France / Zekri rappelle ses quatre vérités à Fillon suite à ses déclarations islamophobes

       Par Mohamed K. – Le président de l’Observatoire contre l’islamophobie a répondu sèchement aux propos de l’ex-Premier ministre de Nicolas Sarkozy, qui a vidé sa rancœur contre les musulmans dans le sillage des attaques que subit la communauté musulmane en France depuis la décapitation d’un enseignant. «La réaction de l’ancien Premier ministre François Fillon, suite à l’assassinat abject de Samuel Paty, est symptomatique d’une fuite en avant et d’une dérobade de la responsabilité d’une certaine classe politique dont il est une des incarnations les plus mesquines», s’est indigné Abdallah Zekri dans une déclaration à Algeriepatriotique.

François Fillon, l’ex-Premier ministre de Nicolas Sarkozy. D. R.

«L’ancien locataire de Matignon se joue des mots, tout en braconnant sur le terrain de l’extrême-droite, s’enfonçant dans des amalgames prémédités qui auront pour conséquence inexorable l’aggravation de la crise communautariste», a affirmé le délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM) qui participera ce vendredi à un hommage qui sera rendu à la victime.

«En affirmant fallacieusement qu’une partie significative de la communauté musulmane refuse de s’intégrer, d’accepter les règles de la République et de la vie en commun, François Fillon se rend coupable d’une déformation éhontée de la réalité», s’insurge encore Abdallah Zekri. «Un mensonge, ajoute-t-il, qui lui sert d’alibi pour justifier son islamophobie à peine voilée, lui qui regrette que la loi sur le voile à l’école eût été élargie à l’ensemble des religions et n’eût pas été cantonnée, comme il l’aurait souhaité, à la seule communauté musulmane envers laquelle il vient de déclarer franchement sa haine refoulée.»

«A la vérité, relève-t-il, François Fillon a fait preuve, quand il présidait aux destinées du gouvernement, d’un défaut de courage manifeste, au point de travestir ses désirs d’hier en les muant aujourd’hui en une action feinte, tout le monde sachant que son caractère à la fois pusillanime et florentin ont fait qu’il n’a jamais osé franchir le pas, car convaincu que l’Assemblée nationale aurait indubitablement retoqué son projet attentatoire aux libertés individuelles garanties par la Constitution.»

Pour le président de l’Observatoire contre l’islamophobie, «François Fillon aurait gagné à introduire un peu de nuance dans son propos». «Au lieu de cela, au lieu de manifester une maîtrise de soi, au lieu de prendre considération de chaque mot prononcé, au lieu de tenir le langage de la sagesse, cet ancien candidat à la fonction suprême, dont l’ambition a été stoppée nette par les affaires, se joint à ces pourfendeurs qui s’échinent à hystériser le débat, alors même que ses anciennes responsabilités au sommet de l’Etat lui dictent d’aider à rassembler les Français autour d’un discours fédérateur, uni contre les extrémismes, tous les extrémismes, soudé face aux graves menaces qui n’épargnent aucun pan de la société», a-t-il regretté.

Enfin, Abdallah Zekri a estimé que «si, sans aucun doute, le totalitarisme islamiste doit être combattu sans répit et par tous les moyens légaux, l’amalgame, la fustigation, la critique sélective, l’acharnement contre l’islam innocent de tous ces crimes infâmes commis en son nom doivent aussi être réfutés et désavoués dans les termes les plus vigoureux». «Qui plus est lorsque cette ruade est l’œuvre de poids lourds de la politique dont la voix atteint le plus grand nombre et contribue à façonner l’opinion dans le sens de la désunion et du chaos», a-t-il conclu.

M. K.


          France-L’islamophobie en gants blancs

par Djamel Labidi

   J’ai écouté le discours récent du Président français Emmanuel Macron, le 4 octobre dernier, sur «les séparatismes». L’impression qu’il m’en reste peut se résumer en quatre mots: deux poids, deux mesures.

Le discours est au départ humaniste, civilisé, et, même, disons-le, élégant. Il se refuse à instrumentaliser contre les musulmans la laïcité, et à réduire celle-ci , au final , à une caricature d’elle même. Il fait l’analyse sociologique des causes de la révolte et du développement de l’islamisme dans les quartiers dits difficiles. Il les voit dans les inégalités sociales et culturelles, et dans la marginalisation sociale. Mais le discours se termine, pour son côté concret, par une série de mesures discriminatoires. C’est dommage. Une islamophobie bien pensante, élégante, en gants blancs. Le thème du discours, celui des» séparatismes» est, au début, mis au pluriel. Il se veut ainsi non discriminatoire. Mais ce pluriel s’efface vite pour laisser la place au thème réel, au seul objet du propos, lui au singulier : «le séparatisme islamiste».

– Lorsqu’il s’agit de contrôler les financements des mosquées et des associations religieuses, ou culturelles c’est de l’Islam qu’il s’agit.

– Lorsqu’il s’agit de contrôler le recrutement ou la formation des hommes de religion il s’agit des imams.

– Lorsqu’il s’agit du contrôle des établissements scolaires étrangers en France, il s’agit de ceux des pays arabo-musulmans, notamment des pays du Maghreb. Bref. Une série de mesures discriminatoires envers les musulmans de France , et même les arabes, ou ceux censés l’être …à première vue. La discrimination : là est le fond du problème, là est la source des problèmes Et elle s’accroit au moment même où on déclare vouloir la combattre.

Des mesures discriminatoires

– Une série de mesures concerne le contrôle du financement des lieux de cultes musulmans et des associations religieuses et culturelles musulmanes. L’argument essentiel est que des financements viendraient de l’étranger, d’autres pays musulmans notamment. Pour les autres cultes le problème n’est même pas évoqué.

Une enquête du journal français «Libération» révélait que c’est une idée reçue que celle du financement du culte musulman par des Etats étrangers: 70 à 80% des sommes viennent de collectes parmi les fidèles. Quant au reste, l’argent venant de l’étranger (mécènes et Etats) il va principalement aux grandes mosquées, ce qu’on appelle les «mosquées cathédrales» et qui sont loin d être des lieux de «l’Islam radical». («Liberation», 3 novembre 2016, six idées reçues sur le financement des mosquées et des cultes musulmans»). Le même rapport signale que c’est une autre idée reçue que de penser que ces financements proviennent de l’Arabie saoudite ou du Qatar mais qu’ils provenaient des pays d’origine des musulmans en France, principalement de l’Algérie et du Maroc et dans une moindre mesure de la Turquie. Par contre, une organisation comme «le Fonds social juif unifié», créé en 1950 en France, peut dire ouvertement sur son site, qu’Israël finance ses programmes éducatifs et sociaux sans qu’on trouve officiellement en France à redire ( cf site internet «Appel unifié juif de France « ).

C’est le cas aussi des Eglises évangélistes françaises qui ont des relations étroites avec leurs consœurs à l’étranger, en particulier aux Etats Unis. Elles entretiennent plus de 350 missionnaires à l’étranger et tout un réseau notamment en Afrique francophone, ainsi qu’en Algèrie et dans tout le Maghreb, à travers le MENA (« ministère évangélique parmi les nations arabophones»). On évaluait en 2005 entre 20 000 et 30 000 le nombre, en Algérie, de protestants évangéliques issus de l’Islam ( cf «cairn.info, les protestants évangéliques français, 2005 ).

Ailleurs, ces financements ne sont pas dramatisé à outrance: c’est ainsi qu’en Algèrie, la basilique de Saint Augustin à Annaba et l’Eglise «Santa Cruz» à Oran ont été rénovées avec la participation de l’Etat algérien mais aussi de donateurs étrangers ( Etats, comme l’Allemagne, et mécènes). Personne n’a crié au scandale.

– Un autre train de mesures vise à la formation «nécessairement en France» des hommes de religion. L’argument est le refus qu’ils viennent de l’étranger. Mais ceci vise uniquement les imams.

Il suffit simplement de signaler, à ce propos, qu’en 2012, on recensait 1689 prêtres étrangers catholiques dans les diocèses de France ( cf Wikipédia, «Eglise catholique en France»).

Il est exigé, par ailleurs, des imams qu’ils aient un bon niveau de français. Exige-t-on un bon niveau d’Arabe des moines et des prêtres chrétiens en Algèrie et au Maghreb. Exige-t-on qu’ils officient en arabe, ce qui serait au fond possible , comme cela se fait au Liban, en Irak, en Syrie, en Egypte pour ce qui est des coptes. Mais personne ne le demande et c’est tant mieux.

En Algèrie, et dans d’autres pays arabes et musulmans, les prêtres, les moines viennent bien souvent d’autres pays, notamment de France, sans que personne ne s’en formalise.

Ces mesures sont présentées au nom de la défense de l’Etat laïque. Elles annoncent en fait son effondrement. En effet, sa base même, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, s’affaiblit ainsi peu à peu, pour laisser la place au contrôle de l’Etat sur la religion dés qu’il s’agit de l’Islam. D’ailleurs le socle de la laïcité en France, la loi de 1905, va être modifiée pour la première fois depuis 115 ans, à cause de…l’Islam.

– Il y a enfin aussi les mesures concernant le contrôle des établissements scolaires, notamment les lycées, dépendants d’autres Etats, comme c’est le cas des lycées et établissements algériens en France.

Les dispositions, à ce sujet, sont particulièrement choquantes. Le président Macron est allé, là aussi, jusqu’à parler du contrôle du niveau de français des enseignants. S’il y a bien des lycées importants, influents socialement et culturellement au Maghreb, et ailleurs en Afrique, notamment à travers la formation des élites, ce sont bien les lycées français. Exige-t-on en Algèrie, un contrôle du niveau en Arabe des enseignants français..

Le 24 juillet 2020, Au Liban, devant la banqueroute financière de l’Etat, le ministre français des affaires étrangères, jean Yves le Drian, avait tenu à annoncer une aide de 15 millions d’euros ….»aux écoles francophones, pilier du système éducatif» ( cf le Monde, «En visite dans un Liban en crise, Jean- Yves Le Drian ), 25 juillet 2020 ). Il faut donc rapprocher ceci de cela.

Les mesures annoncées ou prévues sont discriminatoires au sens plein du terme. Elles n’ont même pas pour argument la réciprocité car, en face, la tolérance est bien plus grande quoique certains en pensent. Mais de cela, l’opinion en France n’ est pas informée.

En fait tout cela prend sa source dans une vision complètement fantasmatique, paranoïaque «d’une invasion et d’une menace arabo-islamique. Cette vision semble, désormais, gagner les plus hautes sphères françaises. «Il faut libérer l’Islam en France des influences étrangères», a proclamé le président Macron dans son allocution. On a l’impression d’une razzia sur le sol français. S’il y a menace et invasion et si ces mots pouvaient avoir un sens, elles ne sont certainement pas du côté de l’Islam ou du monde arabe. Imaginons une France, où la plupart des écoles et lycées auraient une grande partie de leurs programmes en arabe. Imaginons une France où la moitié des universités enseigneraient en Arabe. Imaginons une France où une grande part des affaires, des échanges commerciaux se dérouleraient en Arabe. Imaginons une France, où les Français dans la rue parleraient arabe. Et bien, c’est ce qui se passe en Algèrie et au Maghreb ou au Liban, et ailleurs en Afrique, mais au profit du français. S’il y a menace sur l’identité, s’il y a problème civilisationnel, ce n’est surement pas le cas pour la France. Soyons sérieux. Dans cette vision inversée de la réalité, qui sert hélas de pensée à une partie des élites françaises, dans cet esprit rejoignant celui moyenâgeux des croisades, dans cette véritable aliénation à une représentation fantasmatique de l’Islam , dans cette peur pathologique, on se demande comment pourrait progresser une pensée rationnelle, progressiste, comme c’était le cas en d’autres temps comme au siècle des lumières. La pandémie du Corona a joué à cet égard un rôle révélateur, dévoilant l’effondrement de l’esprit scientifique, le glissement vers l’irrationnel, vers la pensée magique, vers des théories complotistes à la recherche tôt ou tard de boucs émissaires, et cela dans des pans entiers de la société, y compris la plus instruite, y compris dans des milieux traditionnellement progressistes.

«Charlie Hebdo» et le «droit au blasphème»

J’écoutais ainsi, le même jour, celui du 4 octobre, sur BFM TV, l’interview de Riss, Directeur de publication de Charlie Hebdo. C’est comme si l’actualité traçait un trait entre les deux évènements, cette interview et le discours du Président Macron.

Riss est un personnage attachant, s’il en est. Et pourtant, soudain, il dit, signe du climat dominant, et sans qu’on comprenne la logique de son propos : « L’existence de Dieu n’a jamais été démontrée scientifiquement. C’est une hypothèse.» Comment peut-on dire tant de bêtises en si peu de mots. On voit donc le bagage intellectuel qui a servi aux caricatures du prophète. Si l’existence de Dieu n’a pas été démontrée, son inexistence l’a-t-elle été ? Si elle n’a pas été démontrée, c’est précisément pour cela qu’elle est une croyance. Si l’existence de Dieu était démontrée, ce ne serait pas une croyance mais une certitude.

Si elle avait été prouvée, serait- elle une foi? Aurait-elle alors, d’ailleurs, un sens ? A-t-on démontré que deux droites parallèles ne se rencontrent jamais, ou, ce qui revient au même, se rencontrent à l’infini? Mais c’est pourtant un postulat.

Vision scientiste primaire qui veut, encore une fois, confronter science et religion, rationalité et foi, deux domaines différents de la connaissance, l’un objectif, l’autre subjectif, comme la science et l’art . C’est la même erreur que font des croyants lorsqu’ils veulent faire entrer en compétition science et religion, le fini avec l’infini. Mais passons.

Ce qu’il y a peut être à noter, c’est qu’avec une telle approche , on ne peut que passer à côté des autres aspects des réactions aux caricatures du prophète, de leurs déterminants sociaux, culturels, historiques, et s’en tenir au fond à une approche bien pauvre.

L’acte insensé, monstrueux, barbare de ce jeune Afghan devant les anciens locaux de Charlie hebdo aurait-il été possible s’il n’avait pas été obligé de fuir son pays , ravagé par la guerre, menée par des armées «civilisées» dont l’armée française. On apprend même à l’occasion que des unités de sécurité intérieure françaises comme le GIGN sont en opération de guerre en Afghanistan.

Ce qui complique toujours les choses et les rend inextricables c’est que le bourreau diabolise sa victime, la «barbarise», indiens d’Amérique arrachant «les scalps», «fellaghas égorgeurs» en Algérie, Mau Mau à la machette au Kenya etc…et que la victime, la vraie, finit souvent par ressembler, elle-même, à la caricature que le bourreau en donne. Alors, qu’on ne nous dise pas seulement, comme toujours, que «rien ne peut justifier de tels actes». D’accord. Mais tout ce qui se passe, hélas, dans le monde, peut aussi les expliquer. Que la dénonciation de tels actes ne soit pas le moyen, comme toujours, d’empêcher toute explication, c’est-à-dire d’empêcher de penser, de réfléchir.

Le problème c’est quand on confond, dans une approche laicarde, la religion en tant qu’institution et la religion en tant que ferment culturel, spirituel, moral de la protestation contre la domination étrangère ou sociale. Qu’on regarde bien: derrière toute protestation violente contre les caricatures du prophète, il y a toujours des groupes sociaux qui souffrent de discrimination sociale ou des pays qui souffrent de la domination étrangère. On s’inquiète en France de «l’invasion islamiste». On s’étonne de la présence d’Afghans sur le sol français. Mais y a- t-il des troupes militaires afghanes en France comme il y a des troupes françaises en Afghanistan ? Combien de morts, femmes, enfants confondus, ont fait les actions de guerre françaises et autres en Afghanistan ? Les bombardements sur la Lybie, dont ceux de l’aviation française, ont fait des milliers de morts. Y a- t-il eu des actions de guerre libyenne sur la France. Et la liste est longue, ponctuée de dizaines de milliers de victimes, et de souffrances sans nom. Le vrai courage, la vraie liberté d’expression ne sont-ils pas de dénoncer tout cela. Sont-ils, au nom d’une tolérance bien pensante, de dessiner des caricatures anti- islamiques, et de caresser ainsi dans le sens du poil une certaine opinion étroite et chauvine, ou bien consistent-ils à affronter les vraies limites à la liberté d’expression: celle par exemple de dénoncer le sionisme en France. Mais sur ce point, c’est la tolérance zéro et il est interdit définitivement de penser. Qu’on se souvienne de ce qui est arrivé à Dieudonné, devenu officiellement un pestiféré, pour son jeu de mots «Isra-Heil ! « sur un plateau de télévision, ou du dessinateur «Siné» congédié de «Charlie hebdo» pour avoir caricaturé le fils de l’ex président Sarkozy se convertissant au judaïsme. C’était pourtant dans les deux cas de l’humour, celui dont se réclame le journal «Charlie Hebdo», celui du «droit à plaisanter de tout». Etrange droit que ce «droit au blasphème» qui est revendiqué. N’a-t-il pas finalement pour fonction de cacher derrière la revendication d’une liberté de pensée totale, la soumission en réalité aux paradigmes de la pensée dominante en France et une intolérance de fait, celle là en gants blancs.


>>  Musulmans de France, tous coupables ?

par  Akram Belkaïd

   L’horrible décapitation de Samuel Paty, un enseignant en France par un jeune de dix-huit ans d’origine tchétchène, qui lui reprochait d’avoir montré des caricatures du Prophète à ses élèves dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine, a provoqué une grave crise aux conséquences incertaines. Il ne s’agit pas ici uniquement de l’immense, et légitime, émotion qu’un tel acte barbare a provoqué au sein de la société française. Il ne s’agit pas non plus de l’agitation suspecte d’un gouvernement, et notamment du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, déjà préoccupé par la campagne électorale de la présidentielle de 2022 et soucieux de faire oublier ses responsabilités dans cette triste affaire. Une frénésie de propos destinés à masquer aussi le délabrement d’un secteur éducatif où il n’est pas rare que des parents d’élèvent cognent un enseignant surmené pour une mauvaise note ou un téléphone portable confisqué durant les heures de cours.

Il est évident que ce drame révèle des lignes de fractures qui se sont aggravées depuis le début des années 2010. De manière régulière, des attentats ou des actes isolés de violence se revendiquant de l’islam reposent de manière brutale le rapport entre la société française et les communautés de cultures musulmanes. Cette fois-ci, l’onde de choc est plus forte, ne serait-ce que parce que c’est l’école qui est concernée mais aussi parce que le crime a aggravé un climat déjà délétère en raison, notamment, de la crise sanitaire.

Il n’y a rien d’étonnant à voir l’extrême-droite et ses relais médiatiques s’engouffrer dans la récupération de cette sordide atteinte à la vie. Tout y passe. L’immigration, les politiques d’accueil et d’asile, certains droits individuels, les mécanismes de lutte contre le racisme et les discriminations, la gauche populaire, tout cela est visé. Marine Le Pen le dit clairement quand elle évoque « une guerre qui exige une législation de guerre ». Dans tout ce vacarme amplifié par les politiques et les chaînes d’information en continu, l’islam en France est de nouveau mis en accusation comme si toutes les personnes concernées de près ou de loin par cette religion étaient complices du tueur.

A l’inverse, ce qui est inquiétant, c’est la proportion sans cesse croissante de la société française qui se dit convaincue par tout ou partie de ce discours accusateur. L’idée que « les musulmans » n’en font pas assez pour lutter contre le terrorisme intégriste est en train de s’installer de manière définitive et celles et ceux qui la combattent en dénonçant les amalgames sont mis à l’index. « Islamo-gauchistes » ou naïfs, ils seraient les complices, ou, pourquoi pas, les instigateurs de cette violence. Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, il est de plus en plus difficile de faire entendre la nuance. Et de poser les termes du problème.

Il y a six ans, voici ce que je répondais au journaliste Gille Heuré de Télérama lorsqu’il m’interrogeait à propos des suites de l’assassinat d’Hervé Gourdel en Algérie (1). Les appels demandant à la communauté musulmane de réagir, disais-je, « traduisent une contradiction fondamentale : d’un côté, on met en garde les musulmans contre toute forme de communautarisme ; de l’autre, on les intime, en tant que musulmans, à condamner officiellement cet acte ignoble. C’est une manière d’affirmer que les musulmans restent une exception dans le modèle républicain. N’importe quel être humain réprouve ces crimes épouvantables. On n’a pas besoin de demander aux gens de s’en désolidariser ou d’exprimer leur dégoût : ça coule de source (…) Pour certains milieux en France, les musulmans, s’ils ne sont pas coupables par nature, peuvent faire preuve de duplicité. Ils doivent fournir la preuve de leur normalité et de leur insertion dans la société française. »

En réalité, ajoutai-je, « ces appels laissent entendre que l’islam pratique un double discours : les musulmans intégrés participeraient à la vie de la société française, payeraient bien leurs impôts, etc., mais seraient susceptibles à tout moment de commettre des meurtres à l’encontre de citoyens français, musulmans et non musulmans. C’est une peur palpable et entretenue. »

Rien de tout cela n’a changé. C’est même devenu pire. Cela pose de vrais problèmes pour l’avenir. Apeurée, affolée par les vitupérations d’éditorialistes connus, sans cesse conditionnée par les outrances des réseaux sociaux, la société française semble exiger aujourd’hui des preuves de loyauté de la part des musulmans. C’est cela qui se dessine tranquillement, sans que le personnel politique ne prenne la mesure de l’enjeu. En réalité, dans un pays où l’on rejette, à juste titre le communautarisme, les questions « mais où sont les musulmans ? » ou « mais que font les musulmans ? » sontdes assignations à résidence qui ne veulent pas disparaître. Elles logent dans l’inconscient collectif et il sera difficile de les extirper. Mr Omar ou Mme Latifa, quelles que soient leurs opinions et leurs croyances, sont ainsi sommés de s’exprimer en tant que musulmans. Il ne vient à l’idée de personne qu’ils n’ont pas envie d’être définis de la sorte. Il ne vient à l’idée de personne que leur seule manière de lutter contre l’intégrisme et les actes de violence, est juste d’être eux-mêmes, des citoyens sans histoires qui ont les mêmes préoccupations et attentes que leurs compatriotes français.Mieux, des citoyens qui haussent les épaules ou se détournent quand un collectif intégriste tente de les convaincre ou de les enrôler.

La grande mosquée de Paris, de nombreux imams, ont clairement condamné le crime. Ils sont dans leur rôle et parlent au nom de nombreux croyants. D’autres, « musulmans de culture » ont, quant à eux, exprimé leur révulsion via les réseaux sociaux. Que leur faut-il faire d’autre ? Qu’ils singent l’imam Chalghoumi en baragouinant, en pleurnichant, un pardon pour des actes qu’ils condamnent et avec lesquels, faut-il le répéter, ils n’ont rien à voir ?Veut-on qu’il fassent le coup de poing contre les extrémistes ? Qu’ils se substituent à la police et qu’ils s’en prennent directement à des associations d’incendiaires que les autorités ont tolérées, voire encouragées, parce qu’elles imposaient la paix dans des quartiers populaires gangrénés par le trafic de drogue ? Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Veut-on organiser une guerre civile chez les cinq millions de musulmans vivant en France afin qu’un camp (celui qui incarne la majorité respectueuse de la République) puisse enfin gagner ses galons de citoyenneté reconnue ? Faute de réponse politique clairvoyante, c’est la paix civile qui est désormais menacée.

(1) « Les musulmans français victimes d’amalgames », Télérama, 12 octobre 2014.


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