L’intervention française au mali n’a pas été une bonne idée

 

A French soldier of the detachment of the Operation Barkhane stands guard on January 2, 2015   DOMINIQUE FAGET / AFP PHOTO / DOMINIQUE FAGET

par Abdelhak Benelhadj 

  L’échec de la campagne militaire était prévisible…

Le texte joint ci-dessous analysant l’initiative française est fidèle à la version publiée en janvier 2013, soit une semaine à peine après le début de l’intervention française au Mali. Il n’en manque pas une virgule, comme chacun pourra le constater en consultant les archives en ligne du Quotidien….Il avait été prévu

Aujourd’hui, il est avéré. Le Jeudi 10 juin 2021 le président E. Macron en a pris acte en annonçant la fin (virtuelle) de la présence française au Mali. Il lui reste à administrer le retrait de ses troupes sans aliéner totalement les raisons profondes qui ont justifié l’intervention de son pays.

Plus tôt, les militaires français en avaient tiré les principales conclusions.

« Nous n’atteindrons jamais une victoire définitive (…) jamais les armées françaises n’iront défiler, en vainqueurs, en passant sous l’Arc de Triomphe », avait concédé, sans fard, le général François Lecointre, chef d’état-major des armées. (AFP, mercredi 27/11/2019).

Quel bilan depuis 2013 ?

– De victoires, point. Les morts s’accumulent, surtout des victimes africaines, plus de 50 soldats perdus, côté français.

Exemples :

Fin mars 2021 Une enquête de l’Onu confirme qu’une frappe française au Mali a tué 19 civils en janvier (AFP, mercredi 31/03/2021)

Début mai 2021 : Plus de vingt personnes, dont des enfants, ont été tuées dimanche dans le centre du Mali par une frappe aérienne pendant un mariage, (selon source médicale rapportée à Reuters, mardi 05/01/2021).

Deux jours plus tôt, l’état-major des armées françaises annonce, lui, avoir « neutralisé » des dizaines de combattants djihadistes lors d’une frappe aérienne menée dans la région de Douentza, à 90 km à l’ouest d’Hombori, dans le centre du Mali…

– Un retard de développement plus grand pour des pays africains qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts… avec une avancée irrémédiable du désert, une dégradation accrue de l’environnement et du climat, une pandémie en prime.

– Un conflit qui a gagné peu à peu tous les pays voisins qui en étaient jusque-là préservés, dans un espace immense qu’aucune ne force militaire technologiquement avancée ne saurait complètement sécuriser.

Sachant que, pour une large part, la déstabilisation du Sahel est directement la conséquence de la destruction de la Libye.

– Une image dégradée de la France et de son armée. Des manifestations antifrançaises régulières, en l’occurrence au Mali, comme en juillet 2020.

– A la mi-août 2020, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta et son Premier ministre Boubou Cissé sont arrêtés par des militaires dont des éléments ont fraternisé avec des manifestants qui réclament depuis des mois le départ du chef de l’Etat. Le lendemain, le président donne sa démission et dissout le parlement (AFP, mardi 18 août 2020). Dans l’ombre, Paris a tout fait pour que l’essentiel ne soit pas remis en cause. Mais ce ne fut que partie remise.

Début juin, nouveau coup d’Etat au Mali qui ébranle les fondements de la présence militaire française. Car il importe de rappeler que ce sont les autorités maliennes qui légitiment, par leur appel en 2013, l’existence de Barkhane. Sans cela, le roi apparaîtrait dans son plus simple appareil. Et cela commençait à se voir lorsque Paris décida que désormais les forces françaises devaient opérer seules… En vertu de quel pacte, de quel contrat de droit ?

Plus tôt, le 20 avril 2021, un peu plus loin, un ami très proche de la France est assassiné (ou mort en héros sur le front en guerroyant courageusement, peu importe). Après s’être autoproclamé maréchal en août 2020, le Tchadien Idriss Déby (l’enfant naturel de la françafrique et de l’empereur Bokassa 1er, ami intime de l’ex-président V. Giscard d’Estaing) a été prestement remplacé par son fils. L’œuvre française en faveur de la démocratie dans les pays en développement emprunte des chemins insondables…

Pour combien de temps ?

Sophie Pétronin (otage française assez longtemps pour avoir bien compris les enjeux sur le terrain), libérée en octobre 2020, a qualifié ses ravisseurs de « groupes d’opposition armée », réfutant le terme de « djihadistes ». Ces propos mirent le général François Lecointre, chef d’Etat-major des armées, dans un état d’« indignation » peu commun [1]. S. Pétronin fut très vite oubliée, sans doute diagnostiquée victime du syndrome de Stockholm…

– Le « terrorisme » à juguler, objectif officiel de l’intervention, n’a non seulement pas cessé, mais s’est accentué depuis 2013. Depuis, la France vit sous un régime d’Etat d’urgence et d’exception que la pandémie a opportunément servi à discrètement renforcer. Peu à peu, sans que les Français en prennent vraiment la mesure, l’exception se dissout dans le droit commun.

Les solutions militaires aux problèmes politiques, en particulier celles initiées de l’étranger au Sahel, n’ont que très peu de chances d’aboutir. Aucune campagne militaire ne réussit. Parce que la question n’est pas militaire, mais sociale, économique et politique. Le moins pacifique des soldats sait que si « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », (Général Carl von Clausewitz[2]), aucune guerre ne peut être déclarée victorieuse si elle n’enfante pas la paix, si elle n’a pas pour principal objet la paix, et pas la pacification qui n’est rien d’autre que le maintien par la contrainte des conditions qui ont engendré le désordre et la violence.

Cela n’a pas empêché l’ancien président François Hollande, à l’origine de toute cette affaire, d’en revendiquer la pertinence, l’opportunité et tout le bénéfice d’une campagne dont chacun peut mesurer l’éclatant succès…

F. Hollande persiste et signe

C’est F. Hollande (et son ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, aujourd’hui ministre des Affaires Etrangères de E. Macron) qui a lancé l’opération Serval au Sahel en 2013 remplacée en 2014 par l’opération Barkhane.

« Je mesure chaque jour la responsabilité que j’ai prise car c’est une décision lourde que d’envoyer des soldats à l’extérieur de nos frontières pour une mission extrêmement difficile donc j’ai plus que ma part de responsabilité». Mais il ajoute aussitôt : « nous devons faire en sorte que la mission aujourd’hui assurée par Barkhane puisse se poursuivre, et faire en sorte que nos soldats puissent être soutenus autant qu’il est nécessaire » (AFP mercredi 27/11/2019)

Il explique : « S’il n’y avait pas l’opération Barkhane aujourd’hui, ces forces terroristes qui ont été certes très entamées, qui ont été réduites dans leur influence, continueraient d’agir et menaceraient la sécurité de toute l’Afrique de l’Ouest »

Or, c’est très exactement ce qu’ont provoqué les interventions militaires françaises (encouragées et accompagnées discrètement par le Pentagone) limitées au début au seul Mali.

Après la destruction de la Libye en 2011 par les mêmes Français et Anglais (comme au bon vieux temps de la Crise de Suez, en 1956), c’est toute la région du Sahel qui est en flammes. Après 2013, c’est toute l’Afrique de l’Ouest qui est déstabilisée.

Et cela n’a empêché les attentats très meurtriers (notamment à Paris et à Nice après 2015) que l’opération française était présumée prévenir. Qui oserait avancer l’hypothèse que Barkhane les a provoqués ?

Personne ne prend le relais

L’un des anciens Premiers ministres de Hollande, Bernard Cazeneuve, est à l’unisson avec son ancien patron et entretient la fable de la cause occidentale commune : « La lutte contre le terrorisme était un combat au long cours qui implique que les Africains soient en situation de prendre le relais (…) et l’Europe en capacité d’affirmer davantage une ambition diplomatique et une capacité d’intervention, ce qui n’est pas le cas du tout aujourd’hui, et on peut le regretter grandement » (LCI, 27 novembre 2020)

« Des efforts doivent être engagés, et pas simplement par la France, l’Union européenne, les pays partenaires d’Europe doivent prendre conscience que c’est aussi leur sécurité qui est en cause » avertit dans le vide F. Hollande qui continue la même politique engagée dans les autres domaines (économique et social), héritée de son prédécesseur et poursuivie par son successeur : « On échoue mais on continue ». Or, la France n’arrive à convaincre ni les Européens ni les Africains de prendre le « relais ». Soit parce qu’ils ne le veulent pas, soit parce qu’ils ne le peuvent pas.

L’Empire, « Leading from behind » (B. Obama, Libye 2011), s’occupe de la cuisine et laisse les vassaux, alignés sans dissentiment, s’occuper de la vaisselle.

En octobre 2018, Florence Parly, ministre française des Armées, s’est assurée auprès de son homologue américain, James Mattis, du maintien de l’aide précieuse de Washington, sans laquelle Barkhane serait privé de renseignements et de logistique.

De leur base d’Agadez au Niger, observant les événements, des centaines d’Américains agissent très discrètement, à l’ombre des déboires de leurs « alliés » soumis, comme d’habitude, aux décisions unilatérales des Etats-Unis. Ainsi en est-il du rejet par D. Trump du traité signé avec l’Iran en 2015 ou du retrait récent des armées américaines d’Afghanistan.

Il n’y a pas de consensus européen ni en matière de défense, ni en matière de diplomatie. Le « couple franco-allemand » demeure une fiction que le Général avait inventée pour embêter les Américains et se ménager quelques libertés. Ni aux côtés de N. Sarkozy pour une illusoire Union Pour la Méditerranée ou la campagne libyenne, ni aux côtés de ceux qui lui ont succédé dans leurs aventures improbables en Syrie et au Sahel, à quelques faveurs limitées à l’intendance, l’Europe germanique se tient prudemment éloignée de ces confusions. La France reste seule, face à ses mythes et à ses déficits.

Hypothétique intervention militaire algérienne

Entendus maintes fois, des conseils avisés d’experts avenants invitent « amicalement » l’Algérie à intervenir hors de ses frontières. Sa Constitution aurait été amendée en ce sens.[3]

L’Algérie est soumise aux mêmes contraintes et limites que connaissent toutes les interventions étrangères. Le fait qu’elle procède du voisinage ou qu’elle se justifie par une défense de son territoire, ne réduit en aucune manière l’engrenage périlleux dans lequel elle s’implique.

La puissance militaire est insuffisante sans une forte ascendance politique continentale. Or, l’Algérie est, depuis les années 1990, en situation défensive et a beaucoup perdu de son influence en Afrique et dans le reste du monde en développement.

Le monde a changé d’époque. Le Mouvement des Non-alignés » n’est plus « non-aligné » contre personne ni pour personne. L’effondrement de l’Union Soviétique et de la Russie (qui a un PIB équivalent à celui de la Corée du sud) explique pour une large part le changement de rapport de forces et du paysage géopolitique mondial.

A titre d’exemple on peut considérer le traitement du dossier du Sahara Occidental, territoire annexé par le Maroc en violation du droit international depuis 1975, ses richesses naturelles sont exploitées, au vu et au su de tous, y compris par des pays européens, alors que sa population est dispersée dans des conditions indigentes, et n’a, à ce jour, pas eu la possibilité de s’exprimer, conformément aux résolutions des Nations Unies sur son avenir et celui du territoire.

L’Algérie qui, à raison, soutient cette cause, observe objectivement les limites de son influence sur le continent et dans les enceintes internationales, aussi bien en Afrique, en Europe qu’aux Nations Unies où le Maroc jouit d’une bienveillance dont, régulièrement, il se félicite.

Aidé puissamment par les Etats-Unis, l’Union Européenne et Israël, après avoir commis l’erreur de se retirer de l’OUA en novembre 1984, le Maroc est de retour (en janvier 2017, malgré l’opposition de l’Algérie) dans des conditions bien plus avantageuses pour lui et pour les protecteurs qui lui monnaient leur appui et qui se targuent de se moquer du droit commun à chaque fois qu’il leur paraît contraire à leurs intérêts[4].

Que son autonomie de décision économique et sa souveraineté soient une vue de l’esprit, que son ordre politique soit totalement obsolète et, à terme, problématique, est une question conjoncturellement secondaire. Les difficultés économiques et financières structurelles de l’Algérie (exprimée par sa dépendance à l’égard des exportations d’hydrocarbures) ne lui permettent qu’une marge de manœuvre limitée. Les dépenses militaires qui auraient gagnées à être investies dans la technologie, la formation et l’avenir de sa population, lui sont imposées par un contexte régional très dangereux. La taille du pays, la diversité et la longueur de ses frontières, l’instabilité de ses voisins ne lui laissent aucun répit ni aucun autre choix.

Inutile d’ajouter que la fragilité du régime aux affaires est accentuée par un faible soutien populaire. Si les agitateurs qui gravitent autour du hirak ne parviennent pas à mobiliser contre lui, le gouvernement actuel est très loin de mobiliser les foules en sa faveur.

Sur ce point, il peut se targuer de ne se distinguer en rien, à quelques exceptions près (l’Allemagne de l’inoxydable A. Merkel ou la Russie de V. Poutine par exemple), des gouvernements de la plupart des pays où les taux d’abstention aux élections croissent de manière continue, marquant la défiance des peuples face à leurs dirigeants.

En sorte que dans ces conditions, les armées algériennes prendraient un risque incalculable à s’aventurer hors de ses frontières nationales. Leur commandement, faut-il l’espérer, n’ignore pas le format de ce piège.

Enjeux géostratégiques

Demeure la question du pourquoi.

Ce qui importe, c’est de maintenir un contrôle strict des pays africains pour l’exploitation de leurs richesses minérales et énergétiques (Congo, Gabon, Niger, Nigeria…) agricoles (Côte d’Ivoire, Gambie, Bénin, Sénégal…), forestières (Ghana, Guinée équatoriale, Gabon…), touristiques (Sénégal, Sierra Leone, Togo, Guinée Bissau…).

Or, ces richesses sont aussi convoitées par les Chinois qui veulent briser leur dépendance à l’égard des transnationales occidentales qui spéculent et s’enrichissent en contrôlant le commerce mondialisé de ces biens, tout en pesant économiquement et politiquement sur une Chine sur le point de surpasser les Etats-Unis. Les entrelacs de la « Route de la soie », conçue à cette fin, tissent un réseau dense dans le monde, y compris en Afrique.

Chinois et Russes, en pleine crise pandémique, offrent leur aide financière et leurs vaccins à des dizaines de pays en développement. Les pays occidentaux sont absents ou mesurent chichement une aide médicale qu’ils ont eue bien du mal à se ménager pour leurs propres populations.

Proche du théâtre sahélien, en Centrafrique notamment, la Russie marque sa présence : coopération militaire, livraisons d’armes (7 cargaisons depuis 2016), 255 conseillers civils et instructeurs militaires activent dans ce pays, menacés par des groupes subversifs venus de pays voisins, armés et mandatés par d’obscurs commanditaires…

La Russie a signé des accords de coopération militaire avec le Nigeria, La République Démocratique du Congo, l’Ethiopie, le Mozambique, l’Angola… selon le londonien Financial Time. Le 23 et 24 octobre 2019 s’est tenu le 1er Sommet Russo-africain à Sotchi, sur les bords de la mer Noire. Une quarantaine de dirigeants ont été reçus par Vladimir Poutine.

On comprend que la Russie soit très régulièrement accusée par les Etats-Unis de toutes sortes de malversations : trafic de diamants, déploiements de mystérieux mercenaires, assassinats de journalistes… Moscou sous-traiterait certaines missions par un opérateur paramilitaire privé « Wagner Group » (équivalent à Blackwater américain) actif en Ukraine (Donbass) et en Syrie. Le Russe Valeriy Sakharov est conseiller national à la sécurité du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra élu en 2016.

Double bind

Les pays occidentaux organisés autour des Etats-Unis, donneur d’ordres omnipotent, sont manifestement coincés entre la nécessité d’intervenir pour défendre leurs intérêts, en réalité en faveur d’entreprises privées habillement enchâssées dans les circuits de la décision, et leur difficulté à convaincre les populations africaines (et leurs propres opinions publiques) que leurs initiatives sont exclusivement vouées à la justice, au respect du droit, à la prospérité et à la sécurité de tous.

A l’évidence, cet objectif est loin d’avoir été tenu. Ce qui explique que les forces françaises sont paradoxalement réduites un inéluctable départ et à la nécessité de rester.

Florence Parly, la ministre des Armées use d’un oxymore acrobatique. La fin de l’opération Barkhane ne signifie pas que la France quitte le Sahel, déclare-t-elle ce 14 juillet. « Nous ne quittons pas le Sahel », martèle la ministre au micro de France Inter (Reuters, mercredi 14 juillet 2020).

A défaut d’agir sur le monde, les politiques sont réduits à une rhétorique qu’ils présument à tort dotée d’une performation qui n’appartient qu’à des circonstances exceptionnelles dans l’histoire. Toute la question est de savoir comment et sous quelle forme est comblée la contradiction : Barkhane s’en va et la France reste. Et qui va en payer le prix.

N’ayant aucune structure institutionnelle continentale ou régionale opérationnelle (politique et militaire) à même de les défendre, les peuples africains voient leur destin ballotté dans les escarmouches d’une nouvelle Guerre Froide et des acteurs informels (comme le reste), dont ils ignorent les ressorts intimes et sur lesquels ils n’ont aucune prise.

Notes :

[1] « On ne peut pas appeler ces personnes des militaires et imaginer qu’ils peuvent être comparés aux militaires français […] soldats d’une armée régulière, qui se battent dans le respect du droit international, dans le respect du droit de la guerre, en maîtrisant leur violence et qui sont liés, au-delà de la mission, par une éthique particulièrement exigeante » https://www.ladepeche.fr, le V. 16/10/2020.

[2] « De la guerre ». Trad. franç.755 p. Edition de Minuit, 1955

[3] L’article 91 alinéa 2 de la nouvelle Constitution algérienne (novembre 2020), fixe les conditions et le cadre permettant au président de la République, chef suprême des forces armées et ministre de la défense nationale, après approbation de deux tiers des deux chambres du Parlement, d’engager des forces armées à l’étranger.

[4] Certes, les institutions africaines demeurent paralysées et parasitées par des protocoles aussi dispendieux que formels, par des jeux tribaux et claniques, sans impacts concrets sur les réalités politiques, économiques et sociales de populations poussées aux migrations (majoritairement internes au continent), livrées à l’insécurité, à la pauvreté, aux maladies et aux déséquilibres environnementaux


          L’intervention française au Mali n’est pas une bonne idée

    par A. Benelhadj, Le Quotidien d’Oran, J. 17 Janvier 2013   

 L’information publique sur l’évolution brutale du conflit malien et ses causes réelles est totalement « verrouillée » pour des raisons opérationnelles et tactiques évidentes1. La pertinence (totale ou partielle) du commentaire qui suit est par conséquent suspendue à cette réserve.

Sous prétexte de réponse dans l’urgence à une menace imminente sur le Mali qui a lancé une demande d’aide, l’intervention militaire française pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Voilà pourquoi.* Il est illusoire de présumer que les armées africaines puissent être en état, à court, moyen ou long terme prévisible, de prendre le relais des troupes françaises. L’Afrique ne possède ni les moyens techniques, logistiques ou organisationnels de coordonner une structure militaire (par définition multinationale) et encore moins l’intelligence politique à même de traiter un problème de cette nature. Toutes les opérations précédentes sur différents théâtres l’ont montré.

* L’intervention française ne pourra pas mettre un terme définitif dans la région et dans les pays voisins aux activités « islamo-terroristes » dont le ressort est complexe et multiforme. Bien que peu probables, des actions « terroristes » en retour sur le territoire français ne sont pas exclues (64% des français le craignent. Sondage CSA mardi 15 janvier 2013).

* Partant des conséquences de la chute du régime libyen de Kadhafi, l’hypothèse que l’initiative française peut contribuer à propager l’instabilité politique et sociale dans toute la région sahélienne doit être considérée avec attention et crédit raisonnable.

* La France ne peut se substituer à l’Etat malien déficient, incapable de pacifier le pays. Les problèmes intérieurs à l’origine du conflit demeurent. D’autant plus que la légitimité des régimes environnant, certains soutenus à bout de bras par les pays occidentaux – en phase avec leurs intérêts géoéconomiques-, est loin d’être assurée.

Malgré son avantage technologique et son expérience, la France au Mali n’a aucune certitude sur le plan militaire, pas davantage sur le plan politique, le plus important. Les rivalités chroniques entre Songhaï, Touareg, Arabes et Maures pourraient s’en trouver durablement exacerbées. Des rumeurs crédibles font état d’éliminations sommaires dans le sillage des troupes françaises.

* De plus, nous ne voyons nulle perspective stratégique à même de répondre au fond de la question : le développement économique et social des pays de la région et les répartitions actuellement inégales et arbitraires des richesses (30% de la consommation nationale est assurée par 10% de la population malienne) qui sont souvent à l’origine du régionalisme ethniciste (pathologie traditionnelle des Etats africains2), bousculant le principe cardinal des « frontières hérités de la colonisation »

Pour l’exemple : Le Mali a une population de moins de 15 millions d’habitants et un PIB de 11 Mds$ soit 55 fois plus faible que la capitalisation boursière de Apple (oct. 2012) qui réalise un CA de 156 Mds$ avec un effectif « limité » de 60 000 personnes (2011). L’or vient en tête des exportations du Mali…

Venir au secours de qui ?

C’est peut-être à ces incertitudes que la France – contrairement aux déclarations optimistes du Quai d’Orsay, sur la foi de déclarations formelles de soutien- doit la réserve de la plupart des pays occidentaux.

On approuve du bout des lèvres à Washington, à Londres mais surtout à Berlin toujours très circonspect quand il s’agit d’actions militaires (elle a eu l’occasion de le manifester très nettement lors de la campagne libyenne), ainsi qu’on peut le lire dans la déclaration plus que prudente de Thomas de Maizière, ministre allemand de la défense (Frankfurter Allgemeine Zeitung du lundi 14 janvier).

« Bien sûr l’Union européenne peut former des soldats maliens par le biais d’un petit contingent de formateurs allemands. Mais (…) nous devons répondre avant tout à la question de savoir qui il faut former. Nous avons besoin d’un consensus national au Mali sur la procédure.

« Comme condition préalable, il faut faire la clarté sur qui dirige le pays. Des putschistes ne doivent pas avoir le dernier mot. Et nous avons besoin d’un accord sur le calendrier qui aujourd’hui n’existe pas. C’est seulement ensuite que l’Union européenne peut prendre sa décision puisqu’il peut y avoir une décision sur la participation de l’armée allemande. »

Même Doha doute… et renvoie Paris à l’Union Africaine et au Conseil de Sécurité. Reste que le saut de François Hollande dans les Emirats n’est clair ni en ses objectifs ni en ses résultats.

Des députés européens, Cohn-Bendit à leur tête, déplorant l’absence d’une défense européenne, regrettent que la France soit tenue en une si injuste et scandaleuse solitude (Le Monde-AFP, mardi 15 janvier 2013, 22h38).

Les experts ont la mémoire courte. Ils sont aussi prudents. On se souvient de propos très réservés sur la gestion française de la crise malienne et sur une éventuelle intervention militaire, il y a à peine quelques jours, considérée alors pour très hypothétique.

Dans l’unanimisme belliciste actuel ces propos seraient tenus pour très suspects…

« Cette intervention militaire ne recueille pas l’approbation de tous les États de la région. Qui plus est, leurs armées ne sont pas toutes prêtes, les autres pays européens sont réticents. Les Américains y vont eux aussi à reculons. Ils nous soutiennent diplomatiquement, mais ne veulent pas aller sur le terrain.

« Dans ce dossier, la France fait preuve d’un volontarisme, voire d’un activisme étonnant, elle semble très va-t-en-guerre et quasiment seule parmi les pays occidentaux. Et cela est en train de changer son image dans la région, alors qu’elle venait d’acquérir grâce au printemps arabe un formidable capital de sympathie.

« La France s’est enfermée dans une logique infernale. Plus le gouvernement annonce qu’il va intervenir au Mali en soutenant une force africaine, plus il y a d’enlèvements de Français. Quand on prétend lutter contre le terrorisme, on ne procède pas par des effets d’annonce. » (Interview de Mathieu Guidère, « spécialiste » d’al-Qaida au Maghreb islamique. Le Figaro, mardi 26/12/2012 à 17h03) 3

Le revirement algérien.

L’Algérie qui défendait jusque là un point de vue raisonnable sur cette affaire a opéré un retournement saisissant et a cédé aux pressions militaristes pour des raisons qui ne sont pas très claires. Elle aurait sûrement gagné à ne pas se contenter d’une posture statique, défensive, dilatoire et de pétition de principes. A la recherche d’un consensus introuvable.

Il est vrai que le poids de l’Algérie sur la scène africaine n’a plus rien à voir avec le prestige qui était le sien aux lendemains de l’indépendance jusqu’à la fin des années soixante-dix. L’attitude algérienne traduit moins une prudence sage et tempérée qu’une absence manifeste de stratégie.

Et cela est vrai autant de sa politique internationale que de sa politique économique.

Le régime Chadli a entamé subrepticement le crédit du pays (dans tous les sens du mot). La « fin de l’histoire » a achevé la fin de cette divagation et précipité l’Algérie dans le chaos qui a lui tant coûté et elle continue à en payer le prix. Depuis, l’Algérie opportuniste cherche sa voie, décidant au coup par coup.

Dotée de moyens sans mode d’emploi, comme « l’âne de Buridan », elle semble tiraillée entre rentiers publics et rentiers privés. En attendant l’épuisement des ressources naturelles ou un nouveau contre-choc pétrolier4.

A l’échelle Africaine, nous nous retrouvons avec une Union incapable d’arbitrer les différends continentaux, et qui de surcroît applaudit à une intervention militaire occidentale pour mettre de l’ordre sur le sol africain.

Il est singulier qu’un pays africain, quelle que soit les raisons qu’il se donne (en l’occurrence il ne s’en donne pas) ouvre son espace aérien à des vaisseaux de guerre pour aller bombarder un autre pays africain. Comment ne pas y voir le signe d’un grave échec.

Car, dès lors que l’Algérie a fait le choix de contribuer à une action militaire au Mali (à son corps défendant ou non, peu importe), on ne comprendrait pas pourquoi, dans ces conditions, les forces armées algériennes ne prendraient pas part aux combats aux côtés de l’ancienne puissance coloniale qui franchit les mers pour chasser le désordre à ses frontières.

Cela d’autant moins que ce choix -s’il en est- va avoir – nolens volens – un impact difficile à estimer sur l’Algérie, obligeant celle-ci à une mobilisation croissante de moyens pour sécuriser un espace saharien peu aisé à contrôler. Tout cela impliquant une course régionale au surarment aussi dispendieuse qu’inefficace dans les pays qui manquent tant de ressources.5

N’est-ce pas par ce rôle de gendarmerie supplétive dans la région que les puissances occidentales ont consacré cette expérience singulière, argument dont on se flatte à Alger à tout propos, de lutte contre le « terrorisme islamiste » ?

Sans verser dans la moindre polémique inopportune en ces circonstances, il y avait sans doute meilleure manière de commémorer le 50ème anniversaire de l’indépendance. Ce serait de plus une erreur stratégique de première grandeur qui menacerait à terme la sécurité du pays.

La France fait face à d’autres défis.

Voilà un président socialiste accusé de reconduire la politique déflationniste de son prédécesseur, prompt à ratifier un Traité de Lisbonne tant décrié avant l’élection présidentielle, et de se lancer dans une opération militaire que n’aurait pas reniée l’ancien locataire de l’Elysée, rappelant ainsi la vieille querelle qui est faite aux socialistes, les associant à toutes les campagnes coloniales depuis la IIIème République.

Est-il alors si étonnant, observeraient les moins indulgents, que François Hollande ait débuté son mandat sous le patronage symbolique de Jules Ferry ?

A peine rapatriées d’Afghanistan les troupes françaises guerroient en Afrique. L’histoire bégaye.

Au lieu de conforter une Union Africaine chancelante, cette intervention française ne préfigure ni un succès à court terme, ni une solution durable pour la stabilité et la prospérité de cette région du monde qui souffre de graves déficits économiques, politiques et environnementaux.

C’est pourquoi cette initiative précipitée n’est pas sans doute pas une bonne idée.

Notes

1- Lire « Opération ‘Serval’ : une communication succincte et verrouillée ». Le Monde, mardi 15.01.2013 à 20h56.

2- Collapsus qui gagnent le reste du monde, y compris l’Europe : Belgique, Grande Bretagne, Espagne, Italie… après l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et de l’ex-URSS.

3- L’opposition de Villepin à cette intervention ne procède d’aucune logique gaullienne particulière. Il s’agit d’un jeu politicien de posture opportuniste. Au reste, il a peu ou prou consenti a posteriori à l’agression bushienne et aux interventions en Libye et en Syrie. L’ancien ministre des AE, hanté par le souvenir de Talleyrand ou de Chateaubriand, a toujours privilégié davantage le commentaire emphatique à la décision. C’est à peu près le cas des nouvelles « classes politiques » expertes en joutes médiatiques mais dépourvues de projets, de moyens d’action mesurables et concrets et inaptes à s’en pourvoir.

4- La part des hydrocarbures dans les exportations – à plus de 98% – n’a pas varié depuis 2004, début de la hausse continue des cours.

5- Cf. A. Benelhadj : « Géopolitique de la sécurité et du développement » (Le Quotidien d’Oran, 16-23 avril 2006).


               Le pouvoir militaire est-il une solution durable au Mali ?

Le président par intérim du Mali, le colonel Assimi Goïta, salue des militaires à l’issue de sa prestation de serment, le 7 juin 2021 à Bamako.                  Annie Risemberg/AFP

En intervenant le 24 mai pour destituer le président de la transition Bah N’Daw et son premier ministre Moctar Ouane, l’armée malienne a démontré une nouvelle fois sa volonté de garder la main sur les leviers du pouvoir.

Ce énième coup d’État est intervenu suite au limogeage par le duo N’Daw/Ouane du ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, et de celui de la Sécurité, le colonel Modibo Koné. Selon les auteurs du putsch, le couple exécutif n’aurait pas respecté la charte de la transition, qui précise que les questions de défense et de sécurité relèvent de la compétence du vice-président, le colonel Assimi Goïta.

Les militaires tendent désormais la main au Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), la seule coalition politique qui avait dénoncé la gestion de la première phase de cette transition.

Saisie par le cabinet du vice-président, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt constatant la vacance du pouvoir et a reconnu le colonel Assimi Goïta comme président de la transition à la veille d’un sommet extraordinaire de la Cédéao sur ce nouveau coup de force.

Nous avions déjà évoqué dans un article précédent le poids de l’armée dans l’espace politique malien. Ce nouveau coup d’État semble confirmer l’appétit des militaires maliens pour le pouvoir. Face à la crise que traverse le Mali, l’armée peut-elle encore être la solution ? Et quel peut être l’avenir de sa cohabitation avec le M5-RFP ?

Une armée tournée vers la conquête du pouvoir

Il y a plus de cinquante ans, le sociologue Georges Balandier affirmait que les coups d’État militaires s’expliquaient, en Afrique, par le désir des jeunes militaires de changer la situation. Il évoquait déjà le « néo-colonellisme » pour illustrer la prise du pouvoir par des jeunes colonels, qui disent vouloir mettre de l’ordre dans le désordre politique.

Le sociologue Francis Akindès se situe dans la même lignée quand il constate que les militaires et les civils se conduisent de la même manière lorsqu’ils arrivent aux commandes d’un pays, car le pouvoir est corrupteur. Les militaires « nouveaux entrants », explique-t-il, finissent par être pris au jeu. Le coup d’État aboutit toujours à une espèce de confiscation du pouvoir par les militaires. Les immixtions répétées de l’armée dans la vie politique ont eu pour effet de renouveler et d’augmenter le nombre de militaires qui ont directement participé, à divers niveaux, à la gestion du pouvoir politique. De son côté, le politologue Mahamane Tidjani Alou utilise l’expression « militaires politiciens » pour désigner les galonnés qui participent directement à l’exercice du pouvoir.

Quant à Niandou Souley, il attire l’attention sur le fait que les militaires ont l’habitude de prendre pour prétexte le désordre institutionnel pour s’emparer du pouvoir. Leur intention initiale est généralement de procéder à une rectification démocratique au moyen d’un « toilettage » des textes fondamentaux déjà existants. Mais par la suite, non seulement les hommes en uniforme substituent un régime présidentiel fort au régime semi-présidentiel d’antan, mais cherchent aussi, en général, à conserver le pouvoir.

La consécration du colonel Assimi Goïta comme nouveau président de la transition doit être vue comme un signe de la volonté farouche des militaires de conserver le pouvoir. C’est en effet la garantie de ne pas connaître des démêlés judiciaires : Goïta n’a pas oublié qu’il y a déjà eu, il n’y a pas si longtemps, un précédent au Mali. Les militaires constituent donc, au même titre que les religieux, des acteurs primordiaux du champ politique malien, en ce sens que la conquête du pouvoir – par la force – fait partie de leurs stratégies.

Au Mali, l’armée n’a pas vraiment assimilé les règles institutionnelles et, notamment, la question de la soumission du militaire au politique. N’Daw a d’ailleurs été démis avant tout parce qu’il cherchait à sortir de la tutelle de la junte qui l’avait porté au pouvoir. La tentative de mise à l’écart par Bah N’Daw et Moctar Ouane de deux « colonels-ministres » occupant des postes stratégiques a été perçue par Assimi Goïta et son entourage comme une tentative visant à desserrer l’étau mis en place par les militaires sur la transition.

En intervenant par la force, les militaires se lancent dans une opération de survie politique. Le coup d’État étant un crime imprescriptible selon la Constitution malienne, rien ne garantit une immunité politique à partir du moment où l’on n’est plus aux affaires. Mais un homme politique qui requiert l’anonymat va plus loin en affirmant que :

« La vraie raison qui pourrait expliquer les coups d’État au Mali, c’est la volonté d’enrichissement des militaires. L’armée est aujourd’hui une voie royale pour devenir riche. En vérité, s’ils commettent des coups d’État, c’est parce qu’ils ne veulent pas aller combattre sur les théâtres d’opérations et s’accrochent au pouvoir à Bamako. »

Il est vrai que la corruption est un fléau souvent évoqué à propos de l’armée malienne. On pense par exemple au détournement de plus de 1 230 milliards de francs CFA de programmation militaire sur la période 2014-2019. On constate de surcroît que les militaires ont fait le choix de l’exercice politique au détriment de la sécurisation du pays et de la lutte contre le djihadisme, qui sont leurs missions premières.

L’alliance M5-RFP et les militaires : un mariage d’amour ou de raison ?

Dans la nuit du 24 au 25 mai, les représentants du M5-RFP ont été conviés à Kati, fief des putschistes. Un nouveau gouvernement a été formé le 11 juin avec Choguel K. Maïga (l’une des figures du M5-RFP) comme premier ministre. Un gouvernement au sein duquel les militaires restent prédominants, et qui a été jugé illégitime par la communauté internationale, notamment par le président français qui, dans la foulée, a décidé de mettre fin à l’opération Barkhane.

Choquel K. Maïga, leader du M5-RFP, s’adresse à la presse le 28 mai 2021, peu après la destitution du duo N’Daw-Ouane. Deux semaines plus tard, il sera nommé premier ministre. Michele Cattani/AFP

« Il n’y a de mort en politique si ce n’est la mort naturelle » : cette maxime sied bien à la situation du M5-RFP, un mouvement que certains avaient trop vite fait d’enterrer. Avec ce second coup d’État, il est vrai que la marge de manœuvre des militaires semble forcément réduite. Ils jouent leur dernière carte. Mais cet accord avec le M5-RFP s’est fait au prix du reniement de certains points que le Mouvement jugeait jusqu’alors non négociables. Choguel K. Maïga a en effet reculé sur la dissolution du CNT, devant lequel il fera peut-être sa déclaration de politique et sa proposition sur les accords de paix d’Alger, puisqu’il s’engage à travailler avec la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). De même qu’il accepte finalement de travailler avec un président militaire, lui qui avait dénoncé la « militarisation de la transition ».

Il y a eu une ambivalence au sein du M5-RFP sur la qualification du coup d’État du 24 mai. Le nouveau Premier ministre Choguel K. Maïga, n’a pas condamné le coup d’État, se contentant de parler de « rectification de la transition ». En revanche, Madame Sy Kadiatou Sow et Modibo Sidibé ont appelé sans réserve à condamner le putsch.

Une rectification de la transition est-elle possible ?

Au regard de l’évolution des dynamiques politiques au Mali, cette deuxième phase de la transition semble être celle de la dernière chance pour le pays. La période transitoire est donc un moment opportun de mutation et d’ouverture. Comme l’expliquent Céline Thiriot et Adam Przeworski, les transitions découlent de ces deux processus concomitants que sont l’extirpation et la constitution.

Par extirpation, il faut entendre le processus de rupture avec l’ancien régime, et par constitution, le processus de sociogenèse d’un nouveau régime. Durant la transition, période où l’armée joue un rôle fondamental, Adam Przeworski souligne que partout où celle-ci reste cohérente et autonome, les éléments d’extirpation dominent le processus de transition. Selon ces auteurs, pour réussir une transition, il faut une rupture avec l’ancien système. Or, nous assistons au retour des mêmes mœurs politiques qui ont jadis fait descendre les Maliens dans la rue, à savoir les pratiques clientélistes, le népotisme, la corruption, etc. L’armée revient au centre du jeu plus forte que jamais.

Même si l’un de ses représentants occupe désormais le poste de premier ministre, le M5-RFP semble être le grand perdant de ce nouveau gouvernement, quand on sait qu’il a contribué à légitimer le putsch sur la scène internationale. Dans ces conditions, l’armée malienne peut-elle être la réponse à la crise que traverse le Mali ? Difficile de répondre par l’affirmative quand on sait que l’armée est aussi corrompue, sinon plus, que la classe politique. Le parallèle avec l’armée tchadienne, qui a pris le pouvoir après la mort d’Idriss Déby le 20 avril dernier, n’est par ailleurs guère probant, tant le rôle joué par cette dernière dans la lutte contre le terrorisme a été déterminant.

L’armée tchadienne est une armée chevronnée et aguerrie qui se bat sur le territoire malien. A contrario, l’armée malienne, en dépit des milliards investis pour sa refondation, n’enregistre aucune victoire dans la lutte contre l’insécurité. Le domaine où elle rayonne, c’est de disputer le pouvoir aux civils.

Ces « militaires politiciens » semblent faire un sans-faute politique depuis leur premier putsch contre IBK en août 2020. Toutefois, le capital de confiance initial dont ils ont bénéficié semble s’étioler. Et désormais, ils ne pourront plus attribuer les difficultés à telle ou telle autre force car plus aucun levier du pouvoir ne leur échappe…


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