De la censure au courant dominant Médias et manipulation de masse

Quiconque veut se faire une idée de l’actualité politique actuelle est souvent contrarié par des reportages partiaux. Des nouvelles émotionnelles, des diabolisations à tout vent ou des omissions ciblées sont de plus en plus courantes. Il est toujours plus difficile d’obtenir des informations précises. Un regard sur le passé peut contribuer à une vision plus sobre de la situation actuelle. 

Liberté d’expression

 La caractéristique d’une démocratie et l’un de ses fondements reposent sur la liberté d’expression. Elle fait partie des droits inaliénables de l’homme. Chacun est libre d’exprimer son opinion et d’en débattre. Ce n’est qu’à l’aide d’un échange ouvert d’opinions, d’idées, de solutions proposées ou de divers points de vue qu’émerge une sélection de possibilités fournissant la base pour former son propre point de vue. Quiconque désire participer au débat et aux décisions est invité à bien analyser les différentes approches, de les examiner pour lui, afin de pouvoir prendre une décision politique en cas de nécessité. C’est pourquoi les «chasses à l’homme» médiatiques sont profondément antidémocratiques, car, au lieu de renforcer la pluralité des opinions, elles s’attaquent aux fondements mêmes de la démocratie, en se permettant de déterminer ce qui est «juste» et «faux».

Une réalisation importante de notre démocratie moderne est l’abolition de la censure. La liberté de la presse fondée sur la liberté d’expression constitue un fondement de la démocratie. Pour maintenir leur pouvoir, les élites politiques ont très souvent tenté de réprimer les opinions dissidentes. Les représentants de l’Etat ont censuré la presse en sélectionnant les informations à l’intention du public. Les tentatives actuelles d’influencer Internet vont dans la même direction. Quels sont donc les moyens actuels d’influencer les opinions du public? Une brève rétrospective sur la façon dont les élites dirigeantes et les médias collaborent peut être instructif.
Etant donné que de nombreuses archives sont accessibles à l’heure actuelle, il est devenu plus facile de comprendre les tentatives traditionnelles des élites d’influencer le public par le biais des médias. On constate par exemple qu’à partir de 1917, des citoyens américains ont été systématiquement trompés pendant la Première Guerre mondiale (cf. Elter, Andreas «Die Kriegsverkäufer»). C’était le début de la «propagande» moderne, appelée de nos jours sous l’euphémisme Public Relations PR. La manipulation des masses par des techniques psychologiques s’est rapidement étendue (cf. Bernays, Edward «Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie»).
La machine de propagande des nationaux-socialistes allemands a adopté beaucoup de ces techniques originaires des Etats-Unis, les a systématiquement perfectionnées et a ainsi poussé la population allemande dans la Seconde Guerre mondiale. Après la Seconde Guerre mondiale et pendant la Guerre froide, de pareilles techniques de manipulation furent utilisées dans le but de convaincre les citoyens de la nécessité de certaines actions militaires et politiques.

Ces mensonges qui préparent les guerres

Le rôle des médias dans la guerre des Balkans (1991–1995) est aujourd’hui à considérer selon une distance historique relativement courte. La conscience publique concernant cette guerre se trouve encore entièrement sous l’effet du brouillard médiatique des années 1990. «Les Serbes» et «Milosevic» sont toujours «les coupables». Jörg Becker et Mira Beham ont analysé en détail les mécanismes utilisés par certaines agences de relations publiques internationales généreusement rémunérées pour initier cette guerre en influençant de manière ciblée l’opinion publique à l’aide des médias. (cf. «Operation Balkan: Werbung für Krieg und Tod»). 
En 1999, les «informations» sur la guerre du Kosovo de Jamie Shea, porte-parole de l’OTAN, ont été toutes colportées par nos médias sans aucun filtrage. A la télévision publique, il propageait quotidiennement de manière tapageuse cette guerre contraire au droit international. Cette guerre fut présentée aux citoyens comme un acte humanitaire. Actuellement, la vue sur les événements réels est toujours et encore troublée suite à ces activités des médias. Il y eut cependant aussi des contributions critiques, dont notamment l’émission «Es begann mit einer Lüge» [Tout a commencé par un mensonge], diffusée en 2001 par le service allemand d’information publique WDR. 
Les guerres ultérieures – également en violation du droit international – contre l’Irak (2003), la Libye (2011) et la Syrie (2011) ont été présentées aux consommateurs des médias d’Europe occidentale de manière si partiale qu’Internet est utilisé toujours plus souvent comme source d’information supplémentaire. 
Soyons conscients qu’aujourd’hui aussi, on nous désinforme sur tout ce qui touche à la guerre et à la paix.

Egalement chez nous

Tout citoyen attentif réalise que nous sommes mal informés au sujet des guerres. En Suisse, les médias jouent également un rôle décisif lors des votations ou en périodes d’importantes décisions politiques. De quelle manière sommes-nous informés? Comment les contenus sont-ils rapportés pour exercer l’influence voulue? Quels sont les contenus omis?

Relations publiques en Suisse

En Suisse aussi, les agences de relations publiques travaillent pour des clients suisses et étrangers (entreprises, associations, Etats, partis politiques, particuliers, etc.). Dans ce domaine, l’influence des agences RP sur les médias joue un rôle considérable (cf. Barben, Judith, «Les Spin doctors au Palais fédéral»). Il suffit de se rappeler comment les arguments de politiciens sont repris avant les votations, soit sans aucune remise en question, soit en les dénigrant de manière ciblée. D’autres instruments de manipulation de masse sont l’occupation ou la non-occupation de certains thèmes. Cet «Agendasetting», parfois sur plusieurs années, afin de mettre en avant certains sujets, de créer un certain climat ou le découpage de l’information en petites portions pour atteindre un certain objectif font partie de la vie quotidienne dans les médias. L’attention est dirigée sur certains sujets – et donc déviée d’autres thèmes. C’est particulièrement évident dans le domaine de la politique extérieure de la Suisse (p. ex. ONU, UE, politique de neutralité ou flux migratoires), mais aussi au niveau national, par exemple en les domaines de l’enseignement et de la politique agricole.
D’autres techniques manipulatoires sont la sélection arbitraire des affirmations de personnalités publiques ou le fait de relier certains contenus avec des associations mentales positives ou négatives. D’autres mécanismes d’influence manipulatrice sont les préparations de «tapis d’informations», de «spins», du «nudging». Les médias répandent de plus en plus des nouvelles inouïes à nous «couper le souffle» ou imprégnées d’«indignation profonde», ce qui leur permet souvent de dépasser les limites de la décence. Ce faisant, ils éveillent des craintes et des préjugés.

Faire semblant d’être dans l’intérêt public

Ces derniers temps, le recours fréquent à des moyens manipulateurs pour présenter certaines opinions (politiques) comme fondamentalement «mauvaises» pour les dénigrer est évident. Les personnes exprimant en public une opinion déviante du courant dominant sont passées sous silence, ridiculisées ou ruinées. Le vrai débat factuel est systématiquement évité. On observe souvent une collaboration étroite entre les principaux médias et les grandes agences médiatiques financées par des fonds publics. Ils pratiquent la diffusion d’accusations non fondées, souvent en se citant réciproquement et en négligeant toute voix dissidente. Une campagne de presse contre des personnalités individuelles est «orchestrée» par des publications paraissant comme par hasard. Suite à des analyses de livres et des interviews de dits «spécialistes» du sujet dans les médias, on simule un grand intérêt du public. Les «experts», les intervieweurs et les auteurs – trop souvent issus de maisons de presse amies – sont de toute façon du même avis.

La «chasse à l’homme»

Il y a quelques mois, par exemple, certains journaux du dimanche ont tenté de dénigrer Daniele Ganser, historien et auteur de diverses publications. Les différents articles se basaient sur une publication d’un «entrepreneur dans le domaine des médias» bien enraciné dans le courant dominant, recevant également des fonds publics. Celui-ci a tenté de discréditer Ganser sans entrer en matière de manière sérieuse. En même temps, ses accusations furent colportées par divers radios. Voilà comment un événement médiatique fut, une fois de plus, créé et diffusée tous azimuts, sans aucun débat sur le fond, mais avec des reproches en série. Le but évident de cette action: nuire autant que possible à la réputation de Ganser. Quels sont ses «méfaits»? Dans ses nombreuses conférences et publications, Ganser souligne à chaque occasion et sans se laisser intimider, que toute guerre d’agression est illégale en expliquant les dessous. (cf. Ganser, Daniele: «Les guerres illégales de l’OTAN»). Ses explications lucides, logiques et passionnantes, sa grande popularité et son succès, notamment auprès de la jeune génération, semblent avoir franchi une ligne rouge dressée en secret. En outre, Ganser s’était permis de prendre la liberté – lors d’une émission très suivie par les spectateurs suisses alémaniques – de défendre ses arguments contre vent et marée et d’exiger du modérateur davantage d’impartialité.
De telles «chasses à l’homme» visent à faire taire la personne et à mettre en garde d’éventuels imitateurs. Elles aboutissent souvent à la destruction d’une existence privée ou professionnelle. Quiconque ose défendre des opinions trop divergentes du courant normal doit s’attendre à un tollé médiatique.

Un système global de pilotage: les médias

Au cours des dernières années, il s’est avéré que les élites américaines exercent également une influence directe sur la politique en Europe par le biais des médias. En 2014, la chaîne de télévision satirique allemande «Die Anstalt» présenta les recherches du spécialiste des médias Uwe Krüger à un large public. Krüger analysa minutieusement un réseau transatlantique dans lequel les principaux éditeurs et journalistes européens (Spiegel, «Frankfurter Allgemeine Zeitung», Die Zeit et d’autres) diffusèrent les contenus leur parvenant des Etats-Unis sans aucune analyse personnelle (cf. Krüger, Uwe: «Mainstream. Warum wir den Medien nicht mehr trauen» et «Meinungsmacht»). De quelle manière la Suisse est prise dans cette réseau, est décrite sur le site: www.swprs.org.
Entre-temps la coopération, au niveau international, entre les élites et les médias est devenue évidente suite à des organisations telles les Bilderberger (cf. Engdahl, F. William, «Die Denkfabriken»). Leurs analyses démontrent que leurs mainmises d’influence ne sont pas fortuites. Il est donc évident que les «informations» et «nouvelles» pour les divers pays et régions sont diffusées de manière bien ciblée.

Trop c’est trop – la diabolisation de la Russie

Depuis le coup d’Etat du Maïdan à Kiev au printemps 2014, la couverture médiatique par les médias occidentaux concernant la Russie est encore plus partisane que habitude. Ces critiques acerbes s’adressent même à des journalistes renommés des chaînes publiques (cf. Bräutigam, 2014). Il était évident que les médias alignés d’Europe occidentale suivaient, dans leurs émissions sur la Russie, aveuglément la version américaine. Il fallait absolument développer la diabolisation de la Russie (cf. Hofbauer, Hannes. «Feindbild Russland»).

Les médias alignés ont perdu le contrôle: élection de Donald Trump

Si l’on se penche sur le passé récent, on se trouve, pour ainsi dire, au milieu d’une révélation médiatique. Depuis que le bloc de l’élite américaine autour d’Hillary Clinton a perdu les élections présidentielles en novembre 2016, la lutte de ces élites pour le pouvoir a lieu plus ou moins ouvertement et déborde jusqu’en Europe. Les grands médias établis («Washington Post», «New York Times», CNN, ABC, etc.) n’ont pas réussi à procurer la victoire à leur candidate. Donc, maintenant, tous les moyens semblent permis pour se débarrasser du président démocratiquement élu Donald Trump. Dans leur frustration, les grands médias traitent eux-mêmes la question de la «manipulation». Ils pensent naturellement aux manipulations de leurs opposants, et non à leur propre comportement. Voilà un mécanisme intéressant. Les médias alignés subissent actuellement une forte perte de crédibilité, également en Europe. L’un des facteurs importants est l’influence d’Internet avec ses possibilités (encore existantes) de s’informer en dehors du courant dominant.

Vérifier les faits («Fact checking»)

Face à tout cela, il est permis de conclure que de nombreux événements d’actualité ne se déroulent, en réalité, pas de la manière dont ils nous sont présentés dans les médias et que l’influence à laquelle sont soumis nos opinions et nos actes n’est pas un fruit du hasard. A l’heure actuelle, il n’est plus guère nécessaire d’utiliser la censure ouverte pour supprimer les contradictions entre les exigences démocratiques et la gouvernance réelle. Une ingénieuse stratégie réalisée par le biais des médias alignés s’occupe d’influencer les sentiments, les humeurs et les opinions. Quiconque ne s’adapte pas doit se taire. Quiconque ne se tait pas est réduit au silence.
Une distance critique réside dans le fait de connaître les mensonges et les distorsions du passé sont très utiles pour juger avec beaucoup de prudence tout ce qui se passe actuellement. «Il se pourrait que les événements se soient  passés tout à fait différemment de ce qui nous est présenté?» ou «Pourquoi ces nouvelles sont-elles diffusées précisément maintenant et sous cette forme?» – Voilà des questions utiles à se poser à chaque nouvel événement «choquant» présenté dans les médias. Heureusement que nous avons de nombreuses autres sources d’information alternative à disposition.
Les bouleversements sociaux et les guerres commencent presque toujours par un mensonge. Pourquoi ne pas commencer, à chaque fois, par se donner le temps de vérifier les faits en les passant au crible fin  de l’analyse?     •

Bibliographie
Barben, Judith. Les Spin Doctors du Palais fédéral. Comment la manipulation et la propagande compromettent la démocratie directe. Editions Xenia 2010
Becker, Jörg/Beham, Mira. Operation Balkan: Werbung für Krieg und Tod, 2008
Becker, Jörg. Krieg an der Propagandafront: Wie PR-Agenturen und Medien die Öffentlichkeit entmündigen. In Mies, Ullrich/Wernicke, Jens. Fassadendemokratie und Tiefer Staat. Auf dem Weg in ein autoritäres Zeitalter, 2017
ders. Wie die Public-Relations-Industrie mitregiert. In: Wernicke, Jens. Lügen die Medien? Propaganda, Rudeljournalismus und der Kampf um die öffentliche Meinung, 2017
Bernays, Edward. Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie. Découverte, 2007 (première parution Etats-Unis 1928) 
Bräutigam, Volker. Offener Brief. In: Neue Rheinische Zeitung. www.nrhz.de/flyer/beitrag.php?id=20289&css=print vom 27.4.2014 (heruntergeladen 14.9.2018) 
Elter, Andreas. Die Kriegsverkäufer. Geschichte der US-Propaganda 1917–2005, Frankfurt 2005
Engdahl, F. William. Die Denkfabriken, Rottenburg 2015
Ganser, Daniele. Les guerres illégales de l’OTAN. Une chronique de Cuba à la Syrie, Editions Demi-Lune 2017

Le journalisme est capable de faire mieux

Il y a toujours eu des journaux avec leur propre point de vue ou des journalistes décrivant la réalité sans se laisser acheter. Souvent, ils jouent un rôle décisif dans la découverte et l’élimination d’abus. Ils lancent des débats et stimulent la réflexion. Autrefois, c’était la «Neue Zürcher Zeitung» avec les éditoriaux de Willy Bretscher ou le «Nebelspalter» avec ses caricatures de Bö. Toutefois, il y a aujourd’hui également un certain nombre de médias et de journalistes courageux qui ne suivent pas le courant dominant sans interrogations sérieuses. L’esprit critique n’est pas réservé seulement à des journalistes internationaux renommés, tels Seymour Hersh ou Robert Fisk, qui font, grâce à leurs recherches, éclater comme des bulles de savon de nombreuses idées préconçues.

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