LIVRES / YA HASRA ALA Z’MEN ?

         par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                                                 Livres

La Cantera. Il était une fois Bab El Oued. Récit de Mahdi Boukhalfa, éditions Dar El Qobia, Alger 2021, 233 pages, 800 dinars

Bab El Oued, un nom de quartier certes mais aussi et surtout un pan de l’Histoire du pays, histoire tourmentée ou paisible, dramatique ou joyeuse, un quartier d’Alger populaire plus que tous les autres, tous emblématiques. Il y a(vait) du Bronx, du Broadway et du Harlem.

Il ne faut surtout pas croire que Bab El Oued est né ou n’a existé qu’avec les pieds-noirs. Rien de plus faux même si des écrits outre-Méditerranée essaient de faire croire le contraire. Bab El Oued a toujours existé. C’est un quartier intemporel et, bien avant qu’il ne vienne à la vie avec la colonisation française, il y avait déjà des baraques, au début disparates, sommaires, abritant des immigrants, arrivés d’Europe, («renégats» corses, italiens, hollandais…), venus chercher l’aventure, l’argent et peut-être la gloire. A partir de 1830, les miséreux de toute la Méditerranée vont s’établir dans la petite plaine, en retrait de la porte de Bab El Oued, près de la carrière de Sidi Bennour (en espagnol, La Cantera), et former l’actuel quartier, futur ville européenne d’Alger. Le reste est une longue histoire qui dure encore avec sa parenthèse «pied-noir», parenthèse qui, en fait s’est limitée au centre du quartier, suivie après l’indépendance du pays par une toute autre histoire, celle vécue jusqu’ici et pour toujours, celle que raconte l’auteur, un enfant du quartier.

Bab El Oued est alors devenu une sorte de New York avec ses immigrants, venus de la grande et de la petite Algérie, de tous les coins du pays et de toutes les conditions sociales, «une population plurielle, féconde, riche, rebelle», toute l’âme de l’Algérie libérée ! Mais un «cocktail détonnant, une perpétuelle étincelle de colère», avec, on le devine, avec le temps qui passe, un «insoupçonnable glauque underground de violence urbaine en gestation», avec ses drames (dont une inondation, le 10 novembre 2001, un «déluge» ayant fait plus de 1.000 morts et beaucoup de disparus), et ses révoltes (dont celle du 5 Octobre 88 qui a vu, le 10 octobre, une fusillade ayant fait des dizaines de morts -dont un journaliste de l’Aps, Sid Ali Benmechiche- et de blessés à l’entrée du quartier).

Aujourd’hui, Bab El Oued n’est plus ce qu’il était, il y a à peine une vingtaine d’années, et on assiste à la «tombée en ruines dramatique d’un quartier hier emblématique». «Une plaie sociale ouverte. «Assaouar» (à savoir)» ?

L’Auteur : Né en 1955 à Alger, socio-urbaniste de formation, journaliste depuis février 1983 (à l’Aps où il fut chef de bureau à Bordj Bou Arréridj, puis à Blida, puis à Rabat, puis Horizons, El Moudjahid, Le Quotidien d’Oran, Maghrebemergent.info…). Auteur de plusieurs ouvrages dont «Mama Binette, naufragée en Barbarie», « Pavillon Covid-19 (sept jours en enfer)» «la Révolution du 22 février»…

Sommaire : Avertissement/ Préambule/Avant-propos: Voyage dans le temps/Chapitre I :Au début, il y avait l’immigration/Chap. II : Le Ventre de Bab El Oued/Chap. III :La gifle, un éveil urbain brutal/ Chap. IV : Contes joyeux du Livre d’or/ Chap.V : Football et musique, les années folles/ Chap.VI : A Franco, tout le monde descend/ Chap.VII : Rambla, motos et pickpockets/ Chap.VIII : Octobre 88, le drame/ Chap IX : Tant qu’il y aura des villes/ Chap X : Bab El Oued Eddah El Oued/ Epilogue : Pleure Ô Bab El Oued bien-aimé

Extraits : «Au cœur d’Alger la Blanche, Bab El Oued : un monde, un univers où chacune de ses grandes artères comme ses plus petites ruelles, ses obscures venelles, recèlent mille et une curiosités» (p 10), «Il y a, en réalité, cette terrible «scoumoune» qui persécute ce quartier, au point que l’on se pose cette terrible question : par grands cycles temporels, le sort s’acharne-t-il sur Bab El Oued, un quartier plusieurs fois martyr» (p 46), «Bab El Oued a été assassiné, tué par ses mauvais habitants comme par ses gestionnaires, ces élus qui n’ont ni la compétence ni le pouvoir, encore moins la volonté de l’entretenir et le prémunir de la prédation des hommes et la fatalité du Temps» (p 225).

Avis : Un récit ponctué de «coups de cœur» et de souvenirs de jeunesse… et beaucoup de nostalgie.

Citations : «Bab El Oued, ce quartier intemporel, a toujours existé. Bien avant qu’il ne vienne à la vie avec la colonisation française, abritant des immigrants européens, venus chercher l’argent et la gloire «(p 21), «Bab El Oued est une histoire fabuleuse, un univers parallèle, un monstre urbain pourtant attirant, attachant, né dans la pauvreté, la vie dure, la sueur et le labeur» (p 25), «Au-delà de toutes les contingences, quelles qu’elles soient ou qu’elles aient été, il est jusqu’à nos jours et à la fin des temps, le quartier le plus populaire, le plus emblématique, le plus beau, le plus fantasque, et là où il fait encore bon vivre» (p 35), «Le «beldisme», ce comportement sociologique typiquement urbain, qui n’est pas forcément une qualité, est un des phénomènes de déviance sociale le plus nocif et le plus dangereux pour la collectivité. Il n’est productif d’aucune valeur ajoutée, aucune plus-value; bien au contraire, il est source de différends, de décadence sociétale et de violences et de crises urbaines» (p 211).

La Casbah et ses petits yaouled. Un «roman» historique de Mohamed Lamhene. Thala Editions. Alger 2007. 126 pages, 250 dinars (Pour rappel. Fichede lecture déjà publiée).

Je l’avais entendu, un jour à la Radio (Chaîne 3) alors, qu’interviewé, il racontait sa vie de «Yaouled», de jeune collégien dont le père s’était exilé pour ne (presque) plus revenir au pays, de fonctionnaire des PTT, du racisme pied-noir, des amitiés sincères, de militant de la cause nationale, du football qu’il aimait, des camps de concentration qu’il a traversés, de l’Indépendance, des amis perdus ou retrouvés. C’était tout simplement super ! On revivait avec lui, en direct, toute une vie… sans se soucier des embouteillages et sans «zapper».

Je l’ai rencontré quelques jours plus tard, à travers un livre. En le feuilletant dans une librairie. Un livre de souvenirs qui remonte le temps de manière prenante. Il raconte la Casbah, ses habitants, ses enfants, les fameux «Yaouleds», qui, pour survivre, exerçaient des petits métiers (cireurs, vendeurs de journaux, porteurs…), futurs héros, ses maisons, ses ruelles, sa convivialité, sa propreté, ses joies communes, ses côtés obscurs aussi, sa force durant la guerre de libération nationale.

C’est écrit simplement, dans une langue que l’on ne retrouve, hélas, plus que chez la «vieille «école». Fluide, limpide, concise, claire, sans fioritures. 126 pages qui se lisent vite mais dont chaque phrase a une signification précise.

Avis : Un livre qui devrait avoir sa place dans la liste des titres à conseiller aux jeunes collégiens et lycéens. Peut-être des «morceaux choisis». Certes pour apprendre le bon et le vrai français, mais aussi et surtout pour connaître l’âme de la Casbah, le cœur de leur pays.

Phrases à méditer : il n’y en a pas. Sauf qu’il faudrait lire, en fin d’ouvrage, le court poème dédié à son grand amour, l’Algérie, avec ces deux derniers vers : «Algérie, pays bien-aimé / Tu pourrais être un vrai paradis sur terre». C’est bien dit. C’est tout dire.


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