Pr Mouley Charaf Chabou : «Sur les 1 140 météorites découvertes en Algérie, presque aucune n’est en possession du pays»

         Entretien réalisé par Salim KOUDIL


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Reporters : Vous avez été le premier scientifique algérien à avoir signalé la particularité de la météorite, connue sous le nom Erg Chech 002, découverte en mai 2020 et présentée comme la plus ancienne sur la planète Terre. Quels sont les contours de ce dossier dont l’importance est encore négligée en Algérie ?
Pr Mouley Charaf Chabou :
 J’ai été effectivement le premier, en juillet 2020, à signaler sur les réseaux sociaux l’importance de cette météorite exceptionnelle, soit deux mois après sa découverte en mai. La particularité de cette météorite est le fait qu’elle ne ressemble à aucune des 65 000 météorites recensées à l’heure actuelle. J’avais mentionné à l’époque que Erg Chech 002 va faire beaucoup parler d’elle dans les mois à venir, ce qui ne s’est pas fait attendre, puisque 8 mois après, en mars 2021, un article publié dans une prestigieuse revue scientifique a rendu le premier verdict concernant les caractéristiques de cette météorite et a confirmé sa particularité et son unicité. La presse du monde entier a relayé cette information qui a fait entrer la météorite Erg Chech 002 dans le livre Guinness des records. De quoi s’agit-il en réalité ? Erg Chech 002 est la plus ancienne roche volcanique (ou magmatique) du Système solaire -et non pas la plus ancienne météorite connue, comme cela a été rapporté par plusieurs organes de presse. C’est un peu le témoin de la plus ancienne lave volcanique du Système solaire : cette activité volcanique a eu lieu non pas sur la Terre, qui n’existait pas encore, mais sur des corps primitifs appelés protoplanètes, ancêtres de la Terre et des planètes du Système solaire. Avec Erg Chech 002, nous avons là le témoin de la plus ancienne croûte formée par une activité volcanique sur une protoplanète qui a probablement disparue aujourd’hui. Cette particularité n’a peut-être pas de signification palpable pour le commun des mortels, mais c’est une immense découverte pour les scientifiques spécialisés dans la quête de l’origine de la Terre et du Système solaire. Ces scientifiques qu’on appelle planétologues sont à l’image des historiens à la recherche d’une archive très rare qui leur permettra de déchiffrer l’histoire d’une civilisation passée. Les météorites sont pour les planétologues ce que les archives sont pour les historiens. Erg Chech 002 est certainement la « pierre de rosette » pour les planétologues. Un chiffre à retenir, 4,565 milliards d’années. C’est l’âge de Erg Chech 002.

Découverte dans le sud du pays certes, mais aucun morceau de cette météorite n’est en possession de l’Algérie. Comment expliquez-vous cette situation ?
C’est une situation qui a toujours été de règle. Sur les 1 140 météorites officiellement découvertes en Algérie, aucune n’est en possession du pays (à quelques exceptions près, deux ou trois à l’USTHB et quelques-unes à l’université d’Oran). Cela représente près de 3,48 tonnes de météorites sorties illégalement du pays. Ce pillage de notre patrimoine météoritique se faisait jusqu’au début des années 2000 au vu et au su de tout le monde. Des expéditions étaient organisées dans le Sud algérien par des soi-disants touristes (principalement venus d’Allemagne) avec tout le matériel de prospection et des 4×4, chaque expédition durait des semaines sachant qu’il est très difficile de trouver une météorite même en terrain désertique (une moyenne d’une ou deux trouvailles par jour après 10 ou 12 heures de recherche sans interruption dans un terrain favorable à la préservation des météorites). C’est ainsi que tout un champ de météorites localisé près d’Aïn Salah (champ d’Acfer) a été pillé, avec plus de 400 météorites trouvées dans l’Erg Acfer. Après les années 2000 et la prise de conscience des autorités de l’ampleur de ce trafic, il n’est plus possible à des touristes étrangers d’organiser des expéditions ou d’exporter des échantillons rocheux du pays. Le trafic a donc changé de méthodes, et désormais notre patrimoine météoritique est exporté à l’étranger via des réseaux de contrebande qui opèrent le long de notre frontière de l’Ouest.
Toutes les météorites découvertes en Algérie depuis maintenant 20 ans atterrissent dans les marchés de météorites du Sud marocain, où les étrangers viennent s’approvisionner, sachant que la vente et l’exportation de météorites à partir du Maroc sont tout à fait légales. C’est de cette façon que la météorite Erg Chech 002 a quitté notre pays en mai 2020 et s’est retrouvée entre les mains de chasseurs de météorites marocains qui l’ont vendu à des collectionneurs et revendeurs étrangers. Aujourd’hui, des laboratoires et musées du monde entier sont en train de se l’arracher. Il y a enfin les météorites historiques tombées ou trouvées en Algérie avant 1962, et celles découvertes par des coopérants durant les années 1960 et 1970 et qui sont pour la plupart conservées au Muséum d’Histoire naturelle de Paris.

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Est-il possible de récupérer le patrimoine météoritique algérien qui est en dehors de nos frontières ?
Ce n’est pas possible actuellement, car il n’existe aucun organisme officiel chez nous qui pourrait négocier la récupération de notre patrimoine météoritique. Et encore, même dans le cas où un tel organisme verra le jour, cette négociation ne pourra se faire qu’avec des organismes officiels de pays étrangers. Or, une grande partie des météorites algériennes se trouve entre les mains de collectionneurs ou revendeurs de météorites.

Prenons cette possibilité de pouvoir récupérer toutes ces météorites. Où seront-elles placées ? Existe-t-il un organisme qui prend en charge ces roches venues du ciel ?
C’est toute la problématique actuelle concernant les météorites découvertes en Algérie. Il n’existe aucun organisme chez nous dédié à la collection et à l’étude des météorites. Quand je dis organisme, cela ne veut pas dire que cette structure sera entièrement dédiée à ça. En général, les organismes officiels de par le monde qui possèdent des sections spécialisées dans la collection et l’étude des météorites sont les musées d’histoire naturelle, à l’exemple de ceux de Paris ou de Vienne. Il y a aussi des laboratoires de recherche spécialement dédiés à l’étude des météorites et qui sont localisés principalement aux Etats-Unis.

Que préconisez-vous pour que l’Algérie profite de son patrimoine météorique ?
Cette question est directement liée à la précédente. Pour que notre pays puisse profiter de son patrimoine météoritique, il faudra créer un organisme qui puisse prendre en charge un volet « météorite ». Cet organisme, comme je viens de le préciser, ne sera pas spécialement dédié aux météorites, mais doit englober tout le patrimoine lié à l’histoire naturelle de notre pays, et qui subit également un pillage systématique. Ceci englobe minéraux, roches, fossiles, avec notamment les ossements de dinosaures qui font également le bonheur des musées d’histoire naturelle de par le monde. Bref, un organisme qui s’occupera de protéger et d’étudier le patrimoine géologique et naturel de l’Algérie en général ; il ne faut pas oublier que les météorites sont des objets géologiques par excellence, même si elles sont d’origine extraterrestres. Il s’agit de roches qui sont étudiées avec les mêmes méthodes et techniques utilisées pour l’étude des roches terrestres. Et les spécialistes de météorites de par le monde sont en général des géologues spécialisés dans la pétrographie et géochimie des roches magmatiques. C’est donc à un musée d’histoire naturelle que ce rôle incombe. Notre pays mérite d’avoir une telle structure muséologique et de recherche étant donné l’immensité de notre territoire et sa diversité géologique et naturelle. Cependant, le projet d’un musée d’histoire naturelle n’est pas aussi facile à réaliser. Il s’agit d’un projet de tout un pays et qui sera piloté par des scientifiques venus de divers horizons. Un musée d’histoire naturelle, en plus de la géologie, de la minéralogie (incluant les météorites) et de la paléontologie, c’est aussi la botanique, la zoologie, l’évolution de l’Homme…
En attendant, il faut bien bouger pour sauver ce qui reste à sauver en matière de météorites. Il faudra peut-être que ce volet soit actuellement pris en charge par des organismes existants qui s’occupent de géologie, tels que l’Agence du service géologique de l’Algérie (ASGA) ou le Centre de recherche en astronomie, astrophysique et géophysique (CRAAG).

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