Khalifa Haftar a le feu vert pour conquérir Tripoli

par Mustafa Fetouri

Lorsque l’Armée Nationale Libyenne (ANL) a lancé son offensive actuelle sur Tripoli sur ordre du Maréchal Khalifa Haftar, ses sympathisants régionaux et internationaux ont rapidement nié toute connaissance préalable de l’attaque entreprise. La France, en particulier, membre important de l’Union Européenne (UE) et partisan de Haftar, a nié avec véhémence l’accusation de l’Italie de conspiration avec l’homme fort de l’Est de la Libye. Les États-Unis et d’autres pays concernés ont également voulu prendre leurs distances par rapport à l’attaque de Tripoli dès qu’elle a commencé. La Grande-Bretagne n’a jamais aimé Haftar, alors elle a été épargnée du rugissement de ses alliés occidentaux.

Même le sponsor principal de Haftar, les Émirats Arabes Unis (EAU), ont nié toute connaissance ou participation préalable à l’événement. Afin de prendre encore plus de distance par rapport à l’attaque de Tripoli, les Émirats Arabes Unis ont signé la déclaration ministérielle du G7 publiée par les ministres des affaires étrangères du groupe lors de leur réunion en France le 5 avril.

Une semaine auparavant, le Conseil de Sécurité de l’ONU avait également appelé à la modération dans un communiqué de presse car il n’avait pas adopté de position plus officielle. Il n’a pas pu non plus se mettre d’accord, en raison du veto russe, sur l’ensemble de la résolution que la Grande-Bretagne réclamait, car le projet de texte désignait l’ANL comme l’agresseur.

Cependant, malgré tous dénis, de nombreux pays non seulement savaient à l’avance ce que faisait Haftar, mais lui ont également promis qu’ils fermeraient les yeux lorsqu’il se dirigerait vers Tripoli. Sans vraiment dire quoi que ce soit, ils lui disaient de faire ce qu’il avait à faire, mais de le faire rapidement.

Par exemple, les États-Unis ont retiré leur contingent militaire de Tripoli le 7 avril, trois jours seulement après que l’ANL ait fait son premier pas vers l’ouest. Selon l’AFRICOM (Commandement des États-Unis pour l’Afrique), un nombre inconnu de troupes US ont été « relocalisées » en réponse à des « questions de sécurité sur le terrain« . On peut facilement interpréter cela comme le feu vert de Washington pour que Haftar aille de l’avant avec la certitude que les États-Unis n’interviendront pas.

L’Égypte et les Émirats Arabes Unis, deux partisans de Haftar dans la région, ont fourni une assistance à l’ALN en termes de matériel militaire, de financement et probablement de renseignements. L’Arabie Saoudite y a également participé, en fournissant des fonds ou de l’équipement, ainsi qu’une influence politique et diplomatique. Le Maréchal libyen s’est rendu au Caire et a rencontré le Président Abdel Fatah Al-Sisi le 14 avril, juste après sa visite à Washington. Il est certain que Al-Sisi lui a dit que l’administration Trump, malgré ses déclarations publiques, accepterait son action sur Tripoli.

Des slogans près des cercueils drapés de drapeaux de ceux qui ont perdu la vie lors d’attaques à la roquette menées par les forces basées en Libye orientale et dirigées par le commandant Khalifa Haftar dans le quartier d’Abu Salim, lors d’une cérémonie funèbre sur la Place des Martyrs à Tripoli, en Libye le 17 avril 2019

D’autre part, des pays comme le Qatar, la Turquie, l’Italie et, de plus en plus, la Grande-Bretagne soutiennent le gouvernement de l’Accord National de Libye (GAN) à Tripoli. Doha et Ankara n’ont jamais cessé d’aider les milices alliées au GAN, notamment à Misrata, à l’est de la capitale. L’Italie a tout intérêt à soutenir le GAN étant donné le flux de migrants en provenance de Libye occidentale, et les projets pétroliers et gaziers du géant énergétique ENI.

Cependant, publiquement, chacun de ces pays continue d’appeler à la paix et au soutien du processus politique de l’ONU en Libye. Tout cela fait partie de l’hypocrisie des relations internationales, car chacun d’eux a entendu Haftar déclarer son intention de libérer la capitale libyenne des « terroristes ». La Libye orientale est déjà sous son contrôle et, après avoir pris la région méridionale connue sous le nom de Fezzan, on savait que ce n’était qu’une question de temps avant son arrivée à Tripoli. Aucun pays ayant un intérêt en Libye ne peut prétendre le contraire avec conviction.

Si aucune mesure n’est prise, les différentes parties au conflit libyen l’interpréteront en leur faveur ; c’est ce qui s’est passé avec l’offensive permanente de l’ANL. Haftar a senti qu’il n’avait pas à s’inquiéter.

En outre, dès novembre de l’année dernière, en marge de la conférence de Palerme sur la Libye, des responsables français, par exemple, ont suggéré à Haftar que Paris ne verrait pas d’inconvénient à ce qu’il marche sur Tripoli s’il le fait rapidement et avec le minimum de dégâts.

Ironiquement, ces mêmes pays continuent de souscrire à la feuille de route de l’ONU proposée par l’envoyé de l’ONU, Ghassan Salame, et de répéter le mantra selon lequel il n’existe pas de solution militaire au conflit.

Mais pourquoi la France, les États-Unis et, dans une certaine mesure, la Russie donnent-ils à Haftar le feu vert explicite ou implicite pour conquérir Tripoli et déclencher l’effondrement éventuel du processus politique engagé par l’ONU qui est déjà en cours ? La réponse est simple : après huit années de désordre, que les grandes puissances ont contribué à créer en Libye lors de la campagne de bombardement de l’OTAN en 2011, elles ont réalisé leur erreur. En outre, elles observent impuissantes les répercussions du conflit dans ce pays riche en pétrole, et veulent maintenant que quelqu’un, de préférence au niveau local et bénéficiant d’un certain soutien public, soit en mesure de se manifester et de le résoudre pour elles.

Et la personne qui est apparue est Haftar et son ANL. Il est prêt à protéger leurs intérêts et à aider à contrôler le flux de réfugiés. Il bénéficie également d’un soutien public considérable dans toute la Libye. Surtout, il contrôle près des trois quarts du vaste pays.

L’ANL est aujourd’hui une force de combat importante et jouit d’une certaine légitimité grâce au soutien du seul parlement élu en Libye, aussi controversé soit-il. Haftar lui-même a l’expérience nécessaire pour être connu par les différentes parties. L’Italie, la France et d’autres pays l’ont reçu à différentes occasions, et des diplomates de Grande-Bretagne, d’Italie et de nombreux autres pays occidentaux lui ont rendu visite à plusieurs reprises et ont une idée claire de ce qu’il fait et de ce qu’il peut faire sur le terrain.

Haftar lui-même a maintenant passé le point de non-retour. Même un simple cessez-le-feu pourrait lui coûter politiquement cher. Chaque jour où le GAN reste en place est un gain pour la multitude de milices opérant sous son parapluie, mais pas sous son contrôle.

Entre-temps, le peuple libyen, malgré huit années de promesses de liberté, de prospérité et de sécurité, a encore un long chemin à parcourir pour parvenir à la paix et à la stabilité. Même lorsque cette guerre prendra fin, ce qui sera le cas, la Libye ne sera pas plus proche de la paix et de la réconciliation qu’elle ne l’était avant cette série de combats. Pour atteindre cet objectif très difficile, le pays a besoin que les milices déposent les armes, ce qui devra se faire par la force, quels qu’en soient l’auteur et le moment.

Source : Haftar has clearly been given the green light to conquer Tripoli

traduit par Pascal, revu par Martha pour Réseau International

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