Le piège irlandais du Brexit

                                                   Point de vue

« Les conservateurs britanniques n’avaient pas imaginé que l’Irlande serait la source principale de leurs difficultés avec l’Union européenne après le Brexit », explique Christian Lequesne, Professeur à Sciences Po Paris. Avec un risque majeur : « Réactiver des tensions politiques qui avaient été largement apaisées. »

Si l’Irlande est une difficulté pour le Brexit, c’est parce que la partie britannique de l’île, l’Irlande du Nord, n’a pas de frontière avec la République d’Irlande qui est membre de l’Union européenne.
Si l’Irlande est une difficulté pour le Brexit, c’est parce que la partie britannique de l’île, l’Irlande du Nord, n’a pas de frontière avec la République d’Irlande qui est membre de l’Union européenne. | DANIEL LEAL-OLIVAS, AFP

Les conservateurs britanniques n’avaient pas imaginé que l’Irlande serait la source principale de leurs difficultés avec l’Union européenne après le Brexit. Certes, ils ne se sont jamais vraiment préoccupés de « l’île d’à-côté ». C’est à un Premier ministre travailliste, Tony Blair, que l’on doit les accords de paix de 1998 après trente ans de guerre civile. Quelques années auparavant, en 1985, la conservatrice Margaret Thatcher avait hésité à accepter un premier accord anglais-irlandais pour gérer la crise. En digne héritière de Cromwell, elle se méfiait des Irlandais catholiques.

Lorsque le diplomate David Goodall lui conseilla un dialogue avec Dublin, arguant que de nombreux Britanniques avaient des racines irlandaises, elle lui répondit qu’elle se sentait totalement anglaise, avant d’ajouter : « Enfin, mon arrière-grand-mère s’appelait Sullivan, j’ai donc au plus 1/16e de sang irlandais ! ».

Si l’Irlande est une difficulté pour le Brexit, c’est parce que la partie britannique de l’île, l’Irlande du Nord, n’a pas de frontière avec la République d’Irlande qui est membre de l’Union européenne. Cette dernière a exigé dans un protocole annexé au traité du Brexit que les biens expédiés du Royaume-Uni vers l’Irlande du Nord soient soumis aux normes européennes et donc à des contrôles entre les deux îles, car elles peuvent aller ensuite en République d’Irlande.

Gare aux risques d’une crise grave

Le résultat des contrôles est un ralentissement des flux commerciaux vers l’Irlande du Nord, notamment des produits alimentaires et pharmaceutiques. Les Nord-Irlandais fidèles à la couronne britannique évoquent une volonté européenne de les détacher de Londres et recommencent à manifester violemment dans les rues de Belfast.

Le 21 juillet 2021, le gouvernement britannique a publié un rapport intitulé, « Protocole nord-irlandais : la voie à suivre ». Il demande à l’Union européenne des règles de contrôle différentes selon que les produits en provenance de Grande-Bretagne ont comme destination finale l’Irlande du Nord ou la République d’Irlande.

La demande de renégociation est aussi pour Londres une menace de recourir aux mesures unilatérales de sauvegarde autorisées par le protocole, qui ne manquerait pas de créer une crise grave. L’Union européenne a d’ailleurs utilisé ces mesures en janvier pour bloquer l’arrivée de vaccins en Irlande du Nord avant de se raviser devant la montée des tensions.

Le commerce de la Grande-Bretagne vers l’Irlande étant modeste (0,5 % du volume allant vers l’Union européenne), les risques de fraude en l’absence de frontière entre les deux Irlande sont limités.

Tensions politiques réactivées

Londres aurait cependant dû anticiper ce problème avant de se lancer tête baissée dans le Brexit. Ce n’est pas pour rien que 55 % des Irlandais du nord ont voté contre le Brexit. La flexibilité souhaitée par Londres dans les contrôles serait acceptable par l’Union européenne si le Royaume-Uni se montrait un partenaire fiable. Mais comment faire confiance à Boris Johnson qui ne cesse de fustiger l’Europe et de revenir sur sa parole, en politique internationale comme en politique intérieure ?

L’Union européenne porte cependant la responsabilité de ne pas compromettre la paix en Irlande. Exiger une nouvelle frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande serait une grave erreur. La nouvelle affaire irlandaise montre que le Brexit est une aventure improvisée par les conservateurs anglais dont le principal effet est de réactiver des tensions politiques qui avaient été largement apaisées.


 

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