Exactions françaises en Algérie : une plaie historique en attente de mea culpa (Analyse)

– L’Empire colonial français a commis les pires atrocités au Maghreb, en Afrique subsaharienne et en Indochine dans l’impunité totale, qui persiste, même après des décennies de décolonisation et d’indépendances.

Lassaad Ben Ahmed   |10.12.2019

Exactions françaises en Algérie : une plaie historique en attente de mea culpa (Analyse)

France

AA / Hatem Kattou

Le 10 décembre de chaque année correspond à la célébration de la Journée mondiale des droits de l’Homme. Cette date a été choisie pour pérenniser l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies la Déclaration Universelle des droits de l’Homme en 1948.

La France, souvent appelée « Patrie des droits de l’Homme », est un des pays qui revendique le plus cette vocation universelle en tant que chantre de ces droits, mais cette contrée mériterait-t-elle réellement ce « titre » ?

Au regard du passé colonial de la France, la question mérite d’être posée et titre sa légitimité des atrocités commises et des exactions perpétrées, plusieurs décennies durant.

Les exactions françaises au Maghreb, en Afrique subsaharienne et en Indochine ont certes été nombreuses et des plus abjectes, mais l’Algérie fût un cas unique, compte tenu du mouvement et de l’installation massive des colons sur son territoire et l’annexion pure et dure de ce pays considéré durant plus d’un siècle comme un département français à part entière.

« Si tu veux qu’il y ait des contacts entre toi et moi, ne me fais pas vivre avec les vivants et laisse-moi vivre avec les morts, parce que les morts ne m’ont pas fait de mal».

Cette phrase couperet, cette réplique assassine a été prononcée par une sexagénaire algérienne violée, dans des camps de « concentration » de l’armée française en 1959, à l’adresse de son fils qui l’a retrouvé 30 ans plus tard. Cette dame violée dans sa chaire a préféré s’exiler et vivre dans un cimetière sur les hauteurs d’Alger pour fuir son passé et son vécu.

Le viol est une pratique parmi mille, utilisée par l’armée coloniale française, de l’aveu même de certains appelés et officiers, aussi bien durant la Guerre d’Algérie qui a duré huit ans que bien avant depuis 1830, date du début de l’occupation de l’Algérie.

La baignoire, la corvée de bois, la gégène, le viol, le sérum de vérité, la pendaison, l’arrachage d’ongles, la guillotine, la privation de sommeil, les exécutions sommaires, l’emmurage, des termes faisant tous partie d’un jargon aussi morbide qu’horrifiant, mais représentent surtout autant de pratiques et de méthodes sophistiquées auxquelles a recouru la « Patrie des droits de l’Homme », durant sa colonisation de l’Algérie.

Mieux encore, la « Fille ainée de l’Eglise », qui se veut championne des droits de l’Homme, chantre de la liberté devant l’éternel et donneuse de leçons à souhait et à l’envi, a procédé aux « enfumades », précédant ainsi d’un siècle les Nazis et leurs tristement célèbres fours crématoires.

Les enfumades sont une technique utilisée par le corps expéditionnaire français durant la colonisation de l’Algérie, particulièrement en 1844 et 1845.

Dans un livre paru en 1946, P. Christian décrit dans « L’Afrique française, l’empire de Maroc et les déserts de Sahara » (Paris, éd. A. Barbier), décrit cette pratique utilisée notamment, par le lieutenant-colonel Pellissier.

Il s’agit « d’asphyxier des tribus entières, soit des milliers de personnes, y compris les femmes et les enfants, réfugiés ou enfermés dans une grotte, en allumant devant l’entrée des feux qui consomment l’oxygène disponible et remplissent les cavités de fumée».

C’est dire l’ampleur de l’horreur et pour dire les choses clairement, l’ampleur du génocide exécuté par les autorités françaises à l’encontre du peuple algérien.

Certains historiens estiment, à juste titre, qu’à côté des célèbres 1,5 millions de martyrs tombés dans le champ d’honneur durant la Guerre de libération (1954-1962), les pertes algériennes, humaines s’entend, s’élèvent à 6 millions de morts, moins connus, durant les 132 ans de colonisation.

Sans évoquer les crimes moraux et à valeur affective, l’acculturation, l’occultation de l’identité religieuse, culturelle et sociale, qui peuvent faire l’objet d’un papier à part, notre propos se focalisera sur les tortures et autres exactions et atrocités physiques.

Et pour illustrer ces propos, il serait encore plus pertinent, mais non pas plus juste, et plus poignant de citer et de faire parler des Français, et qui n’étaient pas particulièrement des partisans ou des sympathisants de la Cause algérienne. Ainsi, la crédibilité de ces témoignages ne sera que plus renforcée.

Un autre Pellissier, Edmond Pellissier de Reynaud, officier et diplomate qui accompagnait le corps expéditionnaire français en Algérie rapportait que « Tout ce qui vivait fut voué à la mort ; tout ce qui pouvait être pris fut enlevé, on ne fit aucune distinction d’âge ni de sexe ».

La messe est dite. Mais, après une légère nuance, le pire est encore à venir. «Cependant, l’humanité d’un petit nombre d’officiers sauva quelques femmes et quelques enfants. En revenant de cette funeste expédition, plusieurs de nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances et une d’elles servit, dit-on, à un horrible festin », a-t-il encore témoigné.

Ce qui est remarquable et paradoxal à plus d’un titre, c’est que charriant un tel lot de crimes, où l’horreur le dispute à l’infâme, ça ose critiquer et donner des leçons aux autres dans le chapitre des droits de l’Homme, à ces nations « dépourvues de civilisation » ou à ces pays en voie de développement.

Ce qui est encore plus abject, au plan intellectuel et moral s’entend, c’est qu’Alex Tocqueville, le théoricien-référence du libéralisme politique, a défendu becs et ongles les massacres de l’armée coloniale en Algérie.

C’est à se demander, comme l’ont fait nombre d’historiens, quant à la pertinence de l’échelle des valeurs et des deux poids deux mesures utilisés à souhait.

Rappelons, par ailleurs, que le mot génocide est défini comme étant la « destruction méthodique d’un groupe humain ». Le massacre du plus du tiers de la population et de millions d’âmes (estimations avancées par nombre d’historiens durant les 132 ans de colonisation) ne peut qu’être conforme à cette définition.

De plus, le massacre de 45 mille personnes désarmées en trois jours, sorties pour célébrer la fin de la deuxième Guerre mondiale et réclamer, un drapeau algérien à la main, leur droit à la liberté et à la dignité, est aussi illustratif de cette définition.

Ces petits gens de Guelma, Sétif et Kharrata (est algérien), ont eu la naïveté de croire aux engagements de la France, qui a promis à ses colonies qui l’ont aidé à récupérer son territoire initial et à se libérer du joug nazi, de leur octroyer l’indépendance. Pour toute réponse, ils ont reçu les balles qui ont transpercé leurs abdomens et torses nus.

Et pourtant… La France au lieu de procéder à un mea culpa qui ne sera que salvateur sombre dans le déni. Mieux ou pire encore, en 2005, soit 43 ans après l’Indépendance de l’Algérie, une loi est votée pour glorifier les bienfaits de la colonisation française en terre algérienne. Un texte officiellement et pompeusement appelé : « Loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ».

Remontons un peu plus dans le temps pour retrouver le sociologue et historien français Pierre Vidal Naquet, auteur de trois ouvrages des plus intéressants et des plus illustratifs sur, entre autres, les exactions françaises en Algérie « La torture dans la République, la raison d’Etat, l’Affaire Audin ».

Vidal Naquet écrivait sans détours dans « La torture dans la République » : « Dans la guerre d’Algérie, la torture n’était pas un accident, il s’agissait d’un système dans lequel l’Etat tout entier s’était trouvé engagé ».

Cette phrase requiert une importance capitale dès lors qu’elle balaie d’un revers de main les allégations « malsaines, malhonnêtes et mensongères » en vertu desquelles la torture était l’œuvre d’éléments isolés qui ont commis des exactions personnelles et des abus sans recevoir d’instructions de leur hiérarchie.

In fine, il serait judicieux de conclure, en reprenant les propos d’un historien algérien, Mohamed El Korso, qui appelle à ce que la France, qu’il considère comme «partie historiquement incriminée, cesse de faire dans la provocation (entre autres la loi 2005), de se comporter en donneuse de leçon et qu’elle reconnaisse d’une manière franche et sans détour que des crimes inhumains ont été commis au nom de la patrie des droits de l’homme durant toute la période coloniale en Algérie ».

La France est appelée, a-t-il ajouté, « à assumer son passé colonial. Tout son passé colonial. Le pourra-t-elle ? ». 

Cette analyse de notre correspondant au Canada, Hatem Kattou, reflète son opinion et pas nécessairement la ligne éditoriale de l’Agence Anadolu.


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