La parodie de procès de Julian Assange, une cruelle farce pseudo-juridique

Par  Thomas Scripps et Kevin Reed

Source : World Socialist Web Site, 15 août 2020      Traduction : lecridespeuples.fr

L’audience d’hier à Londres a clairement montré, si des preuves supplémentaires étaient encore nécessaires, que les poursuites contre Julian Assange ne sont qu’un simulacre de procès honteux et dégradant, destiné à conduire un innocent en prison ou à la mort pour avoir révélé les crimes de l’impérialisme américain.

  Dans une procédure bâclée, Assange n’a initialement pas été emmené dans la salle vidéo pour se joindre à l’audience, les procureurs américains ne se sont pas présentés du fait d’un malentendu sur l’heure de l’audience, et avec seulement cinq observateurs autorisés dans la salle d’audience, les journalistes et observateurs légaux qui ont essayé d’écouter l’audience à distance n’ont pas pu le faire.

Assange, le prisonnier politique le plus célèbre du monde, s’est vu refuser l’accès à ses avocats depuis mars et il n’a pas revu sa famille ou ses enfants en bas âge depuis lors.

Dans le geste le plus flagrant de tous, à peine deux jours avant l’audience, le ministère américain de la Justice, sous la direction de l’idéologue autoritaire de droite William Barr, a publié un acte d’accusation complètement nouveau contre Assange, que l’accusé n’avait même pas pu lire avant l’audition.

« Le gouvernement américain semble vouloir changer l’acte d’accusation à chaque fois que le tribunal se réunit, mais sans que la défense ou Julian lui-même ne puissent avoir connaissance des documents pertinents », a déclaré Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de WikiLeaks.

Moins de 24 heures avant le début de la dernière audience de procédure et moins de quatre semaines avant la reprise du procès d’extradition, Barr a signé une nouvelle requête de 33 pages visant à faire envoyer Assange aux États-Unis depuis le Royaume-Uni.

L’acte d’accusation de remplacement, sur lequel se fonde la nouvelle demande d’extradition, a été publié le 24 juin, mais au cours des deux audiences des 30 juin et 28 juillet, les procureurs américains ont refusé de confirmer précisément quand il serait introduit dans la procédure judiciaire britannique.

La nouvelle demande d’extradition a été introduite après que l’équipe juridique d’Assange a soumis toutes ses preuves. La défense a fait valoir que poursuivre le procès sur la base d’un nouvel acte d’accusation équivaudrait à un abus de procédure régulière. Le juge Baraitser a rejeté la demande de la défense, leur permettant seulement de demander un report de l’audience.

L’équipe juridique d’Assange est maintenant confrontée au choix d’accepter le sabotage supplémentaire du cas de leur client ou de prolonger la mise en danger de sa vie en lui infligeant davantage de mois de prison.

Alors même que la pandémie de COVID-19 fait rage dans le système pénitentiaire britannique, Assange reste incarcéré à Belmarsh. Les experts médicaux qui l’ont examiné rapportent que sa santé se détériore et qu’il pourrait mourir en prison.

Voir :  Julian Assange mourra-t-il en prison, où le coronavirus se propage rapidement ?

Le nouvel acte d’accusation élargit la portée de ce qui est qualifié d’activité criminelle. L’accusation initiale de « divulgation non autorisée d’informations de défense » reprochait simplement à Assange d’avoir « publié [les journaux de guerre en Afghanistan et en Irak et les câbles du département d’État] sur Internet ». Cela a maintenant été élargi pour inclure la « distribution » des documents, par exemple à d’autres médias.

Les associés d’Assange, Sarah Harrison, Jacob Applebaum et Daniel Domscheit-Berg, ancien employé de WikiLeaks, sont désormais également visés comme « co-conspirateurs ». Les efforts visant à aider un lanceur d’alerte persécuté (Edward Snowden) à obtenir l’asile et même à parler en défense de ses actes sont criminalisés, tout comme les déclarations les plus générales en faveur de la transparence du gouvernement.

Ces détails montrent clairement que si Julian Assange a été isolé en prison et reste incapable de rencontrer ses avocats, le gouvernement américain a construit son dossier d’extradition et élargi la portée de sa vendetta contre tous ceux qui ont aidé WikiLeaks à apporter la vérité aux peuples du monde.

Julian Assange, qui risque 175 ans de prison fédérale pour avoir dénoncé les crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan qui ont fait des centaines de milliers de morts, est persécuté dans le cadre d’une campagne internationale de l’élite dirigeante visant à criminaliser les lanceurs d’alerte, les journalistes et la dissidence politique.

La conspiration de l’État contre Julian Assange est le fer de lance d’une offensive soutenue contre les droits démocratiques visant la classe ouvrière. Le crime d’Assange aux yeux de ses persécuteurs est sa dénonciation des crimes de guerre impérialistes et des intrigues diplomatiques qui ont galvanisé le sentiment d’opposition aux politiques impériales dans le monde.

Le nouvel acte d’accusation a été rédigé par Barr, qui était apparu six jours plus tôt sur Fox News pour dénoncer un large éventail d’opposants politiques de Trump comme des « révolutionnaires » et des « bolcheviks » résolus à « détruire le système ». Barr exprimait là la véritable portée des projets de Trump, à savoir imposer une dictature présidentielle.

Ces développements sont une mise en accusation fulgurante de toutes ces forces politiques qui ont maintenu le silence ou qui ont soutenu la persécution d’Assange. Cela inclut le Parti Démocrate aux États-Unis, qui a été le fer de lance de l’attaque contre WikiLeaks dans le cadre de sa campagne anti-russe néo-maccarthyste. Les candidats démocrates aux élections de 2020, Joe Biden et Kamala Harris, ont tous deux été des participants enthousiastes à cette vendetta réactionnaire et antidémocratique.

Quant aux médias libéraux, dirigés par le Guardian et le New York Times, ils ont jeté Assange aux loups [de même que notre immonde Le Monde, et notre insipide Mediapart, parties prenantes de la cabale contre Assange]. Il est significatif qu’aucune grande organisation de presse aux États-Unis (ou en France) ne se soit même donné la peine de rendre compte de l’audience d’hier. Aucune des publications prétendument de gauche, comme le magazine Nation ou Jacobin, n’a fait état de l’agression contre les droits fondamentaux dans la salle d’audience de Londres.

Comme on pouvait s’y attendre, les socialistes autoproclamés Bernie Sanders, Jeremy Corbyn, Alexandria Ocasio-Cortez et Rashida Tlaib n’ont rien dit sur la parodie pseudo-juridique d’hier.

La responsabilité politique de la capacité de l’administration Trump aux États-Unis et du gouvernement Johnson au Royaume-Uni à poursuivre leur effort conjoint pour faire taire Assange incombe à toute la fratrie de la pseudo-gauche, qui s’est alignée contre Assange, recyclant les calomnies et les mensonges du département d’État, du Pentagone et de la CIA au sujet d’allégations suédoises fabriquées de toutes pièces (et discrètement abandonnées depuis), de prétendue « non-expurgation » (des noms propres cités dans les documents, afin de les protéger) et d’autres mensonges de la même eau.

Ceux qui, dans la campagne officielle autour de WikiLeaks, cherchent à fédérer la défense d’Assange derrière des appels aux « gauches » travaillistes britanniques, aux bureaucrates syndicaux et au principal persécuteur d’Assange, le Parti démocrate aux États-Unis, commettent une fraude politique qui empêche une véritable mouvement pour la liberté d’Assange.

Voir : Toute la vérité sur Julian Assange : ‘Un système assassin est en train d’être créé sous nos yeux’

Nous renouvelons l’appel à la classe ouvrière internationale [et à tous les hommes de bonne volonté] à venir au secours de Julian Assange. Il faut clarifier le lien fondamental entre la persécution d’Assange, la défense des droits démocratiques et la lutte contre le système capitaliste, qui plonge le monde dans la guerre et la barbarie.

La lutte pour libérer Assange est inséparable de la mobilisation d’un mouvement politique de masse dans la lutte pour le socialisme contre la guerre impérialiste, les inégalités sociales et le basculement vers des formes dictatoriales de gouvernement.

Voir notre dossier sur Assange


   Les idéaux américains au cœur de la procédure d’extradition de Julian Assange

L’inculpation d’Assange est reconnue par de nombreux mouvements de défense pour la liberté d’expression comme la plus importante atteinte à la liberté de la presse de notre époque. Cependant, avec le black-out des grands médias et le silence total des dirigeants politiques sur cette importante question, la criminalisation du journalisme se poursuit sans que le public en soit conscient.

L’Amérique trahit ses propres idéaux

A quoi correspond ce procès contre Assange ? Pourquoi les Américains doivent-ils se préoccuper de ce journaliste australien accusé d’espionnage par notre gouvernement ? WikiLeaks a radicalement changé le paysage médiatique. En publiant des informations véridiques sur les États-Unis, l’organisation s’est confrontée au Pentagone et à la CIA. Pourtant, l’efficacité de son journalisme intrépide n’est pas la seule raison pour laquelle Assange est devenu un prisonnier politique ; désigné comme ennemi de l’État et torturé psychologiquement à l’intérieur de la prison de Belmarsh (autrefois connue sous le nom de Guantanamo Bay du Royaume-Uni).

La publication par WikiLeaks en 2010 de la vidéo Collateral Murder a fait la lumière sur une histoire cachée des États-Unis. Des images brutes d’une attaque de l’armée américaine dans les faubourgs de l’Irak, réalisée sous la bannière de l’« Opération Liberté en Irak », ont permis de recouvrer des pages d’histoire manquantes. Les images qui se déroulent à partir de la vision d’un hélicoptère Apache renvoient à une époque antérieure à l’invasion de l’Irak, au 11 septembre et même à la dépendance de la nation au pétrole, au génocide des indigènes dans la guerre menée par les fusils et les canons américains.

Les souvenirs retrouvés permettent de constater la trahison de l’Amérique de ses propres idéaux, qui se manifeste par l’exclusion de certains du principe de l’égalité de tous les peuples, qui était énoncé comme une vérité évidente dans son document fondateur.

Continuer les luttes du passé

Gareth Peirce, avocat de Julian Assange, en 2016. (YouTube)

Assange, grâce à son travail avec WikiLeaks, a non seulement informé le public des débuts difficiles de l’Amérique, mais a également fourni un mécanisme permettant aux gens de retrouver un passé méconnu. Tout au long de l’histoire, du défi des abolitionnistes au mouvement pour le droit de vote des femmes, les demandes d’égalité sont venues de la base. Les gens ordinaires ont repoussé les limites de la Constitution pour rendre les idéaux de la Déclaration d’indépendance juridiquement contraignants.

Les années 60 ont été marquées par des bouleversements politiques, et la résistance s’est manifestée avec force. Des individus comme Rosa Parks, Martin Luther King Jr. et Malcolm X, par leurs paroles et leurs actions communes, ont incité les Noirs à se mobiliser dans leur lutte pour les droits civils. Mario Savio, le porte-parole du mouvement pour la liberté d’expression, a été à l’origine des manifestations étudiantes nationales contre la censure gouvernementale et la restriction de la liberté d’expression sur les campus.

En cette époque du numérique, Assange, qui a remporté de nombreux prix de journalisme, a trouvé un moyen de permettre à une nouvelle génération d’Américains de poursuivre cette lutte du passé. Il a fait cela en inventant une nouvelle forme de journalisme en ligne qui fonctionne avec des logiciels libres.

Expérimentation libre de la démocratie

Jérémie Zimmermann, ingénieur français en informatique et cofondateur de l’organisation la plus importante en Europe qui défend les libertés sur le net, a décrit le logiciel libre comme un contrat social et a noté qu’il s’agit d’une façon d’organiser une sphère publique.

Zimmermann a approfondi la question pour révéler que le moteur du logiciel libre est l’amour. Il a décrit comment « l’amour consiste à comprendre, à comprendre les défauts des autres et les nôtres ». Il a ensuite expliqué comment le logiciel libre est « une pratique joyeuse avec un rôle pour chacun où nous apprenons collectivement sur nos défauts, où nous apprenons à échouer et à aimer nos échecs, et où nous apprenons à tirer des leçons de nos échecs ».

Avec WikiLeaks comme projet de logiciel libre, Assange a apporté à Internet l’amour qui pourrait le transformer en un puissant outil pour la démocratie. Cet amour, partagé par les jeunes qui ont grandi sur Internet, a alimenté des actes de désobéissance civile. L’ancienne analyste du renseignement de l’armée américaine, Chelsea Manning, a fait jaillir une étincelle de conscience en divulguant la plus grande quantité de secrets d’État de l’histoire des États-Unis. Cette source à l’origine de la divulgation par WikiLeaks des crimes de guerre de l’ère George W. Bush reste incarcérée pour avoir refusé de coopérer lors d’un grand jury qui visait l’éditeur.

De Manning, à Jeremy Hammond, à Edward Snowden, des vagues de lanceurs d’alerte ont créé une insurrection d’un courage contagieux. Des gens de l’intérieur des institutions, qui veulent du changement, se sont manifestés pour défier les lois injustes, afin de défendre les grands idéaux. Cela a donné le coup d’envoi d’une expérience ouverte de démocratie, créant un réseau qui cherche à comprendre les failles, collabore pour les modifier et invite tout le monde à participer à l’élaboration d’une nouvelle société.

Revendiquer notre histoire

Avec cette plate-forme de la démocratie qu’Assange a contribué à lancer, qu’a-t-il essayé de faire ? Assange est parvenu à voir comment les gens ordinaires sont rendus passifs ; ils sont ballottés et exclus des processus décisionnels vitaux. Il a décidé de se mettre du côté des opprimés, en voulant les aider à prendre conscience de leur propre importance.

Alors qu’il était détenu en isolement dans une prison de haute sécurité à Londres, Assange a reçu le Prix de la Dignité 2019 pour son soutien à la lutte des peuples catalans pour l’indépendance et leur lutte contre la brutalité policière espagnole. Tout comme il aspirait à marcher aux côtés des Catalans sur leur chemin vers l’autodétermination, depuis l’écran d’ordinateur à l’intérieur d’une minuscule pièce de l’ambassade équatorienne, où chacun de ses mouvements était surveillé par la CIA, il se souciait également du destin de l’Amérique et de ce qu’elle était en train de devenir.

[Julian Assange reçoit le Prix de la Dignité 2019 de la Commission Catalane de la Dignité]

Assange a sacrifié sa liberté pour que nous puissions tous être libres. En publiant des documents, WikiLeaks a fait avancer une histoire figée. L’histoire se déroule maintenant, et le sort d’Assange est notre histoire, dans laquelle chaque personne a un rôle important à jouer.

Ce n’est qu’en choisissant librement de répondre à cet amour du monde dont Assange a fait preuve que nous pourrons revendiquer notre propre histoire. Ce n’est que par l’amour que nous éprouvons les uns pour les autres, qui nous permet de discerner la perfection dans nos défauts, et de trouver de la beauté dans nos erreurs et nos échecs, que nous pourrons commencer à travailler pour corriger les erreurs de nos dirigeants – et mettre fin ensemble à cette erreur judiciaire flagrante.

Nozomi Hayase, docteure, est essayiste et l’auteure de « WikiLeaks, the Global Fourth Estate : History Is Happening ». Suivez la sur Twitter : @nozomimagine

Source : Consortium News, Nozomi Hayase

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.


 

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