France / Guerre d’Algérie. La déclassification des archives va-t-elle mener à de nouvelles découvertes ?

     Plus de soixante ans après la fin du conflit, des zones d’ombre persistent sur la guerre d’Algérie. L’accès limité aux archives, souvent classées « secret-défense », rend le travail de recherches complexe sur cette période. L’annonce d’Emmanuel Macron, mardi 9 mars, de faciliter cet accès aux documents classifiés d’avant 1971 donne l’espoir d’en savoir davantage. Historiens et archivistes restent cependant prudents sur les effets concrets de cette déclaration du chef de l’État.

Les troupes et automitrailleuses en position d’alerte sont postées, le 11 novembre 1954, près de l’école de M' Chounèche, en Algérie. AFP PHOTO
Les troupes et automitrailleuses en position d’alerte sont postées, le 11 novembre 1954, près de l’école de M’ Chounèche, en Algérie. AFP PHOTO | AFP ARCHIVES

Jennifer CHAINAY.

La guerre d’Algérie a-t-elle livré tous ses secrets ? Probablement pas. Près de soixante ans après la fin du conflit, des zones d’ombre persistent. Des familles réclament des informations sur ces proches qu’ils n’ont jamais revu. D’autres aimeraient en savoir davantage sur le massacre d’Oran en 1962 ou encore sur les essais nucléaires menés par la France dans le Sahara dans les années 60.

L’annonce d’Emmanuel Macron, hier, de déclassifier au « carton » « des documents couverts par le secret de la Défense nationale jusqu’aux dossiers de l’année 1970 incluse » peut donner un espoir aux familles, mais aussi aux chercheurs, d’en savoir plus sur cette période de l’histoire. Jusqu’ici, c’était le cas uniquement pour les archives classifiées au « carton » d’avant 1954, date de début du conflit.

 

Les disparus au centre des attentions

Si « l’histoire de la guerre d’Algérie a été en grande partie écrite », estime Céline Guyon, présidente de l’association des archivistes français, toutes les zones n’ont pas pour autant été explorées. « Des dizaines de milliers de personnes ont disparu durant la guerre d’Algérie. De nombreuses familles ne savent pas dans quelles conditions leur proche a été exécuté ou enterré, regrette Pierre Mansat, président de l’Association Josette et Maurice Audin, qui œuvre pour la reconnaissance des crimes coloniaux. Il y a beaucoup de choses à mettre à jour sur ce plan là et les archives sont essentielles. »

 

« La question des disparus algériens et français de cette guerre reste effectivement l’un des points aveugles de la recherche historique, appuie Linda Amiri, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Guyane. Il en va de même pour « les ratonnades » en Algérie qui furent nombreuses, les lieux d’enfermement divers et variés, officieux et officiels, la « Main Rouge » (organisation française secrète). » Pour l’historienne Linda Amiri, qui a notamment travaillé sur l’action du Front de libération national en France, il reste des faits « à exhumer » sur cette guerre d’Algérie, « et d’autres, plus connus, à mieux analyser au regard des nouvelles sources orales et écrites aujourd’hui disponibles ».

En ce qui concerne les essais nucléaires menés dans le Sahara algérien par la France entre 1960 et 1966, autre angle mort de la recherche, l’Élysée a annoncé que les informations resteront secrètes, au grand dam d’Alger qui les réclame.

 

Réaction mitigée des historiens et archivistes

Les sujets ne manquent donc pas. Mais cette annonce d’Emmanuel Macron, qui fait un pas de plus vers la réconciliation mémorielle, va-t-elle vraiment permettre de faire bouger les lignes ? « Elle montre que les actions menées par les historiens et les archivistes depuis plus d’un an ont été partiellement entendues », estime Céline Guyon, présidente de l’association des archivistes français.

 

Réaction partagée par Thomas Vaisset, secrétaire général de l’AHCESR (Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur) et maître de conférences à l’université du Havre : « Le président constate qu’il y a un problème, il y a une prise de conscience. Depuis deux, trois ans, il demande que les historiens travaillent sur l’Algérie, mais ce n’est pas possible. » Pourquoi ? Depuis plus d’un an, historiens et archivistes dénoncent un durcissement des administrations sur le respect du secret-défense de certains documents. À tel point qu’un collectif a saisi le Conseil d’État en septembre 2020 contre l’instruction générale ministérielle (IGI) de 2011 sur laquelle s’appuient les administrations pour limiter l’accès aux archives.

Lire aussi : Guerre d’Algérie, Occupation… Les historiens bataillent contre l’extension du « secret-défense »

 

Tous les dépôts d’archives ne sont pas concernés

Si cette annonce d’Emmanuel Macron est perçue comme une avancée sur la forme, historiens et archivistes préfèrent rester prudents sur le fond. « Nous sommes sceptiques car peu de choses changent par rapport à hier, soupire Thomas Vaisset qui travaille sur la Seconde Guerre mondiale. La seule nouveauté, c’est que la déclassification qui allait jusqu’à 1954 est élargie jusqu’à 1971. Mais concrètement, je ne verrais pas plus d’archives aujourd’hui que j’en ai vues hier. »

 

Pierre Mansat, lui, déplore le fait que le « secret-défense » entrave la consultation des documents archivés d’avant 1971, pourtant autorisée à tous grâce au « Code du patrimoine de 2008, rappelle-t-il. Ce n’est pas au président de la République de dire si la loi doit être appliquée ou non. Elle doit être appliquée, c’est tout. »

Céline Guyon ajoute que cela « ne va pas régler les problèmes d’accès aux archives », et ce pour plusieurs raisons. « La mesure de simplification qui est annoncée ne concerne pas l’ensemble des dépôts d’archives, explique-t-elle. À la différence de leurs collègues archivistes au service historique de la défense, les archivistes aux archives nationales n’ont pas les compétences pour déclassifier. Ils doivent continuer, malgré les annonces de l’Élysée, à solliciter les autorités émettrices des documents pour recueillir leur autorisation et surtout pour qu’elles viennent in situ les déclassifier. »

 

« Une méconnaissance du travail de chercheur »

Dans sa déclaration, l’Élysée parle d’une déclassification « au carton ». Concrètement, cela permet à l’archiviste d’isoler des documents classés Défense présents dans le même carton et de communiquer uniquement ceux qui ne sont pas tamponnés.

Cette technique apporte une difficulté aux étudiants, selon l’historien Thomas Vaisset, et montre « une méconnaissance de la façon dont les chercheurs travaillent.  Lorsqu’ils se rendent aux archives, ils rentabilisent leur temps en prenant en photo les documents, feuille par feuille, qu’ils souhaitent étudier ensuite. » Cette reproduction nécessite une marque l’autorisant, tel un coup de tampon. « Quand on déclassifie au carton, on ne met pas cette marque sur chaque document, donc le chercheur ne peut plus le photographier », explique-t-il. Argument également mis en avant par ses confrères Pierre Mansat et Linda Amiri. « Cela pénalise beaucoup les chercheurs qui habitent en province et dans les Outre-mer », avance la maître de conférences à l’université de Guyane.

Les volumes concernés, titanesques, sont aussi à prendre en compte pour rendre accessibles ces documents. « Cela représente des dizaines de milliers de cartons, donc ça ne va pas se faire dans des délais courts, estime la présidente de l’association des archivistes français. Cela peut prendre des mois, voire des années. »

Si les archives publiques restent une source importante pour les chercheurs, elles sont loin d’être la seule. Pierre Mansat sait depuis plusieurs années qu’il n’apprendra plus rien sur le sort de Maurice Audin, mathématicien assassiné par l’armée française dans ces archives publiques. « Pour avancer, il faudrait que nous ayons accès aux archives privées de certaines personnes, comme celles du général Massu détenues par sa veuve. Mais elle refuse de les rendre publiques » , détaille-t-il. « Les archives privées sont celles qui apportent le plus souvent de la nouveauté et viennent documenter l’histoire », assure Céline Guyon, la présidente de l’association des archivistes français.


      Accès aux archives françaises classifiées: Des historiens saluent un geste «très positif»

                                       par R. N.

 La décision du président français, Emmanuel Macron, de faciliter l’accès, dès ce mercredi, aux archives classifiées de plus de 50 ans, est un geste «très positif» et «très important», ont estimé des historiens, cités par l’APS.

«Je peux dire, pour l’instant, que c’est une très bonne décision et c’est une ouverture s’il y a un suivi permettant de la mettre en application assez largement et qui permettrait particulièrement aux chercheurs Algériens d’accéder à ces documents», a déclaré le directeur général des Archives nationales, Abdelmadjid Chikhi, qualifiant la décision de M. Macron de «très positive».Chikhi explique que cette décision intervient en réponse surtout à «une action de la famille universitaire française qui avait envoyé des pétitions au président français lui demandant d’ouvrir les archives et surtout la levée des restrictions qui avaient été faites concernant ce qu’ils appellent secret défense».

Le DG des Archives nationales a aussi relevé l’importance d’»attendre les dispositions qui seront prises sur le plan législatif comme le souligne le communiqué de la présidence de la République française et sur le plan réglementaire vis-à-vis de ce qui est appelé secret de défense nationale et également le respect de la sécurité nationale et d’un certain nombre de contingences que tous les Etats sont tenus de respecter».

«Ce que nous pouvons dire pour l’instant c’est que l’accès sera un peu plus ouvert, surtout que la période concernée est une période très importante pour l’histoire de l’Algérie. Elle se situe entre les années 1920 et 1970″, a-t-il fait remarquer, rappelant quelques étapes qu’a connues cette période dont certains développements de la colonisation notamment avant le centenaire de 1930 où «la colonisation s’est exprimée d’une façon assez abjecte et fêtait une centaine d’années de misère et d’application de loi très dures vis-à-vis des Algériens», ainsi que la période 1942-1943 (Manifeste du peuple algérien) et celle de 1945 (manifestations réprimées dans le sang).

«Donc, il y a un certain nombre de faits très importants et nous sommes dans la période la plus dense de l’histoire de l’Algérie en matière politique et en matière de rapport entre l’Algérie et la France», a-t-il dit, insistant sur le fait que ce déclassement est «une première étape».

Un geste et quelques «appréhensions»

De son côté, l’historien Mohammed Ould Si Kaddour El-Korso a estimé que la décision du Président français est «positive», et qu’elle s’inscrit dans le dégel des relations entre l’Algérie et la France.

L’historien a exprimé, toutefois, des «appréhensions» quant à d’»éventuels» blocages quant à son application, soulignant que la décision est, pour l’heure, «politique et non administrative». Il a aussi émis des réserves quant au début de son application. «Je crains que cela prendrait du temps», a confié l’historien.

Selon lui, «différents subterfuges pourraient être trouvés par des administratifs (archivistes) afin d’empêcher un accès total à ces archives, comme la non-classification de certaines archives par manque de personnel ou une sélection préméditée de ces documents», a-t-il mis en garde, soulignant l’importance «extrême» des documents liés à la torture, aux exécutions sommaires ou encore celles se rapportant à la bataille d’Alger.

M. El-Korso a ajouté : «Il est temps que les archives de la révolution algérienne soient mises à la disposition des lecteurs algériens».

Pour rappel, le président français Macron a décidé mardi de faciliter l’accès, dès ce mercredi, aux archives classifiées de plus de 50 ans, y compris celles relatives à la guerre de libération nationale. Cette décision a été prise afin de «permettre aux services d’archives de procéder aux déclassifications des documents couverts par le secret de la défense nationale jusqu’aux dossiers de l’année 1970 incluse», avait précisé un communiqué de la présidence de la République française.


      Chikhi à propos de l’accès aux archives de la guerre d’Algérie

                                «Ce n’est qu’une première étape»

Cette ouverture intervient en réponse surtout à une action de la famille universitaire française, estime le directeur général des Archives nationales

Loin de crier victoire, sans pour autant sombrer dans le pessimisme, le conseiller chargé des archives et de la mémoire auprès de la Présidence, Abdelmadjid Chikhi, a estimé que la décision du président français, Emmanuel Macron, de faciliter l’accès, depuis hier, aux archives classifiées de plus de 50 ans, n’est qu’ «une première étape» soulignant qu’ «il y a beaucoup à faire.
Les archivistes français vont se pencher sur pas mal de dossiers. J’espère que ce sera positif pour l’écriture de l’histoire». Néanmoins, le directeur général des Archives nationales a qualifié la décision d’Emmanuel Macron de «très positive». «Je peux dire, pour l’instant, que c’est une très bonne décision et c’est une ouverture s’il y a un suivi permettant de la mettre en application assez largement et qui permettrait particulièrement aux chercheurs algériens d’accéder à ces documents», a nuancé à l’APS Abdelmadjid Chikhi. Pour ce dernier, la décision du chef de l’Etat français intervient en réponse surtout à «une action de la famille universitaire française qui avait envoyé des pétitions au président français lui demandant d’ouvrir les archives et surtout la levée des restrictions qui avaient été faites concernant ce qu’ils appellent «secret défense». En filigrane, ce n’est point une réponse à la demande algérienne qui a toujours réclamé la «totalité» des archives de la période coloniale (1830-1962) la concernant.

Ainsi, Abdelmadjid Chikhi a relevé l’importance d’ «attendre les dispositions qui seront prises sur le plan législatif comme le souligne le communiqué de la présidence de la République française et sur le plan réglementaire vis-à-vis de ce qui est appelé secret de défense nationale et également le respect de la Sécurité nationale et d’un certain nombre de contingences que tous les Etats sont tenus de respecter». Et de reconnaître que l’accès sera «un peu plus ouvert, surtout que la période concernée (1920-1970) est une période très importante pour l’histoire de l’Algérie».
Une période ayant connu la gestation du Mouvement national, et, notamment celle d’avant le Centenaire de 1930 où «la colonisation s’est exprimée d’une façon assez abjecte et fêtait une centaine d’années de misère et d’application de lois très dures vis-à-vis des Algériens», note le DG des Archives nationales. Et de citer d’autres périodes 1942-1943 (Manifeste du peule algérien) ainsi que celle de 1945 (manifestations réprimées dans le sang). «Donc, il y a un certain nombre de faits très importants et nous sommes dans la période la plus dense de l’histoire de l’Algérie en matière de politique et en matière de rapport entre l’Algérie et la France», a-t-il souligné. Tandis que l’historien Mohammed Ould Si Kaddour El-Korso a estimé que «sur le plan du principe, cette décision est un geste positif qui s’inscrit dans le dégel des relations entre l’Algérie et la France, et je ne peux que la féliciter». Tout en exprimant des «appréhensions» quant à d’ «éventuels» blocages concernant son application, l’historien note que la décision est, pour l’heure, «politique et non administrative». Dans ce sens, l’historien appréhende des «subterfuges administratifs (…), comme la non-classification de certaines archives par manque de personnel ou une sélection préméditée de ces documents», soulignant l’importance «extrême» des documents liés à la torture, aux exécutions sommaires ou encore celles se rapportant à la bataille d’Alger.

Smaïl ROUHA

          Les réactions suscitées par le rapport Stora dans la gauche française

                              par Emmanuel Alcaraz *

  En Algérie, les réactions se sont focalisées sur la formule « pas d’excuses, pas de repentance » que Stora nie avoir écrit. Voilà ce qu’il a rédigé : « Je ne sais pas si un nouveau discours d’excuses officielles suffira à apaiser les mémoires blessées, à combler le fossé mémoriel existant entre les deux pays. »

S’en suit toute une démonstration montrant que les excuses du gouvernement japonais aux Coréens n’ont servi à rien et n’ont pas permis de calmer le ressentiment en Corée du Sud. Stora mise plutôt sur l’établissement et la reconnaissance des faits pour pacifier les mémoires. Sur ce point, il a bien raison. Suite à la déclaration de l’Elysée au moment de la remise du rapport et aux réactions algériennes, Stora n’a peut-être pas écrit, « pas d’excuses, pas de repentance » comme il l’a dit récemment dans un entretien à TV5 Monde. Mais, il n’a pas écrit non plus qu’il était favorable aux excuses dans son rapport. Il a bien développé une argumentation montrant que les excuses ne permettaient pas de pacifier les mémoires. C’est bien qu’il n’y est pas favorable et c’est cette argumentation qui a été employée par l’Elysée pour justifier en 2021 son « pas d’excuse, pas de repentance ».

Ce qui m’intéresse, ce n’est pas ce que pense le citoyen Benjamin Stora qui est peut-être favorable ou pas aux excuses, qui est peut-être trotskyste, socialiste, macronien ou encore gaulliste de gauche ou d’extrême-gauche comme Régis Debray, cela ne regarde que lui comme il ne se présente pas à une élection, ce qui est important pour nous, c’est ce qu’écrit l’historien Benjamin Stora dans son rapport, consultable en ligne, sur le site de l’Elysée, et qui va être édité par les éditions Albin Michel sous une forme plus développée. On peut regretter que les deux rapports Stora et Chikhi ne soient pas publiés ensemble avec une version en français et en arabe comme le président Macron souhaite le développement de l’arabe en France à l’école.

Beaucoup d’intellectuels sont fortement incités à se positionner par rapport au rapport Stora qui est devenu l’étalon officiel de référence pour la République française concernant l’histoire et les mémoires franco-algériennes. Les commentaires, et aussi les miens comme je fais partie du lot, relèvent qui nous sommes, ainsi que les commentaires sur les commentaires des chercheurs, des intellectuels, des hommes politiques et de tous les acteurs engagés dans cette longue histoire. On peut les classer en plusieurs groupes, mon classement étant forcément subjectif.

A gauche, il y a ceux qui jugent totalement insuffisante la condamnation de la colonisation dans le rapport. Parmi eux, on peut mentionner le politologue Olivier Le Cour Grandmaison qui a écrit, sur son blog, sur le site de Mediapart, une charge critique intitulée « Sur le rapport de Benjamin Stora : le conseiller contre l’historien » et la militante « décoloniale » Françoise Vergès, nièce de l’avocat Jacques Vergès et fille du sénateur de la Réunion Paul Vergès. Les deux reprochent à l’historien ses liens avec Emmanuel Macron, d’avoir mis sa plume au service des objectifs politiques du président Macron, qu’ils classent tous deux à droite. C’est un mauvais procès faisant une confusion entre le professionnel, l’histoire, les opinions politiques et des considérations personnelles.

On pourrait leur rétorquer que Jean-Luc Mélenchon des Insoumis (19, 58% aux élections présidentielles de 2017), un mouvement politique de gauche, avec des liens avec l’extrême-gauche à travers certaines personnalités et groupes militants, n’a jamais condamné la colonisation dans les termes employés par le candidat à la présidentielle Emmanuel Macron en 2017 qui l’a qualifiée de crime contre l’humanité, ce qui lui a été reproché par la droite et l’extrême-droite française. Il est resté totalement silencieux sur le rapport. Le Parti communiste français a une position, dans la continuité, similaire à celle d’Emmanuel Macron en 2017, ce Parti ayant incarné, en dépit de certains détours, une forme de résistance à la guerre d’Algérie. C’est bien lui avec le Parti communiste algérien qui compte le plus de martyrs européens pour la cause algérienne avec notamment les morts de Charonne. Pour trouver une condamnation aussi ferme qu’Emmanuel Macron en 2017, il faut aussi se tourner vers des organisations politiques qui ne sont pas des partis de gouvernement n’ayant pas l’ambition de prendre le pouvoir par les urnes, mais par la révolution et la grève générale, Lutte ouvrière(O, 67% aux élections présidentielles de 2017) et le NPA(1,09%aux élections présidentielles de 2017), deux organisations trotskystes de révolutionnaires professionnels et vers le mouvement décolonial qui, en l’état, demeure embryonnaire en France, même après le mouvement Black lives matter, l’affaire George Floyd et après les mobilisations consécutives à l’affaire Adama Traoré, un jeune homme mort dans une gendarmerie à Persan-Beaumont dans l’Oise après son arrestation en 2016. Il jouit cependant d’une certaine aura dans certains milieux intellectuels et dans certaines sphères militantes. Dans les territoires sensibles de la République, il a une faible influence. Certains dirigeants politiques, de sensibilité écologiste, à l’exemple de la sénatrice, qui est aussi historienne, Esther Benbassa, a un engagement décolonial en ayant participé à un séminaire organisé par Europe Ecologie les Verts, « l’histoire coloniale : une histoire à déboulonner » en 2020. Il est vrai que la mise en exploitation des ressources de la planète par le système colonial a contribué au changement global au cours du XXe siècle. C’est un facteur indéniable. Cela s’est poursuivi après les décolonisations. On voit l’ampleur de la catastrophe écologique suscitée par les modes de production capitalistes.

Par rapport à la présentation de ces commentaires, il est difficile de classer Emmanuel Macron, selon le traditionnel clivage droite gauche, comme il se dit de gauche sur certaines questions et de droite pour d’autres. Il a mené une politique économique plutôt libérale, mais il a cherché aussi à protéger les Français pendant la pandémie de Covid en hésitant pas à augmenter de manière importante la dette publique. Sur des questions sociétales, il a su aussi se montrer progressiste. Il faut aussi penser la complexité. Tout n’est pas blanc ou noir. Il parait hasardeux comme le fait Françoise Vergès dans un entretien à Sputnik de reprocher à l’historien Benjamin Stora de ne pas mentionner toutes les exactions commises par le colonisateur alors qu’il suffit de consulter les ouvrages de Stora pour les y trouver, des enfumades au napalm. Il me semble que tout y est. Le tort de Stora a été de botter en touche les excuses officielles selon ces intellectuels militants. Eh bien, s’il avait écrit dans le rapport, je demande les excuses. Vous n’auriez pas eu les excuses et en 2022, vous auriez vu l’accroissement des chances de Marine Le Pen de se faire élire grâce au déchainement, entre autres, de Eric Zemmour, intellectuel, journaliste et polémiste redoutable, et de ses amis. Compte tenu du poids de l’immigration algérienne en France, cela n’aurait pas été une bonne chose pour l’Algérie et pour les relations économiques entre les deux pays qui se sont poursuivies tant bien que mal, malgré tout, depuis 1962. Rappelons aussi que Sputnik est un instrument d’influence russe en France, qui assure un suivi conséquent à Marine Le Pen. Sa ligne est proche des médias souverainistes, à l’exemple de Valeurs Actuelles. Le choix du media n’est peut-être pas très judicieux pour exprimer des thèses décoloniales, qui certes ont eu au moins le mérite de soulever le problème du racisme dans la société française et de l’insuffisante représentation de la diversité en France.

Enfin, il y a les soutiens, plutôt proches de l’historien français, avec parfois quelques critiques. Je pense à Gilles Manceron et à Alain Ruscio, l’historien et journaliste proche du Parti communiste français, qui parle d’une brèche ouverte par ce rapport. Je partage ce point de vue comme je l’ai écrit en disant que s’il s’agit bien d’un rapport pour l’Etat français, il propose une démarche originale, celle d’une commission de justice transitionnelle, même si la mise en œuvre parait ouvrir un long processus semé d’embuches. J’ai trouvé aussi que ce rapport n’était pas assez critique à l’égard des ambiguïtés de la politique du général de Gaulle, même si à titre personnel, je suis comme la plupart des Français un admirateur de l’homme du 18 juin, qui a permis à la France d’être représenté dans le camp des vainqueurs à la fin de la seconde guerre mondiale et de sa politique d’indépendance nationale qui a cherché à moderniser le pays.

A titre personnel, je n’aurais pas parlé de repentances ou d’excuses dans un travail d’historien parce que cette décision relève du pouvoir politique. Il fallait simplement expliquer les faits, l’état de la recherche, pour servir de rapport préparatoire pour la Commission Mémoires et Vérité. En clair, il ne fallait pas donner la conclusion dès le départ, mais laisser les autorités politiques la prendre à la fin du processus de justice transitionnelle en fournissant une expertise scientifique solide qui est d’ailleurs bien donnée dans ce travail. Abdelmadjid Chikhi a la possibilité de rectifier le tir comme son rapport a une égale importance à celui de Stora. D’une certaine manière, le rapport Stora, probablement sans le vouloir, a réussi à accomplir un des objectifs politiques du macronisme : fracturer encore plus la gauche sur la question du passé colonial pour que le président soit le seul recours face à l’extrême-droite. On comprend mieux pourquoi Jean-Luc Mélenchon est resté silencieux sur le rapport Stora. A titre personnel, je suis cité dans ce rapport pour une phrase tirée d’un article du Quotidien d’Oran, du 22 décembre 2018, selon laquelle Emmanuel Alcaraz dénonce « les propos de ceux qui « pointent les atrocités commises des deux côtés cherchant un équilibre qui méconnaît les causes fondamentales de la lutte contre les dénis de droits, la dépossession et la répression continue, mais à chaque fois, ils cherchent à mettre en avant la responsabilité du FLN et à minorer celle de la France coloniale ». C’est toujours ma position y compris dans mon prochain livre Histoire de l’Algérie et de ses mémoires des origines au hirak à paraître chez Karthala. Je traite sans tabou de tous les aspects de la guerre d’Algérie, y compris les aspects franco-français, en cherchant à prendre en compte la complexité en voulant neutraliser les scories idéologiques, éviter le manichéisme et les jugements moraux, ce à quoi se sont attachés des historiens, avec toutes leurs différences, comme Benjamin Stora, Guy Pervillé et Daniel Rivet, formés par leur maître Charles-Robert Ageron, inspiration que j’ai sans cesse recherchée en voulant à chaque fois réfléchir et progresser avec mes modestes capacités et mes modestes moyens, tout en développant une approche spécifique.

Je me permets, ce que je ne ferai pas en France, compte tenu qu’il s’agit d’une République laïque, d’adresser aux Algériens, un argument religieux. Qui seul a le pouvoir de pardonner ? C’est Dieu qui est miséricordieux. Que vaut la demande de pardon d’un Etat ? N’est-il pas « le plus froid de tous les monstres froids » comme le disait Nietzsche ? Le pardon est un don, un acte d’amour pour son prochain. L’islam ne fait pas du pardon une obligation. Selon les croyances des musulmans, Dieu ne demande pas aux musulmans quelque chose au-delà de leurs forces. Le pardon peut être encouragé, demandé, mais pas exigé. Avec ce processus de justice transitionnelle proposé par Stora, il est possible de soulager sa conscience en reconnaissant les faits, établis par les historiens, et de sortir du ressentiment pour construire un avenir meilleur. Si le gouvernement français veut faire réparation, l’annulation par la France de la dette de ses anciennes colonies peut être une piste intéressante. Je sais bien que l’Algérie n’a pas besoin avec ses ressources et son potentiel de l’aide économique de la France. Mais, le gouvernement français pourrait faire des gestes désintéressés en faveur du développement de pays anciennement colonisés, à l’exemple de la Tunisie, sœur de l’Algérie, qui ne demande pas d’excuses par exemple, mais qui, elle aussi, a souffert en lien avec l’affaire algérienne, de Sakiet Sidi Youssef, et sous la présidence du général de Gaulle, de la crise de la base de Bizerte en 1961, qui a un lien avec la crise algérienne. Ces gestes peuvent aussi concerner des pays anciennement colonisés par les Britanniques comme le Kenya qui a souffert de la guerre Mau Mau ou des anciennes colonies lusophones comme l’Angola dont les guerres de décolonisation se sont poursuivies jusque dans les années 1970.

Enfin, pour les réactions hostiles en France, il faut mentionner celle de Fatima Besnaci-Lancou, fille de harki, qui a soutenu sa thèse sous la direction de Olivier Dard de l’université Paris Sorbonne et de Benjamin Stora de l’université Paris XIII. Fatima Besnaci-Lancou milite dans une association Harkis et droits de l’homme, classée au centre-gauche. Son livre, tiré de sa thèse a été édité aux éditions du Croquant, qui édite la revue Savoir Agir, dirigée par le militant syndical Louis Weber, dans la collection d’Aïssa Kadri. Venant régulièrement en Algérie, je connais la mémoire algérienne concernant les harkis. Je me rappelle d’une dame qui m’a raconté que son mari était au maquis et que les harkis sont venus, et qu’ils ont tué un de ses jeunes fils. Quantités de témoignages similaires existent en Algérie. Je vous ai raconté la décision prise par le général de Gaulle d’abandonner ces hommes ayant choisi de porter l’uniforme français et leurs familles pour qu’ils restent dans la terre de leurs ancêtres, sous la terre, serait le terme exact. Le général, en nationaliste, en soldat, avait du respect pour le FLN, à qui il avait proposé la paix des braves. Je ne vous donnerai pas d’analyse ici sur le choix de ces hommes, de ces soldats français, obéissant à des motivations souvent plus complexes qu’il n’y parait, liées à leur société d’origine. Je connais l’opinion algérienne à ce sujet. Je sais que cela ne servirait à rien en l’état de vous l’expliquer. Mais, la décision du général est terrible. Et, ce n’est pas l’OAS qui en est la cause principale comme le dit le rapport Stora. Ce n’est qu’une cause conjoncturelle, pas la cause profonde. C’est certainement une des raisons pour laquelle Gilles Manceron, intellectuel, et militant des droits de tous les hommes, a accepté de co-diriger l’ouvrage de Fatima Besnaci-Lancou sur les harkis et la raison pour laquelle Aïssa Kadri, sociologue algérien, a accepté d’éditer son travail dans sa collection.

*Docteur en histoire


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