« Je suis soignant » – Témoignage bouleversant d’un infirmier anesthésiste

Je suis infirmier anesthésiste en hôpital public et depuis plusieurs semaines, je suis confronté à notre gestion désastreuse du Covid-19. Mais ce qui me fatigue et m’irrite le plus, ce ne sont pas les changements de planning permanents, ni les horaires ; ce n’est pas le fait de me retrouver avec des patients en état de souffrance, ni même de côtoyer la mort. Tout cela je le vis depuis des années. Ce qui me fatigue le plus, c’est – lorsque je rentre chez moi – d’entendre les pouvoirs publics et notre président se souvenir soudainement de notre existence ; de les entendre tenir un discours sans aucun rapport avec ce que l’on vit.

Je veux dire à mon président que non, être soignant ne signifie pas être en guerre !

Je suis soignant mais pas en guerre, car je n’aurais jamais accepté de partir au front avec un président qui – comme ses prédécesseurs et depuis des années – n’a fait que diminuer notre capacité de soin. Nous avons moins de lits pour les patients et moins de personnel soignant pour nous en occuper. Nos équipements sont vétustes, et notre formation s’est détériorée, car nous manquons de personnel pour former à la pratique les étudiants infirmiers.

Je suis soignant mais pas en guerre, car je n’aurais jamais accepté de partir au front sans équipement. Nous n’avons pas (ou que trop peu) de masques chirurgicaux, encore moins de masques FFP2, peu de solutions hydroalcooliques, peu de tests, pas de combinaisons, ni suffisamment de respirateur pour tout le monde.

Je suis soignant mais pas en guerre, car je n’aurais jamais accepté de partir au front avec une telle infériorité numérique. Nous manquons de soignants – les vrais – les infirmiers, les aides-soignants, ASH et médecins. En revanche, des chefs, sous-chefs et grands-chefs, il y en a plein, confinés dans des bureaux, qui travaillent – certes – dans d’interminables réunions, à nous pondre de nouveaux protocoles. Mais ceux-ci sont irréalisables car toutes ces personnes sont déconnectées de la réalité du travail de terrain.

Je suis soignant mais pas en guerre, car je n’aurais jamais accepté de partir au front sans alliés. Où est donc passée cette belle entente européenne ? Nous avons laissé mourir les Italiens ; nous nous sommes contentés de les regarder – alors qu’ils étaient dans le désarroi le plus profond – en priant pour que cela ne nous arrive pas. Et maintenant, on apprend que les pays européens en viennent à dérober les commandes de matériel des autres pays…

En France, la région parisienne et le Grand Est sont à saturation depuis trois semaines. Au même moment, les hôpitaux des autres régions ne sont remplis qu’à 40%. Il y a encore une semaine, nous étions nombreux à nous tourner les pouces dans mon hôpital, en attendant la « vague », impuissants. Encore aujourd’hui, nous ne sommes même pas à 50% de notre capacité maximale. Pendant ce temps, nos collègues des régions les plus touchées doivent faire face à une saturation historique…

C’est donc pour toutes ces raisons, M. le Président, que je suis soignant mais pas en guerre pour autant ! En revanche…

Je suis soignant mais j’ai peur : peur d’aller au travail, de risquer de me contaminer, de contaminer ma femme, mes enfants, ou encore d’autres patients. J’ai peur lorsque j’imagine que la personne ayant des difficultés à respirer – celle qui ne peut le faire que grâce à un respirateur – ça soit peut-être demain moi ou ma femme, elle aussi infirmière, pour qui l’accès au équipements de protection est encore plus réduit que pour moi.

Je suis soignant mais je suis courageux : courageux d’affronter mes peurs, de partir m’occuper des patients qui vont mal, qui souffrent et qui redoutent le pire. Et il faut encore du courage pour appeler les familles et donner des nouvelles de leur parent hospitalisé.

Je suis soignant mais je reste humble, car ayant été délocalisé dans des services de réanimation ou de soins intensifs que je ne connais pas, même muni d’un niveau d’étude supérieur aux infirmiers déjà en place, je me retrouve en grande difficulté, un peu comme lorsque j’étais étudiant. Fort heureusement je peux compter sur mes nouveaux collègues et j’apprends ainsi chaque jour un peu plus.

Je suis soignant mais je suis fatigué. Je cumule la fatigue physique et psychologique de mon travail. J’enchaîne les heures, les jours et les nuits ; puis j’enchaîne à la maison avec mes enfants. Bien évidemment, ils me redonnent de l’énergie, par leur joie et leur insouciance, mais j’aimerais vraiment pouvoir me reposer et souffler davantage.

Je suis soignant et heureux. Heureux de voir toute cette solidarité entre les personnels hospitaliers ; ces collègues, ces ami(e)s qui se dévouent pour soulager celui qui craque. Heureux aussi de voir cette solidarité avec la population, qui nous applaudi, et nous fait parvenir de la nourriture au travail.

Je suis soignant mais je relativise : j’ai un jardin et un salaire qui tombe tous les mois. Aussi difficile qu’est ma vie actuellement, je n’échangerais pas ma place avec celle d’un commerçant, d’un auto-entrepreneur, ou d’un artisan. Je pense à tous ces gens qui vivent sur le revenu d’un travail qu’ils n’ont plus. Je pense aussi à ceux qui sont confinés dans un appartement de 40m² avec femme et enfants. Ma fatigue et mes peurs ne sont rien comparés à ce qu’ils vivent actuellement.

Je suis soignant mais je n’oublie pas. Il y a encore quelque mois, je faisais grève. Les soignants tiraient la sonnette d’alarme sur le déclin du système hospitalier. Mais nous n’avons pas été entendus. Bien sûr que j’aimerais avoir un salaire plus élevé : j’ai vingt ans d’ancienneté, un bac +5, et je touche 2 300 € par mois. Mais nos revendications ne se limitaient pas aux questions salariales. Nous réclamions surtout davantage de personnel soignant. Des soignants j’insiste ; pas des cadres, sur-cadre ou sous-cadre, pas de personnel administratif qui nous disent comment travailler avec leurs tableaux Excel. Non, des soignants qui sont au contact des patients ; des soignants qui sont là quand un patient souffre, qu’il se pose des questions, ou qu’il a besoin d’être lavé, changé, rasé, accompagné, rassuré, écouté, et pas seulement médicamenté. Tout ce temps de travail n’est jamais pris en compte dans les tableaux Excel, car pour eux, il faut « optimiser les soins ».

Toutes ces grèves – celles des soignants, des transports, des gilets – n’ont eu comme réponse qu’une fin de non-recevoir. L’État devait « économiser »… austérité, austérité… Je suis curieux de voir combien l’État aura « économisé » après tout ça.

Alors M. le Président, pour sensibiliser tout le monde à l’importance de rester confiné chez soi, plutôt que d’utiliser un champ lexical militaire, vous auriez mieux fait de présenter les prévisions des décès avec et sans confinement. Vous auriez mieux fait de vous présenter en public avec un masque de protection pour montrer l’exemple dès le départ. Vous auriez mieux fait de repousser les élections municipales. Comprenez que votre discours ne peut être entendu s’il apparaît comme incohérent.

Enfin, M. le Président, je vous remercie de vous soucier enfin des Français, car après plus d’un an de manifestation des gilets jaunes et de grèves, avec un taux de chômage proche des 9% et avec un nombre de travailleurs pauvres de plus en plus grand, je croyais que vous étiez devenu définitivement sourd au peuple français.

Je suis soignant.


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Regardez bien la photo s’il vous plaît. J’ai 2 patients potentiellement atteints par ce virus et je viens de faire la toilette d’une dame de 104 ans, équipée d’une charlotte, d’un simple masque chirurgical (dont vous connaissez parfaitement l’inutilité puisque lors de votre dernier discours à Mulhouse vous aviez la chance de porter un masque FFP2 depuis longtemps introuvable en pharmacie y compris pour les professionnels de santé, alors que je doute fort que vous ayez été en contact direct avec les malades), de surchaussures et d’un SAC POUBELLE gracieusement fourni par l’établissement parce que les stocks de blouses sont en rupture.

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