Algérie / En dépit du prix du livre qui demeure très élevé, l’interêt pour la lecture ressenti chez les jeunes : Oui, ils lisent…

El Watan 20.12.2018
(Photo : Sami K.)

Le Salon du livre d’Alger (SILA), qui a eu lieu en novembre dernier, a été aussi un moyen pour évaluer les tendances actuelles en matière de relation qu’entretiennent les Algériens, en général, et les jeunes, en particulier, avec le livre.

Pour cette dernière tranche d’âge, le Salon du livre était une occasion de manifester son intérêt pour la lecture, comme en témoigne le pavillon consacré aux livres de jeunesse et la petite enfance lors du Sila.

Si l’engouement constaté lors de ce rendez-vous reste un indicateur à la fois pour les participants et les visiteurs, qu’en est-il pour les autres jours de l’année ? La tendance est-elle la même ? Autrement dit, peut-on parler de la réconciliation de la nouvelle génération avec le livre, cet outil précieux permettant aux jeunes de développer leur imaginaire et leurs facultés intellectuelles ?

L’affluence des ados et des enfants au Salon du livre peut-elle refléter la vraie tendance régnant à propos du lien qu’entretiennent nos jeunes avec le livre ? La tendance n’est pas tout à fait la même, selon les éditions Sedia, en ce sens que l’affluence lors du Salon du livre est déterminée par un certain nombre de facteurs, lesquels ne sont pas présents durant le reste de l’année.

Nacéra Khiat, directrice de cette maison d’édition, explique l’affluence des jeunes et des enfants par un certain nombre de facteurs, tels que la surmédiatisation de l’événement, les prix qui restent attractifs par rapport à ceux des librairies, et surtout le lieu où se tient l’événement, la Safex, un endroit qui permet aux familles d’organiser des sorties avec leurs enfants.

Il est à souligner également que le facteur majeur ayant boosté les ventes de livres de jeunesse durant le SILA demeure «l’organisation de visites par des écoles ou des associations au profit des élèves et des enfants en général», estime Mme Khiat.

Cet avis n’est pas partagé par tous. Des libraires et certains éditeurs que nous avons interrogés témoignent du retour des jeunes vers la lecture, une pratique qui tend à s’installer si l’on se fie aux raisons de cette réappropriation des espaces de lecture.

La tendance de lecture chez les ados algériens, enregistrée en aval auprès de certains libraires d’Alger-Centre, confirme ce retour des jeunes, ainsi que de leurs parents vers l’activité de lecture.

La vente de livres de jeunesse et de la petite enfance, exception faite des livres parascolaires, représente à elle seule 45% de l’ensemble des ventes de la librairie Grande surface du livre, sise au boulevard Victor Hugo, comme en témoigne son gérant.

Le rythme des ventes demeure le même tout au long de l’année. Si durant l’année scolaire c’est le parascolaire qui domine en termes de vente, en été, ce sont les livres d’aventures, à l’instar des Jules Vernes, qui restent très en vogue chez les ados algériens, souligne le libraire.

La même tendance a été également relevée du côté de la librairie Kalimat, où la littérature de jeunesse et des livres pour enfants représente à elle seule 50% des ventes. La libraire Ouardia Larbaoui se montre très optimiste quant à l’avenir de la génération montante.

«Le retour à la lecture est bien réel», constate-t-elle. Les éditions Chihab confirment ce retour vers le livre. «Si on publie les livres liés à la littérature de jeunesse, c’est qu’il y a de meilleures ventes», déclare Karima Hadjene, chargée du volet livres de jeunesse aux éditions Chihab.

Cette dernière avance un taux de 70% représentant la vente des livres de jeunesse, une statistique qui n’intègre pas les livres parascolaires. «Si on ajoute le volet parascolaire, la vente de livres de jeunesse peut atteindre 90% de l’ensemble des ventes», estime Mme Madjene. Cette maison d’édition a publié trois collections de 17 livres documentaires, dont la première, composée de 5 livres, est destinée à la tranche d’âge 5-7 ans.

Cette dernière vise à faire connaître aux enfants les différents métiers, soit une introduction aux métiers d’avenir. Quant aux deuxième et troisième collections, contenant chacune six livres et destinés aux enfants de 8 à 10 ans, elles traitent respectivement des civilisations anciennes et des premières découvertes.

Ces collections sont demandées, car elles répondent aux besoins des écoliers. Elles servent même de supports pédagogiques pour la préparation des différents exposés que font les élèves. Chihab éditions s’est basée sur le contenu des programmes scolaires dans l’élaboration de ces collections.

Cette maison d’édition s’est également intéressée aux contes algériens, destinés aux enfants de 8 à 10 ans. Cette collection de contes contient 9 titres en arabe et 9 autres en français. L’éditeur a même publié un recueil de ces contes connus dans les différentes régions d’Algérie. «Le recueil a très bien marché», se félicite Karima Hadjene.

«L’Algérien moyen met le paquet pour la lecture»

De nombreux parents poussent de plus en plus leurs enfants à la lecture. «Il y a en moyenne huit mères de famille qui entrent chaque jour pour acheter des livres pour leurs enfants. Ce sont des livres du parascolaire qui aident l’enfant à bien assimiler son programme, mais aussi des livres relevant de la littérature», témoigne Ouardia Arbaoui, de la librairie Kalimat, cette éducatrice à la retraite signale que les parents sont de plus en plus impliqués.

Notre interlocutrice explique ce retour à la lecture par la peur de ne pas réussir.
Mais pas seulement. «Il y a une prise de conscience considérable chez les parents d’élèves. L’Algérien moyen met le paquet pour que son enfant étudie. Actuellement, on ne conçoit pas l’idée que son enfant demeure sans études universitaires», explique Mme Arbaoui.

A l’«obsession» de réussir, se greffe un autre facteur favorisant la lecture : les œuvres à étudier dans le programme scolaire et qui sont généralement notées. Mme Arbaoui estime que la notation des résumés et des fiches de lecture a contribué dans une large mesure à mettre en contact les enfants avec les livres.

Ces enfants consultent à la fois les auteurs algériens, tels que Mouloud Feraoun, Abdelhamid Benhadouga, Malek Haddad, etc., des auteurs dont les textes sont dans le programme scolaire.

Comme ils s’imprègnent également de la littérature mondiale, car en sus des récits d’aventures de Jules Vernes, qui sont très demandés, le phénomène littéraire Harry Potter demeure l’une des meilleures ventes de la libraire Kalimat. «Je ne perds pas espoir quant au devenir de la nouvelle génération», affirme, optimiste, Mme Arbaoui.

Cette tendance est relevée également à la librairie «Grande Surface du Livre». «Les parents veulent casser le rythme de l’internet chez leurs enfants. Il y en a même parmi eux ceux qui obligent leurs enfants à faire des résumés», appuie le gérant de cette librairie.

Quand la lecture devient l’affaire de la société civile

L’engouement n’est pas ressenti uniquement dans les grands pôles urbains, tels que la capitale. Certes, la tendance diffère d’une région à une autre en fonction surtout des infrastructures culturelles et des espaces de lecture qu’offrent les autorités publiques à cette frange de la société.

Lors de notre visite à la librairie «Grande Surface du Livre», son gérant a tenu à témoigner de la place que tient le livre dans la société, notamment chez la jeune génération. Ce libraire témoigne également de la mobilisation des parties actives sur le terrain afin de procurer des livres pour les jeunes lecteurs.

Ainsi, ce libraire qui offre des livres gracieusement nous a montré une liste des dons dont le montant dépasse un million de dinars. Les destinataires sont essentiellement les collectivités locales, les associations culturelles, les maisons d’arrêt et autres organismes activant dans le domaine de la culture.

Ainsi, sur la liste des demandes de dons, on trouve des associations relevant de différentes wilayas du pays : Alger, Bouira, Chlef, Ghardaïa… Mais un don a bien retenu notre attention ! Il est destiné à un village niché dans une montagne de Kabylie.

Ce village ayant réussi à construire son propre centre culturel a cherché à doter cette infrastructure de livres destinés essentiellement aux jeunes (universitaires, lycéens). Et notamment des livres relevant du parascolaire.

Ainsi, le seul frein pour la lecture demeure le prix du livre, dans la mesure où il reste un produit taxé d’où la mobilisation des associations afin d’offrir des livres gracieusement aux jeunes lecteurs en quête de savoir.

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