France / Vers une mutation nécessaire de notre démocratie

02.07.2020

On ne cesse de lire ou d’entendre que notre système représentatif est en crise depuis plusieurs années, et que la souveraineté du peuple serait mise à mal au point de menacer notre démocratie. En est-il vraiment ainsi ? Selon une définition communément admise, la démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Les premiers philosophes grecs (Platon, Aristote Periclès) en ont dessiné les premiers contours dans le contexte de leur époque. Ce ne sera qu’au XVIIIe siècle que les philosophes des Lumières reprendront à leur compte le concept de démocratie en lui donnant le sens qu’il recouvre aujourd’hui.

Un bureau de vote à Nice (Alpes-Maritimes), le 15 mars 2020 (image d’illustration) / Source Reuters

Ce sera tout d’abord Montesquieu, qui fera une distinction entre la monarchie, l’aristocratie et la démocratie. À travers le concept de démocratie, il établira sa théorie de la séparation des pouvoirs. Car, écrivait-t-il, «tout homme tend par nature à abuser de son pouvoir, c’est pourquoi il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir». Il considérait cependant bien avant Alexis de Tocqueville que la démocratie recelait bien des imperfections et que ces mêmes imperfections pouvaient à terme miner ses fondements essentiels dès lors qu’elle pouvait aboutir, selon les circonstances, à une forme de tyrannie. Quant à Jean-Jacques Rousseau, la démocratie est selon lui un régime trop parfait pour qu’il convienne aux hommes. Ceux-ci ne sont pas suffisamment matures pour l’adopter. Il dira même que la seule forme de démocratie qui puisse être appliquée est la suisse et que ce type de régime politique ne peut pas fonctionner dans les grands Etats. Franck Pallet est un consultant juridique auprès d’un cabinet d’avocats monegasque  Est-ce à dire pour autant que le peuple est incapable de se gouverner et qu’il est en tout état de cause immature pour le faire ?

Dans Madame Bovary, Gustave Flaubert, partisan du retour de la monarchie, exprimera tout son mépris pour la démocratie qu’il considérera toute sa vie comme le régime des ignorants. Quant à Alexis de Tocqueville, il décela très vite tous les travers de la démocratie dans son ouvrage majeur «De la Démocratie en Amérique», paru en deux tomes en 1835 et 1840, en étudiant à la fois la société et les institutions des Etats-Unis.

Si le modèle démocratique américain était sans doute le plus abouti au XIXe siècle, notamment par son équilibre strict des pouvoirs (check and balances) qui était une innovation juridique pour l’époque, et qui perdure encore à l’heure actuelle, pour autant les individus ont une passion particulière pour l’égalité au point même de sacrifier leur propre liberté, en privilégiant leur vie personnelle plutôt qu’en s’intéressant à la chose publique. Si l’on n’y prend pas garde, ce désintérêt pour la participation des citoyens à la vie démocratique conduira à terme à ce que Tocqueville appelait la tyrannie de la majorité. N’est-on pas en train actuellement de vivre pareille situation, à travers la défiance des peuples à l’égard de leurs gouvernants et de ceux qui sont censés les représenter dans les assemblées législatives ?

Pour s’en tenir à la France, faisons un peu d’histoire politique. Le général de Gaulle nous a légué en 1958 des institutions solides et stables pour éviter précisément les travers des régimes parlementaires précédents des IIIe et IVe républiques dont l’instabilité ministérielle quasi-permanente était le trait caractéristique au point que notre république se transforma au fil des décennies en régime d’assemblée dans lequel on faisait et défaisait à sa guise les gouvernements. C’est l’introduction de la fameuse notion de parlementarisme rationalisé dans notre droit constitutionnel, qui a permis la stabilité des gouvernements en imposant des règles plus strictes quant à la mise en œuvre des motions de censure qui rendent celles-ci quasiment impossibles. La seule fois où un gouvernement a été renversé remonte à 1962, avec celui de Georges Pompidou à propos de l’élection du président de la République au suffrage universel.  On pourra objecter que les institutions de la Ve République ont instauré un pouvoir de décision vertical et qu’en dépit de la stabilité politique, le caractère monarchique de celles-ci, incarnées dans la personne du président de la République, limite les pouvoirs du Parlement, et, partant, ceux du peuple souverain qui  participe très peu, sinon pas du tout, au processus de décision.

Cependant, il n’échappera pas à quiconque s’intéresse à la vie politique de notre pays que ces mêmes institutions de la Ve République ont évolué au fil du temps, en consacrant notamment un rôle croissant au Conseil constitutionnel par les réformes de 1974 et de 2008, en permettant notamment à tout justiciable à l’occasion d’un procès judiciaire ou administratif de soumettre une question prioritaire de constitutionnalité dès lors qu’une disposition législative porterait atteinte à une liberté fondamentale que notre constitution garantit. Il s’agissait là indéniablement d’une grande avancée démocratique, car la saisine du Conseil constitutionnel était jusqu’alors réservée au président de la République, aux présidents des deux assemblées ainsi qu’à 60 députés ou sénateurs, ce qui limitait le champ d’action et partant la saisine de cette institution à un contrôle a priori et par voie d’action de la conformité de la loi à la constitution.

Par cette réforme institutionnelle, la France s’est ainsi mise au diapason par rapport au modèle américain, allemand ou autrichien qui prévoyait depuis longtemps un contrôle a posteriori et par voie d’exception de la constitutionnalité des lois, selon toutefois des modalités spécifiques à chacun de ces Etats.  La réforme du 23 juillet 2008 a également accru les pouvoirs de contrôle du Parlement à l’égard du gouvernement, en confiant notamment la présidence de la commission des finances à un membre de l’opposition. Celle-ci a également introduit la possibilité de destituer le président de la République lorsque celui-ci a commis un manquement grave incompatible avec ses fonctions (article 68 de la constitution). L’inscription en 2005 de la Charte de l’environnement dans le préambule de notre constitution a été également un progrès notable en ce que chaque citoyen peut désormais invoquer le non-respect du principe de précaution devant les juridictions nationales, qu’elles soient judiciaires ou administratives.

Il est évident qu’il reste encore beaucoup à faire face à l’évolution de notre société et des mentalités. Des réformes institutionnelles seront sans doute nécessaires dans le sens d’une plus grande démocratisation du processus de décision. Celles-ci seront d’autant plus acceptées qu’elles sont soumises à référendum. Cela suppose toutefois que le président de la République ou les membres du Parlement qui en prennent l’initiative en explicitent bien les enjeux politiques, sociologiques et sociétaux, car il en va de la pérennité du contrat social conclu avec le peuple, lequel doit avant tout reposer sur la confiance. Pour cela, il faudra sans doute assouplir les conditions de mise en œuvre du référendum d’initiative populaire, telles que prévues à l’article 11 de notre constitution, lesquelles apparaissent trop rigides et difficilement applicables.  Une plus grande décentralisation administrative s’impose également afin de pouvoir rapprocher le processus de décision des acteurs publics locaux mieux à même de conduire certaines politiques publiques locales plutôt que de continuer à s’inscrire dans un processus vertical. On a pu, en effet, constater que les communes ont joué pleinement leur rôle durant le confinement généralisé de notre pays et qu’elles ont au final mieux géré la crise sanitaire au niveau local que cela n’a été fait à l’échelle nationale.

Cette réforme de notre système administratif devra cependant nécessairement s’inscrire dans un nouveau pacte de confiance entre l’Etat central et les collectivités territoriales. C’est à ce prix seulement que nous pourrons consolider notre démocratie, à condition toutefois de faire davantage participer le peuple au débat d’idées. À cet égard, la Convention citoyenne pour le climat constitue un début, même si les résultats de cette consultation risquent d’être décevants par-delà ses aspects innovants, en ce que certaines des propositions émises par le Conseil économique social et environnemental ne seront pas retenues par le président de la République en raison des difficultés de mise en œuvre.

Cette démarche préconisée par le président de la République doit être bien évidemment suivie d’autres consultations, notamment par des référendums d’initiative locale pour que le peuple n’ait pas le sentiment que ce type de consultation est un pur gadget. La seule technocratie ne peut plus désormais imposer ses réformes sans être à l’écoute des citoyens.  Car n’oublions pas que la démocratie n’est jamais acquise et qu’elle est un régime en construction permanente. «La démocratie est le pire des régimes politiques à l’exception de tous les autres», disait Churchill. C’est à nous citoyens d’apporter une pierre à l’édifice et de faire en sorte qu’elle perdure. Face au péril qui pourrait la menacer, nous devons être plus solidaires et davantage responsables par une plus grande implication dans la vie publique.


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