Benjamin Stora revient sur l’histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie : «Tout n’a pas encore été dit et écrit»

   Auteur d’un rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie rendu public en janvier 2021, l’historien Benjamin Stora plus qu’un chercheur, est un passionné des questions mémorielles. Dans cet entretien express, il revient sur le dernier voyage d’Emmanuel Macron en Algérie puisqu’il a fait partie de la délégation présidentielle. Il s’explique ainsi sur les objectifs de cette «commission mixte d’historiens» décidée par les deux Présidents.

 

   L’Expression: Peut-on connaître votre appréciation de la visite effectuée, la semaine dernière, par le président Macron en Algérie?
Benjamin Stora: Je ne connais que ce qu’il s’est passé sur les questions mémorielles. Sur d’autres questions touchant à l’économie ou l’immigration, les responsables des deux pays ont réussi à se mettre d’accord sur de nombreux aspects.

Avez-vous senti une évolution depuis votre dernière visite à Alger à l’occasion du 60e anniversaire de l’Indépendance?
C’est lors de ma visite au moment de mon invitation pour le 60e anniversaire de l’Indépendance, les 4 et 5 juillet à Alger, que j’ai senti une évolution, avec les échanges fructueux que j’ai eus avec le président Abdelmadjid Tebboune, touchant à l’histoire de la colonisation.

Les deux Présidents ont convenu de la création d’une «commission mixte d’historiens», afin de «regarder l’ensemble» de cette période historique. Pouvez-vous nous éclairer davantage sur ce dossier?
Il s’agira d’un travail conjoint possible entre les historiens des deux pays. Tout n’a pas encore été dit ou écrit à propos de la longue histoire de la colonisation française (132 ans), et de la guerre d’indépendance algérienne.
Il y a encore beaucoup d’archives à voir, des témoins à écouter. Heureusement d’ailleurs, car il n’y a pas d’histoire définitive, finie, au risque d’une histoire officielle. L’important, à mon avis, est de préserver la qualité scientifique d’investigation, les moyens qui sont donnés à cette commission, la possibilité d’accès facilité aux archives de part et d’autre, et la garantie d’indépendance des travaux de recherches donnée. Pour l’instant, encore aucun nom n’a été avancé.

Les enjeux de la mémoire restent les mêmes, mais est-ce à dire que cette commission signe la fin du débat initié par le rapport que vous avez élaboré, en janvier dernier, sur les questions mémorielles de la colonisation et de la guerre d’Algérie? Du genre, on efface tout et on recommence…
Dans mon Rapport, il était déjà indiqué la nécessité d’un travail commun entre les chercheurs des deux pays, par exemple par l’octroi d’une «Bourse André Mandouze» pour les chercheurs pouvant circuler entre les deux pays. Il ne s’agit pas d’effacer ce qui a déjà été entrepris, par exemple sur la recherche des disparus, les essais nucléaires, la guerre des grottes, les reconnaissances d’assassinats de militants algériens (comme par exemple pour Ali Boumendjel ou Maurice Audin, ou le 17 octobre), mais de poursuivre à une autre échelle ce qui a été commencé, pour approfondir les relations, notamment universitaires.

De nombreux observateurs redoutent l’idée d’un récit commun sur une histoire, certes, commune, mais qui a été vécue distinctement par les deux peuples.
Un certain nombre d’historiens des deux pays se connaissent bien depuis longtemps. Des colloques, des séminaires de recherches, des publications communes ont déjà eu lieu. Et j’y ai participé depuis plus de 40 ans. Je pense en particulier, dans la suite de mon Rapport, au grand colloque qui s’est déroulé à l’Institut du Monde arabe à Paris en janvier 2022, où s’ont intervenus 35 historiens, algériens et français. Encore une fois, l’important à mes yeux, n’est pas l’appartenance nationaliste à tel ou tel pays, mais la qualité du travail entrepris. Mais pour répondre à votre question, je pense effectivement qu’il n’est pas possible pour l’instant d’avoir un récit commun d’histoire. Les passions douloureuses sont encore là, le vécu ne peut pas être le même entre colonisateurs et colonisés. L’essentiel est d’ouvrir une page nouvelle en avançant ensemble dans la recherche de la vérité, et la transmission aux nouvelles générations de cette histoire. Pour éviter la répétition de la domination d’un peuple sur un autre peuple, l’idéologie raciste portée par le système colonial.


Kamel LAKHDAR CHAOUCHE


       Abordant la question mémorielle, avant-hier, au Sénat

                Salah Goudjil ouvre une nouvelle piste

Le président du Sénat propose d’ouvrir un grand chantier de la mémoire par la création d’une commission nationale pour l’écriture de l’Histoire.

Le président du Sénat a ouvert une nouvelle piste dans le dossier mémoriel qui rythme les relations entre l’Algérie et la France. Dans son allocution à l’inauguration de la session parlementaire ordinaire pour l’exercice 2022-2023, Salah Goudjil a plaidé pour «la constitution d’une commission nationale pour l’écriture de l’Histoire», affirmant que personne ne pourra dicter à l’Algérie son Histoire.
Le président du Sénat envisage cette commission «sous forme d’instance officielle» en mesure de tracer «un programme pédagogique unifié» pour tous les cycles d’enseignement, du fondamental à l’enseignement supérieur. De ce point de vue, il s’agira d’un très grand chantier de la mémoire que propose d’ouvrir Salah Goudjil.

Sensible et stratégique, un pareil projet appelle à une réflexion très approfondie qui impliquera aussi bien des historiens de renommée, que des universitaires, des académiciens, d’anciens maquisards et des pédagogues puisque la finalité est d’aboutir à la révision des programmes scolaires et universitaires en matière d’enseignement de l’histoire. «Il y a des choses qui circulent qui ne sont pas vraies», a lâché le président du Sénat, sans plus de détails. C’est dans ce sens qu’il a également évoqué le cas de trente-trois associations, activant dans un secteur donné, qui tentent, dit-il, «d’influencer le programme». Qui sont ces associations? Qui les dirige? Dans quels secteurs et dans quelles régions du pays activent-elles? Le président du Sénat ne le dit pas, mais il est certain que les parties concernées par ce dossier auront les détails qu’il faut auprès du deuxième homme de l’État.

L’Algérie demande depuis longtemps un travail de mémoire sur les pages sombres des 132 années de colonisation française, et pas seulement sur les sept dernières années de la guerre d’indépendance. L’annonce du président du Sénat coïncide avec une autre idée, toujours sur la question mémorielle, lancée par les deux présidents Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron: une commission d’historiens qui sera mise en place dans les prochains jours entre l’Algérie et la France. « Cette commission aura à traiter la question liée à la mémoire «sous l’angle historique et non politique», a indiqué le président Tebboune, dans un point de presse improvisé lors de la visite du président Macron, le 25 août dernier. «Nous nous sommes mis d’accord pour la mise en place d’une commission d’historiens dépolitisée. Je pense qu’elle pourrait être installée dans les quinze ou vingt jours qui suivent. Elle aura à traiter la question de la mémoire sous l’angle de l’histoire et non de la politique», a déclaré le président de la République dans un point de presse conjoint avec son homologue français, Emmanuel Macron, à l’issue de la cérémonie de signature de «la Déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé» et cinq accords de coopération bilatérale dans divers domaines. S’agissant du temps imparti aux spécialistes pour mener leur travail, le président Tebboune a indiqué avoir évoqué avec son homologue français «un délai d’une année ou moins, si le travail est finalisé avant». «Mais s’ils (les spécialistes) prennent encore plus de temps, tant mieux car les bonnes choses prennent du temps», a-t-il ajouté.

Pour sa part, le président Macron a révélé que la commission se penchera sur les «premiers temps de la colonisation avec leur dureté, avec la brutalité de ces événements», mais aussi sur les «disparus». Cette commission sera composée de cinq à six historiens de chaque côté, avec «peut-être de premiers travaux d’ici un an, que nous jalonnerons ensuite avec des gestes communs», a esquissé Emmanuel Macron. «On va leur ouvrir la totalité des archives (..) Le président algérien m’a dit: j’ouvre aussi les miennes», a-t-il indiqué.
Le président français a aussi insisté sur l’importance de ce travail de mémoire pour permettre aux deux pays d’avancer. «La France ne peut pas avancer sans avancer sur ce sujet, l’Algérie non plus», a-t-il dit.


Brahim TAKHEROUBT


 

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