Liberté académique : l’Université Laval doit s’excuser et réparer ses torts

Collectif
COLLECTIF
 POINT DE VUE /  Les signataires de cette lettre, majoritairement des professeurs universitaires, s’adressent aux membres de la haute direction de l’Université Laval: Sophie D’Amours, Lyne Bouchard, Jean Lemay et Michel J. Tremblay*

Le 12 juillet dernier, la lettre ouverte Défendre la liberté universitaire sans condition, cosignée par plusieurs professeurs universitaires et autres professionnels, était publiée dans le journal Le Soleil. Deux jours plus tard, la même lettre était publiée dans le journal Le Devoir. Cette lettre, qui demandait la levée de la suspension sans solde des professeurs Patrick Provost et Nicolas Derome, punis par l’Université Laval parce qu’ils avaient exprimé des opinions et des inquiétudes sur la vaccination des enfants contraires au narratif communément admis, n’a pas porté ses fruits.

En effet, les deux professeurs arrivent maintenant au bout de leur suspension, et non seulement l’Université Laval n’a pas reculé, mais il semble qu’elle n’ait pas même réagi devant les nombreuses voix qui se sont levées pour dénoncer la situation. Infliger une suspension à l’aube des vacances estivales a sans doute l’avantage de pouvoir se détourner de ses responsabilités sans qu’on le remarque trop.

Rappelons que les opinions exprimées par les deux professeurs, qu’elles soient fondées ou non, sont protégées par les lois et règlements régissant la liberté d’expression.

Leur suspension contrevient directement aux principes soutenus récemment par l’Université Laval elle-même dans son Énoncé institutionnel sur la protection et la valorisation de la liberté d’expression, publié le 2 février 2021. Dans ce document, l’Université reconnait que «la liberté universitaire protège le droit d’enseigner, d’apprendre, d’étudier et de publier sans craindre l’orthodoxie ou la menace de représailles et la discrimination».

Mais elle va plus loin en affirmant qu’elle «vise la protection et la valorisation de la liberté d’expression». L’institution ajoute que «les idées, même controversées, doivent pouvoir être exprimées, entendues et débattues.» Elle ne pose ainsi que les limites suivantes à la liberté académique:

[…] l’Université pourra intervenir si l’idée ou la façon de l’exprimer contrevient
•    aux lois canadiennes ou québécoises, et à leur application, concernant notamment la diffamation, les propos haineux ou l’incitation à la violence;
•    aux conventions collectives, aux règlements ou aux politiques en vigueur à l’Université.

Les deux professeurs suspendus n’ayant enfreint aucune de ces deux limites, rien ne justifie qu’ils aient été l’objet de telles représailles. Ils se sont exprimés à l’extérieur du cadre de leurs fonctions professorales et n’ont pas commis de faute grave (par exemple un détournement de fonds ou une falsification de résultats de leurs propres recherches). Leurs prises de position (liberté d’expression) ne devraient pas être confondues avec des activités de transmission du savoir.

Mais cela va plus loin encore: il apparait que leurs idées «controversées» ne peuvent pas «être exprimées, entendues et débattues», et ce, précisément dans le milieu où elles devraient le plus l’être. Si cela n’est pas permis, l’université devient alors un château fort du dogme.

Il nous semble finalement plutôt ironique que les suspensions soient survenues non seulement en dépit de l’existence de votre propre énoncé sur la liberté d’expression, mais aussi au moment où le gouvernement du Québec vient tout juste d’adopter le projet de loi 32 pour protéger la liberté académique dans le milieu universitaire (au mois de juin dernier).

Vous avez choisi de recourir à la censure, qui a empoisonné l’environnement de la discussion raisonnée et rendu les universités hostiles à la recherche intellectuelle, au débat ouvert et au questionnement critique. Vous l’avez fait au moment opportun où, la plupart des Québécois préférant sans doute oublier la crise des deux dernières années, les regards ne sont pas trop braqués sur vous.

Non seulement cela porte atteinte au nom et à la réputation de votre université, ce qui pourrait décourager de nombreux universitaires de s’associer à votre institution, mais cela porte surtout un très rude coup à la liberté académique. Alors qu’il est admis que les professeurs doivent pouvoir jouir d’une totale liberté d’expression, le maintien de votre décision constitue un dangereux précédent pouvant mettre un terme à la liberté universitaire. Désormais, au Québec, une université pourrait décider de suspendre ou de renvoyer tout professeur qui exprimerait des opinions en désaccord avec sa position officielle.

Les sanctions à l’égard des professeurs Provost et Derome sont extrêmement graves et signifient un recul sans précédent de la liberté d’expression. Cette liberté est le fondement même des universités depuis le Moyen-Âge, et avec le maintien de ces sanctions, l’Université Laval, au lieu d’en être la gardienne, en est devenue la fossoyeuse.

Les professeurs Provost et Derome auront purgé leur suspension jusqu’au bout, une situation hautement inacceptable ayant suscité de nombreuses critiques auxquelles vous n’avez pas même daigné répondre. Nous vous demandons maintenant de faire amende honorable en leur présentant des excuses publiques et en présentant des excuses à la communauté universitaire.

Nous vous demandons finalement de leur verser les arriérés de salaire qui leur sont dus après huit semaines de suspension injustifiée. Et bien entendu, nous vous demandons d’honorer dorénavant, et pas que sur papier, le principe de la liberté académique.

Maximilian C. Forte, professeur d’anthropologie, Université Concordia
Anne-Hélène Jutras, chargée de cours à la Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal

Ont cosigné cette lettre (en ordre alphabétique) :
Yves-Marie Abraham, professeur agréxgé, HEC Montréal
Anne Marie Begué-Simon, Ph. D. en anthropologie et M.D., maitre de conférences des universités en socio-anthropologie à la Faculté de médecine de Rennes et ancienne professeure associée à l’Université Concordia
Monique Boily, professeure associée, département des sciences biologiques, UQAM
Douglas Bryce Farrow, professeur de théologie et d’éthique, Université McGill
Laurence Capus, professeure agrégée, Université Laval
Alessandro Colizzi, professeur associé, Politecnico di Milano (anciennement professeur à l’UQAM)
David Conciatori, professeur agrégé, Département de génie civil et de génie des eaux, Université Laval
Alain Deneault, professeur de philosophie, Université de Moncton
Myriam Ertz, professeure de marketing, Université du Québec à Chicoutimi
Marie Fall, Ph. D., professeure au Département des sciences humaines et sociales, Université du Québec à Chicoutimi
Laurence Guillaumie, Ph. D., professeure agrégée, Faculté des sciences infirmières, Université Laval
Serge Guiot, professeur associé, Université de Montréal
Paul H. Naccache, Ph. D., professeur titulaire à la retraite, Faculté de médecine, Université Laval
Emmanuel Hamel, Ph. D. en actuariat, chargé de cours à l’École d’actuariat de l’Université Laval et scientifique de données à l’Autorité des marchés financiers
Dr Paul Héroux, professeur de toxicologie et des effets de l’électromagnétisme sur la santé, Université McGill
Pierre J. Hamel, INRS
Claudine Jouny, enseignante en soins infirmiers, Cégep du Vieux-Montréal
André Joyal, Ph. D., 4 fois vacciné et survivant de la COVID
Marie-France Labrecque, professeure émérite, anthropologie, Université Laval
Valérie Lafrance, D. Ps., UQAM
Philippe Langlais, professeur titulaire au département d’informatique, Université de Montréal
Philippe Langlois, enseignant en science politique au Collège militaire royal de Saint-Jean-sur-Richelieu
Chantal Lapointe, Ph. D. en philosophie
Paul-André Lapointe, professeur titulaire au département des relations industrielles, Université Laval
Frédéric Lasserre, professeur au département de géographie, Université Laval
Dr Luc Lemaître, DMV, Université de Montréal
Daniel Lemire, professeur d’informatique, Université du Québec, TELUQ
Christian Linard, Ph. D., DEPD en biochimie clinique
Hélène Makdissi, professeure titulaire, Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage, Faculté des sciences de l’éducation, Université Laval
Normand Mousseau, professeur de physique, Université de Montréal
Lise Parent, Ph. D., professeure en sciences de l’environnement, Université TÉLUQ
Valériane Passaro, professeure, Département de mathématiques, Université du Québec à Montréal
Patrice Poubelle, professeur titulaire retraité, Faculté de médecine, Université Laval
Chantal Pouliot, professeure de didactique des sciences, Université Laval
Hadi Qaderi, professeur en science politiques, Cégep de Saint-Jérôme
Ariane Quintal, candidate au doctorat en bioéthique, Université de Montréal
Geneviève Rail, Ph. D., professeure émérite distinguée, Université Concordia
Denis Rancourt, Ph. D., chercheur, Association des libertés civiles de l’Ontario
Christophe Reutenauer, professeur de mathématiques, UQAM
Dany Rondeau, professeure de philosophie et d’éthique, Université du Québec à Rimouski
Fanie Roy, Ph. D. en psychologie, Université Laval
Josianne Roy, professeure de chimie, Campus Notre-Dame-de-Foy
Simon Ruelland, B. Sc. en biochimie et médecin omnipraticien, Côte-Nord
Lucie Sauvé, professeure émérite, Institut des sciences de l’environnement, UQAM
Alejandra Sánchez Álvarez, chargée d’enseignement en éducation à la petite enfance et conseillère pédagogique, Université Capilano
Jean-Philippe Sapinski, professeur d’études de l’environnement, Université de Moncton
Dr Snezana Stanojlovic, M. D., Université de Montréal
Paula St-Arnaud, psychoéducatrice, M. Sc., chargée de cours et candidate au doctorat en administration publique
Hugh Thomas, professeur de mathématiques, UQAM, et titulaire d’une chaire de recherche du Canada
Johanne Villeneuve, professeure titulaire au département d’études littéraires, UQAM
Florence Vinit, professeure au Département de psychologie, UQAM

*Sophie d’Amours est rectrice de l’Université Laval, Lyne Bouchard est vice-rectrice à l’équité, à la diversité et à l’inclusion et aux ressources humaines, Jean Lemay est vice-recteur adjoint à l’équité, à la diversité et à l’inclusion et aux ressources humaines, et Michel J. Tremblay est vice-recteur adjoint à la recherche, à la création et à l’innovation.

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