Algérie / «Histoire secrète de la chute de Bouteflika» : Naoufel Brahimi El Mili, récit d’une fin de règne

    Publié en France aux éditions L’Archipel, sorti en mars 2020, presque une année jour pour jour après la démission forcée de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, l’ouvrage de Naoufel Brahimi El Mili «Histoire secrète de la chute de Bouteflika» est passé relativement inaperçu en Algérie.

Par Leila Zaimi et Nadir Kadi


N’étant pas commercialisé ni coédité pour l’instant en Algérie, cela explique la modeste audience du livre dans les circuits traditionnels, démentie cependant par sa circulation sur internet où il bénéficie d’un intérêt qui ne se dément pas, plusieurs mois après sa sortie en librairie en France.
Pour ceux qui ne l’ont pas encore consulté, le texte vaut le détour. Politologue qui porte une attention particulière aux soubresauts du monde politique et des pouvoirs en Algérie, spécialiste des relations algéro-françaises, son auteur se propose de faire l’histoire «à chaud».
Sur les circonstances de la chute de la «maison Bouteflika», il donne sa version des faits qu’il dit avoir construite à partir de «sources intéressantes» de part et d’autre de la Méditerranée. La trame de fond de son livre, elle, reste le Hirak sur lequel il porte une lecture polémique, lui ôtant son caractère spontané, mais sans étayer sa thèse avec des «données vérifiables ».
Il n’en demeure pas moins que, à travers son récit partagé en six chapitres, Naoufel Brahimi El Mili fournit un témoignage personnel, mais assez documenté sur l’univers bouteflikien et la fin d’un règne qui a marqué l’histoire politique algérienne des vingt dernières années. Son impact restera encore lourd pour les années à venir si l’on s’en tient uniquement à la chronique judiciaire que les affaires datant de son époque alimentent continuellement.

Des «confidences»,une thèse
«Histoire secrète de la chute de Bouteflika» est constitué d’une série d’enquêtes, de «confidences» de portraits d’acteurs de l’époque. Dans une écriture fluide, il nous fait ainsi remonter à l’année 2013, présentée comme un moment clé marqué par le départ de l’ex-président Bouteflika pour des soins en France. C’est à ce moment, fait comprendre son auteur, que tout s’est joué dans le feuilleton de la crise qui allait connaitre son aboutissement six ans plus tard.
Le maintien «malgré tout» de la campagne pour le quatrième mandat imposera, selon El Mili, la logique du cinquième mandat avorté. Entre les deux séquences, le champ du pouvoir verra l’affirmation du frère de l’ancien président, Said Bouteflika, comme «homme fort du pays» : une thèse qu’il affirme avoir élaboré sur la base du constat partagé dans le pays que le frère-conseiller avait une influence considérable dans les sphères du pouvoir et sur les «confidences» qu’il a recueillies. Sur le séjour hospitalier de l’ancien chef de l’Etat, El Mili affirme qu’il a coûté «une vingtaine de millions d’euros» dans un pavillon «sonorisé», les Bouteflika auraient été selon l’auteur mis sur écoute…
En n’épargnant ainsi presque aucune des figures politiques et médiatiques des dernières années du «système» des Bouteflika, El Mili restitue les parcours et «actions» de personnalités et de gens qui ont marqué cette fin de règne. Parmi elles Kamel Chikhi, appelé «El Bouchi», aujourd’hui en prison pour des trafics divers, l’ancien patron du FLN Amar Saadani, l’ex DGSN Abdelghani Hamel, lui aussi pensionnaire de la pénitentiaire, et Rachid Nekkaz : un «perturbateur professionnel».
Par ailleurs, et au-delà des «anecdotes», l’origine de certains «gros dossiers» qui font aujourd’hui la une de l’actualité judiciaire est également traitée, notamment les affaires de corruption et de criminalité organisée. L’un des chapitres sensationnels reste dans ce contexte ce que l’auteur nomme le «Cocaïne-Gate», pour lequel Naoufel Brahimi El Mili rappelle que les premières saisies de cocaïnes dans l’ouest du pays remontent à l’année 2015 bien avant la chute du « boucher» en 2018.
Livre à découvrir, «Histoire secrète de la chute de Bouteflika» suscite néanmoins de nombreuses questions, d’autant – et on le comprend – que l’auteur ne cite pas ses «sources».
Pour rappel, Naoufel Brahimi El Mili est l’auteur de «Le Printemps arabe : une manipulation» (Max Milo, 2012 ») et de «France-Algérie, 50 ans d’histoires secrètes» (Fayard, t.1 2017 et t.2 2019)». Il a enseigné à l’école doctorale de l’IEP de Paris.


    Entretien / Naoufel Brahimi El Mili : «L’erreur majeure était de croire à la passivité du peuple»

par Leila Zaimi et Khaled Zaghmi

Reporters : «Histoire secrète de la chute de Bouteflika» est le titre de votre dernier livre. Où est le secret dans la chute du président déchu ?
Naoufel Brahimi El Mili : 
Un titre de livre est forcément réducteur, car souvent il se doit d’être accrocheur. Toutefois, je n’ai pas fait dans le sensationnel. Les vingt années de l’ex-président Bouteflika sont suffisamment sensationnelles. Elles sont un concentré de gouvernance très discutable, de corruption effrénée et surtout d’une inouïe soif de pouvoir.

Dans votre livre, la motivation de départ est le Hirak, mais le sujet de votre livre demeure l’ex-président et la relation d’exception qui le lie à son frère ?
Oui, le point de départ de mon livre questionne la spontanéité du soulèvement du vendredi 22 février 2019, mais le sujet demeure l’ex-président et son frère, qui ont une relation exceptionnelle en effet. Je les ai connus dans un passé lointain. Ainsi, d’une manière incidente avais-je appris que le plus jeune de la fratrie avait fait don de son rein au frère ainé, l’opération s’était déroulée en Suisse. De là, s’explique selon moi, cette relation fusionnelle qui existe entre eux. Partager un rein d’abord, le pouvoir ensuite, cela crée un lien très fort qui dépasse le fait d’avoir les mêmes parents.

Si on vous demande d’intituler autrement votre livre. Quel en serait le titre ?
Je n’ai pas une idée précise d’un autre titre, mais en aucun cas je n’aurai mis le mot «Hirak» en couverture. A ce jour, je continue à m’interroger sur la spontanéité de ce mouvement entré dans l’histoire. Je n’utiliserai pas non plus le terme «complot», vocable excessif qui ne peut justifier certains condamnations et emprisonnements iniques selon moi de personnalités nationales de premier plan. Je parlerai du régionalisme rentier de Bouteflika, je ne passerai pas sous silence les vieilles amitiés indéfectibles du président déchu, telles que celle qui le liait à Kouninef père. Ses enfants en ont largement bénéficié…

Selon vous, la chute des Bouteflika a réellement commencé en 2013 après l’AVC de l’ex-président et la décision de son frère Saïd d’occuper le pouvoir…
L’erreur majeure était, pour eux, de croire à la passivité du peuple, alors que c’est le peuple qui, conscient du handicap de santé de l’ex-président et excédé, a sifflé la fin du match. Les deux étaient aveuglés par le pouvoir, déjà le troisième mandat était de trop, et ils ont été rattrapés par l’histoire. La maladie de l’ex-président en 2013 a fait dire à l’humour algérien que le seul parti d’opposition dans le pays porte l’acronyme : «AVC». Au-delà de la boutade, faut-il rappeler que l’ex-président était resté du début du mois d’avril jusqu’à la mi-juillet 2013 à Paris et pas n’importe où : à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce d’abord ensuite aux Invalides. Durant ce long séjour médical, Bouteflika a promu 53 généraux, moqués par le terme «promotion Val-de-Grâce».
L’affaire d’«El Bouchi» et ce que vous appelez la «Cocaïne-Gate» est présentée par vous comme un élément déclencheur de la crise qui a précédé la chute de l’ex-président.
Le «Cocaïne-gate» est certes en soi un scandale, mais il a aussi déclenché une guerre des clans. Entre les accusations prononcées récemment en plein tribunal par l’ancien patron de la DGSN, Abdelghani Hamel, et les démentis d’autres, personne ne s’y retrouve. Ce qui est certain, c’est le caractère mafieux pris dans ces dernières années par le pouvoir de Bouteflika. Je refuse de croire que Kamel El Bouchi soit un Escobar algérien doté de réseaux internationaux.

L’apparition d’un mouvement populaire dans la rue et sa conséquence, la chute de l’ancien président, ont révélé le poids réel des formations politiques, notamment d’opposition…
Déjà, les partis politiques d’opposition sont minoritaires et ils se divisent en deux catégories : les opposants professionnels qui cautionnent le pouvoir et les opposants sincères. Ces derniers sont ultra-minoritaires. Aussi, grand nombre de ces partis étaient plus habitués à négocier la répartition des sièges à chaque élection, forcément truquée, qu’à élaborer un projet de société. Le Hirak les a pris de vitesse et aucun opposant ou opposante ne voulait être accusé de récupération du Hirak. Je dois plus parler de Hirak 1 et de Hirak 2 pour être précis. Le premier avait un but clair et net : pas de cinquième mandat. Il a réussi. Le second se dispersait entre un vague dégagisme et une demande de constituante incertaine. A cela s’ajoute la personnalité clivante du feu vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaid Salah. Il avait une feuille de route logique, il voulait mettre fin à la vacance du pouvoir en renouant par des élections présidentielles. Seulement, il ne prenait aucune mesure d’apaisement. Bien au contraire. Sa méthode était un peu discutable, mais son objectif était louable: il fallait un président de la République élu.

Les relations avec la France sont aussi au centre de votre travail et vous êtes critique des gouvernements français dans leur relation à l’Algérie…
La politique étrangère française évoque les droits de l’Homme et la démocratie pour les pays lointains, la Chine par exemple, mais elle défend la stabilité pour les pays proches tels que l’Algérie. Notre pays est doublement proche, géographiquement et historiquement. Seulement, la France confond souvent stabilité et immobilisme. Avec des élections présidentielles tenues tous les cinq ans, la diplomatie française, en ce qui concerne l’Algérie, ne peut avoir qu’une vision à court terme. Le poids des électeurs français d’origine algérienne est loin d’être négligeable, d’une part, et, d’autre part, la question migratoire au sens large est très sensible avec un Front national en ascendance continue.

Dans les chapitres de votre livre, vous évoquez l’ingérence de la France dans les affaires internes de notre pays. Quel est l’impact de cette ingérence si elle existe réellement ?
Pour les raisons évoquées dans ma dernière réponse, l’Algérie est une question interne pour la France. En 2013, Paris ne pouvait que soutenir un président dépendant de la médecine française. Bouteflika ne dérangeait pas la France autrement que par des phrases dans l’air du temps. Il en est autrement aujourd’hui avec le président Abdelmadjid Tebboune qui prend à bras le corps la question mémorielle.

Il y a une immense ironie dans l’histoire de M. Bouteflika. L’ex-président est arrivé au pouvoir en disant que la place de l’armée était dans les casernes. Au final, c’est un chef militaire qui, se prévalant de la Constitution, l’a poussé vers la sortie…
Abdelaziz Bouteflika s’était auto-piégé en rompant l’équilibre au sein de l’armée par le départ forcé du général-major Tewfik de la tête du DRS. Dès lors, il se mettait exclusivement entre les mains du Chef d’état-major qui ne pouvait ignorer le Hirak. La suite est connue.


   La déchéance et la poursuite judiciaire de Abdelaziz Bouteflika, un impératif constitutionnel et politique

par Mourad Benachenhou

Les présentes Autorités publiques se sont données comme devise: «Une Nouvelle Algérie.» On ne peut qu’applaudir la volonté affichée de ces autorités de rompre totalement avec la gouvernance passée. Un slogan n’est pas une politique

Mais, jusqu’à présent, cette devise répétée apparait plus comme un slogan que comme la ligne directrice d’un projet politique dont l’objectif serait de mettre les intérêts matériels et moraux du peuple algérien au centre des préoccupations de ces autorités. Ce qui conduit à douter de cette volonté de redressement, de ce nationalisme retrouvé, volonté qui déclare tirer sa source et son inspiration de la déclaration du 1er Novembre, et son programme de «La plate-forme de la Soummam,» c’est que Abdelaziz Bouteflika, l’artisan de la crise multidimensionnelle que connait le pays, et qui menace même l’existence de la Nation algérienne, continue à jouir des privilèges légaux et matériels de sa position d’ex-chef d’Etat.

A travers le mutisme des Autorités publiques, qui se targuent de vouloir en finir avec l’opacité dans la gestion des affaires de la Nation, on peut déduire que cet homme, qui a escroqué l’Algérie de 20 années de son histoire, est assuré, non seulement de vivre dans l’opulence et les marques de respect dues à son ancien rang ce qui lui reste de temps dans ce bas-monde, mais plus encore, d’être assuré qu’il ne lui sera jamais demandé de rendre compte des crimes qu’il a commis contre la Constitution et le peuple algérien, crimes qui ont conduit nombre de ses complices et comparses aux geôles algériennes.

Une «Bande» a un chef

Ce groupe de criminels, au sens judiciaire du terme, a été officiellement qualifié de «bande.» Par définition, une bande est une association volontaire d’hommes et de femmes dont l’objectif est de commettre des actes contraires tant aux bonnes mœurs qu’aux lois du pays. Dans le même ordre d’idées, cette «bande» a un chef qui inspire, organise et gère ces activités criminelles. Le chef de bande ne peut donc ni clamer son innocence dans la perpétration de ces crimes, ni plaider son ignorance des méfaits de ses complices et comparses. L’arrestation de la bande par les autorités chargées du maintien de l’ordre, et son jugement par les autorités judiciaires, ce qui implique l’existence de preuves matérielles irréfutables contre ses membres, aurait dû automatiquement entraîner l’arrestation de son chef, dont l’identité n’est ni impossible à déterminer, ni complexe à établir.

Ce «chef de bande» avait le titre de «Président de la République»

Qu’est-ce qui pourrait, à la fois, rendre coupables des hommes et femmes agissant, sans conteste, sous l’autorité et avec l’assentiment, si ce n’est le consentement et même l’ordre d’un chef, et innocenter ce chef ?

Il est proclamé que la justice algérienne est, conformément à toutes les Constitutions qui se sont suivies, indépendante. Légalement, Bouteflika étant devenu simple citoyen depuis sa démission, annoncée «live» sur la Chaîne de télévision algérienne, il n’y a aucun obstacle constitutionnel ou légal à l’engagement de poursuites judiciaires contre lui, d’autant plus qu’il a, officiellement du moins, régné en maître absolu du pays pendant deux décennies perdues, et a été à l’origine de toutes les décisions, aussi mauvaises les unes que les autres, qui ont conduit ce pays à la situation désespérée actuelle. Refuser de le poursuivre, rejeter même l’idée de le déchoir de tous ses titres et privilèges acquis au cours de sa longue carrière contre les intérêts du peuple algérien, sont contraires, non seulement, à l’éthique de base qui établit une distinction entre le mauvais sujet et la personne honorable, mais également à la règle fondamentale de la Constitution selon laquelle tous les citoyens, donc le chef d’Etat lui-même, sont égaux devant la loi.

L’absurdité de tenir pour vrais une Chose et son contraire

Jusqu’à preuve du contraire, Bouteflika jouissait officiellement de toutes ses capacités physiques et mentales jusqu’à sa démission officielle, faite par écrit et remise à l’ex-président du Conseil constitutionnel, au vu et au su de toute la population algérienne. On ne peut pas, à la fois affirmer d’un côté, qu’en fait il n’était plus en état de régner depuis le milieu de son troisième mandat, que son pouvoir était usurpé par son frère, mais de l’autre, que toutes les nominations à des postes de responsabilité faites depuis cette période étaient légitimes et légales, et que donc les autorités ainsi nommées exerçaient de manière légale leurs responsabilités et prenaient leurs décisions sur la base d’un mandat délégué, à eux, par l’Autorité présidentielle. On peut, alors, s’interroger, sans tordre le cou à la vérité, sur la légalité de toutes les décisions politiques prises depuis que ce chef d’Etat aurait perdu la plus grande partie de ses capacités, aussi bien que sur la légalité des lois et autres textes juridiques portant sa signature et parus dans le Journal Officiel de la République algérienne, démocratique et populaire. Ceux qui refusent de poursuivre judiciairement ce chef d’Etat sous prétexte qu’en fait il n’exerçait plus ses fonctions depuis longtemps, mais qui affirment que toutes les décisions, déclarations, et autres actes liés à son autorité, étaient légaux et légitimes, défendent l’indéfendable et justifie l’absurde. Car, de deux choses l’une : Ou son pouvoir a été usurpé, et ceux qui en ont exercé une partie de ce pouvoir en son nom sont eux-mêmes des usurpateurs parce que leur nomination ou leur maintien à leur poste ne provenait pas de lui, mais d’un usurpateur, et, comme ils exerçaient leurs fonctions en connaissance de cause de cette situation, tous sont passibles de poursuites judiciaires pour usurpation de fonction. On pourrait, à la limite, dans ce cas, accepter la présomption d’innocence en faveur de l’ex-chef d’Etat, et refuser de le juger, parce que son état physique et mental l’aurait rendu incapable d’être considéré comme responsable. Ou, en fait, il était conscient et parfaitement maître de son esprit comme de son corps, pendant tous ses deux derniers mandats, comme semble vouloir le prouver sa démission faite par écrit, et, donc, on doit considérer qu’il a une part de responsabilité indéniable dans le comportement criminel de ceux de ses complices et comparses poursuivis et/ou déjà condamnés pour des actes criminels commis sous son égide. En conclusion : Si on n’a pas à définir ce que l’on entend par impératif juridique, il est indispensable de préciser ce que veut dire le terme «déchéance :» c’est l’annulation de tous les titres et privilèges obtenus par le sujet de la déchéance durant sa vie professionnelle, comme si les fonctions liées à ces titres n’avaient jamais été exercées, et comme si les privilèges auxquels elles donnaient droit n’avaient jamais été acquis.

En fait, il s’agit de prononcer la mort constitutionnelle et civile de cette personne, qui se retrouve aussi démunie de droits et privilèges associées à ses anciennes fonctions comme si elle ne les avait jamais obtenues ou exercées. La personne se retrouve donc dans un état de déchéance matérielle faisant d’elle, au même titre que tout pauvre bénéficiaire des aides données par l’Etat aux personnes ayant les mêmes conditions qu’elles. Ainsi Bouteflika serait traité comme un vieillard sans ressources placé en maison de vieillesse. Tous les biens qu’il aurait acquis au cours de sa carrière seraient confisqués et versés aux domaines de l’Etat. Il ne saurait également bénéficier des funérailles nationales à la fin de son séjour dans cette vallée de misères et de pleurs.

Les autorités ne peuvent continuer à adopter la stratégie de l’esquive quant au sort judiciaire de Abdelaziz Bouteflika : si elles sont sérieuses dans la volonté affichée à travers leur devise, de rompre avec les pratiques du passé, et elles doivent donc impérativement passer en jugement Abdelaziz Bouteflika, en droite logique de la qualification de «bande» qu’elles ont donnée aux criminels qui dans l’exercice de leurs fonctions ont commis des crimes, sous la responsabilité, avec l’assentiment et probablement même, l’accord de ce «chef de bande.» Elles doivent prendre conscience de l’absurdité de leur position quant aux actions légales contre Bouteflika: Ou , effectivement, son pouvoir a été usurpé par son frère, et donc, ceux qui exerçaient ou exercent encore des fonctions sur la base de nomination signées par cet ex chef d’Etat, n’avaient , et n’ont aucun droit de les exercer et se retrouvent eux-mêmes en situation d’usurpation de fonction, quelles que soient ces fonctions, y compris celles de représentation à l’étranger; Ou Abdelaziz Bouteflika était, jusqu’au jour de sa démission écrite, pleinement maître de ses facultés mentales et physiques, et a choisi, en toute conscience, de quitter le pouvoir, alors, dans ce cas, les autorités ne peuvent pas justifier le refus de le poursuivre judiciairement et de prononcer sa déchéance, en prétextant de son incapacité mentale et physique.

Le projet de sortie de crise, qui passe par une nouvelle Constitution, et de rupture proclamée avec les pratiques de gouvernance passées, ne saurait être crédible que si, dans le contexte constitutionnel et légal actuel, Bouteflika reçoit le sort qui s’abat sur ceux qui commettent des crimes d’Etat. On ne peut à la fois le déclarer coupable d’avoir été un «chef de bande,» en toute conscience, et de l’autre, le tenir, sans autre forme de procès, innocent, car inconscient, des actes commis par cette bande. Si la Constitution demeure la propriété personnelle du chef de l’Etat qui l’interprète à sa guise, à quoi servirait donc une nouvelle Constitution préparée sous le contrôle direct de ce chef d’Etat qui en a choisi personnellement les rédacteurs, et mettra le sceau de son approbation sur le texte qui pourrait être soumis en referendum à la Nation, en se couvrant de la Déclaration du Premier Novembre 1954, sans en accepter, toutefois, la logique constitutionnelle qui la sous-tend ? La seule Constitution consensuelle est celle qui émane d’une Assemblée constituante, refusée jusqu’à présent au peuple algérien, tant par les autorités coloniales que par le groupe au pouvoir depuis juillet 1962, alors qu’elle était, si ce n’est de manière claire et directe, en filigrane tant de la Déclaration du Premier Novembre 1954 que de la Charte de la Soummam.

Un texte constitutionnel rédigé en cercle fermé et ayant reçu l’approbation d’un seul homme, si grande soit son autorité, ne peut même pas être le test minimum de consensus. Un homme ne peut pas décider seul du sort d’un peuple, car le referendum concernera un texte établi unilatéralement et imposé, sur la base de l’impératif : «c’est à prendre ou à laisser !» Malgré la devise choisie par les Autorités publiques, on en reste dans le concept «d’Etat patrimonial, » quelles que soient, par ailleurs, les dispositions de ce texte. La Constitution actuelle ne comportait aucun article autorisant l’ex-chef d’Etat à constituer une bande criminelle organisée pour piller le pays ! Et ce n’est pas la faute de la Constitution, ni même celle de ses rédacteurs, sans doute choisis parmi la crème des juristes algériens, si elle a été violée, et continue à l’être, – comme le prouve le refus d’aller jusqu’au fond du contentieux politique et judiciaire entre le peuple et l’ex-président, – dans ses dispositions les plus nobles, comme les plus anodines.

La Constituante a été une constante des revendications nationalistes. On ne peut pas prétendre reprendre attache avec des textes fondamentaux de la guerre de Libération nationale, d’un côté, et de l’autre, refuser de confier finalement à une Assemblée constituante la rédaction d’une Constitution consensuelle. Là aussi les Autorités publiques doivent en finir avec le double langage, par respect pour le peuple algérien, et si elles tiennent à prouver leur bonne foi, et instaurer un Etat national de droit, crédible et à la légitimité incontestable et incontestée.


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