La visite du président français Emmanuel Macron au Liban, la deuxième en moins d’un mois, ne peut pas laisser indifférent tant elle fait naître des sentiments contradictoires. Il est certain que le peuple libanais a besoin d’aide pour faire face à une crise profonde. La situation sanitaire est dégradée, le nombre de cas de Covid-19 explose, les banques limitent les retraits de liquide (et clament qu’elles sont au bord du gouffre, mais on n’est pas obligé de les croire…) tandis que la pauvreté concerne désormais près des deux tiers de la population. Et ce qui est certain, c’est que ce n’est pas la classe politique libanaise – toutes tendances confondues, autrement dit Hezbollah compris – qui est capable de sortir le pays de l’ornière.
La stratégie de ces politiciens est connue : attendre, gagner coûte que coûte du temps, faire le dos rond face à la contestation populaire et parier sur le fait que les pays occidentaux et ceux du Golfe finiront tôt ou tard par allonger l’argent. Cet attentisme ressemble d’ailleurs à ce qu’a toujours été la stratégie des dirigeants algériens qui, sur le long terme, préfèrent attendre une hausse des cours du pétrole et du gaz naturel plutôt que d’engager de vraies réformes et une diversification concrète de l’économie. L’inertie est l’une des pire calamités du monde arabe et elle n’existe que parce que ceux qui tiennent les pays n’ont pas envie que les choses changent. Il y a donc quelque chose de réjouissant à voir Emmanuel Macron sommer les politiciens libanais de se dépêcher de s’entendre autour du nom d’un premier ministre, lequel a finalement été nommé quelques heures avant son arrivée à Beyrouth. Au doigt et à l’œil… Et Macron veut plus ! Il exige, ou plutôt il attend fortement qu’un gouvernement « de mission fait de professionnels » et composant « une équipe la plus solide possible »soit constitué d’ici deux semaines.La feuille de route est claire.
Dans la capitale libanaise, le président français a rencontré tous les représentants des partis politiques avertis dès son arrivée qu’il considérait cette période comme la « dernière chance » pour le système politique libanais. Et comme le ferait un répétiteur sévère et opiniâtre, il a promis de revenir à Beyrouth en décembre et d’organiser en octobre une conférence internationale d’aide au Liban à Paris. Le message délivré par le numéro un français est limpide : pas de réformes, pas d’aide financière. Au passage, on observera avec attention le ballet diplomatique qui va suivre cette visite. Si la France n’entend pas exclure le Hezbollah des discussions, les États-Unis, eux, vont tout faire pour rappeler aux Libanais que les sanctions contre leurs banques seront maintenues tant que ce parti demeurera intégré au gouvernement.
Mais revenons à Emmanuel Macron. Il se rend donc en visite à deux reprises au Liban. Il secoue le cèdre, réclame un gouvernement et des réformes, organise une conférence d’aide et annonce déjà son retour en décembre. Vu de loin, la question qu’on est tenté de lui poser est : au nom de quoi ? Autre variante : mais… t’es qui, toi ? Bien sûr, on lit en ce moment des kilomètres d’articles sur les liens « profonds » entre la France et le Liban. Le quotidien Le Figaro peut même titrer « il y a cent ans, la France créait l’État du Grand-Liban » (1er septembre 2020) ce qui, en soi, est historiquement vrai même si ce genre de formulation nécessite quelques précisions et nuances. Mais tout de même ! Faut-il juste rappeler que ce qui se passe au Liban concerne avant tout les Libanais et que le temps des férules et des protectorats est révolu, du moins officiellement.
Certains vont y trouver la preuve que l’ancienne puissance coloniale qu’est la France n’a pas perdu ses vieux réflexes d’interventionnisme. Il est effectivement très facile de crier à l’ingérence tout comme il est facile de fustiger la minorité d’excités qui, au lendemain de la double explosion du port de Beyrouth, ont réclamé que la France prenne en main les affaires libanaises. Mais le plus judicieux serait de s’interroger sur les raisons qui ont mené à cette situation. La France a certainement ses responsabilités, notamment dans la mise en place d’un système confessionnel que beaucoup aujourd’hui veulent voir disparaître au profit d’un État laïc (plus facile à dire qu’à faire). Mais le clientélisme, la corruption, les charges qui se transmettent de pères en fils, ces partis politiques tenus d’une main de fer par une famille, ces banques qui font ce qu’elles veulent, tout cela est d’abord le résultat de la faillite de classes dirigeantes et des élites libanaises qui n’ont que faire de l’État. Quelle que soit l’oligarchie, qu’elle soit sunnite, chiite, maronite ou druze, l’État est pour elle une commodité, un moyen qu’il s’agit de contrôler au mieux, voire de partager avec les rivaux, sans pour autant lui permettre de se substituer à cet ordre féodal qui perdure. Quitte à terme à faire sombrer le pays dans l’anarchie. Finalement, au Liban, comme ailleurs dans le monde arabe, Algérie comprise, c’est le « système » qui est le meilleur pour ouvrir la porte aux ingérences extérieures.