Compagnies aériennes «low cost» : à «bas coûts» ou à «coups bas»

   

Par Mourad Benachenhou

Il s’est développé à travers le monde au cours de ces dernières décennies, tant parmi les autorités publiques que chez ceux qui font métier d’expliquer l’économie aux masses, un puissant courant clamant les vertus «sans faille» du marché comme créateur de richesses et générateur de prospérité, et vouant aux gémonies les interventions de l’État dans les activités économiques, sous quelque forme que ce soit.

La dissolution de l’État pour assurer la prospérité générale ?
Le marché est présenté comme paré de toutes les vertus ouvrant la voie à l’explosion de l’initiative privée, à l’innovation constante et à la prospérité assurée à tous, mais également comme seul garant d’une distribution de richesses «juste», car elle serait fondée sur le degré de participation de chacun à la création de richesses.
Cette idéologie est d’autant plus dominante qu’elle reçoit l’approbation des grands «penseurs économiques», de cette période, qu’elle détient le monopole des programmes d’enseignement et de recherche dans les universités et les think tanks. De plus, le FMI et la Banque mondiale l’imposent à tous les pays qui ont besoin de leur «aide financière» ou de leurs conseils pour dépasser leurs crises financières et économiques.

Cette idéologie s’est répandue et imposée sous le nom «d’ultralibéralisme»
L’idée de base est que l’État doit tout simplement se dégager de toute intervention dans le domaine économique et se contenter d’intervenir pour assurer l’ordre et la sécurité nécessaire, pour que les activités du marché puissent se dérouler dans la sérénité au profit de tous ceux qui y interviennent, du producteur au consommateur, sans oublier évidemment le distributeur.

L’ultralibéralisme : l’anarchisme de droite au profit exclusif des plus riches
Mais, lorsqu’on examine de près le mode de fonctionnement des «pays avancés» où est née et s’est développée cette idéologie, on constate que l’État demeure l’acteur principal dans la vie économique, et qu’il est loin de s’être totalement «lavé les mains» de tout ce qui concerne les activités du domaine économique.
On remarque qu’en fait, cet ultralibéralisme, qui ne reconnaîtrait que les vertus de l’initiative privée et de la libre concurrence, n’est qu’un écran de fumée derrière lequel se dissimule un accaparement du pouvoir d’État au profit des plus riches, qui font porter à la communauté nationale le poids de leurs pertes, et font garantir par l’État leurs propres bénéfices et leur prospérité.

200 milliards de francs suisses en création monétaire publique pour sauver une banque en état de cessation de payement !
On l’a constaté lors de la crise financière de 2008, qui continue à peser sur l’économie mondiale, et qui s’est traduite par une intervention massive des autorités gouvernementales des pays les plus riches, par banques centrales «indépendantes» interposées, et qui a été mobilisée, au nom du principe «trop grand pour s’effondrer», au profit exclusif des institutions bancaires et des investisseurs privés, et non des petits emprunteurs forcés à rendre jusqu’au dernier sou des sommes empruntées. Encore tout récemment, en Suisse, un des centres bancaires mondiaux, dont l’expertise de ses institutions n’a jamais été disputée, la cessation de payement du Crédit Suisse, l’une des plus grosses banques du monde, a donné lieu à une mobilisation des autorités publiques pour éponger sa dette évaluée à 220 milliards de dollars, soit un montant supérieur au produit national brut de 90% des États africains, et atteint ou dépassé par seulement 3 États du continent.
En fait, derrière ce terme attractif «d’ultra-libéralisme» se cache une idéologie anarchiste d’extrême droite qui cherche à justifier la fin ou «la mort» de l’État au nom de l’idée que les mécanismes du marché suffisent, par eux-mêmes, à assurer une société «juste» où les richesses nationales seraient automatiquement réparties en fonction des mérites de chacun des participants à la vie économique.

La jungle des «compagnies low cost»
C’est au nom de cet ultralibéralisme que se sont développées — sans cahier des charges ou obligations légales quelconques, à l’exception des règles internationales relatives à la sécurité aérienne — des compagnies aériennes «low cost», dont le business plan se résume à accroître, au nom de la liberté de transaction, les bénéfices qu’elles peuvent tirer de leurs clients, en profitant tant des libéralités fiscales des pays où elles domicilient leur quartier général, que de l’effondrement de la protection sociale des travailleurs, au nom de l’efficience, tout en pratiquant, au nom de la liberté de fixer leurs prix, une politique d’opacité systématique de leurs transactions et des payements de leurs services par internet.
La structure managériale de ces compagnies a pour objectif de réduire, d’un côté, les coûts fixes entraînés par un personnel de vente permanent en sous-traitant avec des sociétés de voyagistes, en internet, la vente de leurs billets, en réduisant au minimum le personnel au sol chargé de recevoir les voyageurs, et en offrant aux clients un service en cabine minimal.

Une tarification opaque et trompeuse
De l’autre côté, ces compagnies adoptent un système de prix trompeur, qui est destiné à cacher au voyageur, le coût effectif du billet qu’il doit finalement payer pour voyager sur leurs aéronefs.
Le tarif officiellement offert défie toute concurrence, et apparaît particulièrement attractif et bien plus avantageux que les tarifs proposés par les compagnies aériennes «classiques».
Le potentiel client se voit attiré par une offre des prix qui correspondent parfois à la moitié de ce qu’il aurait à payer s’il choisissait de voyager sur un vol géré par une compagnie ayant pignon sur rue.
Mais une fois qu’il commence à organiser son voyage, il constate qu’en fait, le prix n’inclut ni un bagage en cabine, ni un bagage en soute, ni même un siège garanti ou un repas sous quelque forme que ce soit, quelle que que soit la durée du vol.
En fait, le prix de base proposé ne couvre paradoxalement pas le transport. C’est seulement le prix à payer pour accéder à l’achat du service de transport.
Lorsque le client fait son compte, il s’aperçoit qu’au final, le coût de son voyage aérien par une compagnie «low cost» lui revient plus cher que ce qu’il aurait eu à payer, pour le même trajet, à une compagnie aérienne «classique».
De plus, s’il a la mauvaise idée d’avoir à mettre un bagage supplémentaire en soute, il se voit imposer une charge financière excessive. Ainsi, pour une compagnie «low cost» desservant la ligne Alger-Paris, le voyageur doit payer 200 euros ou l’équivalent en dinars, et seulement et exclusivement en cash. Tout cela se fait dans la précipitation et l’urgence d’avoir à rapidement effectuer l’enregistrement pour laisser suffisamment de temps aux procédures douanières et de passage à la police des frontières.

Le «surbooking» est tout simplement de l’escroquerie
Ajouter à cela que le surbooking, ou la vente de billets en excédent du nombre de places disponibles sur le vol, est d’usage courant. Comme la transaction se fait sur internet et auprès d’une agence de voyages en contrat avec la compagnie low-cost, le remboursement des billets, dont le montant a été indûment perçu, devient problématique, car le voyagiste se défausse sur la compagnie aérienne dont il se présente comme seulement intermédiaire. Pourtant, vendre une marchandise que l’on ne possède pas s’appelle «escroquerie». Et refuser de rembourser l’argent indûment perçu suffirait à faire arrêter sur-le-champ le marchand indélicat.

Une tromperie présente à toutes les étapes de la transaction
La tromperie est présente à toutes les étapes des transactions des compagnies «low cost».
Mais, semble-t-il, les autorités publiques, chargées, pourtant, au minimum, de veiller à l’honnêteté des transactions et à leur transparence semblent vouloir ignorer la grande arnaque sur laquelle sont bâtis tant les business plans que les bénéfices que ces compagnies engrangent, au nom de la liberté du marché et de la concurrence.

Ce n’est pas de la concurrence, c’est de l’arnaque !
Pourtant, la concurrence est supposée être la production de biens ou de services améliorés par rapport à ceux déjà présents sur le marché, et à des coûts et des prix comparativement aux concurrents particulièrement avantageux pour le consommateur. Dans le cas précis des compagnies «low cost», c’est loin d’être le cas, et tout tourne autour de la ruse consistant à attirer le client en lui proposant un prix qui ne couvre pas le service demandé, et en décomposant les éléments de ce service pour établir le prix réel à payer.
C’est un peu comme si le concessionnaire de voitures automobiles proposait un prix des véhicules qu’il vend qui ne comporte que la carrosserie et faisant payer au client les roues, puis le moteur, puis les sièges, puis le tableau de bord. Ou comme si le restaurateur facturait la chaise, la table, les assiettes, le couvert, et le plat servi !

En conclusion
L’ultralibéralisme, devenu l’idéologie dominante dans l’économie mondiale, et qui vise à réduire au strict minimum l’intervention de l’Etat dans le marché, n’est rien d’autre que l’anarchisme de droite qui veut «la mort de l’État» au profit exclusif d’intérêts privés, plus spécifiquement des super-riches.
Au nom de cette idéologie se sont développés de vastes pans d’activités économiques totalement déréglementées, mais recevant, sous différentes formes, fiscales ou autres, des appuis financiers des Etats.
Parmi elles, ont prospéré les compagnies aériennes «low cost» supposées proposer à leurs clients des tarifs défiant toute concurrence.
Cependant, leur objectif est d’abord et avant tout d’accroître leurs marges bénéficiaires en réduisant, sous différentes formes, leurs coûts d’exploitation.
De l’autre côté, elles suivent une politique de tarification de leurs services, qui a essentiellement pour objectif de rendre leurs structures de prix opaques et trompeuses, attirant le client par des offres qui ne couvrent pas le coût final à payer, et rendent, en fait, pour une qualité de service moindre, leurs prix autrement plus élevés que ceux des compagnies aériennes classiques.
Jusqu’à présent, les autorités des états de siège de ces compagnies ou les pays qu’elles desservent n’ont fait aucune tentative de mettre fin à cette arnaque, doublée d’escroquerie.
Le seul pays qui a finalement décidé d’aller au fond des choses avec ces compagnies est l’Espagne, pourtant destination touristique populaire qui a intérêt à ce que le maximum de personnes la visitent, quel que soit le prix qu’elles payent, et les tromperies dont elles sont victimes pour y accéder. Les autorités publiques algériennes devraient se pencher sérieusement sur ce dossier, d’autant plus que les transactions de ces compagnies «low cost» se font en devises fortes.
M. B.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *