occurrence, entendu comme collectivité publique. Ce n’est pas que les politiciens du jour en aient perdu tout souvenir.

Aux confins de leur étique mémoire, ils pensent à de Gaulle, et invoquent à l’occasion ses mânes. Mais il est tout à fait certain qu’ils ne craindraient rien tant que de les voir s’éveiller. Leur vision mécaniciste du pouvoir, leur divorce d’avec toute morale et leur goût prononcé pour les pantomimes médiatiques dans lesquelles leur narcissisme puise tant de jouissance, ne peuvent que les rendre spontanément réfractaires à toute personne qui serait animée par un authentique sens de l’État.

« Le politicien lui-même est devenu si étranger au corps social, par ses mœurs et sa psychologie, qu’il est désormais commun (…) de l’opposer aux hommes et aux femmes dits « de la société civile », comme si lui-même n’en faisait plus partie. »

Le concept d’État, il est vrai, a toujours été difficile à saisir, en lui-même et dans son rapport à la société. Jadis, il n’était guère distingué de cette dernière. Aujourd’hui l’État est perçu, et vécu, comme une sorte de micro-société séparée, détachée du réel, regroupant à des échelons différents des technocrates nourrissant un système tentaculaire, et en vivant, par la vampirisation du corps social. L’État est devenu, l’économisme et le technocratisme y aidant puissamment, ce corps étranger que décrivait déjà Jouvenel par cette formule lapidaire : « l’État, c’est eux ».

Ce monstre hostile, menteur par action et par omission dont parlait aussi Nietzsche et qui entend se substituer au peuple. Le politicien lui-même est devenu si étranger au corps social, par ses mœurs et sa psychologie, qu’il est désormais commun, sans que nul ne s’étonne de cette évolution pourtant significative du vocabulaire, de l’opposer aux hommes et aux femmes dits « de la société civile », comme si lui-même n’en faisait plus partie.

Plus qu’étranger : pour beaucoup de Français, l’État est devenu ennemi, voire l’Ennemi, ce qui n’est pas la moindre des composantes de la crise actuelle. Ennemi de leur survie, ennemi de leurs libertés, ennemi du fruit de leur travail, ennemi de leurs familles, de leurs écoles, de leurs patrimoines culturels et matériels, complice de leur insécurité et de l’envahissement ethnique et religieux dont ils sont victimes, complice de la dégradation incessante de leur vie et de leur identité.

L’État n’est même plus celui dont on attend tout, mais celui qui prend tout, qui vole tout, jusqu’à l’honneur des petits. Il fallait que M. Macron fût pris d’une crise d’autisme ou d’illuminisme totalitaire singulièrement aigüe pour oser lancer un jour à des entrepreneurs : « l’Urssaf est votre amie », comme d’autres ont pu affirmer : « le Parti est votre ami », ou « les organes de l’État » sont vos amis.

Il convient dès lors d’excuser quelque peu sur ce point les politiciens du jour de leur impuissance à devenir des hommes d’État : on ne sert pas un tel État, qui n’appelle ni dévouement ni respect ; on s’en sert, et c’est précisément ce qu’ils font.

« Les apprentis dirigeants gagneraient davantage à pratiquer le scoutisme qu’à fréquenter les salles de classe de l’ENA, de son sosie l’INSP ou de Science Po. »

La restauration de la notion de chef, de l’autorité, de l’État passerait, peut-on se hasarder à l’affirmer, par une restauration majeure de la notion de service et d’exemple, et par la revalorisation correspondante de celle de « service public » dont les familles, à restaurer elles-mêmes, sont le lieu naturel d’apprentissage.

Sous ce rapport, même si cela relève partiellement de la boutade, les apprentis dirigeants gagneraient davantage à pratiquer le scoutisme qu’à fréquenter les salles de classe de l’ENA, de son sosie l’INSP ou de Science Po. L’incapacité manifeste de ces institutions à transmettre ce sens du service, du dévouement et de l’exemple est assurément la plus haute raison de les transformer radicalement ou de les supprimer absolument.

Cependant, une telle restauration suppose une restauration correspondante de la morale publique que rien, pour l’heure, ne permet trop d’augurer. Les politiciens du jour, en tout cas, seraient bien incapables de l’apporter puisqu’ils la rejettent tout autant qu’ils la haïssent. C’est leur problème majeur, et le nôtre. L’espoir pourtant demeure, pour peu qu’il s’arme de courage. La politique reste l’art du possible, même pour les gens de bien, et une lutte incessante contre la fatalité.


  • Patrick de Pontonx est avocat au barreau de Paris

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