La « darija » au même titre que le tamazight: L’espoir est dans les langues maternelles

  par Salah Lakoues

 Le linguiste et grand défenseur des langues maternelles de ce pays, Abdou Elimam, a donné une interview à un nouveau journal en ligne (algeriecultures.com) qui vaut le détour. En effet, outre ses nombreuses contributions pour la reconnaissance de la darija au même titre que tamazight, dans cet entretien, notre linguiste national éclaire les termes du débat sur le statut des langues. Ses appels du cœur finiront-ils par atteindre la commission qui gère les contributions pour enrichissement de la Constitution ?

Cette interview en date du 07/07/2020 donne l’occasion à Abdou Elimam d’exposer sa vision sans fard, en s’adressant à ses compatriotes à la fois en sa qualité de chercheur en linguistique et neurosciences cognitives et en sa qualité de citoyen porteur de grandes espérances pour ce pays.

A la question de savoir comment il est arrivé à la revendication de la darija comme langue nationale, il démontre que la darija n’est pas de l’arabe, mais en est proche car toutes les deux langues appartiennent à la même famille des langues sémitiques. L’ancêtre de la darija (qu’il préfère appeler maghribi) c’est la langue punique qui était présente près de 1500 ans avant l’arrivée des Arabe. Les deux langues ont vite appris à cohabiter tant l’engouement pour le message islamique a séduit la population maghrébine. Depuis, selon Abdou Elimam, les deux langues se sont réparti les tâches (ou « fonctions ») : l’une pour le fiqh, l’exégèse coranique et l’administration ; l’autre pour la vie au quotidien et la culture nationale (orale et écrite). Finalement nous prenons conscience de notre réalité de nation, dès la fin du XIX e. siècle, grâce à cet équilibre que nos aïeux avaient réussi à préserver : la solidarité entre les deux langues. Le fait de les opposer et de minorer la darija contribue à briser le lien naturel que notre histoire maghrébine a su forger pour nous permettre d’émerger en tant que nation. Disant cela, notre linguiste s’empresse d’ajouter que cette solidarité entre les langues, elle était tout aussi forte et décisive entre les variantes tamazight et l’arabe. Ce qui le pousse à conclure ce point ainsi: « il revient à l’institution étatique de préserver ces produits de l’histoire socioculturelle de notre espace géographique. Tamazight a déjà passé le cap de la protection juridique étatique, la darija est toujours en liste d’attente… ».

Cette vision de la cohésion linguistique nationale, telle qu’esquissée par le linguiste, opère un « reset » de la question linguistique nationale. En effet si la darija est une évolution du punique et que sa rencontre avec l’arabe fait converger les efforts des deux langues afin de maintenir l’équilibre entre notre appartenance à la Ûmma et le développement de la culture nationale, alors nous sommes face à une problématique bien plus productive et optimiste que celles à laquelle nous avions été confrontés auparavant . Il n’est plus question d’un « dialecte », d’une « langue souillée », d’un « mélange incommode » et toutes ces lamentations que l’on déverse à propos de notre langue maternelle majoritaire. Il s’agit d’une vraie langue à qui nos ancêtres ont fait jouer un rôle solidaire et loyal envers la langue du Coran. Or briser cette solidarité en opposant les deux langues majeures du Maghreb, c’est porter atteinte à la fois aux individus (« Il s’agit, de fait, d’une atteinte grave à l’intégrité de la personne ») et à la cohésion linguistique qui a fait cohabiter tamazight et le maghribi depuis « 3000 ans ». Ce qui veut dire que les oppositions des langues maternelles entre elles (tamazight vs. darija), d’une part ; et des langues maternelles vis-à-vis de l’arabe sont loin de refléter une réalité historique qui a eu le temps de s’ancrer dans nos imaginaires depuis 1000 ans !

Ce gâchis linguistique et culturel, Abdou Elimam le relève d’un point de vue des sciences cognitives où la langue maternelle (qu’il appelle « native ») est un module qui extériorise des fonctions du cerveau ; la mettre à l’écart revient à faire violence à la personne et inhiber des passerelles déterminante d’élaboration des savoirs. L’erreur, nous dit-il, n’est pas le statut hégémonique de l’arabe (et il ajoute « de tamazight ? »), mais de l’exclusion de la darija. Là est le drame. Il le démontre en expliquant les retombées sur le système éducatif national. Là aussi, ses explications nous permettent de tirer au clair un des mystères de l’évolution des modes d’apprentissage en Algérie. Il est vrai que la situation dans les années 70 et 80 était bien différente de celle que nous connaissons de nos jours où l’accès au savoir passe non plus par le raisonnement mais par la mémorisation systématique et exclusive. On comprend mieux pourquoi nos plus jeunes apprennent par cœur et restituent sans compréhension ; c’est ainsi que l’institution les récompense. Or, pendant que l’école continue de formater nos petits, on s’interroge sur les raisons qui font que nos plus jeunes ne « réfléchissent plus », n’ont plus « d’esprit critique », etc. La raison est dans l’école qui a exclu la langue maternelle des enfants. Cela devrait donner à réfléchir tous ceux qui pensent que la darija est une « menace » pour l’arabe, alors qu’elle en a été la béquille historique ; casser la béquille revient à faire vaciller la langue tant chérie du message coranique !

De tels propos nous redonnent confiance car le nœud du problème est tout simple : l’exclusion de la langue maternelle de l’école (que ce soit la darija vis-à-vis de l’arabe ou bien des variétés berbères vis-à-vis de tamazight). Le diagnostic est posé. Les solutions sont à portée de main. Mais en ces temps de changements politiques, la volonté et l’audace parviendront-elles à négocier le virage de l’espérance Il s’agit, de fait, d’une atteinte grave à l’intégrité de la personne ?


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