«Il faut apprendre à lire les ambiguïtés explicites»

 

Halim BENATTALLAH, Ancien ambassadeur

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L’ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt a publié en France dans le« Journal du dimanche » du 6 août, son opinion sur «la crise au Niger».

Il affirme en titre que cette crise « pourrait bénéficier à l’Algérie ». Il considère que « la position de l’Algérie vis-à-vis de la présence militaire de la France, son ancien colonisateur, n’a jamais été très claire », que la « coopération contre les islamistes a toujours été très limitée » (dans la Sahel).

Il avance que « la presse algérienne ne se prive pas aujourd’hui de critiquer la politique française en Afrique ». Il confond le communiqué du MAE au sujet de la mort en direct du jeune algérien avec une imaginaire « décision provocatrice de soutien aux émeutes en France ».

Il fait aussi une envolée de géostratégie : « Moscou pourrait encourager Alger à se rapprocher à présent des putchistes », et livre une élucubration de taille : « on pourrait imaginer que c’est un président russe …qui aurait soufflé à son homologue algérien, afin de déstabiliser un pays clef de l’OTAN » (en réalité un subordonné politiquement et historiquement fluctuant depuis la création de cette organisation).

Les trois commentaires que je ferais sur ce papier atténueront je l’espère l’imaginaire de l’ancien Haut Représentant de la France.

D’abord, pour illustrer le sens de « l’analyse » de l’ancien ambassadeur : j’ai eu l’occasion de tester son niveau lors d’un entretien officiel. Secrétaire d’État chargé de la communauté nationale à l’étranger, je l’avais convié à une discussion, le 27 mai 2012 à 10 heures, sur un sujet diplomatique. L’ambassadeur s’est présenté, accompagné du consul général de France.

Il pensait que l’objet de l’entretien serait la question des visas – son obsession. Il faisait faux.

Aux questions que je soulevais, il restait évasif, visiblement sous informé. Cette impression est corroborée par son livre « l’énigme algérienne » dans lequel il avoue n’être pas parvenu à « déchiffrer » le « système algérien ».

Pour un ambassadeur de France, admettre avoir compris si peu du pays dans lequel il a séjourné pendant huit années, est clairement un signe d’échec.

Quant à son papier d’opinion sur la situation au Niger, le contenu n’est pas en accord avec le titre. Le lecteur n’est pas plus renseigné sur le « bénéfice » que l’Algérie tirerait « selon lui » de cette crise. Il conforte mon impression qu’il fait de fausses lectures des messages diplomatiques de l’Algérie dont l’explicite ambiguïté lui échappe de façon générale.

La situation qu’il dépeint pourrait être, ou devrait être, appréhendée différemment. Ainsi, la présence militaire française globale dans le Sahel est perçue, par une large partie de la communauté internationale, comme interventionniste, celle d’une ancienne puissance coloniale s’accordant plus qu’un droit de regard en Afrique. C’est en tout cas le sentiment largement exprimé en Afrique.

La déclaration de la Mme Catherine Colonna encourageant une intervention militaire de la CEDEAO au Niger, qui ne ferait, à mon sens, qu’aggraver la crise, est par ailleurs le signe que la France est à bout d’argument et en panne d’influence tant sur le plan politique quediplomatique.

L’interférence du M. Josep Borell en sa qualité de Haut Représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité à ce sujet, en écho de la position de la France, n’impressionne guère plus et ne changera pas la donne. L’UE a fort à faire avec la guerre en Ukraine, dont elle est bien en peine de pouvoir présager l’avenir.

La nouveauté qui mérite d’être soulignée dans cette énième crise au Sahel est le fait que les pressions exercées sur ces pays faibles et pauvres parmi les pauvres que sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ont de moins en moins d’effets. Peut-être aussi parce que ces pays ont le sentiment de n’avoir plus rien à perdre, plus rien à espérer de l’extérieur.

Dans cette question du Niger, deux problématiques fondamentales se posent en filigrane : peut-on vaincre la pauvreté et le terrorisme par les armes ? Et peut-on faire fi des aspirations démocratiques et populaires au nom du respect d’une règle électorale ?

La réponse est, à mon sens, dans les seules mains des Nigériens. Il leur appartient de décider qui pourrait les aider ou non.

Si par le passé, ces pays faibles et appauvris ont pu consentir aux interventions militaires, et cela malgré le sentiment de rejet grandissant dans leur opinion, la donne a aujourd’hui changé. L’intervention militaire de l’OTAN en Libye sous l’impulsion de la France – intervention qui a outrepassé le mandat du Conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution 1973

– a contribué à ce basculement, d’autant que le Maghreb, et plus largement le Sahel, pâtissent encore aujourd’hui des contrecoups, à savoir une insécurité régionale et une instabilité chronique qui se sont installées sur la durée.

Il serait utile de rappeler à ce sujet que la France est restée sourde aux mises en garde de l’Algérie sur son projet d’intervention militaire en Libye, alors que ces avertissements avaient été exprimés au plus haut niveau.

Par ailleurs, et toujours au Sahel, la France avait pour ambition d’endiguer le terrorisme. Force est de constater qu’après plus d’une décennie de « guerre contre le terrorisme », les « djihadistes » se sont au contraire démultipliés, allant jusqu’à se poster à proximité des frontières algériennes, alimentant ainsi un climat d’insécurité sans précédent dans toute la région. Pour la France, il s’agit à l’évidence d’une autre guerre perdue.

Elle qui compte souvent sur l’appui de ses alliés pour mener ses batailles (ne réussissant pourtant à obtenir qu’un soutien limité de la part de ses partenaires européens dans son intervention au Sahel, certains allant jusqu’à retirer leurs effectifs), demandait un soutien de l’Algérie. Un soutien qui aurait dû aller, selon l’ancien ambassadeur Driancourt, au-delà de l’appui logistique limité accordé par le Président Bouteflika. L’auteur du papier regrette que l’Algérie n’ait pas fait plus pour appuyer la France, sans se poser la question élémentaire suivante : au nom de quelle sainte alliance, l’Algérie aurait-elle dû faire plus alors que des visions inconciliables perdurent entre les deux pays, notamment sur le plan stratégique ?

N’est-ce pas à la France, grande puissance sur le déclin, de réviser ses engagements interventionnistes dont, de toute façon, elle n’a plus les moyens ? Ce n’est pas à l’Algérie, d’apporter un soutien à l’ancienne puissance coloniale, piégée par ses propres concepts de « profondeur stratégique ».

De manière générale, si des États africains veulent trouver des alternatives à certaines politiques externes au continent, dont l’échec est consommé, c’est leur droit souverain. Ils n’ont pas à recevoir de leçon sur le sens de leur propre intérêt national.

Quant aux experts qui s’alarment des gains d’influence de la Russie et de la Chine en Afrique, comment ne se rendent-ils pas compte qu’ils discréditent leur propre narratif aux yeux des opinions africaines ? En les considérant comme immatures en matière de géopolitique, ne creusent-ils pas davantage le fossé des incompréhensions ?

Enfin, l’ex Haut Représentant de la France en Algérie ne s’explique pas qu’un pays non-aligné ne s’aligne pas sur les positions françaises sur l’Ukraine. Il se permet d’imaginer une très fictive influence de la Russie sur notre pays, y compris sur la « crise au Niger ». Cette considération est à ce point éloignée de la réalité qu’elle ne mérite pas que l’on s’y attarde.

Quant au communiqué des Affaires étrangères sur la mort en direct du jeune Nahel, l’Algérie s’est contentée de faire ce que font toutes les nations du monde, c’est-à-dire exercer son droit souverain de protection de ses concitoyens. Sa réaction, se limitant à un communiqué, est en accord parfait avec les règles et usages diplomatiques.

Au final, quand l’ancien Haut Représentant de la France en Algérie verse dans les approximations d’ordre géopolitique, il fait remonter à la surface le net recul de l’influence dela France en Algérie, et ailleurs.

Par Halim BENATTALLAH, Ancien ambassadeur


 

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