LIVRES / Vie politique : après le mouvement, la pause ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah 

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Mémoires. La haine comme rivale, 1987-1997. Tome III. Mémoires de Saïd Sadi, Editions Frantz Fanon, Alger 2023, 589 pages, 2.000 dinars

Tome I : L’auteur restitue tout ce qui fait la vie d’un être humain, de sa famille, de sa société, de ses rêves, de ses espoirs. Bref, pour beaucoup, en fait, il « Nous » raconte. Un ouvrage qui a couché sur papier des situations et un vécu mais surtout des « états d’âme »… et, en les lisant, « nous sommes tous Kabyles ». Certes, beaucoup de longueurs, mais ne pas se décourager…, pour mieux comprendre la suite…

Après avoir terminé la lecture du Tome I, on savait que l’aventure du « Fils du pauvre » n’était pas terminée. Avec le Tome II, l’auteur nous fait participer à la vie presque intime de tout un groupe, se faisant et parfois se défaisant au fil du temps, les anciens du lycée Amirouche de Tizi Ouzou surtout, devenus étudiants à Alger, tentant, avec succès (on le verra par la suite) malgré les multiples obstacles, les incompréhensions et le « système » au pouvoir, de « penser » un projet de société alternatif, adossé à une identité qu’ils estimaient niée, une société ouverte sur l’universel et le monde. Face à la mentalité « révolutionnariste », nationaliste et arabiste de l’époque, au parti (politique) unique, le FLN, à la poigne de fer de H. Boumediene… et sans le soutien des autres partis (clandestins mais apportant un « soutien critique » au régime en place), la place médiatique étant occupée par les seuls médias publics (dont la radio qui, heureusement, avait une petite fenêtre (parfois) ouverte avec la Chaîne II qui diffusait en kabyle), la tâche n’était pas facile. Elle était même dangereuse.

C’est tout ce cheminement qui nous est raconté, parfois dans ses moindres détails, et bien plus, ce qui a donné des « bretelles » éditoriales toujours intéressantes car instructives… politiquement.

Enfin, le Tome III. Un ouvrage toujours aussi volumineux, ce qui démontre pleinement, une fois de plus, que l’auteur en a vraiment « gros sur le cœur », racontant la vie politique (et socioculturelle) du pays durant toute une décennie. Une décennie agitée, tragique même par bien de ses côtés, donnant à l’homme politique du moment une dimension hors du commun. Une vie « professionnelle » et familiale agitée en raison du terrorisme islamiste, ayant sévi durant presque plus d’une décennie, et des autres pressions et « coups fourrés » politiques, celles qui nous sont propres et celles venant surtout d’outre-mer, avec leurs entêtements, leurs prétentions, leurs haines et/ou leurs ressentiments : des anciens opposants « exaspérés par des prétentieux s’immisçant dans une scène réservée à l’aristocratie guerrière », « une frange de l’aristocratie guerrière ne souhaitant pas se défaire d’un pouvoir exercé sans partage depuis l’indépendance, des islamistes pensant « que les laïcs souillaient la Oumma », un courant socialiste français « diabolisant des intrus réfutant la fable islamo-tiers mondiste qui devait, sinon occulter, du moins relativiser ses coupables égarements » et, une fois de plus, « s’enfonçant dans la suffisance et la fuite en avant »… et, surtout, un système politique qui, malgré des réformes politiques issues d’Octobre 88, n’arrivait pas à penser et agir « autrement ». Une « parenthèse »…, l’arrivée sur la scène de Mohamed Boudiaf… qui fut assez vite, hélas, « rattrapé par la haine ».

Difficile, même pour « une génération atypique », de lever tous ces obstacles. Sans pourtant se décourager… et attendre (tout en « travaillant à la laborieuse et risquée sensibilisation des concitoyens ») qu’une « levée en masse des patriotes provoque un raz-de-marée qui bouleverse le paysage politique national et emporte l’hydre clanique ». L’espoir d’un « hirak » quoi !

L’Auteur : Né le 26 août 1947, médecin psychiatre. Militant, déjà très jeune, pour la langue et la culture berbères, les Droits de l’homme et les libertés démocratiques. Il fonde, en février 1989, le RCD, parti social-démocrate laïc qu’il présidera jusqu’en mars 2012. Il a été député (APN) et, aussi, candidat à l’élection présidentielle. Auteur de plusieurs ouvrages (dont « Mémoires. La guerre comme berceau, 1947-1967 ». Tome I. Editions Frantz Fanon, 400 pages, 1.200 dinars et « Mémoires. La fierté comme viatique. 1967-1987 ». Tome II. Editions Frantz Fanon, 558 pages, 1.500 dinars).

Sommaire : Dédicace à Mustapha Bacha, « dont la courte vie fut une longue fidélité » / Avant-propos/ Dix chapitres/ Index.

Extraits : « Dans un pays où la majorité des populations vivait dans le dénuement, il eût été socialement préjudiciable de laisser la production gérée par une concurrence sans limite, d’autant que nous savions l’administration incapable d’avoir un suivi fiscal efficace » (p 39), « L’avènement de l’islamisme était un avatar du nationalisme arabe auquel s’était substitué un radicalisme religieux qui a du reste toujours existé dans le mouvement national (p 168), « On ne peut pas indéfiniment confier à des charlatans l’école, la mosquée, la justice ou les médias publics et ne pas s’exposer au bout du chemin à de sévères retours de manivelles » (p 204), « Ben Bella, tu peux faire quelques pas avec lui. Mais si vous croisez quelqu’un, il ne faut plus le chercher à tes côtés, il est déjà avec celui que vous avez rencontré. Quant à Hocine (note : Aït Ahmed), c’est un drame. Quand tu crois avoir enfin trouvé un accord avec lui pour passer à l’action, il invente des théories, il s’écoute pour ne pas travailler en collectif. C’est un adolescent qui a décidé de s’aimer » (p 269), « Nous étions tellement conditionnés à voir les nôtres assassinés qu’une disparition par mort naturelle nous paraissait comme une absence anormale et donc nécessairement provisoire » (p 421), « La fraude de la présidentielle de 1995 ne fut pas le fait de Zeroual qui n’avait pas le narcissisme hypertrophié des despotes du FLN » (p 499), « La machine bureaucratique algérienne était indéchiffrable par la logique et les lectures politiques académiques. Le tribalisme était la clé des constructions administratives et institutionnelles, avec son lot de promotions anachroniques, de paupérisation, d’insécurité et d’orientations stratégiques imprévisibles » (p 516).

Avis : Quelle mémoire ! Que de détails ! Un « pavé » très épais, trop épais, très riche, trop riche en informations, en événements et… en révélations, avec des noms, des lieux et des faits… qui ne se lit pas d’un seul trait… On se perd dans les détails et on en oublie l’essentiel. Ceci était valable pour le tome II, le premier retraçant l’aventure de l’encore jeune « Fils du pauvre » étant bien plus passionnant.

Citations : « La laïcité organise l’autorité autour de la citoyenneté qui s’impose au militaire et réfute la théocratie » (pp 29-30), « Quand la subjectivité prend le pas sur la raison, la moindre remarque peut se transformer en schisme » (p 33), « Le système FLN était plus qu’un cadre politique rigide; c’était d’abord et avant tout une conception addictive du pouvoir » (p 65), « Il y a pire que le malheur : savoir qu’il vous est impossible de regarder au-delà de votre quotidien » (p 162), « Chez nous, l’intégrisme c’est comme la mort, on n’en fait l’expérience qu’une fois » (p 228) , « Obsolètes et dépourvues d’autonomie, les entreprises publiques algériennes constituent aujourd’hui encore le tonneau des Danaïdes de notre économie » (p 334), « La méconnaissance entre les individus ou simplement l’absence d’échange avait construit une contre-société où les uns et les autres se firent de leur vis-à-vis l’opinion que mettaient à leur disposition la rumeur ou, plus grave, la désinformation » (p 345), « La raison est, par essence, le contraire du dogme, fondement et mécanique des intégrismes » (p 357), « Telle est la dure loi kabyle. On ne s’appartient pas, on ne se sépare pas du groupe qui vous a enfanté » (p 418).

Révolution du 22 février. Du miracle au mirage. Une impasse algérienne. Recueil d’articles et de contributions de Saïd Sadi. Editions Frantz Fanon, Alger 2022, 302 pages, 1.000 dinars -Fiche de lecture déjà publiée. Extraits, pour rappel. Pour lecture complète, voir in ww.almanach-dz.com/viepolitique/bibliotheque dalmanach).

Dans le premier tome, édité en 2019, le titre était bien plus court et bien plus optimiste, puisqu’il parlait seulement de « Miracle algérien ». Seulement ! En trois années, les choses ne s’étant pas passé comme il le fallait, le sous-titre de l’ouvrage, « augmenté », est assez pessimiste : « Du miracle au mirage ». C’est tout dit.

Les articles de l’auteur -des contributions « écrites au jour le jour et dans le feu de l’action- reflètent, en fait, fidèlement, à plusieurs interrogations récurrentes : pourquoi en Algérie plus qu’ailleurs, il ne suffit pas de provoquer une puissante mobilisation en faveur de la rupture pour qu’elle soit entendue et assumée par celles et ceux qui disent comprendre les colères qui les sous- tendent ? Pourquoi les appels à une convention nationale pour définir les mécanismes et les retombées des multiples « révolutions » (dont celle de février 2019) se sont-elles retrouvées « condamnées » ? A cause de… l’aliénation des élites ? Peut-on aussi se suffire de la Diaspora, se retrouvant -« du fait de la violence étatique et sociale- l’essentiel de la ressource humaine algérienne assumant (le pouvait-elle ?) « le rôle de traducteur institutionnel d’une insurrection citoyenne inédite » ? En Algérie même, un « groupe déterminé », assumant la substance politique de l’ALD (Charte pour l’Algérie libre et démocratique) appelait à une convention nationale pour définir les mécanismes, les méthodes et les délais d’une transition. Tout cela face aux « manœuvres du pouvoir qui jouait la montre ».

Beaucoup d’interrogations (….)

Beaucoup (trop ?) de sujets abordés (….)

Un recueil où tout y passe (….). Un « testament » ?

Table des matières : Avant-propos/ Avertissement/ Chroniques (45)

L’Auteur : Voir plus haut

Extraits : « L’Algérie officielle est une mixture de léninisme sans marxisme, de fondamentalisme sans le clergé connu chez les Chiites et de jacobinisme sans la culture républicaine » (p 35), « Le problème avec les hommes aveuglés par la haine et qui ont perdu contact avec le réel, c’est qu’ils finissent par croire que la réalité n’est pas ce qu’elle est mais ce qu’ils ont décidé qu’elle devienne. Ils mentent mais ils n’en ont pas conscience » (p 172).

Avis : Un recueil qui permet d’avoir une idée sur le déroulé de l’Histoire récente (….).

Citations : « Les révolutions qui marquent l’histoire sont celles qui élaborent les bonnes doctrines, prennent les bonnes décisions, adoptent les bonnes méthodes, le tout se transmettant dans l’histoire par des actes symboliques » (p 32) ), « Un peuple qui récupère sa mémoire sort rarement de l’histoire » (p 61), « L’histoire enseigne qu’il est souvent plus simple de venir à bout d’un ennemi que de vaincre ses propres démons » (p 81), « Il n’y a d’impasse que celle dont on ne veut pas sortir » (p 177).


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