Marzouki: «La relance du Grand Maghreb dépend d’une issue heureuse de la révolution en Algérie» (Exclusif)

Christine H. Gueye

Très attaché à la relance d’un grand Maghreb, au moment où un vent démocratique souffle sur l’Algérie, l’ancien Président tunisien Moncef Marzouki s’insurge contre «l’axe du mal» représenté, selon lui, par les États pétroliers du Golfe, l’Arabie saoudite et l’Égypte. Il les invite à cesser d’exporter le «chaos» au Maghreb.

Moncef Marzouki ex-Président de la Tunisie
Moncef Marzouki ex-Président de la Tunisie © SPUTNIK

Arrivé au pouvoir dans son pays, la Tunisie, en 2011 à la suite d’une révolution populaire ayant mis fin au règne de Zine el-Abidine Ben Ali, Moncef Marzouki, qui fut médecin et militant des droits de l’Homme avant d’être propulsé Président par intérim, a été battu dans les urnes, en 2014, par Béji Caïd Essebsi.

Invité de Sputnik France, jeudi 20 juin, Moncef Marzouki se montre très prudent quant au renouvellement de sa candidature lors de la prochaine élection présidentielle tunisienne, fixée au 10 novembre 2019.

Très échaudé par les nombreuses critiques dont il a fait l’objet après avoir été accusé de s’être «rallié» aux islamistes, il reconnaît les avoir défendus en tant que militant des droits de l’Homme «parce que c’était mon devoir», dit-il et, aussi, d’avoir été contraint d’entrer dans une coalition «parce qu’il n’y avait pas d’autre solution pour gouverner la Tunisie», mais certainement pas d’avoir fait une alliance idéologique avec eux.

«J’ai une vision pour mon pays qui est politique et pas du tout idéologique. De toutes les façons, Ennahdha ne s’est encore prononcé pour aucun candidat à la présidentielle. J’aviserai donc le moment venu», a-t-il déclaré au micro de Sputnik France.

Comparant ce qui se passe actuellement dans les rues d’Alger avec le «Printemps arabe» qui a déferlé à partir de 2011 à la suite de la révolution populaire en Tunisie, il a confirmé ce qu’il avait déjà déclaré au micro de la chaîne Al Jazeera: «les dirigeants algériens, récemment déchus, ont soutenu la « contre révolution » en Tunisie en 2014».

«Les dirigeants algériens, aujourd’hui déchus ou en prison, ont eu très peur de la révolution en Tunisie. Ils voyaient d’un très mauvais œil le gouvernement démocratiquement élu et le début de la lutte contre la corruption. Ils ont donc appuyé de façon directe et indirecte l’ancien régime mais ce qu’ils redoutaient le plus, la contagion tunisienne, a fini par arriver chez eux. Hélas, au moment où la Tunisie est elle-même rentrée en récession démocratique…»

Pour lui, la révolution populaire en Algérie va non seulement servir de «bouclier» pour les changements à venir en Tunisie «après la fermeture de la parenthèse de la contre révolution», mais elle devrait également permettre de relancer le projet d’un Grand Maghreb (libre circulation entre l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie) que les peuples maghrébins appellent de leurs vœux, affirme-t-il au micro de Sputnik.

«J’ai confiance dans la détermination du peuple algérien, qui est un grand peuple. Depuis 16 semaines, les Algériens manifestent tous les week-ends et, contrairement à ce qui s’est passé en France [la crise des gilets jaunes, ndlr], il n’y a eu ni œil crevé, ni main arrachée. Ce pays est en train de donner l’exemple de la conduite d’une révolution démocratique pacifique et, surtout, d’une révolution qui ne s’en laisse pas conter.»

Contrairement aux Tunisiens, qui ont été «naïfs» en acceptant de faire la transition avec l’ancien régime, les Algériens, eux, n’accepteront pas que le système se perpétue. Dans ce cas, il y aura «une vraie rupture en Algérie» et «un rapprochement avec le Maroc deviendra alors possible», levant le principal obstacle à la réalisation d’un grand marché au Maghreb susceptible de regrouper plus de 100 millions d’habitants, prédit-il. Quant au rôle que la Tunisie pourra jouer dans ce rapprochement, il réitère sa conviction que:

«L’avenir de la Tunisie est dans un espace maghrébin et un espace africain dont elle s’est longtemps exclue. Dès 2012, j’ai entrepris une tournée des capitales maghrébines pour tenter un rapprochement entre le Maroc et l’Algérie sur la question de l’abrogation des vielles frontières qui sont une aberration aussi bien pour les peuples que pour les États, mais le niet est toujours venu des dirigeants algériens», accuse-t-il.

À condition que ce qu’il appelle le «virus émirati», en référence à des interventions déstabilisatrices, partout dans le monde arabe, de la part des monarchies pétrolières du Golfe, ne frappent à leur tour l’Algérie. Malgré le danger du déclenchement d’une nouvelle guerre civile qui n’a pas complètement disparu, il se montre toutefois optimiste:

«Les Émiratis ont déjà mis toutes leurs billes dans la balance pour casser les révolutions arabes, sans y parvenir. Que ce soit au Yémen, en Syrie, en Libye, en Égypte voire en Tunisie, il y a des forces qui les dépassent et, maintenant, avec l’arrivée des Algériens et des Soudanais sur le marché de la révolution, c’est devenu trop gros pour eux!», estime-il.

De surcroît, une « émiratie phobie» est en train, selon lui, de se développer partout dans le monde arabe et, notamment, à l’encontre du prince Mohammed ben Zayed Al Nahyane qu’il qualifie d’«homme le plus haï» par les 22 États composant la «nation arabe».

Même s’il inclut l’Arabie saoudite et le grand voisin égyptien dans «l’axe du mal» ayant conduit au pourrissement de la situation au Soudan et en Libye, notamment, il entrevoit un «sursaut» identitaire de la part des États du Maghreb pour ne pas se laisser à leur tour gangrener:

«Je suis persuadé qu’il va y avoir un sursaut du Maghreb par rapport au Machrek pour mieux marquer, désormais, son pré carré. Car les Maghrébins en ont assez des puissances moyen orientales qui exportent le chaos chez eux!», affirme-t-il au micro de Sputnik.

Quant aux alliés occidentaux, Moncef Marzouki reste dubitatif sur leur détermination à appuyer le processus révolutionnaire démocratique des peuples en cours dans le monde arabe, tant ils donnent l’impression de vouloir continuer à soutenir des «régimes forts» comme, actuellement, en Arabie saoudite ou en Égypte, affirme-t-il:

«Je suis malheureusement mieux compris en Occident par les organisations de la société civile que par les gouvernements. Le soutien aux « hommes forts » n’a pas marché dans le passé. Alors, pourquoi refaire la même erreur et poursuivre une politique qui va entraîner des révolutions et des contre révolutions, affaiblir les États et amener toutes sortes de problèmes aux frontières de l’Europe?»

Concernant le rôle de la Russie dans cette région, il abonde dans le sens de son compatriote Slaheddine Jammali, représentant spécial de la Ligue arabe en Libye, qui a appelé de ses vœux une implication plus grande de la Russie face aux intérêts divergents des puissances occidentales pour parvenir, notamment, à une cessation des hostilités en Libye.

«Il y a une russophilie naturelle de la part des Arabes qui remonte loin dans l’Histoire, depuis l’empire des Tsars. Mais elle a été entachée par l’intervention de la Russie en Syrie. J’espère pour ma part que Moscou va pouvoir éteindre l’incendie en Syrie, mais sans Bachar el-Assad, et participer aussi à la stabilisation de la Libye.»

Pour la Tunisie, «qui a dû accueillir, deux millions de réfugiés libyens en 2011, sur une population de 10 millions d’habitants», une résolution pacifique et durable de la crise libyenne est un enjeu majeur, encore plus que pour les Européens, rappelle Moncef Marzouki.


juin 27, 2019

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Le Tunisien Marzouki s’acharne encore contre l’Algérie à partir du Maroc

Marzouki Tunisie Maroc
L’ancien président tunisien Moncef Marzouki

Par Tarek B. – En visite au Maroc dans le cadre d’une activité partisane à l’occasion de laquelle il a été également reçu en audience par le roi Mohammed VI, l’ancien président tunisien Moncef Marzouki a cru bon de déballer ses platitudes bouffies de ressentiments contre l’Algérie sur les raisons du blocage de l’intégration maghrébine. S’exprimant à un média étranger, l’ex-chef d’Etat tunisien a utilisé les espoirs suscités par la transition politique en Algérie comme «cheval de Troie» pour donner une seconde vie à son agenda pro-marocain, qu’il a échoué à appliquer durant son séjour expéditif et plutôt insignifiant au palais de Carthage.

Ce n’est pas la première fois que l’ex-président tunisien fait preuve d’ingratitude à l’encontre de l’Algérie. Son empressement à commenter la situation interne algérienne est un indicateur de l’ampleur de son ressentiment et de ses frustrations.

Toutefois, la virulence de cette nouvelle sortie médiatique atteint le summum de l’ingratitude puisqu’elle émane d’un homme politique ayant pourtant occupé une fonction présidentielle qui lui avait permis d’être un témoin privilégié des efforts algériens en vue d’accompagner la transition démocratique en Tunisie, au moment où ses partenaires traditionnels lui tournaient dos, y compris le Maroc qui s’attelait assidûment à récupérer les parts de marchés perdues par un concurrent traditionnel.

L’homme à la mémoire courte oublie qu’au moment où la Tunisie était en pleine tourmente économique, l’Algérie était un des rares pays à lui octroyer une aide financière d’un montant global évalué à quelque 500 millions de dollars.

Au plan politique, l’implication diplomatique d’Alger, au plus haut sommet de l’Etat, a été couronnée par un chiffre record jamais atteint dans des relations bilatérales avec aucun autre pays de 30 visites de haut rang échangées rien qu’en une seule année. Aussi, au moment où la Tunisie commençait à faire face à la menace terroriste et au phénomène du retour des combattants étrangers, l’Algérie a renforcé la coopération militaire et sécuritaire pour pallier, entre autres, le manque de moyens en la matière dont pâtit ce pays frère qui, à un certain moment, n’était plus en mesure de payer les soldes de ses personnels de sécurité.

Au plan humain, le chiffre record de presque deux millions de touristes algériens se rendant annuellement en Tunisie atteste de la force des liens de solidarité agissante qu’éprouve le peuple algérien lorsque son voisin de l’Est fait face à des difficultés en matière d’afflux et de fréquentation touristiques.

L’amnésie sélective de Marzouki face à ces multiples marques de sollicitude de la part de l’Algérie, gouvernement et peuple, n’est pas innocente. Loin s’en faut. En fait, elle exprime le ressentiment profond de l’ancien président tunisien qui croit pouvoir, en lançant quelques compliments frelatés en direction du hirak, se jouer de l’opinion publique algérienne pour se venger de deux «affronts» imputés injustement à l’Algérie.

Tout d’abord, au plan interne tunisien, Moncef Marzouki n’a pas digéré sa cuisante défaite lors de l’élection présidentielle de 2014 face à l’actuel chef d’Etat, Béji Caïd Essebsi, qui aurait, selon lui, reçu le soutien actif de la part du gouvernement algérien.

Ainsi, celui qui se voyait incarner le visage de la Tunisie nouvelle ne peut admettre une défaite aussi nette lors de la toute première élection au suffrage universel depuis la «révolution du Jasmin», dont le mythe exclusiviste est battu en brèche par les espoirs autrement plus prometteurs de la révolution tranquille qui est en cours en Algérie.

Ensuite, au plan maghrébin, l’ancien locataire du palais de Carthage a gardé une dent bien dure contre l’Algérie qui lui a signifié une fin de non-recevoir à son initiative de médiation entre le Maroc et son voisin de l’Est, qu’il espérait mener rondement au service du royaume de Mohammed VI dont il est d’ailleurs un sujet bien reconnaissant.

Une sorte d’«occupation pour combler le vide de sa fonction», avait alors ironisé l’ancien porte-parole du MAE algérien, qui avait qualifié, au passage, cette offre de «pure vue de l’esprit puisque tous les canaux sont ouverts» entre les deux pays. Celui qui a vigoureusement joué une partition marocaine, allant même à appeler de ses vœux le «retour » du Maroc à l’Union africaine, a également gardé un mauvais souvenir de la mise au placard de ses fantasques «cinq libertés», conçues pour revigorer l’UMA, mais qui, en fait, visaient à mettre à profit le contexte post «printemps arabe» pour dessiner une chimère de «nouvel ordre maghrébin», à la mesure des intérêts mercantilistes étroits de son pays natal et de ceux de son pays d’adoption.

Là aussi, Marzouki oublie, dans son ingratitude crasse envers l’Algérie, que c’est au Maroc qu’incombe l’échec de la tenue du 7e Sommet maghrébin qu’il avait appelé de ses vœux en 2012. Il ne recevra de son monarque (dont il se considère un sujet) qu’un bref déplacement officiel à Tunis qui, comble de l’ironie, est la première et unique visite bilatérale effectuée dans un pays maghrébin depuis l’intronisation de Mohammed VI en 1999.

Les fanfaronnades de l’ancien président tunisien, décidément en mal d’inspiration pour se remettre en selle dans la perspective de la prochaine élection présidentielle en Tunisie, ne résistent pas au tamis de la vérité objective qu’il a sacrifiée pour le compte d’une marocanité de rechange dont rien ne garantit qu’elle lui procurera une quelconque utilité politique dans son pays de naissance.

T. B.


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