Cinq siècles d’impunité de l’Occident : vérité et réconciliation pour un nouveau monde multipolaire

 

 

Par le Professeur  Chems Eddine Chitour école polytechnique, Alger

«Quand les Blancs sont venus en Afrique, nous avions la terre et ils avaient la Bible. Ils nous ont demandé de prier avec les yeux fermés ; quand nous avons ouvert les yeux, les Blancs avaient la terre et nous avions la Bible. »
Jomo Kenyatta,
ancien Président kenyan

«Les nations européennes se vautrent dans l’opulence la plus ostentatoire. Cette opulence européenne est littéralement scandaleuse car elle a été bâtie sur le dos des esclaves, elle s’est nourrie de leur sang. Ce bien-être est dû à la sueur et aux cadavres des nègres, des Arabes, des Indiens et des jaunes.»
Frantz Fanon

Résumé
Nous voulons dans cette contribution tenter d’expliquer comment s’est érigée la terreur occidentale pendant cinq siècles, imbue du mythe des races supérieures qui ont fait dire aux envahisseurs anglais en Australie qu’il fallait classer les autochtones dans la classe des animaux. Mieux encore, aidée par la légitimité religieuse d’une papauté conquérante qui perpétue les croisades dans les invasions du nouveau monde et ensuite mettra en esclavage des continents entiers.
Nous ferons le procès rapide de colonisations atroces et citerons à la barre cinq généraux qui, à des degrés divers, se sont rendus coupables de génocides impunis. Cependant, nous devons d’abord déconstruire la notion de génocide dont la définition, et on l’aura compris, par l’Occident qui, de ce fait, en minimisant les massacres de masse, absout les Etats criminels et leurs bras armés. Nous appellerons de ce fait à la mise en place d’un nouveau Nuremberg moral pour la reconnsaissance des fautes et aller sur le chemin de la réconciliation pour un monde multipolaire où les peuples pourront s’épanouir à l’ombre d’une justice planétaire. Une nouvelle architecture qui remplacerait les Nations unies qui ont atteint leur limite.

Bref récit de cinq siècles de déni de la dignité humaine par des pays
Tout a commencé, dit-on à tort, avec ce que l’Occident appelle les grandes découvertes, la découverte du Nouveau Monde. Les Espagnols et les Portugais fondent des empires coloniaux dans la première moitié du XVIe siècle aux Antilles, Cuba et à Haïti, décimèrent des civilisations entières, les Aztèques, les Mayas. La papauté s’est investie dans ses expéditions après les huit croisades. Après les «conquêtes espagnoles et portugaises par le traité de Tordesillas, le pape délimite la frontière entre l’empire portugais et espagnol. Certes, des religieux admirables comme le Dominicain Bartoloméo de Las Casas ont tenté, en vain, de convaincre dans une fameuse disputation que les Indiens appartenaient à la même humanité. Rien n’y fit, il fallait réduire en esclavage, voler l’or et ramener les esclaves dans la fameuse traite triangulaire avec cette devise mortifère qu’est la règle des 3 c : «christianisation, commerce, colonisation.»
Ainsi, pendant plus de cinq siècles, l’Europe et, plus tard, sa création, les états-Unis, mirent en coupe réglée des peuples entiers qui souffrent encore de cet enfer. C’est ainsi que naquirent de nouveaux états. Les états-Unis et le Canada qui ont éliminé graduellement les autochtones. Nous arrivons au XIXe siècle, deux pays iront porter la guerre, la désolation, la destruction en s’attaquant à l’Empire ottoman, le délestant de la plupart de ses provinces. C’est dans ce cadre qu’une armée de soudards, appelée l’armée d’Afrique, aidée par une église, sema la terreur par le sabre et le goupillon. Dans les années 1860, la sinistre Albion et son acolyte dans le vol iront créer des foyers de tension au Proche-Orient. Ces deux pays iront guerroyer en Orient et en Extrême-Orient, semant là aussi la désolation et imposant à titre d’exemple à la Chine la consommation de l’opium en pillant ce pays.

La conférence de Berlin pour le partage de l’Afrique
Il y eut naturellement des différends entre les nations européennes. la France sera occupée du fait de la chute de Napoléon écrasé à Waterloo le 18 juin 1815 par une armée anglaise. Il en sera de même pour les velléités franco-allemandes. La guerre éclair et la chute de Sedan permirent à l’Allemagne d’occuper Paris. Bismarck proclamera l’Empire dans la galerie des Glaces le 18 janvier 1871. Les velléités anglo-françaises pour la domination des peuples faibles se déportera ensuite sur l’Afrique à la conférence de Berlin. De 1885 à 1900, plusieurs états européens se jettent sur l’Afrique dans un but économique et de prestige. Les puissances qui y prennent part sont, principalement, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Italie et… la Belgique.
En 1880, un Etat qui se respecte est un Etat qui dispose de colonies. Il s’agit de pratiquer une exploitation commerciale violente et intensive des ressources naturelles de l’Afrique. A-t-on tué pour autant pour des raisons ethniques ? Le roi des Belges s’empara à titre personnel du Congo. à la veille de la Première Guerre mondiale, pratiquement toute l’Afrique était dans les griffes de quelques pays européens, l’Angleterre, la France, l’Italie, le Portugal, la Belgique, l’Italie et l’Allemagne pour les plus importants.

Les accords Sykes-Picot ont reconfiguré le Moyen-Orient
Après la Première Guerre mondiale, guerre interne à l’Occident, ce fut les colonisés qui furent de la chair à canon. L’Empire ottoman est dépecé. «De manière totalement unilatérale, les deux puissances, l’Angleterre et la France, vont imposer un découpage des frontières en fonction de leurs intérêts stratégiques et de leurs présupposés idéologiques. La France décide de créer plusieurs États dans l’espace qu’elle contrôle ; quant au mandat sur la Palestine, il va connaître un destin particulier puisqu’il privilégie la réalisation d’un foyer national juif, la déclaration Balfour est citée dans le préambule et l’article 2 du texte, alors même que la population juive de Palestine ne représente, en 1920, que 10 % de la population globale de la Palestine qui est donc à 90 % arabe. Il n’y a donc aucun doute : les accords Sykes-Picot ont eu une influence déterminante sur l’histoire et la géopolitique du Proche-Orient.(..) La ligne de partage n’avait pas de rationalité autre qu’une idée simpliste.»(1) C’est une ligne purement géométrique. Tout a été fait avec désinvolture, affirme l’historien James Barr.
Nous eûmes ensuite droit à la Seconde Guerre mondiale et, là encore, les pays colonisés furent en première ligne. Un nouveau pays ayant peu souffert de la guerre au sein des alliés émergera et tentera de gouverner le monde suivi en cela par les anciens pays européens devenus, par la force des choses, des vassaux. L’Union soviétique qui a perdu la moitié des 50 millions de morts pendant la Seconde Guerre mondiale pour avoir vaincu le nazisme n’a jamais été acceptée par l’Occident. Par la suite, les années 60, les pseudo-décolonisations donnèrent lieu à des pays exsangues qui n’ont toujours pas déprogrammé pour la plupart le logiciel de la décolonisation. Nous sommes au XXIe siècle, l’espérance d’un monde multipolaire est devenue irrésistible. L’Occident reste esclave de son hubris.

Qu’est-ce que le génocide des peuples ?

L’expression «génocide de peuples autochtones» est une formule qui désigne la destruction massive de l’ensemble d’une collectivité ou d’une culture classée parmi les peuples dits autochtones, définis comme étant des minorités ethniques et dont le territoire historique et actuel est intégralement occupé par l’expansion coloniale ou par la formation d’un État-Nation dominé par un groupe politique issu d’une puissance coloniale. La notion de génocide n’a été introduite qu’au milieu du XXe siècle par le juriste Raphael Lemkin, juif polonais qui forge en 1943 le terme et le concept de génocide et le fait valoir d’abord au tribunal de Nuremberg, il était chef de la délégation américaine, puis «imposé» auprès de l’ONU en 1948. Selon Lemkin lui-même, «la colonisation, ‘’intrinsèquement génocidaire’’, se fait en deux étapes mortifères : la destruction du mode de vie de la population indigène, puis l’acculturation, les nouveaux venus imposant leur mode de vie au groupe devenu minoritaire. Certains chercheurs, parmi eux Lemkin, ont fait valoir que l’ethnocide devrait également être reconnu. Un peuple peut continuer à exister en apparence, mais si ses membres ne peuvent conserver leur identité à cause d’interdictions de leurs pratiques culturelles et religieuses, il se dissout peu à peu dans d’autres peuples : cela peut être considéré comme une forme de génocide». Certains chercheurs considèrent la colonisation des Amériques comme un génocide. Ils affirment qu’elle était en grande partie menée grâce à l’exploitation systématique, à l’enlèvement et à la destruction de certains groupes ethniques. Dans cette perspective, le concept de «destinée manifeste» dans le cadre de l’expansion vers l’Ouest, à partir de l’est des États-Unis, peut être considéré comme étant un facteur contribuant à un génocide.(2)

La modernité génocidaire commence en 1492
Dans le même ordre de la négation, une étude de Mohamed Abassa, fait, d’une façon élégante mais sans concession, le procès de ce magistère occidental. Il écrit : «Le pape François, dont on devine l’immense bonté pour tout ce qui est chrétien, déplore et dénonce les trois génocides du siècle dernier (…) Pourquoi être comptable de seulement trois génocides et autres suggérés accessoires par le non-dit, et pourquoi sur un seul siècle? Les états-Uniens comptent, à eux seuls, plus de 2 000 agressions militaires directes contre des pays souverains, 402 traités de paix par eux violés, et résultat de la course, plus de 50 millions d’êtres humains massacrés par leurs armées dans les cinq continents. Personnellement, le massacre d’un seul être humain pour le motif de ses idées, de sa peau, sa religion, sa race ou ses croyances constitue en soi un génocide. Qu’a fait la papauté de Pie XII pour dénoncer les massacres de civils algériens, 40 000, un véritable génocide, le 8 mai 1945, à Sétif ? Rien.» (…) Ces génocides des cinq derniers siècles où donc sont-ils passés dans la mémoire du saint Pape ? Sont-ils oubliés, gommés parce que l’Eglise, la chrétienté et l’Occident y sont impliqués jusqu’à l’os ? L’occupation et l’évangélisation des Amériques par l’Eglise et les Européens, Anglais, Espagnols, Portugais, Hollandais et Français en tête, ont provoqué des millions de morts, des centaines de génocides ! Qui en parle? Personne. Est-ce de bons génocides? Qui ne dit mot consent. Qui a exterminé, il y a moins de trois siècles, les Sioux, les Apaches, les Navarro, les Cheyennes, les Cherokee, les Creeks, les Iroquois, les Esquimaux? Tous massacrés, leur bétail aussi et leurs récoltes incendiées pour les faire mourir de faim et de maladies, pour les exterminer, éteindre à jamais leurs races. L’épopée du Far West n’est rien d’autre qu’une fumisterie cachant une multitude infâme de génocides dont l’Eglise était partie prenante.» Ce sont tout simplement les effets différés et cumulés de la politique de 100 ans d’exterminations (…) Ce que qualifieront Victor Hugo, Jules Ferry et Alexis de Tocqueville de «marche de la civilisation sur la sauvagerie». Ce à quoi répliquera tranquillement l’Emir Abdelkader : «Non, Messieurs des Misérables, c’est votre sauvagerie qui marche sur notre civilisation. Je reconnais vos traces et vos passages à mes bibliothèques et livres brûlés.»(3)
Forts de cette définition que les massacres de masse sont des génocides au sens de la définition de Lemkin, nous allons maintenant qualifier les horreurs dont s’est rendu coupable l’Occident en commençant par le génocide des Amérindiens. Nous décrirons ensuite parmi les dizaines de génocides dans le monde cinq génocides dus à cinq nations en nommant les généraux qui ont eu à assurer avec enthousiasme cette basse besogne au nom de la race des seigneurs (saigneurs) et d’une religion de l’amour du prochain qu’est le christianisme.

Les génocides «reconnus» par la civilisation occidentale
On l’aura compris, le terme génocide est apparu pour la première fois pour tenter de définir les crimes perpétrés par les nazis à l’encontre des peuples juif, slave et tzigane durant la Seconde Guerre mondiale, ceux commis par le gouvernement des Jeunes-Turcs de l’Empire ottoman à l’encontre des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale et ceux dont furent victimes les Assyriens en Irak en 1933. On ne peut comprendre l’acharnement de certains pays à qualifier les massacres de la Première Guerre mondiale des Arméniens de génocide sans parler de la réalité et de la qualification des faits. Interrogé par les journalistes du Monde, Bernard Lewis, professeur à Princeton, déclare : «(…) Vous voulez dire reconnaître la version arménienne de cette histoire ? Il y avait aussi des bandes arméniennes — les Arméniens se vantent des exploits héroïques de la résistance —, et les Turcs avaient certainement des problèmes de maintien de l’ordre en état de guerre. Si l’on parle de génocide, cela implique qu’il y ait eu politique délibérée, une décision d’anéantir systématiquement la nation arménienne. Cela est fort douteux. Des documents turcs prouvent une volonté de déportation, pas d’extermination.»(4)

Les génocides des Amérindiens : Christophe Colomb, Fernando Cortés
Le Nouveau Monde, écrit Lissell Quiroz, s’est transformé en abattoir (…) Les pandémies ne sont pas un phénomène du XXIe siècle, elles existent depuis les siècles anciens. (…) Selon les chiffres fournis par les chroniqueurs tout comme les estimations élaborées par des chercheurs, la population des Amériques connut une chute vertigineuse au temps de l’invasion et la conquête.
Différentes hypothèses situent la population initiale entre 20 et 150 millions dʼhabitants. Un certain consensus s’est établi autour de 100 millions dʼhabitants. Une cinquantaine d’années plus tard, le continent avait perdu entre 80% et 90% de sa population totale. Le Mexique par exemple ne retrouve le nombre d’habitants du XVe siècle que dans les années 1960 […] la destruction démographique résulte de la cupidité et des guerres déclenchées par les Espagnols entre 1530 et 1550. (…) Pour pouvoir exploiter des ressources minières, Christophe Colomb institua un impôt colonial par tête (appelé encomienda) selon lequel tous les trois mois, chaque autochtone devait lui donner une certaine quantité d’or ou de coton. L’église fut un soutien de taille et l’évangélisation servit à mieux contrôler la main d’œuvre indigène déracinée et acculturée. L’encomienda et l’évangélisation déstructurèrent en profondeur les sociétés d’Abya Yala. La vie communautaire, familiale et collective fut totalement bouleversée et, à terme, anéantie dans toutes les régions américaines conquises et colonisées.(6)

Le génocide des Hereros de Namibie par le général allemand Lothar von Trotha
Entre 1904 et 1908, plus de 80% de la population des Hereros et 50% des Namas de Namibie sont assassinés par les soldats allemands. En 1884, l’Allemagne envahit le territoire namibien et fonde la colonie du «Sud-Ouest africain allemand». Le 12 janvier 1904, les Hereros se rebellent. Guidés par leur chef, Samuel Maharero, ils attaquent une garnison allemande à Okahandja.
En juin 1904, le général allemand Lothar von Trotha est envoyé en Namibie pour réprimer la révolte herero. Le 11 août 1904, lors de la bataille de Waterberg, les soldats ont pour ordre de ne faire aucun prisonnier. Ainsi, en quelques semaines, des milliers de Hereros meurent de faim et de soif. Von Trotha signe l’ordre de tuer tous les Hereros, le 2 octobre 1904 : «Les Hereros ne sont dorénavant plus sujets allemands (…). Tout Herero aperçu à l’intérieur des frontières allemandes avec ou sans arme, avec ou sans bétail, sera fusillé. Je n’accepterai plus désormais les femmes et les enfants, je les renverrai à leur peuple ou les laisserai être abattus.» En 2004, le gouvernement allemand reconnaît sa responsabilité dans le génocide des Hereros.(7)
En 2021, coup de théâtre ! «C’est une première, écrit Lucie Dendooven, dans l’histoire de la colonisation européenne en Afrique. Un Etat colonisateur, l’Allemagne en l’occurrence, reconnaît avoir commis un génocide contre les populations des Hereros et Namas en Namibie et va verser au pays plus d’un milliard d’euros d’aide au développement.»(8)

L’Inde et les massacres de masse d’Amritsar par le général Reginald Dyer
L’Empire britannique a été accusé de plusieurs génocides. La doctrine de la terra nullius a été utilisée par les Britanniques pour justifier leur saisie du territoire. La mort en avril 2019 de 3 000 à 15 000 Aborigènes tasmaniens a été appelée un acte de génocide. L’extinction des Aborigènes de Tasmanie est considérée comme un cas classique de génocide : «Churchill était un partisan fier, impénitent et indéfectible du racisme, du colonialisme, du génocide, du militarisme, des armes chimiques, des armes nucléaires et de la cruauté en général – et le montrait avec une arrogance éhontée. Churchill, comme le documente Ali, a grandi dans l’amour de l’Empire britannique. Il pensait que les vallées afghanes devaient être ‘’purgées de la vermine pernicieuse qui les infeste’’ (c’est-à-dire les êtres humains). Il préconisait le recours aux armes chimiques contre les ‘‘races inférieures’’. Il a contribué à la création de la famine du Bengale, sans le moindre souci pour la vie humaine.» (9) Bien plus tard, pour protester contre le Rowlatt Act, Gandhi organise en mars et avril 1919 un Satyagraha. Des heurts ont lieu entre les amis de Gandhi et les autorités. Le 13 avril, à l’occasion du Baisakhi Day, la fête du début des moissons, une dizaine de milliers d’Indiens se réunissent dans le Jalianwalla Bagh, un jardin au cœur d’Amritsar. Le rassemblement est un défi à l’interdiction dans la ville. La troupe, composée de 50 soldats de l’Armée des Indes équipés de fusils Lee-Enfield, se rend au parc accompagnée d’une auto-mitrailleuse. Les soldats sont commandés par le brigadier-général Reginald Dyer qui fait tirer sans sommation, des Indiens tentent d’échapper aux balles en grimpant aux murs ou en se jetant dans un puits. Les estimations officielles font état de 379 tués et 1 100 blessés pour 1 650 balles tirées, une efficacité dont Dyer s’enorgueillira plus tard. La troupe se retire ensuite, laissant les blessés. Il fut convoqué à la commission Hunter qui, en 1920, le déclara coupable. Cependant, le Parlement britannique le réhabilita et le félicita pour sa brutalité.(10)

Le génocide libyen oublié : maréchal Graziani, «le boucher de la Cyrénaïque»
Tout commença en Italie en 1922 avec l’invasion de la Libye. Lorsque les fascistes italiens sont arrivés au pouvoir, les colonisateurs ont dû dégager le territoire libyen – par la force si nécessaire – pour pouvoir y installer des fermiers venus d’Italie. Cette politique délibérée de tueries de masse et de famines organisées visait à annihiler un peuple entier et sa culture. Le maréchal Graziani est connu pour sa brutalité dans la répression de la rébellion en Cyrénaïque, il est aussi tristement célèbre pour avoir ordonné l’utilisation de gaz toxiques et des armes chimiques. De Tripoli à Benghazi, l’homme de Mussolini est considéré comme «le boucher de la Cyrénaïque». Ce criminel de guerre mata la rébellion anticoloniale menée par le nationaliste Omar Al Mokhtar. «Graziani occupe une place sinistre dans la mémoire de la Libye. Ses méthodes sont brutales : il use de colonnes mobiles depuis longtemps éprouvées par l’armée coloniale française, crée des camps de concentration. En 1931, il finit par faire pendre, devant une foule médusée, un grand chef de guerre de 69 ans, Omar Al Mokhtar. Pour venir à bout des rebelles, il les contraint à vivre dans le désert, derrière un mur de barbelés. On estime à 100 000 morts, sur une population de 800 000, les pertes occasionnées par l’occupation italienne en Libye sur cette période. Olivier Favier de conclure : «Ce n’est peut-être pas un hasard […] si la France a pratiquement fait silence sur cette histoire. Le parcours colonial de Rodolfo Graziani possède ici certains équivalents de taille, eux aussi honorés.»(11)

Le génocide de mai 1945 perpétré par le général Raymond Duval, boucher de Sétif
«La commémoration du 8 Mai 1945 à Alger, lit-on dans cette contribution, n’est pas celle de la victoire des alliés sur l’Allemagne nazie mais celle des massacres perpétrés par la France contre les indépendantistes algériens à Sétif, Guelma, Kherrata. Mais les crimes perpétrés par la France en Algérie pendant la colonisation ne sont pas reconnus par l’ONU comme un crime contre l’humanité ou un génocide. L’ONU n’est pas une institution neutre et la France, qui a participé à définir ces notions, n’a pas intérêt à pointer ses crimes, d’autant qu’une véritable reconnaissance aurait des conséquences jusque sur sa politique actuelle. Ce que souligne l’historien et ancien président de l’Association du 8 mai 1945 Mohamed El-Korso dans le journal El Watan. «Un colonel de la colonisation dit : “Je coupe les têtes” [un autre] : “Tuez tous les hommes à partir de 15 ans”. […] Les colonels [français] sont venus liquider tout un peuple et ils ne pouvaient prendre la place de ce qu’ils appelaient les “autochtones” sans commettre de génocide.» Il ajoute : «L’armée coloniale expérimenta l’extermination par le gaz un bon siècle avant l’Allemagne nazie.» Avant de lister des pratiques génocidaires, dont les enfumades et emmurements […] (1844), les fours à chaux (1945) et le charnier de Chréa qui compte pas moins de 651 cadavres.(12)
«Le 8 mai 1945, écrit Nathan Erderof, est, aussi, l’anniversaire caché et mis sous le tapis par l’État français d’un des nombreux épisodes de la sanglante répression coloniale(..) L’État colonial répond à une mobilisation indépendantiste par le massacre de dizaines de milliers d’Algériens. La répression, menée par le général Duval, engageant l’aviation et la marine, est une véritable boucherie comme le rappelle Le Monde diplomatique : «Les civils européens et la police se livrent à des exécutions massives et à des représailles collectives. Pour empêcher toute enquête, ils rouvrent les charniers et incinèrent les cadavres dans les fours à chaux d’Héliopolis.» Dans la région de Béjaïa, 15 000 femmes et enfants doivent s’agenouiller ; à Kherrata, les cadavres des manifestants ont été jetés dans le fleuve par des camions de l’armée coloniale. Des chiffres dont l’ordre de grandeur est confirmé par les historiens, alors que l’État français n’aura de cesse de les minimiser.(13)
Comment rendre alors justice aux centaines de millions d’êtres humains victimes de massacres, de génocides, aux milliards de personnes qui, d’une façon ou d’une autre, gardent dans leur génome ce trauma d’une façon épigénétique, de génération en génération. Si nos aïeux nous transmettent leurs traits physiques, ils nous transmettront aussi leurs traumas. Appliquée à tous les conflits, ceci peut amener à une nouvelle vision des dommages de guerre que l’on pourrait faire supporter à l’agresseur au profit des descendants car ce qui leur arrive est un douloureux héritage. Il n’est pas interdit de penser à titre d’exemple à l’immense tremblement de terre, qu’ont subi les Algériens un matin de juillet 1830 et ceci pendant 132 ans et dont les répliques, à savoir les errances actuelles, les traumatismes et les névroses des Algériens de ce XXIe siècle, ne peuvent être soldées d’une façon désinvolte comme on nous y invite à le faire.(14)

Les prémices d’un monde multipolaire plus juste

La guerre en Ukraine a changé la donne et les rapports Occident-Sud global : «Incontestablement, écrit le général Dominique Delawarde, les Russes ont changé la donne de la géopolitique mondiale en refusant l’extension à l’Est de l’OTAN (…) Elle a fait apparaître, grâce aux sanctions boomerang prises par les pays membres de l’OTAN eux-mêmes, les vulnérabilités économiques et financières d’un Occident accroc à la dette et à la consommation d’une énergie jusqu’alors bon marché. Depuis plus d’un an, la diplomatie occidentale enregistre échec sur échec face aux diplomaties russe et chinoise. Le nombre de demandes d’adhésion aux BRICS et à l’OCS explose, ce qui est le signe d’un soutien croissant au camp de la multipolarité et d’un refus de l’hégémonisme des USA et de l’OTAN. La Turquie, la Syrie et l’Iran se parlent désormais régulièrement, sous l’égide de la Russie, pour mettre un terme à la crise syrienne et à leurs différends. D’autant que le parti d’Erdogan dispose d’ores et déjà de la majorité absolue au Parlement turc, il rapprochera toujours plus son pays des BRICS et de l’OCS : en clair, du camp de la multipolarité. La bonne nouvelle, c’est l’émergence en cours d’un monde multipolaire qui remet en cause l’hégémonie sans partage US-OTAN des trois dernières décennies. L’élargissement des BRICS étant sur toutes les lèvres, pourquoi le groupe suscite-t-il désormais l’intérêt de l’Occident ? Les BRICS pourront-ils faire contrepoids aux pays occidentaux et leur probable monnaie commune aura-t-elle une force centripète susceptible de mettre en mouvement le Sud global ?(15)

Un nouveau Nuremberg moral pour expier les fautes de l’Occident ?
Pour hâter l’avènement d’une nouvelle ère, le moment est venu de mettre tout à plat pour évaluer cinq siècles de rapine de l’Europe et plus tard les états-Unis avec plus de 200 guerres depuis sa création en 1776. Cette mise au point est nécessaire si on veut mettre en place un nouveau monde où chaque peuple aura droit de cité. Le monde multipolaire aura a écrire une nouvelle charte de San Francisco. La capacité de nuisance de l’Europe est toujours intacte. Elle continue à vouloir dicter la norme du bien et du mal distribuant les mauvais points et les bons points. Naturellement, Colomb ou Cortés ou Duval ou Graziani ou Dyer ne se souciaient pas de nuances sur la notion de génocide : il fallait faire disparaître les colonisés s’en remettant aux «spécialistes» de défendre leurs faits d’armes. Quand Victor Hugo écrit que le général Saint Arnaud qui a semé la désolation «a les états de service d’un chacal», il faut le croire ! La nécessité d’une nouvelle vision du monde s’avère urgente. Le moment est venu pour un tribunal de type Vérité et réconciliation car l’Occident devrait moralement expier ses fautes au nom des droits de l’Homme dont il se dit, à tort, le dépositaire.
Il est à espérer que le nouveau monde multipolaire ne se fasse pas contre l’ancien monde héritier des cinq siècles de meurtres, de rapines et de certitude d’appartenir à la race des élus. Il n’est pas interdit de rêver après cette Vérité et cette réconciliation si l’Occident fait son mea culpa à une coopération mondiale où chaque pays apportera sa part d’humanité et où les objectifs du millénaire seront enfin mis en œuvre. L’homme dépense 2 000 milliards de dollars pour tuer son prochain. Une nouvelle guerre autrement plus existentielle est à nos portes. Malgré ce que peuvent penser les climato-sceptiques, le chaos climatique est une réalité. Comment atténuer ses agressions ? C’est cela le vrai défi pour une humanité embarquée sur notre alma mater ô combien fragile et qu’il nous faut protéger comme la prunelle de nos yeux !
C. E. C. 

1.http://www.lecavalierbleu.com/wp-content/uploads/ 2018 /11/ir_transfomo_extrait.pdf
2.https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9nocide_de_peuples_autochtones
3.Mohamed Abassa http ://www .algerie patriotique .com/article/une-contribution-de-mohamed-abassa-des-bons-et-des-mauvais-genocides 15 Avril 2015
4. Bernard Lewis interview par J.P. Langellier, J.P. Peroncel-Hugoz Le Monde, 16.11.1993
5. ChemsEddineChitourhttps://www.lexpression.dz/ chroniques/l-analyse-du-professeur-chitour/la-necessaire-deconstruction-de-la-civilisation-occidentale-21504127-04-2015
6.Lissell Quiroz https://decolonial.hypotheses.org/1677 23/03/2020
7.https://museeholocauste.ca/fr/ressources-et-formations/genocide-hereros-namibie/
8. Lucie Dendooven https://www.rtbf.be/article/le-genocide-pour-la-premiere-fois-reconnu-par-un-etat-europeen-a-l-epoque-des-colonies-un-dangereux-precedent-1077151328 mai 2021
9.https://echecalaguerre.org/winston-churchill-etait-un-monstre-traduction/
10.https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_d%27Amritsar
11.https://histoirecoloniale.net/scandale-en-Italie-un-mausolee-en.html
12.https://orientxxi.info/magazine/vu-d-alger-l-autre-versant-de-l-histoire-d-une-guerre-coloniale,1909
13. Nathan Erderof https ://www .revolution permanente. fr/8-mai-1945-quand-l-Etat-francais-massacrait-des-dizaines-de-milliers-d-Algeriens-a-Setif-Guelma-et
14.https://www.lexpression.dz/chroniques/l-analyse-du-professeur-chitour/que-devient-la-predestination-195752
15.Général Dominique Delawarde https://reseauinternational.net/les-bouchers-de-tel-aviv-et-de-washington/ 18 mai 2023

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