Biélorussie – Une révolution de couleur parrainée par les États-Unis est en cours

16.06.20

  par Moon of Alabama.

Les tentatives américaines de renverser un gouvernement étranger en provoquant des arrestations civiles sont généralement nommées selon une couleur ou, parfois, une fleur. Ainsi, nous avons eu une « révolution des roses » en Géorgie, un « mouvement vert » en Iran et une « révolution orange » en Ukraine.

Mais maintenant, la CIA et son assortiment d’organisations de soutien semblent être à court de choix de couleurs. Sinon, comment expliquer que leur dernière tentative en Biélorussie s’appelle une « révolution des pantoufles » ?

Non, le Guardian, qui a publié un article sous le titre « Révolution des pantoufles » mais qui en a changé l’intitulé par la suite, n’a pas inventé ce surnom stupide tout seul.

La chaîne de télévision Belsat.eu, financée par le Département d’État américain, a été la première à mentionner les pantoufles dans la légende d’une photo le 31 mai.

Le 6 juin, Radio Free Europe/Radio Liberty, financé par le gouvernement américain, a été le premier à utiliser ce terme dans un titre.

Hier, le gouvernement américain et le Conseil Atlantique financé par l’OTAN ont mentionné les pantoufles dans un article sur la Biélorussie. Le Center for European Policy Analysis, basé et financé à Washington DC, n’a pas évoqué les « pantoufles » mais son article publié le 15 juin sur la Biélorussie couvre le sujet.

Lorsque ces organisations et médias financés par les gouvernements occidentaux proposent des explications sur un pays qui n’est pas encore occidentalisé, on peut être sûr que quelque chose se trame. Quelqu’un a manifestement briefé ces personnes.

Alors, qu’en est-il de la Biélorussie ?

Le pays a une position géographique intéressante, coincée entre les pays alignés sur l’OTAN et la Russie.

Avec quelque 9,5 millions d’habitants, la Biélorussie est plutôt un petit pays. Depuis 1994, elle est dirigée par le Président Alexandre Loukachenko. Il s’en est tenu à la politique de l’époque soviétique. Le pays possède une industrie bien développée qui exporte principalement de l’équipement lourd. Une grande partie de l’économie est toujours contrôlée par l’État et soutient les villes locales. Le pays a ainsi évité la catastrophe économique qui s’est produite en Russie sous Boris Elzine, mais il a également manqué le développement économique qui s’est produit après la prise de pouvoir du Président Vladimir Poutine.

Depuis 1995, la Russie et la Biélorussie ont conclu un accord pour former un État d’Union :

« L’État d’Union accorde aux citoyens de Russie et de Biélorussie le droit de travailler et de s’établir de façon permanente dans l’un ou l’autre pays sans avoir à suivre les procédures d’immigration officielles qui sont par ailleurs obligatoires pour les ressortissants étrangers. Ils conservent leurs passeports nationaux et autres papiers d’identité ».

Le traité, signé en 1999, prévoit également une défense commune et une intégration économique ainsi qu’un parlement de l’Union et d’autres institutions. Il vise essentiellement à intégrer la Biélorussie (et d’autres États de l’ex-Union Soviétique) à la Russie. Mais dans un État d’Union à part entière, le rôle personnel de Loukachenko serait largement réduit. Il a trainé les pieds chaque fois que la Russie a tenté de faire avancer les choses dans cette direction.

La Russie a subventionné le prix du gaz naturel et du pétrole brut qu’elle livre à la Biélorussie. Le pétrole n’est que partiellement utilisé dans le pays lui-même. La Biélorussie le raffine et vend les produits qui en résultent pour des devises fortes sur les marchés occidentaux. Le pétrole subventionné était jusqu’à récemment la « rente d’intégration » payée par la Russie pour maintenir la Biélorussie à ses côtés.

Fin 2019, Loukachenko et Poutine se sont rencontrés pour un sommet à Sotchi. Poutine a de nouveau insisté pour que davantage de progrès soient réalisés dans la formation de l’État d’Union, tandis que Loukachenko continuait de traîner les pieds. En conséquence, la Russie a réduit la « rente d’intégration » en exigeant des prix plus élevés pour son pétrole.

De retour de Sotchi et confronté à une économie en déclin, Loukachenko a changé de cap. Il a ouvertement courtisé les États-Unis et d’autres pays occidentaux et a soudainement mis l’accent sur la souveraineté de la Biélorussie. Il a même acheté du pétrole de schiste américain :

« Loukachenko a longtemps maintenu un équilibre en gardant la Russie proche mais pas trop. Il fait rarement obstacle à la politique russe. Mais Loukachenko a également résisté à la pression du Kremlin pour que les deux pays forment un État unifié – ce qu’ils ont convenu en 1999.

… Ainsi, lorsqu’ils n’ont pas réussi en décembre à se mettre d’accord sur un nouveau prix pour le pétrole que Moscou vend à Minsk, la Russie a temporairement coupé l’approvisionnement. Loukachenko s’est ensuite engagé à diversifier les fournisseurs de pétrole de la Biélorussie. Il a importé des cargaisons d’Azerbaïdjan, de Norvège et d’Arabie Saoudite au cours des cinq derniers mois, profitant du choc des prix du pétrole provoqué par le coronavirus.

… Pompeo s’est rendu à Minsk début février, lorsqu’il a proposé pour la première fois de vendre le pétrole américain « à un prix compétitif ». Il s’agissait du premier voyage en Biélorussie d’un diplomate américain de haut niveau depuis l’arrivée au pouvoir de Loukachenko. Puis, en avril, les deux pays ont officiellement rétabli leurs relations diplomatiques lorsque Julie Fisher, haut fonctionnaire du Département d’État pour l’Europe, a été nommée Ambassadrice en Biélorussie – un poste qui était vacant depuis plus de dix ans.

La manœuvre de Loukachenko consistant à acheter du pétrole ailleurs a fonctionné dans une certaine mesure. En mai, la Russie a de nouveau accepté de livrer du pétrole à la Biélorussie, mais seulement la moitié de la quantité des années précédentes.

Mais se rapprocher de « l’Ouest » a aussi un prix. Un ambassadeur américain en ville signifie que les complots de changement de régime ne sont jamais loin. L’attention soudaine que la Biélorussie reçoie maintenant de la part des organisations américaines alignées est un signe certain qu’il y en a un en cours.

Le 9 août, la Biélorussie organisera des élections présidentielles. Loukachenko fera de son mieux pour gagner à nouveau.

Les révolutions de couleur sont généralement lancées à l’occasion d’élections controversées. Les résultats sont mis en doute publiquement avant même le début des élections. Lorsque les résultats arriveront enfin, les médias occidentaux prétendront qu’ils divergent trop des prévisions et qu’ils ont donc dû être falsifiés. Les gens seront poussés dans les rues pour protester. Pour accroître le chaos, certains tireurs d’élite peuvent être mis à contribution pour tirer sur la police et les manifestants comme cela a été fait en Ukraine. La révolte prend fin lorsqu’elle est matée ou lorsque le candidat favori des États-Unis est mis en place.

L’année dernière, le National Endowment for Democracy des États-Unis a financé au moins 34 projets et organisations en Biélorussie. Les États-Unis ne font pas cela par charité mais pour mettre le doigt sur la balance.

Les États-Unis semblent avoir au moins deux candidats dans la course. Le premier est « l’homme pantoufle » de la Marine qui s’agite de toutes parts :

« Au début de la campagne électorale actuelle, des milliers de personnes se sont pressées dans les villes pour signer des pétitions soutenant les candidatures des principaux rivaux de Loukachenko. Les candidats doivent recueillir 100 000 signatures avant le début du mois de juillet pour être éligibles au scrutin.

… Certains manifestants anti-Lukashenko ont commencé à brandir des pantoufles en réponse à l’appel de Syarhey Tsikhanouski, un blogueur populaire de YouTube et un espoir présidentiel, qui a appelé à écraser le Président biélorusse « comme un cafard ». Cela a conduit à parler d’une « révolution des pantoufles » imminente, à l’instar des mouvements de protestation qui ont réussi à renverser des régimes autoritaires ailleurs dans l’ancienne Union Soviétique ».

Deux candidats peuvent probablement être pris au sérieux :

« Viktor Babariko est l’ancien Directeur de la Belgazprombank, tandis que Valery Tsepkalo est un ancien haut fonctionnaire de l’administration Loukachenko qui a été Ambassadeur de Biélorussie aux États-Unis avant de diriger plus récemment le Belarus Hi-Tech Park, l’un des plus grands pôles informatiques d’Europe Centrale et de l’Est. Contrairement aux marionnettes et aux outsiders qui sont généralement autorisés à se présenter contre Loukachenko, Babariko et Tsepkalo ont l’ancienneté et l’expérience de l’establishment nécessaires pour être pris au sérieux comme alternatives au statu quo politique actuel ».

Babariko, en tant qu’ancien Directeur d’une banque de Gazprom, est présumée être le candidat favori de la Russie, tandis que Tsepkalo est probablement celui que les États-Unis aimeraient voir au pouvoir. Tous deux ont des programmes néolibéraux assez similaires qui plaident en faveur de la privatisation et d’une économie plus ouverte.

Loukachenko peut prendre des mesures pour écarter les candidats qui pourraient mettre son poste en danger. La police dit avoir trouvé 900 000 dollars dans une maison appartenant au « blogueur vidéo » Tsikhanouski. Il est également accusé d’avoir attaqué la police lors d’un rassemblement non autorisé.  La semaine dernière, l’ancienne banque de Babariko a fait l’objet d’une perquisition suite à des accusations de fraude fiscale. Tsepkalo a été renvoyé de son poste de directeur du Belarus Hi-Tech Park après l’avoir utilisé pour s’enrichir. Il y a plusieurs cas de fraude évidents qui pourraient être soulevés contre lui.

L’économie de la Biélorussie devrait se contracter cette année. La réponse de Loukachenko à l’épidémie de Covid-19 a été aussi mauvaise que celle de Trump. Les revenus de l’État provenant du raffinage et de la vente de produits issus du pétrole russe subventionné sont en baisse.

Il y a des raisons de voter pour le démettre de ses fonctions. Mais il y a aussi des raisons de vouloir qu’il reste.

Le PIB par personne en Biélorussie est d’environ 20 000 dollars (PPA). C’est le double de son voisin l’Ukraine et environ 30% de moins qu’en Russie. L’égalité des revenus en Biélorussie est relativement avancée. La sécurité et les services sociaux fonctionnent dans une large mesure.

Il n’est pas du tout raisonnable de prétendre que Loukachenko ne pourrait pas être un vainqueur légitime des élections.

Une révolution de couleur, telle qu’elle est actuellement en préparation, finirait probablement par détruire le pays.

Si la Biélorussie devait tomber entre les mains d’un candidat parrainé par l’Occident, son avenir serait sombre. Les industries d’État seraient privatisées pour quelques centimes et une grande partie du système social de l’Union Soviétique, qui fonctionne encore bien pour la plupart de ses habitants, serait démantelée. Les relations économiques avec la Russie en souffriraient. En fin de compte, la Biélorussie serait probablement plus mal lotie que l’Ukraine.

L’avenir à long terme du pays repose sur la Russie qui a les ressources et les intérêts pour bien le gérer. Les économies des deux pays sont déjà fortement intégrées. Leurs peuples parlent la même langue. Ils ont une histoire commune et la même religion.

La Russie a un grand intérêt à maintenir la Biélorussie dans son orbite. Il est difficile de prévoir comment elle réagira si une révolution de couleur dirigée par les États-Unis devait avoir lieu.

source : https://www.moonofalabama.org

traduit par Réseau International

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