Kofi Annan: succès et échecs d’un fin diplomate

19.08.2018
Agnès Gruda

Quand il est arrivé à la tête de l’Organisation des Nations unies, en janvier 1997, tous les conflits paraissaient solubles et la paix avait le vent dans les voiles, dans la foulée de la fin de la guerre froide.

Quand il a quitté ce poste, une décennie plus tard, la planète vivait plutôt dans un climat de peur et de crispation généré par les attentats du 11 septembre 2001.

Kofi Annan, mort hier à Berne, en Suisse, à l’âge de 80 ans, aura dirigé l’ONU à une période charnière de l’histoire. Il aura réussi à ouvrir cette institution et à lui insuffler ses idéaux de justice et d’égalité. Mais il s’est aussi heurté à des murs.

Il n’a par exemple jamais réussi à réformer le Conseil de sécurité de manière à y faire mieux entendre la voix des pays en voie de développement – ce qui était l’un de ses grands objectifs.

« Il a vraiment mis le paquet pour mettre plus d’équité dans cette organisation, mais ça n’a pas fonctionné. »

– La juriste canadienne Louise Arbour, qui a été haute-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU vers la fin du règne de Kofi Annan

Ce dernier avait « une vision très ample de l’ONU, il a rapidement bâti des ponts avec tous les milieux en dehors des gouvernements », se souvient Louise Fréchette, ancienne vice-secrétaire générale de l’ONU, poste créé par Kofi Annan.

Cette capacité à décloisonner l’ONU et à tisser des liens au-delà des chefs d’État et de leurs représentants a été la grande force de l’ex-secrétaire général. « Ça lui permettait de passer parfois par-dessus la tête des gouvernements, il était devenu une vedette internationale », dit Louise Fréchette.

Selon cette Québécoise qui aura été le bras droit de Kofi Annan pendant huit ans, ce dernier exerçait son leadership avec « finesse, doigté et une capacité d’écoute exceptionnelle ».

Ce dont il a été le plus fier, selon cette ancienne proche collaboratrice ? Du Sommet du millénaire qui aura abouti à des investissements massifs pour lutter contre les inégalités. Et du rôle qu’il aura joué dans la campagne de lutte contre le sida.

Ses plus grandes déceptions ? L’intervention militaire de 2003 en Irak, et les tensions avec les États-Unis qu’elle aura entraînées.

« Il sentait que ça conduirait à un désastre, il a tout fait pour dissuader les Américains, cet épisode a été très, très pénible pour lui », se souvient Louise Fréchette.

Kofi Annan a d’ailleurs été critiqué pour avoir trop attendu avant de qualifier cette intervention d’illégale.

Le scandale du programme « Pétrole contre nourriture », où il a été accusé de corruption avant d’être blanchi, aura aussi été un « épisode très douloureux » pour Kofi Annan, confie Louise Fréchette.

L’HOMME DE L’ONU

Né au Ghana en 1938, Kofi Annan a été le premier Noir africain à diriger l’organisation internationale. Il a aussi été le premier diplomate issu du sérail même de l’ONU à se hisser au poste de secrétaire général.

La carrière de celui que l’on décrit comme un fin diplomate, courtois, charismatique et attentionné, a coïncidé, pendant quatre décennies, avec certains tournants historiques de l’ONU.

Il était notamment responsable des missions de paix pendant les guerres de Bosnie et du Rwanda.

« Par nos graves erreurs de jugement et notre incapacité à comprendre l’ampleur du mal auquel nous étions confrontés, nous avons échoué à contribuer à protéger les habitants de Srebrenica face aux campagnes planifiées des massacres par les forces serbes », a-t-il écrit, quatre ans après le massacre de plus de 8000 civils dans cette enclave bosniaque.

Il fera aussi son mea culpa en reconnaissant que l’ONU n’en a pas fait assez « pour protéger le Rwanda contre lui-même » à l’époque du génocide de 1994.

Ces deux échecs ont conduit Kofi Annan à s’intéresser au « devoir d’ingérence ». Et à se demander si certaines interventions militaires sans mandat légal de l’ONU ne pouvaient pas être néanmoins légitimes, dit Louise Arbour.

QUALITÉS HUMAINES

Ceux qui ont fréquenté Kofi Annan dans les coulisses de l’ONU ne tarissent pas d’éloges sur ses qualités humaines et sa grande capacité à convaincre en douceur.

« C’était un homme sage, très calme, qui savait écouter et qui savait comment atteindre ses objectifs sans heurter les gens. Même quand on n’était pas d’accord avec lui, il imposait le respect. »

– Le diplomate Mokhtar Lamani, ancien ambassadeur de l’Organisation de la conférence islamique

« Il connaissait la machine de l’ONU et les frustrations du personnel à l’interne », raconte Louise Arbour, qui se souvient qu’à l’époque où elle dirigeait le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Kofi Annan l’appelait chaque dimanche juste pour savoir comment elle allait.

« C’était un grand négociateur, il avait l’art de comprendre les gens et de leur inspirer confiance », se souvient Louise Fréchette. Au point que de nombreux chefs d’État d’horizons différents avaient pris l’habitude de dire « Kofi, c’est mon homme… »

C’était aussi un dirigeant qui n’avait pas peur de s’entourer de personnalités fortes, souligne Louise Arbour.

Lauréat du prix Nobel de la paix en 2001, Kofi Annan a grossi le groupe des « Elders » (les Anciens), réseau de personnalités oeuvrant à la résolution de conflits, à l’issue de son deuxième mandat à la tête de l’ONU, en 2007.

En 2012, la Ligue arabe et l’ONU lui donnent le mandat d’agir comme médiateur dans le conflit syrien. Il jettera l’éponge cinq mois plus tard, déplorant de ne pas avoir reçu tous les appuis dont il avait besoin.

Durant son règne à la tête des Nations unies, « nous étions convaincus que l’élan humaniste et interventionniste de l’ONU était là pour rester, mais cette époque privilégiée n’a pas duré très longtemps », dit Louise Fréchette.

Quel legs Kofi Annan a-t-il donc laissé à l’ONU, malgré ce changement de climat mondial ?

Il a lancé le dialogue avec les organisations non gouvernementales et a ouvert l’ONU à la voix de la société civile. Il a placé le développement et les luttes contre les inégalités économiques au coeur de la mission de l’ONU.

Visionnaire, il a aussi mis la question de la mobilité humaine au programme de l’ONU, fait valoir Louise Arbour, qui est actuellement représentante spéciale de l’ONU pour les migrations internationales.

  • photo mise en avant : Kofi Annan, mort hier à Berne, en Suisse, à l’âge de 80 ans, aura dirigé l’ONU à une période charnière de l’histoire. PHOTO MIKE HUTCHINGS, ARCHIVES REUTERS

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