Algérie / Interview exclusive – L’avocate d’Ali Ghediri, Maître Nabila Slimi, se confie

Algérie Résistance

   Mohsen Abdelmoumen : Vous êtes avocate et vous faites partie du collectif d’avocats défendant le Dr Ali Ghediri, ancien candidat à la présidentielle de septembre 2019 en Algérie, et que j’ai interviewé en avril de la même année. Pourquoi le Dr Ghediri est-il en prison ? Que lui reproche-t-on au juste ?

Maître Nabila Slimi. DR.

Maître Nabila Slimi : Le Dr Ghediri est incarcéré à la prison d’El-Harrach depuis le 13 juin 2019 pour deux accusations, la première s’agissant de trahison et d’espionnage. En effet, on accuse le Dr Ghediri de complicité – avec un accusé principal qui est un certain H.G., ancien président d’un parti politique – et pour avoir livré à une puissance étrangère ou à ses agents sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, un renseignement, objet, document ou procédé qui doit être tenu secret dans l’intérêt de la défense nationale ou de l’économie nationale. Cette accusation est citée et punie de la peine de mort conformément à l’article 63 du code pénal algérien.

La seconde accusation pour laquelle est poursuivi le Dr Ghediri, c’est d’avoir participé en connaissance de cause à une entreprise de démoralisation de l’armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale. Cette accusation est citée et punie par la réclusion d’une à cinq années.

Il faut dire que depuis le 10 juin 2020, la chambre d’accusation a décidé d’abandonner la première accusation – la trahison – pour absence d’éléments, mais a maintenu la seconde et a transféré le dossier du Dr Ghediri au tribunal criminel pour être jugé lors de la prochaine session, ce qui n’est plus le cas après avoir entamé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême.

D’après vous, le Dr Ghediri n’est-il pas victime des règlements de comptes politiques suite à sa candidature à la présidentielle ? Le Dr Ghediri n’est-il pas un détenu d’opinion, ou plus exactement un prisonnier politique ?

Nous sommes dans le tiers-monde où l’on ne peut pas faire de la politique sans risquer des désagréments. De là à dire qu’il s’agit d’un règlement de comptes, tout est possible, quoique, s’agissant du Dr Ghediri, il a pris soin, lors de toutes ses interventions, de ne froisser personne en particulier. Il s’est attaqué au système sans citer un seul nom. S’il y a des gens qui se sont senti visés, ce n’est guère la faute du Dr Ghediri. Sur un autre plan, lorsque l’on a passé 42 ans de service dans l’armée, ce n’est pas sans se faire des amis, mais aussi des ennemis. Ce qui fait mal, c’est justement ce mélange de genres auquel ont recours certains pour se faire prévaloir aux yeux des décideurs, ce qui semble être le cas, confondant les questions d’ordre professionnel avec celles à caractère politique. Et la scène politique devient, ainsi, un espace non pas d’idées mais de coups bas.

Comment le Dr Ghediri supporte-t-il son incarcération, sachant qu’il a été atteint par le Covid-19 ? Et comment sa famille supporte-t-elle cette injustice ?

Le Dr Ghediri fait de son incarcération une lecture purement politique. Il considère sa détention comme arbitraire et relevant exclusivement de considérations éminemment politiques. Il refuse de s’abaisser au niveau de ceux qui ont été derrière toute cette cabale. Quant à sa famille, ses enfants continuent toujours à servir sous les drapeaux avec engagement et dévouement, et nourrissent des valeurs qui leur ont été inculquées par leur père.

Ceci étant, sa famille n’est pas sans souffrir de cette injustice qui frappe leur père qui a toujours servi son pays avec abnégation.

En tant qu’avocate, que pensez-vous de la durée de détention provisoire du Dr Ghediri ?

Le dossier du Dr Ghediri est vide. Nous avons attendu une année pour que l’instruction arrive à sa fin et que la chambre d’accusation prononce son délibéré. Mais, personnellement, j’ai été surprise par sa décision d’abandonner la première accusation concernant la trahison, alors que la seconde a été maintenue sans aucun fondement. Le pire, dans ce cas, c’est que la chambre d’accusation a qualifié le fait comme étant un «crime», alors qu’il était qualifié comme «délit» pour tous les autres détenus politiques qui sont aujourd’hui en liberté provisoire.

Bien évidemment, le Dr Ghediri, et même nous autres, ses avocats, avons refusé cette décision non fondée et avons fait un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, mais cela va prendre des mois, voire une année, pour que le dossier soit renvoyé encore une fois à la chambre d’accusation pour revoir le dossier du Dr Ghediri devant une justice à laquelle ce dernier croit fermement.

Quel est son état d’esprit sachant qu’il a servi l’Algérie ? Ne devrait-il pas être réhabilité ?

Le Dr Ghediri, pour ceux qui le connaissent, a un sens aigu de la politique, en général, et du militantisme, en particulier. Il considère que le sacrifice fait partie de l’exercice de la politique et constitue le couronnement de l’action militante. C’est dans cet esprit qu’il appréhende son incarcération, ce qui n’est pas sans impacter son moral pour le rendre résistant aux dures conditions de la prison.

Il ne faut pas perdre de vue que c’est un militaire et qu’il est, de ce fait, préparé à toutes les formes de résilience. Il prend les choses avec beaucoup de hauteur et de philosophie, ce qui est conforme à sa condition et à son rang.

Quant à sa réhabilitation, on remarque tous le début de l’élimination du système mafieux qui a régné sur le pays depuis plus de vingt ans, où beaucoup de personnes, militaires ou politiques, ont été écartées à cause de leur honnêteté et de leur courage face à des corrompus qui ont été la cause de la situation dans laquelle le pays se trouve actuellement.

Cela dit, pour l’intérêt public, il vaudrait mieux prendre des décisions fortes et libérer tous les détenus d’opinion, en général, et les détenus politiques plus précisément afin que tous contribuent à la construction d’une nouvelle Algérie.

Le Dr Ghediri a servi plus de 40 ans dans les rangs de l’ANP et a été major de promotion à l’Académie militaire de Moscou où son nom est gravé dans le marbre et où a été formé, entre autres, le président Poutine…

Comme vous le dites, le Dr Ghediri a été récompensé plusieurs fois au cours de ses 42 ans de service par des pays étrangers, dont la Russie, la Syrie et les Etats-Unis, et la triste réalité, c’est que cela n’a pas été le cas en Algérie car, au lieu de lui rendre hommage après sa retraite, on le met en prison juste parce qu’il voulait être président de la République et avait promis la rupture avec le système.

Contrairement aux autres militaires qui ont pris leur retraite, le Dr Ghediri a fait des études en sciences politiques et a même obtenu son doctorat avec une très bonne mention. Il a fait aussi des études de management, il parle trois langues étrangères et a beaucoup d’idées qui peuvent être utiles pour résoudre les problèmes dans différents domaines. Je pense qu’il est temps de mettre fin aux règlements de comptes et d’investir dans toute personne ayant la capacité de donner un plus pour le développement du pays. Etant proche du Dr Ghediri depuis son incarcération jusqu’à ce jour, je ne pense nullement que ce dernier hésitera à servir encore le pays avec dévouement.

Y a-t-il une explication juridique à cette accusation d’«atteinte au moral de l’armée» ?

Les donneurs d’ordre se sont basés sur la teneur de l’interview parue dans le journal El-Watan du 25 décembre 2018, pour trouver matière à incriminer le Dr Ghediri. Je vous invite d’ailleurs à lire l’article et je vous laisse seul juge. L’intéressé considère qu’il s’agissait d’un subterfuge pour justifier son incarcération et l’empêcher ainsi de participer aux élections présidentielles projetées.

Etes-vous optimiste pour la suite, sachant que plusieurs hauts gradés et autres officiers incarcérés injustement ont été libérés ?

Personnellement, je crois aux mesures d’apaisement prises par le président de la République et telle est l’opinion du Dr Ghediri. C’est la raison qui l’a amené à s’adresser au premier magistrat du pays par le biais d’une lettre ouverte. M. Tebboune nous parle de ses bonnes intentions mais on aimerait voir cela sur le terrain, en commençant par rendre justice à tous ceux qui ont été victimes du système, dont le Dr Ghediri.

Comment expliquez-vous qu’un homme qui a servi le pays avec dévouement, issu d’une famille respectable, se fasse traiter de cette manière, alors que certains malfrats jouissent d’une liberté totale ?

Le Dr Ghediri, contrairement à d’autres personnalités, a fait face à un clan mafieux et a promis la rupture avec ce dernier. Il a voulu aussi se présenter aux élections présidentielles. En conclusion, il «dérangeait» beaucoup parce qu’il était au courant du complot du cinquième mandat et de ce qu’il se passait dans les coulisses de ce système mafieux. Sa présence sur la scène politique ne plaisait pas à certains qui avaient un autre projet pour l’Algérie.

Avez-vous un message à adresser à l’opinion publique ou aux autorités algériennes concernant l’affaire du Dr Ghediri ?

Je pense que le message est déjà passé dans les deux lettres écrites par le Dr Ghediri, que ce soit dans la première lettre ouverte destinée à tout le monde, mais en particulier au premier magistrat du pays, ou dans la seconde lettre datée du 6 juillet dernier et destinée à l’opinion publique, lorsque le Dr Ghediri avait décidé d’entamer une grève de la faim qui a été interrompue six jours plus tard, suite à sa contamination au Covid-19 à la prison d’El-Harrach. En lisant ces deux lettres, vous allez certainement trouver beaucoup de messages, tels que le caractère injuste de cette incarcération, qui nécessite vraiment une réaction du président de la République en tant que premier magistrat du pays, conformément à la Constitution algérienne.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

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