Il est urgent de permettre à Julian Assange de rentrer en Australie

John Pilger

Voici une version abrégée du discours de John Pilger lors d’un rassemblement organisé le 17 juin à Sydney, en Australie, par le Parti de l’égalité socialiste pour demander le retour en toute sécurité de Julian Assangeen Australie.

La persécution de Julian Assange doit cesser. Ou ça finira en tragédie.

Le gouvernement australien et le Premier ministre Malcolm Turnbull ont une occasion historique de décider de l’issue.

Ils peuvent garder le silence, ce que l’histoire ne leur pardonnera pas. Ou bien ils peuvent agir dans l’intérêt de la justice et de l’humanité et ramener ce remarquable citoyen australien chez lui.

Assange ne demande pas un traitement de faveur. Le gouvernement a des obligations diplomatiques et morales claires de protéger les citoyens australiens à l’étranger de toute injustice flagrante : dans le cas de Julian, d’une erreur judiciaire flagrante et du danger extrême qui l’attend s’il sort sans protection de l’ambassade équatorienne à Londres.

Nous savons depuis l’affaire Chelsea Manning ce à quoi il peut s’attendre si un mandat d’extradition US est couronné de succès – un rapporteur spécial des Nations Unies l’a qualifié de torture.

Je connais bien Julian Assange ; je le considère comme un ami proche, une personne d’une résilience et d’un courage extraordinaires. J’ai vu un tsunami de mensonges et de calomnies l’engloutir, sans fin, vindicativement, perfidement ; et je sais pourquoi ils le calomnient.

En 2008, un plan de destruction de WikiLeaks et d’Assange a été présenté dans un document top secret daté du 8 mars 2008. Les auteurs étaient la Cyber Counterintelligence Assessments Branch [Section d’valuation du contre-espionnage cybernétique] du département de la Défense US. Ils ont décrit en détail combien il était important de détruire le « sentiment de confiance » qui est le « centre de gravité » de WikiLeaks.

Cela se ferait, écrivent-ils, avec des menaces d’ »exposition [et] de poursuites criminelles » et une attaque incessante contre leur réputation. Le but était de faire taire et de criminaliser WikiLeaks, son responsable. C’était comme s’ils planifiaient une guerre contre un seul être humain et sur le principe même de la liberté d’expression.

Leur arme principale seraient des calomnies personnelles. Leurs troupes de choc seraient enrôlées dans les médias – ceux qui sont censés rétablir les faits et nous dire la vérité.

L’ironie, c’est que personne n’a dit à ces journalistes quoi faire. Je les appelle les journalistes de Vichy – d’après le gouvernement de Vichy qui a servi et permis l’occupation allemande de la France en temps de guerre.

En octobre dernier, la journaliste de l’Australian Broadcasting Corporation, Sarah Ferguson, a interviewé Hillary Clinton, qu’elle a fait passer pour « l’icône de notre génération ».

C’est cette même Clinton qui a menacé d’ »éradiquer totalement » l’Iran et qui, en tant que secrétaire d’État US en 2011, a été l’une des instigatrices de l’invasion et de la destruction de la Libye en tant qu’État moderne, avec la perte de 40 000 vies humaines. Comme l’invasion de l’Irak, cette guerre fut basée sur des mensonges.

Lorsque le président libyen fut assassiné publiquement et horriblement au couteau, Clinton a été filmée en train de se trémousser de jubilation. Grâce à elle, la Libye est devenue un terreau fertile pour Daech et d’autres jihadistes. Grâce à elle, des dizaines de milliers de réfugiés ont fui au péril de leur via à travers la Méditerranée, et beaucoup se sont noyés.

Les courriels publiés par WikiLeaks ont révélé que la fondation d’Hillary Clinton – qu’elle partage avec son mari – a reçu des millions de dollars de l’Arabie Saoudite et du Qatar, les principaux bailleurs de fonds de Daech et du terrorisme au Moyen-Orient.

En tant que secrétaire d’État, Mme Clinton a approuvé la plus importante vente d’armes de tous les temps – d’une valeur de 80 milliards de dollars – à l’Arabie Saoudite, l’un des principaux bienfaiteurs de sa fondation. Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite utilise ces armes pour écraser des gens affamés et malades dans une attaque génocidaire contre le Yémen.

Sarah Ferguson, une journaliste très bien payée, n’en a pas parlé à Hillary Clinton qui était assise face à elle.

Au lieu de cela, elle a invité Clinton à décrire les « dégâts » que Julian Assange « vous a fait personnellement ». En réponse, Clinton a diffamé Assange, un citoyen australien, comme « très clairement un outil des services de renseignement russes » et « un opportuniste nihiliste au service d’un dictateur« .

Elle n’a présenté aucune preuve – et on ne lui en a pas demandé – à l’appui de ses graves allégations.

A aucun moment, Assange n’a eu le droit de répondre à cette interview choquante, que le radiodiffuseur d’Etat australien, financé par les deniers publics, avait le devoir de lui accorder.

Comme si cela ne suffisait pas, la productrice exécutive de Ferguson, Sally Neighour, après l’interview a enchaîné avec un tweet vicieux : « Assange est la pute [bitch] de Poutine. Nous le savons tous ! »

Il existe de nombreux autres exemples de ce journalisme vichyssois. Le Guardian, autrefois réputé comme un grand journal progressiste, a mené une vendetta contre Julian Assange. Tel un amant éconduit, le Guardian a dirigé ses attaques personnelles, mesquines et inhumaines contre un homme qu’ils ont publié et dont ils ont tiré profit.

L’ancien rédacteur en chef du Guardian, Alan Rusbridger, avait qualifié les révélations de WikiLeaks, que son journal avait publiées en 2010, comme « l’un des plus grands scoops journalistiques de ces 30 dernières années« . Des prix furent distribués et célébrés comme si Julian Assange n’existait pas.

Les révélations de WikiLeaks sont devenues partie intégrante du plan marketing du Guardian pour augmenter le prix de vente du journal. Ils ont gagné de l’argent, souvent beaucoup d’argent, tandis que WikiLeaks et Assange luttaient pour survivre.

Sans un sou reversé à WikiLeaks, un livre du Guardian publié à grand battage médiatique a donné lieu à un film hollywoodien lucratif. Les auteurs du livre, Luke Harding et David Leigh, s’en sont pris gratuitement à Assange en le qualifiant de « personnalité endommagée » et « sans cœur ».

Ils ont également révélé le mot de passe secret que Julian avait confié au Guardian en toute confidentialité et qui a été conçu pour protéger un fichier numérique contenant les câbles d’ambassades US.

Alors qu’Assange se trouvait piégé dans l’ambassade équatorienne, Harding, qui s’était enrichi sur le dos de Julian Assange et d’Edward Snowden, s’est tenu parmi les policiers à l’extérieur de l’ambassade et a jubilé sur son blog que « Scotland Yard allait peut-être avoir le dernier mot« .

La question est pourquoi.

Julian Assange n’a commis aucun crime. Il n’a jamais été accusé d’un crime. L’épisode suédois était faux et grotesque et il a été innocenté.

Katrin Axelsson et Lisa Longstaff de Women Against Rape [Femmes contre le viol] l’ont résumé en ces termes : « Les allégations contre [Assange] sont un écran de fumée derrière lequel un certain nombre de gouvernements tentent de réprimer WikiLeaks pour avoir audacieusement révélé au public leur planification secrète de guerres et d’occupations avec leurs viols, meurtres et destructions…. Les autorités se soucient si peu de la violence contre les femmes qu’elles manipulent comme elles veulent les allégations de viol. »

Cette vérité a été perdue ou enterrée dans une chasse aux sorcières médiatique qui associait honteusement Assange au viol et à la misogynie. La chasse aux sorcières comprenait des voix qui se décrivaient comme étant de gauche et féministes. Elles ont délibérément ignoré les preuves d’un danger extrême si Assange devait être extradé vers les USA.

Selon un document publié par Edward Snowden, Assange figure sur une « liste de cibles ». Un mémo officiel qui a fait l’objet d’une fuite dit : « Assange fera une belle mariée en prison. J’emmerde le terroriste. Il mangera des croquettes pour chat pour le reste de ses jours. »

À Alexandra, en Virginie – le foyer suburbain de l’élite belliciste US – un grand jury secret, une réminiscence du Moyen-Âge – a passé sept ans à essayer de concocter un crime pour lequel Assange pouvait être poursuivi.

Ce n’est pas facile : la Constitution US protège les éditeurs, les journalistes et les lanceurs d’alerte. Le crime d’Assange est d’avoir brisé un silence.

Aucun journalisme d’investigation de mon vivant ne peut égaler l’importance de ce que WikiLeaks a fait en défiant le pouvoir rapace pour lui faire rendre des comptes. C’est comme si un écran moral à sens unique avait été déchiré pour exposer l’impérialisme des démocraties libérales : les engagements dans des guerres sans fin et la division et la dégradation de vies « indignes » : de la tour Grenfell à Gaza.

Lorsque Harold Pinter a reçu le prix Nobel de littérature en 2005, il a fait référence à « une vaste tapisserie de mensonges dont nous nous nourrissons ». Il a demandé pourquoi « la brutalité systématique, les atrocités généralisées, la répression impitoyable de la pensée indépendante » dans l’Union soviétique étaient bien connues en Occident alors que les crimes impériaux de l’USAmérique « ne se sont jamais produits… même quand [ils] se produisaient, ils n’ont jamais eu lieu ».

Dans ses révélations sur les guerres frauduleuses (Afghanistan, Irak) et les mensonges éhontés des gouvernements (les îles Chagos), WikiLeaks nous a permis d’entrevoir comment le jeu impérial se joue au XXIème siècle. C’est pourquoi Assange est en danger de mort.

Il y a sept ans, à Sydney, j’ai pris des dispositions pour rencontrer un éminent député libéral du Parlement fédéral, Malcolm Turnbull.

Je voulais lui demander de remettre une lettre de Gareth Peirce, l’avocat d’Assange, au gouvernement. Nous avons parlé de sa fameuse victoire – dans les années 1980, quand, en tant que jeune avocat, il avait combattu les tentatives du gouvernement britannique de supprimer la liberté d’expression et d’empêcher la publication du livre Spycatcher – à sa manière, un WikiLeaks de l’époque, car il a révélé les crimes du pouvoir d’Etat.

Le Premier ministre australien était alors Julia Gillard, une femme politique du parti travailliste qui avait déclaré WikiLeaks « illégal » et voulait annuler le passeport d’Assange – jusqu’à ce qu’on lui ait dit qu’elle ne pouvait pas le faire : qu’Assange n’avait commis aucun crime : que WikiLeaks était un éditeur, dont le travail était protégé par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont l’Australie était l’un des premiers signataires.

En abandonnant Assange, un citoyen australien, et en étant complice de sa persécution, le comportement scandaleux du Premier ministre Gillard a imposé la reconnaissance, en vertu du droit international, de son statut de réfugié politique dont la vie était en danger. L’Équateur a invoqué la Convention de 1951 et a accordé le refuge à Assange dans son ambassade à Londres.

Gillard a récemment participé à un show avec Hillary Clinton ; elles sont considérées comme des féministes pionnières.

S’il fallait retenir une chose de Gillard, c’est le discours guerrier, sociopathe et embarrassant qu’elle a prononcé devant le Congrès US peu de temps après avoir exigé l’annulation illégale du passeport de Julian.

Malcolm Turnbull est maintenant Premier ministre de l’Australie. Le père de Julian Assange a écrit à Turnbull. C’est une lettre émouvante, dans laquelle il a demandé au Premier ministre de ramener son fils à la maison. Il parle de la possibilité réelle d’une tragédie.

J’ai vu la santé d’Assange se détériorer au cours de ses années d’enfermement sans soleil. Il a une toux implacable, mais on ne lui permet même pas de se rendre à l’hôpital en toute sécurité pour une radiographie.

Malcolm Turnbull peut rester silencieux. Ou bien il peut saisir cette opportunité et utiliser l’influence diplomatique de son gouvernement pour défendre la vie d’un citoyen australien, dont le courageux service rendu à l’intérêt général est reconnu par d’innombrables personnes à travers le monde. Il peut ramener Julian Assange à la maison.

Traduit par  Viktor Dedaj
Edité par  Fausto Giudice

Merci à Le Grand Soir
Source: http://johnpilger.com/articles/the-urgency-of-bringing-julian-assange-home
Date de parution de l’article original: 18/06/2018
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=23629


Libellés: Julian Assange | WikiLeaks | Malcolm Turnbull | Australie 

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