L’ambassadeur d’Italie à Alger, Pasquale Ferrara : «Le pacifisme de l’Algérie, un exemple pour toute la région»

De notre correspondante à Rome, Aïcha Abdeslem
L’actuel ambassadeur d’Italie en Algérie, Pasquale Ferrara (61 ans), est un diplomate chevronné qui s’est forgé une solide carrière en relations internationales à travers les postes qu’il a occupés aussi bien au niveau de capitales européennes (Bruxelles, Athènes) qu’américaines (Washington, Santiago).

Chargé de dossiers délicats relatifs aux desaparecidos en Argentine, l’armement nucléaire en Corée du Nord ou encore l’Irak, c’est avec brio qu’il partage ses connaissances profondes du monde diplomatique avec ses étudiants des prestigieuses universités italiennes où il enseigne. Sa mission en Algérie, il la mène avec l’optimisme entreprenant des Méditerranéens. Ce Napolitain polyglotte à l’esprit universaliste est très à l’aise à Alger, dans sa fonction de serviteur de l’Etat italien mais également d’allié loyal et respectueux de ses hôtes algériens. 

Le Soir d’Algérie : L’Italie est aux prises avec un problème de santé publique qui menace sérieusement son économie. Alarmisme ou danger réel ?
Pasquale Ferrara 
: Je tiens à souligner que le gouvernement italien a adopté, dès le début, une approche de grande transparence, en informant en temps réel l’opinion publique nationale et internationale sur les mesures extrêmement strictes et drastiques qui ont été prises pour faire face à la propagation du virus et sur la situation réelle en Italie. L’OMS et l’UE ont reconnu l’efficacité des mesures italiennes. 
Il faut combattre les fake news et dire les choses comme elles sont, sans, bien évidemment, sous-estimer les défis posés par cette épidémie mondiale : sur un total de 301 000 km carrés, seulement 0,05% du territoire national est soumis à la quarantaine, soit 0,1% des communes italiennes. Le site du ministère de la Santé publie régulièrement toutes les mises à jour, sur la situation et sur les mesures prises. 
Pour le reste, il est clair que la diffusion globale du Covid-19 (nouveau coronavirus) est un phénomène qui touche désormais les pays de tous les continents et que, selon les institutions économiques internationales telles que le FMI ou l’OCDE, elle a déjà eu un impact sur la croissance économique globale et sur les perspectives économiques de court et moyen terme. L’Italie, étant un pays fortement lié aux échanges commerciaux internationaux, est particulièrement exposée au  ralentissement des relations économiques globales. Pour soutenir les entreprises italiennes, le gouvernement italien et le ministre des affaires étrangères et de la Coopération internationale en particulier ont mis en place un plan de crise de 7,5 milliards d’euros. Je suis sûr que nous allons tous sortir ensemble de cette situation critique avec la conscience accrue de la nécessité de la coopération et de la solidarité pour faire face aux défis globaux.

L’Algérie a enregistré son premier cas de coronavirus, il s’agit d’un patient italien. Malgré cela, elle n’a pas décidé de bloquer les vols de et vers l’Italie. Cela vous surprend-il ?
Je veux tout d’abord remercier les autorités algériennes, à tous les niveaux, pour l’approche extrêmement sérieuse et professionnelle qu’elles ont adoptée depuis la détection du premier cas positif au coronavirus dans le pays. Il s’agit d’un ressortissant italien qui est arrivé en Algérie avant que le virus ne soit détecté en Italie et avant que la quarantaine n’y soit déclarée. En effet, il était asymptomatique et après avoir été pris en charge par les services algériens concernés, et du moment qu’il se trouvait dans une base de vie dans le désert, il a été rapatrié en bonnes conditions de santé, par sa compagnie. Les autorités algériennes ont montré une collaboration extraordinaire, H24 et sept jours sur sept, et cela pas seulement avec nos services consulaires, mais aussi avec tous les ressortissants italiens et les personnes se trouvant en Algérie. 
Je veux donc les remercier encore personnellement, et aussi pour l’effort fourni pour éviter toute stigmatisation contre les Italiens : en Algérie nous n’avons pas assisté à certains épisodes, qui, malheureusement, se sont produits ailleurs et cela grâce surtout à l’amitié et à la compréhension que le peuple algérien nourrit envers l’Italie.  C’est dans les moments difficiles qu’on reconnaît les vrais amis. Pour citer le grand écrivain algérien Mohammed Dib : «Où allons-nous ? L’essentiel est que nous y allions ensemble».

Vous avez été nommé récemment Ambassadeur de rang par le Conseil des ministres. Il y a seulement 26 diplomates sur 1000 dans cette position et seulement ceux en poste dans des pays très importants pour l’Italie. L’Algérie vous a-t-elle porté chance ou est-ce vous qui avez hissé l’Algérie au rang de partenaire très important de Rome ?
L’Algérie n’a pas besoin d’être reconnue, désormais elle s’impose d’elle-même sur la scène régionale et internationale. Pour le reste, bien sûr que l’Algérie m’a porté chance ! Un ami m’avait dit que l’Algérie aurait été un atout pour moi. Il y a quelque temps, j’ai été frappé par le titre d’un ouvrage collectif : Manifeste pour l’Algérie heureuse. J’y crois beaucoup. 
En tout cas, pour ce qui me concerne, il n’est pas question des efforts d’une seule personne mais d’un travail d’équipe, d’un effort choral du staff et de la communauté italiennes, qui témoigne à chaque occasion de toute l’affection et de la profonde estime envers ce pays et son peuple résilient, intelligent, doué du sens de l’ironie. Nous sommes unis par une histoire de liens exceptionnels. Mais surtout nous avons devant nous un avenir très prospère, qui reste entièrement à explorer. Je pense à l’intensification possible des investissements dans les secteurs de l’agroalimentaire, des énergies renouvelables, du tourisme, de la formation et de l’éducation. Je voudrais rappeler le souci constant de notre Institut culturel pour l’octroi de bourses d’études en faveur des jeunes Algériens dans plusieurs disciplines, surtout scientifiques, ou aux initiatives articulées visant à augmenter le nombre d’étudiants de la langue et de la culture italiennes dans ce très vaste et très beau pays. 

Vous êtes en poste à Alger depuis presque 4 ans. Une longévité qui a vu plusieurs gouvernements se succéder en Italie. Pouvez-vous nous dresser une courbe du partenariat italo-algérien, surtout que les échanges commerciaux entre les deux pays ont chuté de 17% en 2019.
Depuis 2015, nos échanges commerciaux ont augmenté chaque année : de 7,1 milliards de dollars en 2015 jusqu’à atteindre presque 
10 milliards de dollars en 2018. C’est vrai qu’en 2019, il y a eu une baisse, mais durant cette année, l’Algérie a enregistré une baisse des échanges commerciaux (à la fois exportations et importations) sur un niveau global, pas seulement avec l’Italie. Je suis convaincu que nos relations commerciales demeureront très intenses cette année, et dans les années à venir. Il faut rappeler que l’Italie exporte en Algérie surtout des équipements industriels qui pourront jouer un rôle important dans le processus de diversification de l’économie du pays. En outre, les données relatives aux échanges commerciaux ne sont pas le seul indicateur de l’état des relations économiques bilatérales. Nous devons en effet dépasser les échanges commerciaux et aller vers des formes nouvelles de partenariats industriels, dont on a vu des exemples ces dernières années : je pense par exemple aux projets Inalca ou Leonardo.  C’est pour cette raison que nous suivons avec grand intérêt les récentes réformes que le gouvernement algérien est en train d’entamer pour ce qui concerne le climat des affaires et nous sommes confiants qu’elles pourront faciliter les investissements des entreprises italiennes qui continuent à considérer l’Algérie avec un grand intérêt. 

A votre nomination à Alger vous étiez plein d’enthousiasme pour cette nouvelle mission. Quatre ans après, cette bonne disposition est-elle encore intacte ? 
Absolument oui et comment pourrait-il en être autrement? Au cours des dernières années, malgré les nombreuses crises dramatiques dans la région, l’Algérie a connu un débat public et citoyen mûr et très riche, qui a ouvert des parcours de profond changement. J’ai eu la chance d’être témoin d’une période historique, extraordinaire ! L’évolution interne du pays continue à se développer de manière absolument pacifique, ce qui représente un message très significatif pour toute cette région du monde (y compris de nombreux Etats européens). Nous avons été les premiers à effectuer en Algérie des visites officielles de très haut niveau (Premier ministre, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, secrétaire d’État) après une année historique comme 2019, au cours de laquelle notre pays a fait preuve de respect et d’amitié au regard de ce qui se passait. D’importantes réunions institutionnelles sont déjà prévues, à commencer par le sommet bilatéral. 
Sur un plan plus personnel, je dirais que l’Algérie, avec son peuple fier, sa nature douée d’une beauté extrême, sa lumière inoubliable, est un pays qui fascine. Je viens d’une région qui était la patrie des sirènes dans l’ancienne mythologie. Leur chant charmait le voyageur qui risquait de rester à jamais emprisonné dans leurs espaces, envoûté par les beautés du lieu. Tandis que l’enchantement de l’Algérie libère et dynamise ! Un jour, je quitterai à mon tour l’Algérie pour une nouvelle mission, jusque-là, j’ai encore le temps de demeurer conquis et chaque jour émerveillé par cette terre et surtout par son peuple.
A. A.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *