Algérie / Le dessalement : solution durable pour l’approvisionnement en eau potable

Par Dr Drouiche Nadjib

Alors que le changement climatique laisse présager des années plus sèches, de nombreux habitants de la planète revoient leurs attentes traditionnelles en matière d’approvisionnement en eau. La population et la demande augmentent également et de nouveaux approvisionnements seront nécessaires.
Cette situation est en train de changer, car le dessalement entre en jeu dans de nombreuses régions du monde. Plusieurs facteurs convergent pour permettre la mise en service de nouvelles usines. La population a explosé dans de nombreux endroits soumis à un stress hydrique, notamment dans certaines régions de Chine, d’Inde, d’Afrique du Sud et des États-Unis. En outre, la sécheresse — dont une partie est due à l’évolution du climat — frappe de nombreuses régions qui, il n’y a pas si longtemps, pensaient disposer de réserves suffisantes.

La réponse de l’Algérie aux défis posés par l’augmentation de la demande, le changement climatique et une croissance démographique élevée, de l’ordre de 1.9% par an qui, conjuguée à un processus d’expansion urbaine important doit être abordée pour faire face à la pénurie d’eau.
Au début des années 2000, l’Algérie a connu la pire sécheresse de mémoire d’homme (connue sous le nom de sécheresse du millénaire). Nous avons appliqué un certain nombre de techniques, notamment la conservation, le commerce de l’eau, le recyclage de l’eau, l’interconnexion du réseau AEP de la ville avec les barrages, le transfert de l’eau, le dessalement, l’organisation de la distribution de l’eau par camions-citernes dans les quartiers les plus touchés et la réalisation de forages artésiens. Cependant, la réponse la plus importante en termes d’investissement en capital a été, de loin, un programme de plusieurs milliards de dollars pour le dessalement de l’eau de mer.

Parmi toutes ces mesures prises en réponse, l’apport du dessalement à travers 11 stations implémentées le long du littoral algérien a permis de dégager une capacité de production cumulative de 2.1 millions m3/j. Ces stations produisent 17% de la quantité totale d’eau potable consommée au niveau national, soit l’équivalent de 770 M m3/an. C’est grâce à l’eau de mer dessalée que les villes côtières algériennes pourront donc assurer leur sécurité hydrique de manière durable sur le long terme. Dans cette perspective, les experts reconnaissent généralement l’importance des sources d’eau résilientes au climat offertes par le dessalement.
Malgré tous les bénéfices palpables liés au dessalement, les critiques sur ce choix se sont fait entendre. Cependant, les usines de dessalement fonctionneront pendant au moins 25 ans, période au cours de laquelle il y aura inévitablement plus de sécheresses, une demande croissante et un climat probablement plus sec et plus chaud.

En raison des conditions sèches de cet été, les stockages d’eau dans les barrages sont tombés en dessous de 50%, déclenchant le besoin du lancement de cinq nouvelles stations de dessalement d’eau d’une capacité de production de plus de
300 000 m3/jour chacune dans l’est, l’ouest et le centre du pays afin de préserver les réserves stratégiques nationales en eau et mettre fin au problème de pénurie d’eau qui persiste depuis des mois.
D’autre part, l’adoption du dessalement en Algérie comme mesure pour la sécurisation de l’alimentation en eau potable a permis non seulement de former un personnel qualifié et la création de filières académiques spécialisées dans le domaine, mais aussi de lancer une dynamique dans le volet de l’intégration nationale à travers le secteur industriel national ponctué notamment par la réalisation de plusieurs stations de déminéralisation en effort propre ou en partenariat, qui permettra indéniablement de réduire les coûts d’investissement et d’économiser des devises.
Cela a été notamment rendu possible grâce à la diminution des dépenses en capital (Capex) qui se subdivise en deux grandes catégories : les coûts directs et les coûts indirects.
Les coûts directs comprennent les équipements, les bâtiments et autres structures, les pipelines et l’aménagement du site, et représentent généralement entre 50 et 85% du Capex total.  Les coûts indirects restants comprennent les intérêts et les frais de financement, l’ingénierie, les frais juridiques et administratifs, et les imprévus. En effet, l’intégration nationale a contribué à réduire substantiellement ce Capex.

Par ailleurs, un tel choix pourrait être motivé par le fait que les technologies de dessalement sont capables de traiter l’eau provenant d’une grande variété de sources, y compris, mais sans s’y limiter, les eaux souterraines saumâtres, les eaux de surface, l’eau de mer et les eaux usées domestiques et industrielles. Au fur et à mesure que les technologies de dessalement se sont développées et améliorées, le coût de construction des usines de dessalement a diminué. Cette baisse des coûts a été l’un des principaux facteurs d’acceptation, de croissance et de succès du dessalement. De nos jours, dans certains endroits, le coût du dessalement a diminué jusqu’à 20% par rapport à 2010 en raison du développement technologique lié à la diminution du prix des membranes et à l’augmentation de leur durée de vie. De même, les améliorations technologiques dans la conception des membranes et l’intégration des systèmes ont diminué le coût du dessalement.L’une des leçons importantes que nous avons apprises en Algérie est l’importance de développer un portefeuille de sources d’eau, certaines d’entre elles étant indépendantes du temps et du climat. Il ne s’agit donc pas d’avoir à choisir entre le dessalement et d’autres sources d’approvisionnement ou des instruments économiques – il est sage de les considérer tous.

Sur le plan international, on estime que d’ici 2025, deux tiers de la population mondiale seront confrontés à des pénuries d’eau, pour lesquelles les gouvernements doivent établir des politiques fonctionnelles répondant aux préoccupations sociales sur l’accès à l’eau à la population, tout en garantissant la ressource à des fins industrielles et agricoles. L’agenda 2030 des Nations-Unies vise à «garantir la disponibilité et la gestion durable de l’eau et de l’assainissement pour tous». Différentes stratégies de gestion de l’eau, ainsi que le dessalement décarboné et l’amélioration des systèmes d’irrigation sont des éléments clés pour atteindre cet objectif de développement durable.
À l’échelle méditerranéenne, selon un rapport du PNUE/PAM et Plan Bleu 2020, dans le bassin méditerranéen, la capacité de dessalement a augmenté au cours des dernières décennies et la production d’eau de mer dessalée dans la région Mena devrait être treize fois plus élevée en 2040 qu’en 2014, les pays les plus avancés étant actuellement l’Algérie, l’Égypte, l’Italie et l’Espagne.
L’investissement dans des sources d’eau sûres comme le dessalement de l’eau de mer permettra d’apporter des solutions rapides et abordables sans impact environnemental négatif.
De tels approvisionnements sont toujours disponibles en période de sécheresse et de pénurie et garantiront que des générations de personnes vivant dans les villes côtières profiteront d’un mode de vie reposant sur un approvisionnement en eau sûr.
D. N.


                                                                   Par Dr Drouiche Nadjib (*)
L’impact environnemental
Les approvisionnements en eau douce dans les pays souffrant de stress hydrique sont insuffisants par rapport à la forte demande pour différentes activités humaines, ce qui fait du dessalement de l’eau saline une solution adéquate. Le dessalement pour produire de l’eau potable a été bien établi en tant qu’approvisionnement en eau non conventionnelle fiable. Cependant, le dessalement comme tout procédé industriel a de nombreux impacts sur l’environnement. La saumure (i.e. solution saturée en sel) chargée de produits chimiques rejetés dans l’environnement, ainsi que les émissions de gaz à effet de serre (GES) rejetées dans l’atmosphère, sont les impacts les plus importants.

D’autre part, la pollution se produit en fonction du procédé de dessalement utilisé et de l’emplacement de l’usine. Pour les usines côtières, la pollution de l’eau est le principal problème. Pour les usines se situant loin des côtes (généralement pour les eaux saumâtres), il faut prêter attention à l’élimination du rejet de la saumure concentrée.
Si ces installations sont de type thermiques (distillation MED ou MSF), des problèmes de pollution de l’air se posent. Dans les usines de distillation Flash multi-étages (MSF) comme celle que nous avons du côté de Arzew (Kahrama), de grandes quantités de carburant sont brûlées pour générer l’énergie nécessaire au dessalement. Les polluants atmosphériques sont du type à combustion de carburant, tels que le monoxyde de carbone, les oxydes d’azote, les hydrocarbures non brûlés et les oxydes de soufre. Les brûleurs de dessalement et les centrales électriques sont la principale source d’oxydes de soufre car des combustibles à haute teneur en soufre sont généralement utilisés.
La saumure rejetée affecte la salinité et la turbidité de la mer, elle augmente sa température et provoque des courants d’eau. Outre cette pollution thermique et saline de la saumure rejetée, des effets toxiques sont également causés par l’utilisation de différents produits chimiques dans les processus de pré et post-traitement de dessalement.
Les polluants gazeux issus du dessalement ont des effets graves sur la santé humaine. Le monoxyde de carbone (CO) est un gaz toxique qui prive les tissus du corps d’oxygène essentiel. Il se combine avec l’hémoglobine et forme la carboxyhémoglobine. Cela réduit considérablement la capacité de transport de l’oxygène dans le sang car l’hémoglobine a une affinité pour le CO de 240 fois plus par rapport à son affinité avec l’oxygène. Les études scientifiques indiquent que l’exposition pendant 8 heures ou plus à une concentration de 30 ppm (35 mg.m-3) de CO entraîne une altération des performances dans certains tests psychomoteurs.
À 100 ppm, la plupart des gens éprouvent des étourdissements, des maux de tête et de la lassitude. L’exposition au CO peut entraîner la mort à des concentrations supérieures à 750 ppm. Le monoxyde d’azote (NO) et le dioxyde d’azote (NO2) sont les formes les plus importantes d’oxydes d’azote émis par la combustion de combustibles dans les usines de dessalement. Le dioxyde d’azote agit comme un irritant aigu et est plus nocif que le monoxyde d’azote. Les deux réagissent avec les hydrocarbures non brûlés en présence de la lumière du soleil pour former du smog photochimique.
Les principaux produits de ces réactions photochimiques sont l’ozone, le nitrate de peroxyacétyle (PAN) et le nitrate de peroxybenzoyle (PBN).
Ces oxydants photochimiques sont nocifs pour les humains, les plantes et les matériaux. Le dioxyde de soufre (SO2) agit comme un gaz piquant, suffocant et irritant. En cas     d’exposition modérée, il représente un risque pour les voies respiratoires supérieures.
Dans le cas des techniques membranaires de dessalement qui se caractérisent principalement par des exigences de prétraitement élevées, un taux de conversion plus élevé et une consommation d’énergie moindre signifient ainsi que la saumure sera d’une salinité plus élevée, induisant un impact environnemental supérieur à ceux rencontrés dans le cas des procédés de distillation.
Concernant l’impact sur l’air, une étude de Heishel et coll. a rapporté que près de 96% des émissions de l’ensemble de l’usine de dessalement par osmose inverse proviennent du secteur électrique. Les valeurs approximatives des émissions de carbone ou de l’empreinte carbone pour le processus de dessalement sont respectivement d’environ 0,4 à 6,7 et 0,1 à 2,4 kg d’équivalent CO2/m3 pour le dessalement de l’eau de mer et des eaux saumâtres, en fonction du carburant utilisé et de la technologie de production d’électricité et de l’efficacité de l’usine.
Une autre étude menée par Beery et coll. a réalisé une analyse détaillée de l’empreinte carbone d’une installation de dessalement d’eau de mer par osmose inverse comprenant un prétraitement par ultrafiltration. Ils sont parvenus à démontrer que 74% des émissions provenaient de la pompe haute pression, suivis de 7% pour les pompes de rétrolavage. Cela dit, l’empreinte carbone du dessalement thermique est plus élevée en raison d’une demande énergétique plus élevée en termes d’énergie thermique et électrique.
En ce qui concerne la saumure, le rapport saumure/alimentation peut varier de 1 à 2 pour le dessalement par osmose inverse représentant ainsi un effet significatif sur le milieu marin au point de rejet. Les impacts environnementaux liés à l’élimination de la saumure sont dus aux facteurs suivants : salinité, température, pH, produits chimiques résiduels, sous-produits de réaction et métaux lourds.
La salinité et la température de la saumure sont considérées comme les principaux paramètres ayant un impact sur le milieu marin ; la salinité de la saumure peut atteindre une concentration en sel variant de 65 à 85 g / l et la température dans une gamme comprise entre 45 et 50° C.
L’autre impact environnemental majeur associé à la saumure est attribué aux produits chimiques utilisés pendant le prétraitement tels que les biocides et les séquestrants de biocides ainsi que les sous-produits de désinfection, qui présentent une certaine écotoxicité. Des coagulants tels que le sulfate d’aluminium et le chlorure ferrique ainsi que des floculants sont ajoutés pendant le prétraitement pour améliorer l’élimination des particules en suspension, ces produits finissent par être éliminés via la saumure. Des antitartres sont également utilisés pour contrôler l’entartrage en raison de la présence de sels peu solubles dans l’eau de mer, permettant ainsi de maintenir la productivité de l’usine, en particulier pour des taux de conversion élevés qui peuvent atteindre les 47%. De ce fait, la saumure peut contenir des traces de métaux lourds comme le cuivre, le chrome, le nickel, le fer, le molybdène, etc.
Le rejet de cette saumure a un effet énorme sur l’environnement marin local au point de rejet, car ils ont introduit un flux relativement intrusif, c’est-à-dire de la saumure. Le flux de saumure a généralement une salinité et une température plus élevées et est chargé de produits chimiques utilisés pendant le dessalement, ce qui peut affecter considérablement l’environnement marin. Cela provoque la migration des poissons tout en renforçant la présence d’algues, de nématodes et de petits mollusques. Parfois, des microéléments et des matières toxiques apparaissent dans la saumure rejetée.
Comme conclusion, le dessalement joue un rôle crucial dans le développement de la vie humaine car il résout le défi de l’approvisionnement en eau dans les zones où l’eau est rare. Le dessalement représente 17% de l’approvisionnement en eau domestique en Algérie. Les technologies de dessalement thermique et membranaire ont presque atteint des niveaux de maturité avec une faisabilité technique et économique éprouvée.
Cependant, le dessalement pose de nombreux impacts environnementaux (IE) qui doivent être soigneusement évalués. L’évaluation de l’impact sur l’environnement (EIE) joue un rôle important dans la prise de décision concernant le dessalement car elle évalue son impact sur les différents éléments de l’environnement. Les stratégies d’atténuation et de contrôle (M&CS) pour les différents impacts environnementaux associées au dessalement sont nécessaires. De bonnes pratiques pour la gestion de la saumure existent dans les pays ayant un recours intensif au dessalement pour faire face à la pénurie d’eau. A titre d’exemple, en Californie, a adopté en 2016 un amendement sur le dessalement, qui a renforcé les réglementations relatives à la prise d’eau et à l’élimination de la saumure.
L’amendement exige entre autres que les nouvelles stations  de dessalement ou celles où des extensions sont prévues, doivent utiliser les meilleures mesures disponibles, en termes de site, de conception, de technologie et d’atténuation, afin de minimiser la mortalité de toutes les formes de vie marine tout en tenant en compte des facteurs économiques, environnementaux, sociaux et technologiques et de la possibilité d’accomplir quelque chose avec succès dans un délai raisonnable.
Concernant l’empreinte carbone du dessalement, la stratégie de l’usine de dessalement de la ville de Perth en Australie pourrait servir comme modèle.
En effet, des dirigeants municipaux de la ville de Perth, consciencieux de l’effet néfaste des émissions des gaz à effet de serre, ont décidé d’atteindre la neutralité carbone dans cet effort, en compensant la consommation de l’usine de dessalement en utilisant de l’électricité 100% renouvelable achetée directement d’un parc éolien situé à 200 km au nord de la ville.

L’impact social
L’impact visuel du dessalement fait référence à l’influence esthétique qu’une usine de dessalement peut avoir sur ses voisins immédiats. Cela diffère généralement selon le type de technologie mise en œuvre. Parmi les technologies de dessalement à grande échelle, l’osmose inverse (OI) a été caractérisée comme ayant le plus faible impact visuel. Les technologies thermiques, en revanche, sont considérées comme ayant un impact visuel plus élevé. Alors que les impacts visuels peuvent être réduits pour des technologies telles que l’osmose inverse (construction d’usines OI), cela est irréalisable pour les centrales thermiques en raison de la taille énorme des unités thermiques, de la tuyauterie et des hautes cheminées qui accompagnent leurs centrales électriques à vapeur co-localisées.
La construction de ces usines de dessalement entraîne des modifications permanentes de l’aspect du paysage. La zone d’influence d’une usine de dessalement thermique est généralement difficile à déterminer, mais en général, elle peut atteindre plusieurs kilomètres de son emplacement. De plus, comme les usines de dessalement d’eau de mer sont presque toujours construites sur des sites côtiers, où le tourisme est important, la beauté architecturale et visuelle aux alentours pourrait être considérablement affectée.
L’impact du bruit sonore est une autre faiblesse des usines de dessalement. Le bruit dans une usine d’osmose inverse peut facilement atteindre les 100 décibels notamment dû à l’utilisation de pompes haute pression et de dispositifs de récupération d’énergie.
Les changements d’utilisation des terres sont un autre impact négatif à multiples facettes des usines de dessalement. Dans une première dimension, les activités de construction d’usines de dessalement peuvent entraîner une perte de biodiversité et une modification des caractéristiques du sol.
Dans une deuxième dimension, les usines de dessalement pourraient affecter négativement la valeur des propriétés immobilières à proximité. La valeur environnementale et économique des terres varie d’un endroit à l’autre en fonction de la densité de population.
L’Algérie s’apprête à recourir de nouveau au dessalement de l’eau de mer pour faire face à la pénurie d’eau qui l’affecte. Il serait donc opportun d’impliquer toutes parties prenantes notamment les académiciens, le ministère des Ressources en eau et de la Sécurité hydrique, le ministère du Tourisme, de la Pêche, de l’Environnement et de l’Énergie dans le choix des nouveaux sites devant abriter les futures usines de dessalement afin de préserver notre environnement et nos ressources halieutiques des effets néfastes du dessalement.
D. N.
(*) Centre de recherche en technologie des semi-conducteurs pour l’énergétique (CRTSE).

Références
https://www.waterboards.ca.gov/water_issues/programs/ocean/desalination/
https://e360.yale.edu/features/as-water-scarcity-increases-desalination-plants-are-on-the-rise
Khaled Elsaid, Mohammed Kamil, Enas TahaSayed, Mohammad Ali Abdelkareem, TabbiWilber forcef A.Olabi. Environmental impact of desalination technologies: A review. Science of The Total Environment Volume 748, 15 December 2020, 141528
Khaled Elsaid, Enas Taha Sayed, Mohammad Ali Abdelkareem, Ahmad Baroutaji, A.G.Olabi. Environmental impact of desalination processes: Mitigation and control strategies. Science of The Total Environment. Volume 740, 20 October 2020, 140125
Heihsel, M., Lenzen, M., Malik, A., Geschke, A., 2019. The carbon footprint of desalination: An input-output analysis of seawater reverse osmosis desalination in Australia for 2005–2015.Desalination454,71–81. https://doi.org/10.1016/j.desal.2018.12.008
Matan Beery, Frans Knops, Jens-Uwe Repke.Calculating the Carbon Footprint of SWRO Desalination: A Computational Tool. IDA Journal of Desalination and Water Reuse. Volume 4, 2012 pp.22-29 – Issue 2
Werner, M.; Schäfer, A.; Richards, B.; Broeckmann, A. PV Powered Desalination in Australia: Technology Development and Application, Presentation by University of Wollongong Researach Group, 2005. 


Par Nadjib Drouiche(*)

Au cours des dernières années, les chercheurs, académiciens et les décideurs ont de plus en plus insisté sur l’importance de la relation complexe entre l’eau, l’énergie et l’alimentation (également appelée le lien WEF) qui est souvent négligée dans les actions, les investissements et les politiques étroitement ciblés.

En effet, les ressources hydriques, en énergie qu’elle soit fossile ou renouvelable soutiennent fondamentalement la sécurité alimentaire, la réduction de la pauvreté, les moyens de subsistance et le bien-être humains, ainsi que le développement durable. Ces secteurs sont représentés par les objectifs de développement durable (ODD) 2, 6, 7 et 15 des Nations-Unies (ONU). Ces ressources provenant de divers modèles d’utilisation des terres, la synergie de ces secteurs est devenue plus évidente. Les prévisions mondiales indiquent une demande croissante d’eau, d’énergie et de nourriture au cours des prochaines décennies, induite par la croissance démographique, l’urbanisation et le changement climatique, entre autres.

La gestion durable du lien entre l’eau, l’énergie et la nourriture est essentielle à la réalisation des objectifs de développement durable. Elle est, entre autres, cruciale pour atteindre les objectifs mondiaux en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, de conservation et de préservation de la biodiversité. Cependant, la demande croissante et les intérêts concurrents liés au lien entre l’eau, l’énergie et la nourriture nous obligent à améliorer nos approches de gestion actuelles.
Avec la reconnaissance des relations entre les éléments du WEF, il y a des défis qui nécessitent de prendre en compte les trois éléments lors de l’évaluation des conséquences et de la planification des investissements, des politiques et des actions. Ces défis transversaux comprennent, par exemple: une forte poussée pour l’utilisation des énergies renouvelables, qui pourraient avoir un impact sur la disponibilité de l’eau et pour la production alimentaire; besoin croissant d’eau potable, tandis que la demande en eau augmente rapidement pour la production alimentaire, pour les activités de transformation de l’énergie et pour les villes ; les superficies irrigables utilisant une quantité importante d’eau pour la production alimentaire ; et la dépendance croissante à l’égard du dessalement de l’eau à forte intensité énergétique comme source d’eau potable et d’irrigation, en particulier dans les régions à stress hydrique.

La sécurité de l’eau, la sécurité énergétique et la sécurité alimentaire sont inextricablement liées en Algérie, comme c’est le cas pour la plupart des pays arabes. Le pays est connu pour ses besoins importants en termes de consommation d’énergie, son stress hydrique, déficit en sécurité alimentaire et l’un des pays les plus vulnérables économiquement et écologiquement au changement climatique. Cette forte interdépendance entre l’eau, l’énergie, l’alimentation, et le changement climatique dans le pays appelle à une approche et à une réflexion en lien avec la gestion de ces trois secteurs vitaux ; une approche qui intègre la gestion et la gouvernance dans tous les secteurs, et où la politique conventionnelle et la prise de décision cèdent la place à une approche qui réduit les compromis et crée des synergies dans tous les secteurs, en particulier à la lumière des objectifs de développement (ODD) et le climat.
Étant donné que ces ressources sont étroitement liées et interdépendantes, le pays pourrait bénéficier d’une politique renforcée pour relever ces défis dans le cadre d’une approche nexus. Dans une telle approche, les politiques devraient s’efforcer à optimiser les mesures dans les secteurs de l’alimentation, de l’énergie ou de l’eau tout en évitant leurs effets négatifs.

De nouvelles initiatives sont nécessaires pour conduire ce processus. Il s’agit notamment de mesures de renforcement de la confiance, de travail vers une base de connaissances partagée et améliorée, le transfert de technologie et l’innovation, la mobilisation de financements, le partage d’informations, le renforcement des capacités et des institutions, l’encouragement de la participation du secteur privé et un changement de paradigme dans les mécanismes de financement.
La population algérienne compte actuellement plus de 43 millions d’habitants et devrait atteindre les 60 millions d’ici 2050. En outre, le pays a connu une croissance économique significative avec une augmentation correspondante de la demande et changement des modes de consommation. L’épuisement et la dégradation des ressources sont présents dans tout le pays. Malgré 1 340 millions de tonnes, soit 10 milliards de barils de réserves de pétrole et un immense potentiel d’énergie renouvelable, plus de 9 millions de personnes dans le pays n’ont pas accès à des services énergétiques modernes, principalement l’électricité et l’eau. En outre, le pays est classé 29e au niveau mondial en termes de stress hydrique, ce qui en fait l’un des pays le plus pauvre en eau du monde en termes absolus et relatifs. Le pays est déjà en dessous du niveau de stress hydrique de 1 000 m3/habitant/an et la disponibilité de l’eau devrait diminuer de 50% d’ici 2050, tandis que la demande continuera de croître. L’Algérie est l’un des plus grands importateurs de blé au monde et la pandémie de Covid-19 a rendu la population encore plus vulnérable à l’insécurité alimentaire.

De plus, le changement climatique, qui est principalement dû à l’utilisation d’énergies fossiles, aux modes de consommation et à l’utilisation intensive des engrais en agriculture, est un défi supplémentaire qui aggraverait la situation critique des ressources en eau et en alimentation et intensifierait l’utilisation des ressources énergétiques dans le pays. La variabilité climatique ajoute des pressions supplémentaires et est susceptible d’induire des événements météorologiques extrêmes plus fréquents et plus intenses (tels que sécheresses, vagues de chaleur ou inondations), et des modifications des régimes de précipitation, ainsi qu’une productivité agricole moindre.
L’approche nexus vise à intégrer une gestion stratégique et une gouvernance intersectorielle et à assurer un passage de la planification sectorielle conventionnelle vers l’utilisation des opportunités offertes par les interconnexions des trois secteurs. Adopter l’approche nexus peut stimuler l’efficacité des ressources, la durabilité et la productivité en abordant les externalités intersectorielles et assurer une transition vers une énergie propre et atteindre la sécurité alimentaire.
Il existe un grand potentiel en Algérie pour accroître l’efficacité globale de l’utilisation des ressources. En outre, la réflexion sur les liens offre de réelles opportunités de synergies telles que des investissements coordonnés dans les infrastructures liées à l’eau, à l’alimentation et à l’énergie, et l’innovation pour améliorer l’efficacité de l’utilisation des ressources dans un contexte de changement climatique.
N. D.

(*) Centre de recherche en technologie semi-conducteurs pour l’énergétique – division CCPM.


      Une contribution à la gouvernance du Nexus eau, énergie et alimentation en Algérie

                                                                                                                         par Abdelmalek Bekkouche *

 Les systèmes des ressources en eau sont complexes.

Tenter de résoudre les problèmes des ressources en eau en Algérie parait comme une tâche très difficile. L’eau, en plus d’être indispensable à la vie, est une question éminemment politique. Si nous voulons assurer une croissance économique soutenue, la sécurité humaine et la stabilité politique au cours des prochaines décennies, la façon dont nous allons gouverner l’eau devient rapidement une question politique urgente. L’eau exige l’engagement du gouvernement dans sa totalité et ce en s’appuyant sur une approche participative, pluridisciplinaire et multidimensionnelle. Tenter de gouverner un système aussi complexe n’est pas du tout une tâche facile.En général, la problématique de l’eau est abordée sous deux angles. Certains l’abordent en tant que ressource hydrique alors que d’autres l’abordent comme un produit de systèmes très complexes et variés (naturel et modifié par l’homme en fonction des besoins et attentes des parties prenantes, on y trouve des éléments statiques et dynamiques, ouverts et interagissant avec d’autres systèmes, etc.).

L’utilité (et non sa valeur) dépendant entre autres de la rareté de la ressource hydrique ainsi que l’interactivité constatée entre tous les éléments constituant le système permettant de la mobiliser, transformer, transporter; utiliser, etc. sont devenues très complexes, nécessitant des technologies de pointe adéquates, une organisation, un management et surtout un cadre institutionnel adéquat afin de satisfaire les besoins des différentes parties prenantes et répondre aux attentes des générations futures. A noter que toutes les relations entre les différents éléments ne sont ni linéaires ni réversibles, ce qui accroît le degré de complexité. Cette interactivité ne se limite pas aux éléments du système des ressources hydriques en question mais touche aussi les autres systèmes dont l’interactivité n’est pas à démontrer.

Nexus eau, énergie et alimentation

Les ressources en eau sont sous forte pression en Algérie et cette pression est exacerbée par les changements climatique et sociale, ainsi que par un développement économique rapide et durable. La pression continue affecte l’eau et directement l’énergie et les ressources alimentaires. La nourriture, l’eau et, par implication, l’énergie sont des droits de l’homme précisément parce qu’ils sont importants pour la subsistance. Cela attire l’attention d’abord sur la nécessité d’éliminer la pauvreté absolue, mais également sur la lutte contre l’injustice sociale.

Il n’est plus à démontrer que l’eau est nécessaire à la production d’énergie; l’énergie est nécessaire pour la production d’eau et l’eau et l’énergie sont nécessaires à l’agriculture. Les interconnexions de toutes ces ressources créent le lien (Nexus). Ainsi, un «Nexus» est défini comme une connexion, un lien, et aussi un lien de causalité et ce entre plusieurs systèmes connectés. A titre d’exemple, il faudrait 2400 litres d’eau pour produire un hamburger de 150 g, 200 litres d’eau pour produire un verre de lait de 200 ml et 16000 litres d’eau pour produire un kilogramme de bœuf. Une question que je poserai aux politiciens hasardeux: Dans une situation où la ressource hydrique se fait rare et est sous pression en Algérie, peut-on parler d’une politique d’élevage bovin? Le réductionnisme des problèmes complexes ne peut que proposer des solutions que je peux considérer comme populistes mais irréalisables dans les conditions actuelles.

Le Nexus eau, énergie et alimentation, signifie que les trois secteurs sont inextricablement liés et que les actions dans un domaine ont le plus souvent des impacts dans l’un ou les deux autres. Il met en évidence les interdépendances (à la fois les synergies et les compromis) entre la réalisation de politiques en matière d’eau, d’énergie, de sécurité alimentaire, foncières et climatiques, et leurs implications pour le bien-être humain, le développement économique et l’utilisation efficace des ressources. Une approche Nexus vise à réduire les compromis et à améliorer l’efficacité de l’ensemble du système des systèmes (SoS) plutôt que d’augmenter la productivité de secteurs spécifiques, souvent au détriment d’autres.

Le concept Nexus a émergé depuis la conférence de Bonn en 2011 et introduit un changement fondamental des approches sectorielles vers des solutions intersectorielles, intégrées et cohérentes. Après cette conférence, le concept a été adopté et promu par de nombreux acteurs politiques, économiques et universitaires. Un consensus sur la nécessité d’une approche intégrée de WEF pour répondre aux préoccupations en matière d’eau, d’énergie et de nourriture.

L’eau en Algérie est sous pression

L’Algérie, à l’instar de tous les pays nord-africains et du Moyen-Orient, connaît depuis un peu plus d’une quarantaine d’années une situation très difficile vis-à-vis de la ressource en eau. Jusqu’à la fin des années soixante du siècle dernier, la situation hydrique « Eaux conventionnelles» permettait de répondre aux besoins de toutes les parties prenantes (Eau potable, industrie et irrigation), de maintenir un équilibre de notre écosystème.

Avec une population qui dépasse les quarante millions, l’Algérie connaît une situation de stress hydrique absolu avec un taux de renouvellement annuel de moins de 400 m3/habitant/an. Cette situation était prévisible depuis un peu plus d’une quarantaine d’années et elle s’est aggravée par un changement climatique marqué couplé avec un changement social. Le citoyen connaît un mode de vie totalement différent de celui des années soixante-dix exigeant des quantités d’eau plus importantes.

Les besoins en eau en vue d’une utilisation domestique et industrielle (50% de ce qui est recommandé par l’OMS) sont de l’ordre de 3 milliards et il en faudrait autant pour irriguer 500 000 ha. A l’horizon 2030, avec une population de l’ordre de 45 millions d’habitants, et un 1,5 millions d’ha irrigués, les besoins vont au moins atteindre les 12 milliards de m3.

Il faudrait certainement changer d’approche d’analyse et de gouvernance et où le système des ressources en eau national doit être abordé dans sa globalité. Il s’agit d’un système complexe et doit être analysé dans sa totalité et où le mot clé garantissant l’atteinte des objectifs qui permettent de répondre aux besoins de toutes les parties prenantes est « l’intégration ».

Un monde sûr en matière d’eau est vital pour un avenir meilleur: un avenir dans lequel il y a suffisamment d’eau pour le développement social et économique et pour le maintien des écosystèmes. Un pays sûr en matière d’eau intègre une préoccupation concernant la valeur intrinsèque de l’eau ainsi que toute sa gamme d’utilisations pour la survie et le bien-être humains. Chaque personne a suffisamment d’eau salubre et abordable pour mener une vie propre, saine et productive. Le citoyen doit être protégé contre les aléas liés à l’eau (les inondations, les sécheresses, les glissements de terrain, l’érosion et les maladies d’origine hydrique).

Effectivement, l’Algérie dispose d’une ressource souterraine importante malheureusement, la plus importante est non renouvelable. Quelle que soit l’importance de ces ressources non renouvelables, elles restent limitées et par conséquent tarissables. Il ne faudrait surtout pas oublier que ces ressources appartiennent aussi aux générations futures. La responsabilité sociétale envers les générations futures nous interdise une utilisation hasardeuse et abusive. Toute la question que je me pose en ce moment, est-il opportun de lancer des programmes de transfert d’eau vers le nord du pays ? n’y a-t-il pas d’autres alternatives ?

Les eaux épurées non conventionnelles sont des ressources pour la nourriture. Le volume des eaux usées rejetées à l’échelle nationale est actuellement estimé à environ 1 milliard de m3. Afin de prendre en charge l’épuration de ce potentiel d’eaux usées, le secteur des ressources en eau s’est lancé dans un ambitieux programme de construction de stations d’épuration. Le nombre de stations d’épuration dépasse 160 (dont plus de la moitié des stations d’épuration et le reste sont des lagunes). Malheureusement seul un périmètre d’un peu moins de 1000 ha de Hennaya est irrigué à partir de la station de Tlemcen. Je pense dernièrement celui d’El Karma (Oran) a été mis en service. La mise en valeur des eaux résiduelles épurées permettrait au moins d’irriguer 200000 ha annuellement.

Le deuxième programme important des eaux non conventionnelles consistait en la réalisation de plus d’une dizaine de stations de dessalement qui dans un premier temps a été vital pour les régions centre et ouest. La production nominale de plus de 600 millions de m3. Ce programme, incontournable, présente deux inconvenants majeurs celui d’être énergivore et rejetant de la saumure. Je n’ai jamais été convaincu par les prix unitaires avancés pour la production de ces eaux non conventionnelles. D’autant plus que l’alimentation en eau potable exige une énergie supplémentaire pour le pompage (nature topographique). Tout en étant rationnel, le prix de revient pour une ville située à 1000 m d’altitude peut facilement doubler. Je ne sais pas si l’on est conscient de l’utilité ainsi que de sa valeur du m3 perdu par fuite dans les réseaux ?

Sécurité hydrique, énergétique et alimentaire

Une démographie galopante avec un taux d’urbanisation dépassant les 50%, il faudrait plus d’eau, plus d’énergie et plus d’alimentation. La production d’énergie est le plus grand utilisateur industriel d’eau, et l’expansion de la production d’énergie nécessite un meilleur accès à l’eau douce. A l’horizon 2050, nous aurons plus besoins de 55% d’eau, 80% d’énergie et de 70% à 100% d’alimentation. A noter que nous sommes un pays dépendant des importations en matière d’alimentation (un taux assez élevé). Avec la croissance démographique continue, l’augmentation des revenus et l’urbanisation, la demande alimentaire doublerait à l’horizon 2050. L’Algérie à l’instar des autres pays doit prendre au sérieux et se préparer à se sécuriser par rapport à l’eau, l’énergie et l’alimentation, ça y va de son existence même.

La sécurité hydrique, si l’on se réfère à la définition proposée par l’ONU-Eau, est la capacité d’une population à préserver un accès durable à des quantités suffisantes et à une qualité acceptable d’eau pour maintenir les moyens de subsistance, le bien-être humain et le développement socioéconomique, pour assurer la protection contre la pollution d’origine hydrique et les catastrophes liées à l’eau, et pour préserver les écosystèmes dans un climat de paix et de stabilité politique (ONU-Eau). Selon l’OCDE, la sécurité de l’eau consiste à apprendre à vivre avec un niveau acceptable de risque lié à l’eau.

Les ressources énergétiques traditionnelles sont limitées. La question n’est pas de savoir si ces ressources seront épuisées, mais quand. Les sources d’énergie renouvelables et l’efficacité énergétique seront indispensables. Un mélange de combustibles fossiles et d’énergies renouvelables peut permettre une transition sociétale vers les énergies renouvelables. Nous pouvons résumer la sécurité énergétique en un accès à des services énergétiques modernes, une utilisation efficace de l’énergie et enfin il faudrait que l’énergie produite et consommée soit propre et renouvelable.

L’agriculture est le plus grand utilisateur de ressources en eau dans la région arabe. Elle utilise environ 85% de l’eau alors que le taux moyen mondial d’utilisation de l’eau dans l’agriculture est de 70%. Un effort est à faire en termes de techniques d’irrigation. La sécurité alimentaire consiste à assurer une disponibilité de la nourriture, permettre un accès à la nourriture; une utilisation des aliments (le gaspillage de l’alimentation est estimé à 25%) et enfin assurer une stabilité alimentaire. A noter que la stabilité alimentaire fait référence à la disponibilité régulière et à l’accessibilité aux aliments, de sorte qu’ils contribuent à la sécurité nutritionnelle.

La sécurité vis-à-vis de ces trois secteurs passe obligatoirement par une mise au point d’une stratégie rendant ces trois systèmes collaboratifs. Traditionnellement, accroître la sécurité d’un domaine donné, se fait souvent par des compromis avec la sécurité d’un autre domaine. L’ingénierie des systèmes propose un processus qui prend en compte tout le système (dans ce cas le système des systèmes – SoS) dans son cycle de vie suivant une approche intégrée de qualité, participative, respectant l’environnement ; où la sécurité, l’hygiène et la santé des personnes constituent une priorité ; et enfin le système et le citoyen sont tous les deux responsables l’un par rapport à l’autre. Là, nous pouvons parler de gouvernance du système des ressources en eau.

Actuellement, il existe une tendance bien connue dans les cercles politiques qui vise à intégrer la politique de l’eau, de l’énergie et de l’alimentation – le Nexus du WEF – dans un «Nexus global» entre le changement climatique, changement social et la sécurité et ou autonomie. Par conséquent, nous devons intégrer les secteurs dans une vision de Nexus pour relever les défis mondiaux communs. Ainsi, cette manière de faire permet aux décideurs d’élaborer les bonnes stratégies et les bons plans pour un développement durable et minimisent la période de récupération des investissements (réduire le Payback ou accroître la VAN).

Avant tout une cohérence politique est demandée car elle facilite la prise de décision dans un environnement où l’incertitude règne sous les deux contraintes de changements climatique et social. Une des propositions, que nous formulons, et qui constituent notre contribution à mettre en place un nouveau système de gouvernance des ressources en eau passe par la création d’un observatoire « Eau, énergie et alimentation », sous la coupe du Premier ministère. Il aura pour missions principales de partager et développer les connaissances entre les parties prenantes concernées pour accéder aux meilleures données disponibles et développer des cadres de référence communs sur le besoin de solutions.

Dimension économique des ressources en eau

Un élément clé pour la réussite d’une politique nationale en termes de ressources hydriques est une intégration de la perception de cette ressource vis-à-vis des parties prenantes et particulièrement les utilisateurs de cette ressource, la dimension économique de la ressource en eau en dépend. Comment est considérée la ressource en eau ?

La Conférence internationale sur l’eau et l’environnement, réunie à Dublin (Irlande) du 26 au 31 janvier 1992 posait déjà un constat sans équivoque sur la situation mondiale des ressources en eau est désormais critique. La rareté de l’eau douce et son emploi inconsidéré compromettent de plus en plus gravement la possibilité d’un développement écologiquement rationnel et durable. La déclaration finale de la Conférence proposait et recommandait alors un certain nombre de mesures concertées s’inspirant de quatre grands principes. Le premier considère l’eau douce – ressource fragile et non renouvelable – comme indispensable à la vie, au développement et à l’environnement. Le second insiste sur le fait que le management et la mise en valeur des ressources en eau doivent associer usagers, planificateurs et décideurs à tous les échelons (approche participative). Le troisième met l’accent sur le rôle essentiel joué par les femmes dans l’approvisionnement, le management et la préservation de l’eau. Enfin le quatrième, qui considère l’eau, utilisée à de multiples fins, a une valeur économique et devrait donc être reconnue comme bien économique.

Ce principe part d’un constat amer où plusieurs échecs de management des ressources en eau sont dus au fait de considérer l’eau comme un bien gratuit. Aussi, dans beaucoup de pays, les coûts de l’eau potable et d’irrigation sont en deçà des coûts de l’infrastructure et du personnel nécessaires pour rendre disponible cette eau y compris les charges sur le capital, les coûts opérationnels et de maintenance, etc. Ce principe est aussi justifié par le fait que l’eau (excluable et rivale) a une valeur économique dans toutes ses utilisations concurrentes et doit être reconnue comme un bien économique ainsi qu’un bien social (ex : Un puits sur une propriété privée).

Une analyse purement économique reconnaît que les coûts devraient être supportés par ceux qui en bénéficient, mais en intégrant les aspects sociaux, ce n’est pas si évident. Nous pensons que ce quatrième principe soulève plusieurs questionnements, dont nous en notons deux :

– Peut-on parler de valeur, alors qu’il s’agit d’eau, source de la vie pour tout ce qui est vivant sur terre. Nous pensons que l’utilité est mieux adaptée que la valeur. Moins, on en a, plus elle a de la valeur et plus on en a moins elle a de la valeur (les trois oranges de Bernoulli). A notre humble avis, les aspects économiques dans les projets des systèmes de ressources en eau, doit exiger la détermination de la fonction d’utilité de la région en question et en fonction de son utilisation. Pour mieux éclairer les politiques, un mètre cube d’eau a la même utilité quelle que soit la région (Pour rester en Algérie, l’est, l’ouest et le sud) et pourtant il a la même valeur. Aussi, dans une même région, un mètre cube d’eau en vue d’une utilisation domestique a-t-il la même valeur qu’un mètre cube destiné à un service récréatif. Nous pouvons noter que l’eau se raréfie et par conséquent son utilité « de facto sa valeur » augmente.

– Peut-on considérer l’eau comme un bien économique au même titre que l’essence ou le lait? Ce n’est pas aussi simple. Dans sa dimension sociale, pouvons-nous exclure des citoyens, ceux qui n’ont pas les moyens, de cette ressource ? Pouvons-nous appliquer les prix de revient pour une population qui s’appauvrit de plus en plus ? Nous entendons parler dans le milieu du secteur en eau, que l’augmentation des prix est inévitable et que c’est la solution à cette rareté. A notre humble avis, c’est une solution suicidaire politiquement d’autant plus qu’elle est erronée. Une simple analyse holistique macro, nous montre que les solutions sont ailleurs. La politique nationale de l’eau doit aider à définir une approche de gouvernance de cette ressource, dégager les priorités et concentrer l’attention sur la résolution du conflit de l’eau, sans oublier que la disponibilité de l’eau pour tous les citoyens est un droit fondamental parmi les autres droits humains.

Récemment la résolution de l’AG de l’ONU du 28 juillet 2010 formalise le droit à l’eau après plus de 50 ans de bataille politique sur cette question. La résolution dit: « L’accès à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme ». Cette résolution de l’ONU a été transcrite dans la législation de certains pays, mais elle n’est jamais vraiment appliquée !

Au-delà de toutes autres dimensions, la dimension économique est incontournable. Certains avancent que la gouvernance des ressources en eau doit s’appuyer sur la mise en place de système de financement reposant sur la contribution et la solidarité des consommateurs et pollueurs. Si pour la pollution, il y a un consensus qui se dégage, ce n’est pas le cas pour la contribution et la solidarité des consommateurs. Nous pensons que les subventions de l’Etat sont incontournables. Ce sont d’autres chantiers qu’il faudrait ouvrir tant sur le plan technique, managérial, organisationnel et surtout institutionnel. Il ne faut surtout pas perdre de vue les besoins et attentes de toutes les parties prenantes et engager une démarche participative. Les résultats d’une approche centralisée, nous les subissons actuellement. A chaque fois que des difficultés apparaissent, c’est toujours le citoyen qui a tort. Alors que c’est une politique non réfléchie et très mal engagée, pour rester soft.

Nous pensons que l’eau doit être considérée comme non excluable et rivale. Dans ce cas elle tombe dans le domaine des ressources de libre accès qui mènent certainement à une surexploitation et pollution de la ressource. L’eau fait partie des dilemmes sociaux ou le renouvellement des ressources qui ne sont pas indéfinies. La tragédie des biens communs et les problèmes liés à l’action collective a fait l’objet d’étude depuis Aristote ou « Chaque citoyen est enfermé dans un système qui le contraint à utiliser l’eau de manière illimitée dans un monde qui est limité (rationalité individuelle). La ruine est la destination vers laquelle tous les hommes se ruent, chacun poursuivant son meilleur intérêt dans une société qui croit en la liberté des biens communs. Hardin, 1968, p. 1244 (version française citée dans Ostrom, 2010). Les individus rationnels et égoïstes n’agiront pas pour atteindre leurs intérêts communs ou collectifs.». Le piège social est qu’une situation dans laquelle le comportement qui est le plus profitable à court terme a des conséquences négatives à long terme (dilemme du prisonnier).

Trouver une solution à la tragédie des biens communs fait partie des problèmes récurrents de la philosophie politique et de l’économie politique pour encadrer les comportements individuels. Il existe trois solutions pour éviter la surexploitation des ressources. La nationalisation qui fait appel à l’intervention de l’état, la privatisation qui fait appel aux règles du marché et donc à la privatisation (selon Hardin) et enfin les travaux plus récents de l’économiste et politologue Elinor Ostrom propose une troisième voie du management par des communautés locales appelée aussi la gouvernance communautaire. Elinor Ostrom et équipe démontrent que des communautés d’usagers parviennent souvent par eux-mêmes à inventer des systèmes de management robustes. A noter que la privatisation porte en réalité non pas sur la ressource elle-même mais sur les services de distribution de l’eau potable et de collecte et traitement des eaux usées, via des contrats de gestion confiés à des entreprises privées. La gestion publique ne suffit pas à garantir une gestion démocratique des services d’eau potable et assainissement. Il faut que la prise de décision associe élus, usagers et travailleurs dans le secteur de l’eau.

Les agriculteurs qui ont des revendications à long terme, qui peuvent communiquer, élaborent leurs propres accords, établissent des positions d’observateurs et sanctionnent ceux qui ne se conforment pas à leurs propres règles, ils distribuent l’eau plus équitablement et gardent leurs systèmes en meilleure forme que ceux des systèmes gouvernementaux. L’association des agriculteurs de la plaine d’Hennaya -Tlemcen – est un exemple de réussite de ce mode de gouvernance. Une grande partie de l’échec du programme de la petite hydraulique (retenues collinaires et petits barrages) des années 1980 et 1980 est attribuée à l’absence d’un système de gouvernance approprié. Notre expérience personnelle dans ce domaine nous mène à penser qu’il faudrait un programme de réhabilitation et reprendre tout ce patrimoine hydraulique, tant nécessaire pour nos agriculteurs et le compléter par un nouveau programme.

Une gouvernance adéquate est nécessaire !!!

Le challenge n’est pas une chose simple mais la situation de l’eau, de l’énergie et de l’alimentation l’exige. C’est même vital. Il s’agit certainement d’un programme difficile à prendre en charge par le gouvernement. Dans ce paysage difficile et complexe, la société civile, les élus locaux et les chefs d’entreprise (publiques et privées sans distinction) peuvent jouer un rôle important et constructif pour soutenir le gouvernement dans un processus global de réforme « eau-alimentation-énergie-climat ».

La réussite d’une nouvelle politique du secteur des ressources en eau passe obligatoirement par la mise en place d’une intégration sociale entre employés, fournisseurs, distributeurs, etc. Ce type d’intégration est possible si, au sein de l’organisation, tous les employés adhèrent à des valeurs telles que la justice, la solidarité ou la confiance.

Avant tout une cohérence politique est demandée car elle facilite la prise de décision dans un environnement où l’incertitude règne sous les deux contraintes de changements climatique et social. Un certain nombre de propositions, que nous formulons, constituent notre contribution à mettre en place un nouveau système de gouvernance des ressources en eau:

– L’intégration verticale et horizontale équilibrée de toutes les entreprises, fournisseurs et distributeurs, sous la coupe d’une entreprise dénommée « Algérienne des eaux » qui aura le contrôle de toute la chaîne de mobilisation, production, transformation,… et la distribution. Il faudrait penser à fusionner toutes les agences du secteur de l’eau sous la coupe d’une « agence de gouvernance des ressources en eau ».

– La création d’un observatoire « Eau, énergie et alimentation », sous la coupe du Premier ministère. Il aura pour missions principales de partager et développer les connaissances entre les parties prenantes concernées pour accéder aux meilleures données disponibles et développer des cadres de référence communs sur le besoin de solutions. Dans un deuxième temps, il faudrait penser à fusionner ces trois départements ministériels.

– A moyen terme, il faudrait penser à fusionner les deux institutions publiques chargées de l’exécution des politiques de l’Etat dans les domaines de l’eau et de l’électricité dans une seule entité.

– Aussi, une intégration des différentes spécialités dans les bureaux d’études chargés de projet de système de ressource en eau serait exigée.

– Penser à lancer de grands projets d’irrigation pour de grands périmètres est hasardeux, la ressource n’étant pas disponible. Je pense qu’il faudrait reprendre le programme de la petite hydraulique (retenues collinaires et petits barrages), en réhabilitant l’ancien programme et le consolider par un nouveau. Ce sont des aménagements rapides qui peuvent être réalisés par des compétences nationales. Je recommande vivement un modèle de management communautaire (associatif) qui encourage l’intérêt collectif.

– Développement les techniques d’irrigation moins consommatrices d’eau en vue de rationaliser la ressource.

– Eviter les spéculations consommatrices d’eau et développer une économie virtuelle de la ressource en eau.

– Développement d’une politique de management des réseaux d’alimentation en eau permettant d’équilibrer les pressions de services afin d’éviter leurs détériorations et ainsi réduire les pertes par des fuites.

– Le choix des technologies de production électrique qu’elle soit d’origine fossile ou renouvelable doit prendre désormais en considération le volume d’eau utilisé et privilégie le recyclage de l’eau, le refroidissement par l’air…


* Professeur – Université de Tlemcen


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