74ème édition du festival de Cannes – LE MASQUE ET LES PALMES

   
74ème édition du festival de Cannes – LE MASQUE ET LES PALMES (1/7) : Qr-code sur bretzelcannes

     Tous les jours les impressions et l’humeur de notre envoyé spécial à Cannes,  Tewfik Hakem, pour la 74ème édition du Festival International du Film.

Un grand écrivain pro-musulmans par nature l’avait bien prédit, mais était-ce Michel Sansal ou Boualem Houellebecq ? Bref, qu’importe, mais pour paraphraser ce grand écrivain du moment, la vie d’après à Cannes c’est comme Cannes de la vie d’avant, mais en un peu plus pire.Déjà pas de fêtes cette année. Pas de fêtes sur les plages de la Croisette, donc plus de « à boire et à manger à l’œil ». Il y a des mesures qui au nom de notre hypothétique bien-être nous tuent lentement mais surement, mais bien sûr personne ne s’en offusque sous prétexte qu’il y a plus grave et plus urgent, genre le réchauffement de la planète, la surpopulation carcérale en Algérie, la fin des haricots à Mascara, le manque d’eau et le trop plein de virus mutants dans la Nouvelle Algérie bénie par le maudit hirak, etc…

En plus de son badge d’accréditation, aux couleurs multiples et aux privilèges variés -selon les couleurs justement, le festivalier accrédité devrait être muni de son passe sanitaire (officiellement la vaccination n’est pas encore obligatoire en France, mais dans les faits elle est obligée). Et même si le dispositif sanitaire initial a été allégé à la veille de l’ouverture, vaut mieux avoir été piqué deux fois plutôt qu’une pour espérer voir les films et avoir le QR codes a jour pour espérer déambuler dans le Palais des Festivals ou décrocher une place dans une salle. Sinon il faut consacrer un temps non négligeable pour aller se faire triturer le nez ou cracher dans un verre et ressortir avec un test- de préférence négatif- à renouveler toutes les 48 heures. Une immense tente blanche installée dans le port de plaisance de Cannes s’apprête à recevoir à cet effet 5000 festivaliers par jour.

Mais ce n’est pas tout : désormais pour se rendre à une projection il faut réserver sa place, et ensuite une fois la demande acceptée, il va falloir soit imprimer soi-même le billet soit le télécharger sur son téléphone portable. Jusqu’ici tout a bien, si le port du masque est bien entendu obligatoire, les agents de sécurité peuvent demander aux festivaliers d’ôter leur masque le temps de la vérification; ensuite il faut r montrer son QR code ou son dernier test, et puis encore montrer son billet, téléchargé ou imprimé, pour la séance. A peine commencé, le festival des mésaventures liées aux restrictions bat son plein. Si les plus âgés des festivaliers sont pour la plupart doublement vaccinés comme l’exige le protocole, cet « avantage » leur rappelle qu’ils ont surtout le « privilège » de ne pas être jeunes, même si certains d’entre eux s’évertuent à porter encore des jeans slim déchirés ou des tee-shirts fluos.

Ainsi à l’entrée du film d’ouverture Annette, de Léos Carax, une dame légèrement digne et exagérément botoxée sous son masque était au bord des larmes. Elle avait, dit-elle, bien téléchargé son billet la veille, et assure posséder un QR code qui atteste qu’elle a été piquée deux fois comme il se doit, mais là, pas de chance, la batterie de son téléphone est à plat, et elle ne peut rien prouver du tout. Du coup il ne lui reste que deux possibilités, aller fissa recharger son téléphone et espérer un miracle pour être de retour avant la projection, ou alors utiliser son badge autour du cou pour se pendre et en finir avec le monde d’après qui ne fait que commencer.

A part tout ça, tout va bien. Il fait certes très chaud, mais il y a encore suffisamment d’eau à Cannes pour ne pas mourir de soif et pour se laver les mains régulièrement comme on nous l’assène un peu partout.

Et l’Algérie dans tout ça ? Ah, l’Algérie…( moment d’émotion). Aucun film algérien n’est au programme, alors que le Maroc est en compétition officielle avec le dernier film de Nabil Ayouch et que la Tunisie présente dans une sélection parallèle le très attendu film de Leyla Bouzid ( oui, la fille de Nouri).

C’est déjà la fin de cette chronique et on n’a toujours pas évoqué « Chroniques des années de braise », comment est-ce possible ? Alors, vite, rappelons que depuis 1975 et la Palme d’Or remise à Houari Boumédiene, non pardon à Mohamed-Lakhdar Hamina, aucun autre cinéaste africain n’a décroché la suprême récompense. Cette année deux films africains concourent pour la Palme d’Or :« Haut et fort » de Nabil Ayouch donc, et « Lingui » du tchadien Mahmat-Salah Haroun. Et bons joueurs, on les soutiendra haut et fort. Bien sûr, bien sûr…

A demain.


Ouverture ce soir du 74ème Festival de Cannes – CHANTONS SOUS NOS MASQUES

 Le  Festival de Cannes ouvre sa 74ème édition ce soir avec Annette, un film musical et chantant, attendu aussi bien par les cinéphiles les plus exigeants que par le grand public. Masqué et doublement vacciné, notre envoyé spécial à Cannes nous tiendra au courant des grands moments de cette manifestation et tiendra chronique jusqu’au 17 juillet, jour de la remise de la Palme d’or par le jury présidé par le réalisateur américain Spike Lee.

Après l’année blanche (annulation du festival en 2020 pour cause de pandémie), l’année faste ? Les programmes des différentes sélections sont alléchants, comme souvent, et l’ouverture donne le La comme on n’a jamais si bien dit: cette année à Cannes ce sera tout pour la musique !Avec la comédie musicale Annette, le festival ne pouvait espérer meilleur film pour l’ouverture. Réalisé par un cinéaste français aussi rare que culte chez les cinéphiles du monde entier, Léos Carax, porté par deux grandes stars du cinéma mondial, Adam Driver et Marion Cotillard, Annette est de surcroit un film parlant et chantant en langue anglaise. A l’origine de cette comédie musicale, Les Sparks, un groupe électro-pop californien qui fête cette année ses 50 ans de carrière atypique… Qui n’a pas dansé sur «When I’m with you» ? Les frères Ron et Russel Mael qui forment Les Sparks sont par ailleurs à l’origine du scénario d’Annette. Ils signent bien entendu la bande originale du film et apparaissent dans quelques scènes. Le film de Léos Carax offre par ailleurs un rôle de choix à la jeune chanteuse belge Angèle.

Puisque Les Sparks viennent à Cannes, le Festival International du Film en profite pour montrer le documentaire «The Sparks Brothers» du britannique Edgar Wright.

D’autres films chantants nous attendent durant ces 10 jours de festival. Le plus inattendu est celui du président du jury, le cinéaste noir de Brooklyn Spike Lee,«David Byrne’s Américain Utopia», un documentaire autours du dernier album et du dernier spectacle de David Byrne. Inattendu à première vue, mais pas étonnant quand on sait que le dernier disque du compositeur et chanteur David Byrne- cofondateur du groupe de rock Talking Head- est entièrement consacré aux victimes noires des violences policières aux Etats-Unis.

Après le succès planétaire de la comédie musicale américaine de Damien Chazelle, «La La Land», sortie il y a 5 ans, les européens se remettent à faire des films chantants. Les Frères Larrieu présentent par exemple en avant première une comédie musicale française qui a pour titre «Tralala», on se demande parfois où ils vont chercher ces titres…

En décortiquant les programmes de cette 74 me édition du festival de Cannes ne sait plus si c’est l’industrie musicale qui vole au secours de l’industrie cinématographique ou le contraire… A moins que ce ne soit tout simplement deux grands blessés qui tentent un Paso Doble pour se soutenir et rester debout. La présence de la chanteuse française Mylène Farmer dans le jury de la compétition officielle accentue ce sentiment…

Au programme, entre autres réjouissances musicales attendues sur grand écran, on guète «Tom Médina» du réalisateur français- et avant tout gitan d’Algérie- Tony Gatlif. Le réalisateur embarque l’acteur Sliimane Dazi dans son dernier film musical : rock et flamenco tsigane et 13 musiciens attendus dont Karoline Rose Sun, Nicolas Reyes, Manero, Norig, Cécile Évrot et la danseuse de Flamenco Karine Gonzales. C’est une séance en plein air, dans la belle plage du Majestic, peut-être le seul endroit où l’on pourra voir un film sans masque obligatoire. Toujours dans cette sélection des avant-premières en plein air, le cinéaste anglais d’origine jamaïcaine Steve McQueen présentera Lovers Rock, documentaire sur la scène reggae dans le Londres des années 60 dont on dit le plus grand bien …

De son côté l’acteur Bill Murray présentera « New Worlds, the cradle of a civilization» de Andrew Muscato qui est la captation d’un spectacle donné à Athènes où l’acteur américain et le violoncelliste de renommée mondiale Jan Vogler font vibrer l’Acropole avec un mélange intemporel de littérature et de musique.

D’autres films chantants, d’autres comédies musicales nous attendent dans les sélections parallèles.

Paradoxe des paradoxes : Il n’y a jamais eu autant de films musicaux à Cannes et c’est l’année où il n’y aura pas de fêtes. Officiellement l’annulation des fêtes habituelles est due au maudit variant delta qui menace de jouer le rôle de trouble-fête. Notons au passage qu’il faut quand même présenter patte doublement piquée pour avoir accès au Palais du Festival et aux salles de projection.

Mais s’il n’y aura pas de fêtes cannoises cette année c’est surtout parce que l’industrie touristique, tout aussi sinistrée par la pandémie, ne compte pas laisser ses plages en plein mois de juillet aux industriels du cinéma.

Chantons sous nos masques donc et dansons dans nos têtes. Et retrouvons-nous à partir de demain pour la chronique Le Masque et la Palme.

SPIKE LEE, MOUNIA MEDDOUR, KAOUTHER BEN HANIA ET TAHAR RAHIM DANS LES JURYS CETTE ANNÉE

Cosmopolite et paritaire, le jury de la compétition officielle est présidé par le réalisateur américain Spike Lee – a qui on doit au moins deux films essentiels: «Malcolm X» et «Do The Right Thing». Comme ce n’est pas tous les ans qu’un noir est président du jury à Cannes du plus prestigieux festival de Cinéma, Spike Lee figure dans l’affiche officielle de Cannes 2021. L’acteur Tahar Rahim est également dans le jury de la compétition qui doit décerner le 17 juillet la Palme d’Or et les autres prix. Mounia Meddour, elle, siège dans le jury de la sélection parallèle, Un Certain Regard, quand sa collègue tunisienne Kaouther Ben Hania est appelée à voir et à juger les courts-métrages présentés à Cannes.

Mamoru Hosoda enfin à Cannes !

Le film d’animation Belle du réalisateur japonais Mamoru Hosoda sera présenté en avant-première mondiale lors du 74e Festival de Cannes dans la section Cannes Première. Après Les Enfants loups, Ame et Yuki (2012), Le garçon et la bête (2015) puis Miraï, ma petite sœur (2018), il s’agit de la première Sélection officielle pour Mamoru Hosoda. Belle est le troisième film d’animation présenté au Festival cette année après Where is Anne Frank d’Ari Folman et Le Sommet des dieux de Patrick Imbert. Belle raconte l’histoire de Suzu, une adolescente complexée vivant dans une petite ville de montagne avec son père…dans la vie réelle. Car dans le monde virtuel de U, Suzu devient Belle, une icône musicale suivie par plus de 5 milliards de followers…Oui, oui, même dans les films d’animation la musique est omniprésente.


   74ème édition du festival de Cannes – LE MASQUE ET LES PALMES (2/7) : L’Algérie n’existe pas

  Avant d’arriver à Cannes, l’envoyé spécial du Quotidien d’Oran a passé deux nuits à Marseille. En compagnie des clandestins algériens qui se retrouvent la nuit au Vieux-Port dans une ambiance de fête d’avant la tempête. Des harragas de plus en plus jeunes et de plus en plus nombreux.

Les nuits d’été dans le Vieux-Port de Marseille sont des nuits algériennes. Ici des chanteurs de raï avec dj ou musiciens at tirent les jeunes harragas, là une chicha-party est improvisée entre amis sur des musiques orientales et de rap marseillais, un peu partout des vieilles femmes en foulard vendent des gâteaux et des boissons quand d’autres proposent des tatouages au henné. Il y a des familles qui flânent et des vendeurs de glace et de barbe à papa qui attirent leurs marmailles, et il y a également des jeunes qui fument ou qui boivent en discutant via Whatsup avec leurs familles ou leurs amoureuses du bled. En longeant le Fort Saint-Jean, on échappe aux lumières du Vieux Port, le clair de lune permet à peine de distinguer les visages. Dans la douce pénombre, des bandes de potes, des couples d’amoureux, et des solitaires magnifiques côtoient des mordus de la pêche nocturne ou des SDF passablement alcoolisés. Les téléphones portables crachent du raï principalement. Ces Algériens échoués dans la cité phocéenne comment les distinguer entre eux ? Certains sont à Marseille depuis longtemps, d’autres viennent d’arriver. Entre les anciens et les nouveaux, il y a tellement de paliers !Redouane, lui est un nouveau. Pour rejoindre l’Europe par l’Espagne, il a payé «20 millions» sa place dans le botti des 30 harrags. La traversée a duré 30 heures, avec le recul il dit qu’il n’a pas eu beaucoup peur et préfère insister sur le fait d’avoir accoster à Ibiza. Agé de 26 ans, Redouane est un enfant de la guerre civile comme on n’ose pas le dire. Il est de Palestro, et plus précisément «le dernier village avant la montagne». II en a vu des horreurs depuis son plus jeune âge, maintenant qu’il s’en est tiré il ne veut pas travailler dans le péché, dit-il. En d’autres termes, pas de larcins, pas de deals louches.

Sabri, lui a déjà 5 ans de «ghorba» au compteur et cela se voit dans sa coquette façon de s’habiller. Ce jeune né il y a 25 ans à Chlef, a eu le temps de se marier, de faire un enfant et de divorcer. Désormais, il a des papiers lui permettant de travailler. Le fils de fellah est actuellement paysagiste, il s’occupe des espaces verts dans les quartiers huppés de la ville. Sabri n’ira pas se faire vacciner pour la bonne et simple raison qu’il croit aussi profondément que sereinement que c’est Dieu et lui seul qui décide qui aura le Covid ou pas, et que ce n’est pas un vaccin qui fera changer d’avis à Dieu.

Dans d’autres quartiers de Marseille, les arrivants algériens sont de catégories sociales et culturelles différentes. Des médecins, des architectes, des artistes, des artisans et des intellectuels installés depuis plus ou moins longtemps rappellent que l’Algérie est un beau pays que l’on quitte de plus en plus.

A Cannes, la Croisette n’est pas le Vieux-Port, ici on entend plus les accents tunisien, saoudien ou libanais.

Revenons au Festival, l’Algérie ne présente aucun film cette année. L’Algérie n’existe pas officiellement à Cannes. Pourtant, si on compte le nombre de réalisateurs, comédiens, producteurs nés en Algérie ou de parents Algériens – et présents dans les sélections cannoises cette année, on peut se faire un festival dans le Festival. Rappelons que la grande affaire de cette édition est le très attendu documentaire du réalisateur brésilien Karim Aïnouz sur les traces de son père kabyle, «Le Marin de la Montagne». Certes, tous les Algériens n’échouent pas forcément à Marseille, Barcelone, Londres ou Naples. Il y a aussi ceux qui veulent aller encore plus loin. Toujours plus loin.

A samedi.


   74ème édition du festival de Cannes – LE MASQUE ET LES PALMES (3/7) : TERRE PROMISE, SOCIÉTÉS SOUMISES

   Le Genou d’Ahed» du cinéaste israélien Nadav Lapid, en compétition officielle, et le documentaire «Little Palestine, journal d’un assiégé» du Palestinien Abdellah Al-Khatib projeté en sélection parallèle, inventent des formes nouvelles pour résister d’une manière radicale à la malédiction des guerres sans fin. Deux films personnels, tendus, furieux et totalement réussis.

Le hasard du calendrier cannois nous fait découvrir le même jour un film israélien et un documentaire palestinien. La radicalité revigorante qui électrise ces deux films, très différents par ailleurs, ne laisse que peu de place à un quelconque optimisme quant à l’avenir de cette terre promise aux guerres sans fin. Mais au moins le cinéma retrouve ici toute sa raison d’être. Témoigner des abimes, non pas pour dénoncer une énième fois les injustices commises et les massacres perpétrés, ni pour quémander un peu d’empathie et soulager ainsi nos consciences de spectateurs impuissants, mais pour renoncer aux renoncements, à nos lassitudes, au fatalisme ambiant. Une oeuvre d’art sert aussi à nous permettre de sortir de la cage pour hurler notre rage.En d’autres termes, si on ne peut pas changer le monde tel qu’il est, battons-nous pour que ce monde- là ne nous change pas, quitte à larguer les amarres, à renoncer définitivement à ses attaches, ses racines, ses rêves. Ces deux films marquent par ailleurs une rupture définitive avec tout ce qui a été tenté dans le cinéma politique dit de dénonciation.

En compétition officielle, Nadav Lapid a donc présenté son quatrième long-métrage, «Le Genou d’Ahed». Disons le toute de suite, malgré l’accueil mitigé de la communauté des pingouins masqués et autres festivaliers en goguette, c’est un grand film et on a affaire à un grand cinéaste en devenir. Nadav Lapid est une sorte de Tarik Teguia en plus remuant et surtout en moins poseur, même si, paradoxalement, son cinéma est «ego-tripique» comme pas possible. Si le titre du film de Nadav Lapid est un clin d’oeil au classique d’Eric Rohmer, Le Genou de Claire (1970), il faut préciser toute de suite qu’il s’agit d’abord ici de Ahed Tamimi, l’adolescente palestinienne devenue une icône virale de la résistance palestinienne pour ses actions contre les colons et les militaires israéliens. On se souvient qu’en décembre 2017 cette adolescente aux cheveux de feu avait giflé un soldat israélien, ce qui lui a valu d’être arrêté et emprisonnée plusieurs mois. On se souvient aussi, qu’un député du parti au pouvoir en Israël avait regretté que la jeune adolescente n’ait pas pris une balle dans le genou. Le film de Nadav Lapid part de cette affaire : Y, un réalisateur israélien écœuré par cette déclaration, prépare un film sur Ahed Tamimi pour dénoncer la politique de son pays. Ce réalisateur est par ailleurs invité à présenter son précédent film dans un petit village situé dans le désert. Arrivé sur place, le cinéaste apprend qu’il doit s’engager, au préalable et par écrit, à ne pas aborder certains sujets «sensibles» de nature à déranger le pouvoir. La jolie fonctionnaire du ministère de la culture qui l’accueille dans sa médiathèque exprime son désaccord avec ces nouvelles directives tout en lui précisant qu’elle les applique scrupuleusement. A partir d’un fait vécu, Nadav Lapid dénonce dans cette fiction la censure d’Etat censé protéger les institutions.

Héros moderne ? L’ami inattendu ? Ni l’un, ni l’autre, fort heureusement, dans sa charge contre l’Etat d’israël, le réalisateur ne s’attribue pas le beau rôle, il s’interroge aussi sur son propre passé lorsqu’il rêvait d’une carrière militaire, pour être le «héros méritant».

Si le fond du film est explosif, sa forme est audacieuse. La réalisation innovante de Nadiv Lapid assume l’outrance à chaque plan, dans chaque scène. Multipliant les ruptures de tons et de styles, mixant tous les genres que permet le cinéma, de la comédie musicale ( pour ridiculiser Tsahal) à l’expérimentation, et du burlesque le plus grotesque aux plans très sophistiqués, ce film qui carbure à toute vitesse est un choc esthétique autant qu’un manifeste politique.

Tout aussi déroutant est le documentaire du jeune Abdellah Al-Khatib, ««Little Palestine, journal d’un assiégé». Déroutant parce que le film nous rappelle que les palestiniens ne souffrent pas seulement de la colonisation brutale de l’Etat hébreu. Tourné en pleine guerre civile syrienne, ce documentaire précieux témoigne de ce qu’ont enduré les habitants du camp de réfugiés de Yarmouk, quartier de Damas, pendant le siège brutal imposé par le régime syrien. On y revient dès qu’on se remet de nos émotions. Quelle journée !


  74ème édition du festival de Cannes – LE MASQUE ET LES PALMES (4/7) : BROCHETTES DE CHOIX

  Comment choisir les films qu’on décide de voir au Festival de Cannes ? Casse-tête quotidien de notre envoyé spécial masqué.

Le Festival de Cannes c’est l’exact contraire de Netflix. Sur la plate-forme on peut passer des heures à chercher un film à se mettre sous les yeux sans trouver ce qui nous convient vraiment. D’ailleurs, généralement, on fini par ne rien voir en se promettant de ne pas renouveler l’abonnement… Avant de se rappeler qu’on a bénéficié d’un code d’accès refilé par un ami qui nous veut du bien.A contrario, à Cannes, il y a plein de films à voir, mais comment faire ses choix ? Sur quels critères, quelles bases ?

Choisir et surtout choisir vite pour réserver au plus tôt sa place sur le site du Festival et attendre la réponse en espérant qu’il n’y ait pas de beug informatique.

Alors comment faire ? Se fier au nom du réalisateur ? Au casting ? A l’histoire telle que résumée par des synopsis de plus en plus courts ? Aux rumeurs ?

Ha, c’est facile de dénoncer les algorithmes des GAFAN, on peut se moquer de notre «feeling» qui nous pousse à opter pour un mauvais film plutôt que pour la douzaine d’autres moins mauvais qui passent au même moment.

Par exemple, on avait décidé de ne pas voir un énième documentaire sur le groupe de rock légendaire des années 60, le Velvet Undergroud, ni le film de Charlotte Gainsbourg interviewant sa mère Jane Birkin, et encore moins le film où Valérie Lemercier joue Céline Dion.

Or ne voila-t-il pas qu’au dîner de la presse – où, soit-dit en crânant, l’envoyé spécial du Quotidien d’Oran était invité parmi la poignée de journalistes fidèles au Festival, le privilège de l’âge-, tous les séniors accrédités ne parlaient que du film sur le Velvet.

TODD HAYNES, L’ARCHÉOLOGUE DU ROCK

Il est vrai qu’on aurait dû faire plus attention, au moins relever qu’avant toute chose «The Velvet Underground» est un documentaire de Todd Haynes, un réalisateur, un vrai, qui a déjà prouvé dans le passé qu’il savait à travers les idoles du rock raconter leurs époques. Déjà en 1987, Todd Haynes sortait «Superstar: The Karen Carpenter Story», la décennie suivante il réalisera le film définitif sur le glam «Velvet Goldmine», et enfin en 1998 l’éclatant vrai-faux bio pic sur Dylan «I’m Not There»

Contrairement à ces trois films qui sont des fictions, «The Velvet Undderground» qu’on a rattrapé à une séance matinale, est un documentaire produit par Appel-TV. Et c’est un excellent film, avec des archives rarement vues, un propos intelligent. Son documentaire ne revient pas sur les frasques, la drogue ou Nico en femme fatale coupable d’avoir signer l’arrêt de mort de ce groupe qui n’aura duré que 5 ans. Le propos est plus politique chez Todd Haynes, ce qui n’empêche pas le film d’être à sa manière très poétique au demeurant. Le vrai sujet du film est la rencontre improbable de deux mondes qui n’auraient jamais dû se croiser, et d’une époque folle qui va le permettre quand même. D’un côté le prolo juif de Brooklyn, Lou Reed, nourri aux musiques noires et à la poésie de la beat-génératiion. De l’autre, le bourgeois de Manhattan, violoniste et pianiste, John Cale.

Mais pour «Tom Médina», de Tony Gatlif, projection unique, il n’y avait pas de rattrapage possible. Encore un raté ! Accompagné d’une situation très délicate le lendemain. Attablé dans un restaurant avec terrasse en compagnie de Tobby Rose, confrère britannique qui fuit un peu de la cafetière, et sa charmante collègue Barbara Dent, elle n’en parlons même pas, autours d’un tartare de saumon et d’une poignée de frites, discutant de tout et surtout de la Palme Dog, prix décerné au meilleur chien vu dans un film, que Tobby Rose a lancé il y a 20 ans, ne voila-t-il pas que l’acteur Slimane Dazi déboule avec tout le cast du film de Tony Gatlif. C’était un peu gênant d’avouer à Slimane Dazi ( dans le civil mon voisin de quartier) qu’on a préféré le dîner de la presse au Café des 3 palmes à la projection en plein air du film de Tony Gatlif. Heureusement Slimane Dazi était pressé, le temps d’un plat et il devait regagner Paris pour terminer le tournage du deuxième long-métrage de la Rumeur ( duo de rappeurs français assez connus dans le passé).

Le pire c’était de rater la première projection de «Le Marin de la Montagne» du réalisateur brésilien d’origine kabyle Karim Aînouz, c’est à dire le seul film tourné en Algérie et présenté à Cannes. La faute au jouissif «Benedetta» de Paul Verhoeven qui aurait pu durer moins longtemps. Si par malheur on arrive en retard à une projection, impossible de demander une autre séance pour le même film, le logiciel a été programmer pour n’offrir qu’une seule projection par film. Heureusement que l’ange Edna El Mouden du service de presse a réussi à me dégoter une place le lendemain à 8H30. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour voir la Kabylie vu du ciel brésilien !

Manque de sommeil, choix désatreux, retards impardonnables, devoir quémander une place de rattrapage…Ces petites tracasseries doivent sembler très dérisoires, mais dans la bulle de Cannes, ce sont des vrais mélodrames que les festivaliers vivent d’une manière qui oscille entre la tragédie berbère antique et le soap brésilien basique.

Bon, ceci dit cette année la bulle est traversée de quelques nouvelles du monde réel.

A mi-parcourt on peut avouer que la vraie star du festival est le maléfique variant Delta.

LES VIRUS DE LA VIE

Le réalisateur Nadiv Lapid ne quitte pas sa chambre. Déclaré «cas-contact», les interviews avec le cinéaste israélien se font par zoom. La jeune espagnole Clara Roquet, qui devait présenter son très réussi premier film, «Libertad», sélectionné à la Semaine de la critique, a été testée positive au virus au moment d’aller à l’aéroport. Elle ne viendra donc pas. Selon la presse people une star française aurait chopé le virus, on attend de savoir s’il s’agit de Marion Cotillard ou de Léa Seydoux. Enfin le réalisateur du documentaire «Little Palestine» de Abdallah Al-Khatib, dont on avait dit qu’on y reviendrait, n’est même pas certain de pouvoir venir lui même jusqu’à Cannes pour la présentation officielle de son film prévue ce lundi. A part ça, on est bien content d’être à Cannes. Il suffit de changer de trottoir quand on voit apparaître cette espèce rare et menaçante qu’on appelle «les jeunes». Et aussi faire un choix de films. Demain après la kabylie, on devra choisir entre deux films tournés à Marseille. Le premier est une production américaine, «Stillwalker», où Matt Damon se fait casser la gueule par des jeunes arabes des Quartiers Nord de la ville phocéenne. Le deuxième est le second long-métrage de la marseillaise Hafsia Harzi «Bonne maman». Ne pas se précipiter, même si le temps nous ait chichement compté. Faire le bon choix suivant le bon adage de «chadi/madi». Ou peut-être prendre la sage décision de ne voir ni l’un ni l’autre, et de tenter une plage pour échapper à la triple menace : virus delta, canicule bakhta, climatisation berda. Garder son masque toujours, sortir les palmes toute de suite. Ce n’est certes pas encore la fin du festival, et pas toute de suite la fin du monde, mais on se prépare, on se prépare…


     74ème édition du festival de Cannes – LE MASQUE ET LES PALMES (5/7) : LA SAUDADE KABYLE DU BRÉSILIEN KARIM AÏNOUZ

   Dans un essai autobiographique en forme de road-movie le réalisateur brésilien part à la découverte du pays de son père kabyle. Poignant et poétique, d’une profonde tristesse et d’une beauté infinie «Le Marin des montagnes» dépasse la simple quête identitaire attendue. Ce précieux documentaire de Karim Aïnouz rappelle au passage qu’un bon cinéaste peut faire du très grand cinéma, rien qu’avec une petite caméra numérique.

Pourquoi à chaque fois que l’Algérie est vue par d’autres cinéaste du monde, chez nous in et out, localement et dans les diasporas, l’émotion l’emporte toujours sur la raison.Pourquoi le coeur bat plus vite, pourquoi le ventre se noue jusqu’aux cris, pourquoi les yeux deviennent nuages et la gorge impasse ? Que le film soit bon, mauvais, ou entre les deux, peu importe, la passion l’emporte presque toujours sur l’analyse.

La faute à peu de représentations de nous mêmes par nous mêmes expliquent les intellectuels qui se sont penchés sur la question. Peut-être. Plutôt que sans doute, car la question mérite d’être creusée comme on dit.

Renversant de beauté et de générosité de bout en bout, tragique et douloureux en même temps, le film de Karim Aïnouz a ceci de particulièrement magnifique, il impose d’emblée sa subjectivité. Il s’agit moins d’un film sur l’Algérie que l’histoire d’un brésilien qui vient en Algérie, un journal intime plutôt qu’un documentaire. Tout le monde saisit la nuance, aussi bien ceux qui sont dans le film que ceux qui le regardent.

«Le Marin de la Montagne» est une fiction qui se passe dans le réel. On ne le dit pas pour faire style, c’est juste exactement ça. Le titre suggère un mirage en pleine mer. L’expression «O marinheiro das montanhas» désigne le délire dont peuvent être victimes les matelots, qui voient subitement les vagues de l’océan transformées en prairies…

Karim Aïnouz est né en 1966 à Fortaleza, au Brésil, d’une mère brésilienne et d’un père algérien qu’il n’a jamais connu. A la mort de sa mère il décide d’aller faire le voyage qu’elle n’a pas oser faire, aller en Kabylie sur les traces de cet amoureux qui lui a fait un enfant et qui n’est jamais revenu. Ce voyage par procuration est accompagné d’une longue lettre adressée à la mère défunte et lue par l’auteur, son fils. D’une troublante transposition/ fiction à l’autre : une fois arrivé dans le village de son père- où miracle il rencontre d’autres Karim Aïnouz , Karim Aïnouz le brésilien, tout en s’adressant à sa mère, imagine ce qui aurait pu être sa vie s’il avait vécu avec son père en Kabylie. Quel Karim Aïnouz serait-il aujourd’hui ?

DES RACINES

En faisant l’inventaire affectif de sa vie, Karim Aïnouz fait aussi l’inventaire de l’Algérie qu’il découvre. Choses vues, montrées sans commentaire : les petits détails qui en disent long, les visages qui racontent des histoires, les objets qui résument l’époque, les archives qui rappellent le passé récent. Le film est une histoire familiale mais sans règlements de comptes fort heureusement. Avec des polaroids exceptionnels, Karim Aïnouz raconte l’histoire d’amour et la séparation de ses parents quelques mois avec sa naissance. Une love-story en Amérique, entre la Brésilienne Iracema et de l’Algérien Madjid avec ses jours heureux dont il reste une boîte de diapositives. Mais pour construire la jeune nation algérienne, Madjid décide de rentrer au pays et ne reviendra plus jamais. Karim Aïnouz a donc grandi sans son père – aujourd’hui âgé de 80 ans – qu’il ne rencontrera qu’à l’âge de 18 ans à Paris. Iracema, sa mère, ne s’est jamais remariée. En se rendant pour la première fois en Algérie en 2019, Karim Aïnouz savait qu’il allait tourner un film. Il pensait l’intituler Algerian by Accident. Le Marin de la Montagne, c’est mieux, ça fait saudade mode Maatoub Lounès. Lequel Maatoub figure entre Audrey Hepburn, Bronsky Beat, et d’autres splendides musiques brésiliennes, dans l’excellente B.O du non moins excellent film de Karim Aïnouz).

Nous le tenons notre premier grand choc cannois, ça se fête. Demain relâche et playa.


     74ème édition du festival de Cannes – LE MASQUE ET LES PALMES (6/7): DERNIÈRES NOUVELLES DU CINÉMA ALGÉRIEN

  À Cannes, l’Algérie n’est présente qu’à travers le très beau film du Brésilien Karim Aïnouz «le marin des montagnes». En attendant que l’Algérie nouvelle produise -ou pas- des films nouveaux, inventaire des projets en cours.

Un grand metteur décalé et une incroyable brochette de stars mondiales dont Lyna Khoudri, Frances McDormand, Bill Murray, Benicio Del Toro, Adrien Brody, Tilda Swinton, Timothée Chalamet, Owen Wilson, Mathieu Amalric… Avec tout ça, le très attendu «The French Dispatch» de l’états-unien Wes Anderson s’avère être la plus grosse déception du festival (on n’y reviendra pas).Toujours en sélection officielle, le dernier Nanni Moretti, «Trois étages», déçoit un peu. Ce dernier opus du maitre italien reste néanmoins un bon film ( on y reviendra), même s’il n’est sans doute pas parmi les meilleurs du cinéaste. Au moins Nanni Moretti continue à nous émouvoir quand Wes Anderson cesse de nous faire rire avec son onirique et ironique cinéma vintage de luxe. Mais, une fois encore, The Star, la Nedjma, la Belle native d’Alger, Lyna Khoudri s’en tire plus que bien. Les scènes qu’elle partage avec l’épatante Frances McDormand et Timothée Chalamet ( le jeune franco-américain en pleine ascension à Hollywood), sont objectivement les meilleures et les plus glamour du film.

Profitons donc de la belle montée des marches de Lyna Khoudri pour faire un petit point sur le cinéma algérien, son devenir et ses souvenirs. Mais que du factuel, genre qui fait quoi et qui ne fait rien et pourquoi. Pas de commentaires gentils ou désobligeants, les gens du cinéma sont très susceptibles de nos jours.

LYNA KHOUDRI L’ÉTOILE MONTANTE

On commence par notre célébrité internationale. Lyna Khoudri. En plus d’être représentée par le plus puissant agent d’acteurs Grégory Weill, la jeune comédienne a désormais son propre attaché de presse qui s’occupe de son image, Bastien Duval, qu’elle partage avec Marion Cotillard. Après la promo de «The French Displatch», Lyna Khoudri ira finir le tournage du prochain film de Mounia Meddour. Puis à la rentrée, elle retrouvera Réda Kateb sur le tournage du film que Rachid Bouchareb consacre à l’affaire Malik Oussekine.

Voilà, ça s’appelle avoir des infos… Comme quoi on ne vient pas à Cannes juste pour se rincer les yeux et tremper son masque FFP2 dans des coupes de bulles enivrantes !

Mounia Meddour est membre du jury à Cannes de la sélection Un Certain Regard.

Son regard à elle n’a jamais croisé celui de l’envoyé spécial du Quotidien d’Oran, pourtant assis à quelques rangs de la rangée VIP réservée aux membres du Jury. Le fait-elle exprès ? Faut-il encore regretter d’avoir écrit en 2019 que «Papicha» c’était «Rachida» bis mais avec une belle et bonne actrice ?

Revenons au factuel : Mounia Meddour a déjà tourné une bonne partie de son film à venir «Houria». Elle n’a eu ni aide algérienne, ni autorisation de tournage en Algérie. Si la Nouvelle Algérie lui fait payer sa dernière prestation cannoise, quand elle arborait en plein Hirak le badge «Yetnahaw Ga’3» avec son équipe et celle du film de Amine Sidi Boumédienne, c’est lamentable.

Du coup, pour finir son film Mounia Meddour va devoir aller tourner au Maroc. Le royaume chérifien qui lui déroule le tapis rouge est autant soucieux de faire revivre son secteur de cinéma durement touché par la pandémie que de récupérer un projet algérien interdit en Algérie. Hard censure contre Soft-power ?

«Houria», si on a bien compris le synopsis, raconterait l’histoire d’une jeune danseuse dont la carrière est méchamment contrariée par un soit-disant «repenti». On ne conclura pas pour autant que c’est une sorte de Papicha-bis avec la même belle et bonne actrice, car dès fois il vaut mieux garder pour soi ce genre de remarques.

LES ÉCRIVAINS FONT LEUR CINÉMA

En revanche l’Algérie co-produit et accueillera -dès que Corona-Delta nous lâchera la grappe- l’adaptation du roman de Kamel Daoud, «Mersault, contre-enquête» (Barzach/ Actes Sud) que doit réaliser Malik Bensmaïl. Avant de passer pour la première fois à la fiction, Malik Bensmaïl finalise son documentaire sur les premières années de l’indépendance algérienne quand Alger était soit disant la capitale des révolutionnaires. Ce documentaire que vous verrez en 2022 sur Arte fait partie d’un ensemble de programmes que la chaîne franco-allemande prévoit pour le 60 ème anniversaire de l’indépendance algérienne. Par ailleurs la chaîne de télévision a produit une série de 6 fois 52 minutes sur la guerre d’indépendance. Avec des témoignages inédits de plusieurs protagonistes de la guerre de libération et du mouvement national algérien, et des archives rares ou jamais montrées nous promet-on.

Mais revenons sur l’adaptation du roman de Kamel Daoud pour rappeler à quel point cette année à Cannes, les adaptations littéraires ont été dominantes. Le dernier film d’Arnaud Desplechin, Tromperie, est une adaptation d’un roman Philip Roth, Nanni Moretti, avec Tre Piani adapte un roman d’Eshkol Nevo, Paul Verhoeven avec Benedetta, s’appuie sur la biographie de Judith C. Brown. L’excellent Compartiment n° 6, du finlandais Juho Kuosmanen, est tiré du roman de Rosa Liksom Mothering Sunday… Dans la catégorie n’oublions pas les films qu’on a déjà oublié, il faut citer aussi «Ouistreham» de Florence Aubenas adapté librement sur grand écran par le romancier Emmanuel Carrère

Les écrivains algériens eux aussi sont de plus en plus sollicités par le cinéma. Kaouthar Adimi et Faïza Guène ont travaillé sur le scénario du film de Rachid Bouchareb ( «Oussekine»), Chawki Amari écrit de plus en plus pour le cinéma et la télévision, et on ne compte plus les romans de Yasmina Khadra qui ont été adapté avec plus ou moins de bonheur. A cet effet, il faut rappeler L’Attentat, fera prochainement l’objet d’une adaptation en série pour la plateforme Netflix, produite par l’acteur Michael Kupisk.

Pour le second collège, on remarquera que l’écrivain Anouar Benmalek reste le conseiller littéraire de la réalisatrice Sofia Djama et qu’il aura cet été la lourde responsabilité de rendre vendable une histoire fantasque écrite par la réalisatrice des «Bienheureux», film qui questionne sur un ton burlesque zaâma wesanderonnien, le rapport des algériens aux animaux domestiques et autres. Un beau sujet original et tout, mais difficilement vendable venant de la part d’une algérienne.

Toujours dans les projets fous, Bachir Deraïs, épaulé par son grand ami le cinéaste Alexandre Arcady veut tourner pour Netflix une série sur Maatoub Lounès, ce qui rend furieux quelques militants kabyles des bars de la rue Ménilmontant, c’est à dire un échantillon très représentatif de la communauté.

Pour terminer ce chapitre ouvert avec nos amis les écrivains, notons que les adaptations littéraires au cinéma fonctionnent moins quand les auteurs adaptés sont peu connus. Karim Moussaoui qui s’est fait recaler de l’avance algérienne avec son scénario adapté d’un auteur très peu ou pas du tout lu ne nous contredira pas sur ce point.

ALLOUACHE ENCORE ET TOUJOURS

À Alger le tournage interrompu de «La dernière princesse» de Damien Ounouri avec Adila Bendimerad dans le rôle titre, reprendra dès que le phénix Air-Algérie renaîtra de ses cendres. Ce n’est pas après-demain l’avant-veille.

De toute manière, le plus beau film algérien de l’année n’est ni algérien ni français, ni même franco-algérien, il est brésilien ! Et Kabyle chitouh Cannes. On maintient ce qu’on a dit la dernière fois «Le Marin des Montagnes» du brésilien Karim Aïnouz découvrant le tamurth de son père, reste à l’heure qu’il est le plus beau film vu à Cannes cette année. Bientôt une interview de Karim Aïnouz dans Le Quotidien d’Oran. «Le Marin des Montagnes» est né sous une bonne étoile, Arte. Vous le verrez donc l’année prochaine à l’occasion du 60 ème.

Le meilleur pour terminer. Merzak Allouache a tourné, non pas un film ou deux, mais trois films depuis le Hirak. En total indépendant. Trois nouveautés qui attendent soit un distributeur, soit un diffuseur, soit une plate-forme. «Paysages d’Automne» est un film sombre, «Des femmes» est un documentaire sur le mouvement féministe en Algérie, avec une jolie juxtaposition des images tournées par Allouache avec les féministes en mouvement après Octobre 88, et ce qu’elles sont devenues 30 ans plus tard, en plein Hirak. Enfin, «La Famille» est une comédie aussi féroce que géniale qui parle de la tentative fuite de la famille d’un ministre important et corrompu au lendemain de la chute de Bouteflika.

Il faudra rendre hommage ici à Lyazid Khodja, un habitué du Festival de Cannes. C’est lui qui a refilé en douce une caméra numérique à Merzak Allouache, son ami de la première promo de l’Institut du cinéma, pour qu’il puisse tourner ces images devenues précieuses d’Octobre 88.

LA PAIX DES BRAVES ET LES CONSEILS DU VIEUX SAGE

Avec la disparition de Lyazid Khodja, c’est un autre repère algérien à Cannes qui disparaît.

Ajoutez à cela le fait que Azzedine et Roselyn Mabrouki aient unilatéralement décidé de bannir Cannes de leur tour du monde des festivals de cinéma, on arrive à la triste conclusion que c’est maintenant l’envoyé spécial du Quotidien d’Oran qui devient le vétéran Dz de la Croisette.

Que faire de cette longue expérience festivalière ? Peut-être la mettre au service des «jeunes» cinéastes algériens en goguette ? Encore faut-il être sollicité pour accomplir cette noble mission de sage conseiller, complètement désintéressé contre rétribution cela va sans dire. A cet effet j’aurai pu peut-être aider Mounia Meddour à obtenir son autorisation de tournage à Alger. En lui suggérant d’aller interviewer le président de la république, par exemple en duo avec Mélanie Mataresse, et de fourguer l’entretien exclusif-bis à «L’Express», ou autre hebdomadaire français de droite. Mais oui, Mounia, ça aide, aucun Amar Bouzouar ne peut le nier !

Pour Bachir Deraïs et au nom de la paix des braves berbères, je lui aurais suggéré de laisser tomber Maatoub pour s’atteler au bio-pic de Ferhat M’henni, et ainsi obtenir le buzz qu’il recherche désespérément. A la limite, avec son mentor et néanmoins compatriote Alexandre Arcady il pourra même tourner la série en Cisjordanie occupée, avec l’aide sur place de Jean-Pierre Llédo, et pour le scénario d’une collaboration avisée du célèbre écrivain Boualem Sansal.

Hélas, il faut se rendre à l’évidence, personne ne veut de mes sages conseils avisés de réconciliateur généreux. D’ailleurs cela peut se comprendre. À Cannes où tout le monde est assigné à sa place, à son importance et à son poids dans l’industrie cinématographique, pour dire les choses franchement l’envoyé du Quotidien d’Oran, malgré sa longue expérience festivalière, fait partie des prolétaires insignifiants. En plus, même pas fichu de décrocher une invitation pour le cocktail de TV5 Monde !


    74ème édition du festival de Cannes- LE MASQUE ET LES PALMES (7/7) : MASSILIA DZ SYSTEM

   De plus en plus prisée par les productions cinématographiques, la ville de Marseille fait partie des stars de ce 74ème Festival de Cannes.

Voir sur grand écran Matt Damon se faire dérouiller par une bande de jeunes arabes des quartiers chauds de Marseille, et ne rien pouvoir faire pour lui. Meskine. Parions que cette scène violente, jouissive de justesse, va devenir culte, car ce n’est pas tous les jours qu’on voit une star américaine (même sur le déclin) se faire casser la gueule par des arabes anonymes, généralement c’est l’inverse qu’on nous sert.«Stillwater», le titre du film dont il est question, est le nom d’un bled paumé de l’Oklahoma du personnage principal, Bill Baker. Ce bouseux qui travaille sur des plates formes de pétrole quand il n’est pas en taule n’aurait jamais mis les pieds dans la cité phocéenne si sa fille ne purgeait pas une longue peine de prison aux Baumettes pour l’assassinat de son amante, une certaine Souad. Mais comme sa fille clame son innocence, son père tente de retrouver un certain Akim, potentiellement le véritable meurtrier. Tout en menant à bien sa petite entreprise de thriller, Tom McCarthy filme Marseille comme personne ne l’a fait avant lui. Il n’évite pas les clichés, bien au contraire, il fonce dedans pour mieux les défoncer, et les restituer au réel : Marseille et ses calanques, Marseille et sa pétanque, L’OM et le vélodrome, la Canebière et le Vieux- Port, partout où sa caméra se ballade, le cinéaste américain filme Marseille telle qu’elle est aujourd’hui, c’est à dire une extension aussi excitante que flippante de la ville d’Oran en terre d’Europe. Tom McCarthy porte un regard inédit, tendre et souvent perspicace sur les gens de Marseille. Stillwater donc, avec Matt Damon tellement crédible en redneck, et Camille Cottin qui fait bien le job. Et plein de purs marseillais arabes dans les seconds rôles, les meilleurs du film.

LA BONNE MERE ARABE DE MARSEILLE

Les arabes des Quartiers nord de Marseille passent au premier-plan dans un autre film vu à Cannes et tourné aux Oliviers, le quartier réputé le plus dangereux de France, de Navarre et d’Europe. Les Oliviers et ses barres d’immeubles défoncées qui nous rappellent que la misère au soleil ça peut être pire qu’ailleurs contrairement à ce que dit la chanson. «Bonne mère», le second film réalisé par Hafsia Herzi, l’actrice révélée par Abdelatiif Kéchiche, rend autant hommage au quartier populaire où elle née, à sa ville, et surtout à sa mère. La vraie «Bonne mère» du film est la mama arabe, la mère courage qui se lève tôt pour aller faire le ménage à l’aéroport, et se couche tard après s’être occupé avec amour de ses enfants et petits enfants. Pour la première fois à l’écran, la non- professionnelle, Halima Benhamed, est tout simplement exceptionnelle dans le rôle de la daronne sacrificielle . «Dans les quartiers nord de Marseille il y a beaucoup de mères seules, de mères isolées et j’avais envie de rendre hommage à ces femmes» a confié à l’AFP Hafsia Herzi, la réalisatrice aujourd’hui âgée de 34 ans, a été élevée par une mère laissée seule avec quatre enfants.

«Marseille est une cité à l’image rebelle, le Baltimore français», résume dans un article du quotidien Le Monde, Sabrina Roubache, productrice de la série Marseille sur Netflix. «Les autorisations sont bien plus simples à obtenir qu’à Paris», note de son côté Cédric Jimenez, le réalisateur du troisième film marseillais projeté à Cannes «BAC Nord».

La ville de Marseille (gérée par une coalition de gauche) et la région PACA (dirigée par la droite) ont tout fait pour faciliter les tournages. Aujourd’hui la deuxième ville de France talonne Paris en nombre de tournages de films et de séries. Détail amusant, à l’origine de ce boum économique marseillais la saga soap «Plus belle la vie». Le succès de cette série télé a permit à la Cité phocéenne de développer tous les métiers du cinéma.

A commencer par celui de la sécurité.


       74ème édition du festival de Cannes – LE MASQUE ET LES PALMES (The End) – ROULEZ VIEILLESSE !

  La Palme d’Or et les autres prix seront décernés ce soir par le jury présidé par le cinéaste américain Spike Lee. En attendant, retour sur les évènements marquants de cette très particulière édition du Festival de Cannes.

D’une main ranger ses affaires en vitesse pour quitter l’hôtel à l’heure indiquée par le règlement de l’établissement, de l’autre pianoter un dernier article sous forme de bilan qui résumerait cette très étrange édition cannoise avec masque, gel, pass-sanitaire, canicule et crustacées.Sans emphase ni prétention rappeler dès l’intro que cet article ne sera ni relu, ni corrigé, ni repris ni remboursé. Prendre une douche entre deux paragraphes parce qu’il fait très chaud.

En vrac, il faudra parler des films vus ce week-end, en privilégiant le Maroc, la Tunisie, l’Egypte, les berbères du Brésil, et les palestiniens oubliés des camps bombardés par les puissances régionales ou mondiales. Ne pas oublier de se moquer au passage des saoudiens qui promettent depuis Cannes de transformer Djeddah en Mecque du cinéma. Maudire la vieillesse qui se transmet comme un virus de l’an 2020, et en même temps vomir les jeunes qui ne sont que l’incarnation du cataclysme annoncé. Néanmoins, pour ne pas plomber le moral du lecteur, penser à glisser deux ou trois anecdotes relatives à des stars algériennes, ça marche toujours. Par exemple, Samir El-Hakim, très bon dans un film tunisien qui l’est beaucoup moins. De toute manière c’est le seul comédien d’Algérie qui figure dans un film vu à Cannes.

Penser à demander à la réception une canne pour quitter Cannes, car la gare est située à 300 mètres, autant dire à l’échelle de la fatigue accumulée, le bout du monde. Mettre son masque, y compris pour aller aux toilettes, en évitant d’expliquer pourquoi aux lecteurs qui ne sont pas si bêtes, saufs s’ils ont perdu l’odorat suite à une contamination delta.

Ne pas mélanger le linge sale avec le linge propre, enfin non c’est trop tard.

Ne pas oublier son chargeur à l’hôtel pour changer un peu. La boite de doliprane est quasi-vide ? Celle des préservatifs tout a fait intacte ? Allez, on met tout dans le sac, on aura tout le temps de se plaindre quand on arrivera en retard à la gare.

Et on y va !

NOUS AVONS PERDU LE MORETTI DE NOTRE JEUNESSE !

Gardez Club des Pins, mais rendez-nous Moretti de grâce ! Quel terrible choc de voir Nanni Moretti dans son dernier film. Subitement très vieux, et dans le rôle d’un vieux con qui plus est. Mamma Malédiction Mia !

A Cannes, tous les festivaliers semblent avoir prit un sacré coup de vieux. Est-ce parce que le festival de l’année dernière n’a pas eu lieu, et qu’on se retrouve après deux années éprouvantes, ou sont-ce les premiers effets secondaires de la double vaccination non obligatoire mais très obligée ?

Dans «Trois étages», depuis un immeuble bourgeois de Rome, Nanni Moretti nous dit qu’il n’attend plus rien de la jeunesse, suggérant que par les temps qui courent vaut mieux ne pas faire d’enfants. Dans «Little Palestine», le bouleversant documentaire d’Abdallah Al-Khatib, les palestiniens lui rétorquent d’une manière crue -et pour des raisons qu’on n’a pas besoin de rappeler- que : «c’est une honte que de ne pas faire d’enfants».

PALESTINIENS ASSIÉGÉS Vs ISRAÉLIENS PIÉGÉS

Réalisé entre 2013 et 2015, à l’intérieur du camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk, dans la banlieue de Damas, «Little Palestine» raconte comment ce quartier a été encerclé, affamé et bombardé par les troupes de Bachar al-Assad avant qu’il ne soit pris par les troupes de Daesh puis entièrement détruit par des bombardements russes. Kamel Daoud n’a pas toujours tort. Quand un criminel de guerre comme El Assad, ou un autre dictateur arabe, massacre les palestiniens, personne- ou presque dans nos contrées- ne s’offusque.

En ce qui concerne la Palestine, le Festival de Cannes nous a servi une excellente programmation. D’abord, en compétition officielle un film israélien audacieux sur le plan de la forme, courageux sur le fond, qui appelle un chat un chat et un Etat raciste un Etat raciste, «Le Genou d’Ahed» de Nadiv Lapid.

Ensuite dans la sélection des films indépendants (ACID), ce documentaire palestinien fait avec la rage au ventre, «Little Palestine» de Abdallah Al-Khatib, réfugié depuis en Allemagne.

Enfin, un autre film humaniste israélien, c’est à dire opposé – et sans ambiguïté- à l’apartheid et à la colonisation tels que pratiqués aujourd’hui par l’Etat israélien : «Et il y eut un matin», titre du film, a été projeté dans la sélection Un Certain Regard. Son réalisateur Eran Kolirin a adapté le roman éponyme de Sayed Kashua, palestinien de l’intérieur ou arabe israélien, qui écrit en hébreu. Le film raconte le calvaire d’un palestinien de Jérusalem venu assister au mariage de son frère dans un village de Cisjordanie et qui se retrouve bloqué, l’armée israélienne ayant encerclé le village pour couper, une fois de plus; ses habitants du reste du monde.«Les Arabes d’Israël sont les invisibles de notre pays. Ils vivent en démocratie, mais n’ont pas les mêmes droits que les autres, ils se trouvent coincés dans une position intenable et s’en sentent coupables vis-à-vis des Palestiniens de Cisjordanie. Leur identité est ainsi mise à mal. Le seul territoire qu’il leur reste est leur maison.» a déclaré le réalisateur Eran Kolirin, à qui l’on doit entre autres films «La visite de la fanfare» (2007)

LA TUNISIE EN PETITE FORME, LE MAROC EN MAJESTÉ

La tunisienne Layla Bouzid a fait la clôture de la Semaine de la critique avec son deuxième long-métrage «Une histoire d’amour et de désir». Une jeune et belle fille de Tunis rencontre à Paris où elle débarque pour poursuivre ses études un jeune étudiant beur. C’est elle qui va l’initier à la vie, et pas le contraire. Ce qui permet à la réalisatrice franco-tunisienne de filmer au plus près le corps du jeune puceau, peut-être une manière de rendre hommage à son père, le grand Nouri Bouzid, le premier à avoir ausculter de près le corps de l’homme arabe blessé dans «L’homme des cendres», son inoubliable chef d’oeuvre qui n’a que peu de chose à voir avec la vaine bluette vaguement sociologisante de sa fille. Néanmoins une bonne surprise nous attendait dans ce film : On retrouve dans le rôle du père de l’étudiant, le comédien algérien Samir El-Hakim, toujours aussi bon soit dit en passant. L’acteur originaire de Sétif serait-il très snob ? Car être régulièrement présent à Cannes ( déjà en 2019, il était à l’affiche de «Papicha» de Mounia Meddour et «Abou Leila» de Amine Sidi-Boumédine) sans jamais y mettre ses pieds, c’est le summum du snobisme. Que conclure ?

1-C’est voulu et bien joué de sa part. 2- C’est pas du tout volontaire.

Entre la vérité et la légende, John Ford nous a assuré que Samir El-Hakim préfère les bars d’Alger à la Croisette masquée.

Dans la catégorie des films très attendus et qui nous ont beaucoup déçu, on peut rajouter le film du réalisateur tchadien Mahamat-Saleh Haroun qui met en scène le combat d’une mère pour offrir un avenir meilleur que le sien à sa fille tombée enceinte dans un pays qui interdit l’avortement. «Lingui» («les liens», en arabo-tchadien) est un film assigné au fameux cahier des charges des films du sud : dénonciation, bons sentiments, avec comme cadeau de consolation à l’écran une belle papicha de N’Djamena.

Le Grand Prix de la Semaine de la critique est allé au très étrange film de l’Egyptien Omar El Zohairy, «Faithhers» : Lors de l’anniversaire de son fils de 4 ans, pour lequel il a invité un magicien, un père de famille se retrouve transformé en poule. Le prestidigitateur prend la fuite en se rendant compte qu’il avait foiré son tour de magie, laissant une femme et ses trois enfants se démêler dans la misère. Une fable, excellemment mise en scène et très pertinente, une belle promesse.

«Toc, toc, Mr Hakem, il va falloir libérer la chambre»…

Encore cinq minute madame la femme de chambre, le temps d’exprimer à quel point on a aimé le très puissant film du marocain Nabil Ayouche, «Haut et fort- Casablanca beats» qui méritait bien sa place en compétition officielle. Cette comédie musicale hip hop qui a pour cadre la maison de culture de Sidi Moumen, le quartier défavorisé de Casablanca, est une bombe. Parions que ce film va cartonner au Maroc et au-delà. Un jeune animateur social prend en charge des jeunes adolescentes et adolescents dans son atelier hip hop, il les aide à exprimer ce qu’ils ressentent en trouvant les mots justes, les bonnes rimes, «la bonne attitude» comme il dit. C’est malin, car à travers ce dispositif, Nabil Ayouche laisse les jeunes marocains parler aussi bien de leurs vécus que de leurs rêves d’émancipation, cherchant avec eux les solutions pour échapper au déterminisme social et culturel auxquels ils sont condamnés comme on le leur rappelle quotidiennement. Certes, on ne change pas le monde avec des rimes, des chansons, ou même avec des beaux films, mais l’amour que porte Nabil Ayouche aux enfants des quartiers pauvres de son pays, palpable et contagieux, cet amour qui jamais ne verse jamais dans l’angélisme petit bourgeois ou la condescendance festivalière, l’honore et rend son cinéma indispensable. Parions que Spike Lee, grand amateur de hip hop, ne restera pas insensible à ce film appelé à devenir culte.

EYES WIDE SHUT / EARS WIDE OPEN

Sonnerie de téléphone ? La réception. «Mr l’envoyé spécial du Quotidien d’Oran, pourriez-vous libérer votre chambre ?».

Toute de suite, Monsieur, mais laissez moi vous dire deux ou trois choses sur la dernière expérience partagée avec Apichatpong Weerasethakul.

l Pardon ?

Le réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul en compétition pour décrocher une deuxième palme avec «Mémoria», son dernier trip philosophico-mystique qu’on pourrait considérer comme un des chefs d’oeuvres de cette édition. Porté par l’actrice américaine Tilda Swinton et tourné en Colombie… Quelles traces laissons-nous derrière nous, un son peut-il contenir nos histoires ? «Mémoria» et ses longs plans fixes merveilleux se voit avec les oreilles grandes ouvertes.

l Peut-être mais si vous voulez rester dans votre chambre encore, votre carte sera débitée de 365 euros

Ne me dites pas que je vais devoir passer sous silence le film de Asghar Farhadii «Un héros», alors qu’il est donné comme favoris pour la palme d’or et que son acteur, l’excellent et archi-sexy Amir Jadidi, pour la première fois à l’écran donc une révélation, devrait, à l’heure qu’il est, peaufiner son discours de remerciements ?

C’est bon, j’abrège. Juste un mot sur «Belle», le nouveau film d’animation de Mamoru Hosoda présenté en avant-première mondiale. Un mot ? Splendissimo. Ok, un peu plus d’un mot, je prends l’ascenseur. Belle est un animé politique, très critique sur la culture numérique des réseaux sociaux. Plus qu’une variation réussie de la Belle et la Bête, ce chef d’œuvre update Hayao Miyazaki. La relève est là !

RÉEL EST LE VIRTUEL

Ah, et les pronostics ? Pas le temps ? Allez, sms, on les fourgue à Spike Lee. Réponse immédiate du président du Jury : «Merci beaucoup, on ne savait pas qui primer, on va prendre ton palmarès, mais chut, pas un mot à la presse». De deux choses l’une :

1- L’envoyé spécial est un grand mythomane. 2- L’envoyé spécial est n’est pas sorti du monde virtuel de «Belle». Mais comme dirait John Ford, entre la réalité et la légende, on préfèrera croire et écrire que c’est volontairement et par bravoure que Samir El-Hakim, a refusé de venir à la fête de la Quinzaine des Réalisateurs où tout le monde a fait la bise à tout le monde, chacun tombant son masque, après tout on peut tomber malade maintenant ! Ainsi donc Samir El-Hakim a fait le choix de rester auprès de son ami Chawki Amari, lequel n’arrête pas de radoter et de clamer partout que si «143 rue du désert» de Hassan Ferhani cartonne à sa manière au box office ( 22.000 entrées), c’est d’abord grâce à lui et sa découverte de Malika

– Monsieur l’envoyé spécial de longue date, on espère que votre séjour a été agréable, votre canne est avancée. Bon retour !

Longer la rue d’Antibes, traverser en haletant les rues de Bône, de Constantine, et d’Oran. Puis, rue des Serbes, bifurquer pour rejoindre la gare à bout de souffle. Objectivement et sans contrefaçon, nous sommes dans un état pathétique. Mais il y a toujours pire. Comme ces mendiants entre deux âges aux abords de la gare. Tiens, l’un d’eux dessine, il pue fort le botti frais mais il dessine pas mal. Mais… ma parole, ce meskine ressemble à Nime, le dessinateur oranais. Si ça se trouve c’est vraiment Nime ! Plus que jamais, remettre son masque, et surtout faire semblant de ne pas l’avoir reconnu …


La Palme d’or, épilogue d’un festival qui a tenu ses promesses


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