Pierre Audin : «Les jeunes Algériens veulent participer à la construction de l’Algérie de demain»

30.06.2020

   par Amine Bouali

Pierre Audin est le fils du martyr Maurice Audin et de la militante anticolonialiste Josette Audin. Cet ancien professeur de mathématiques, aujourd’hui à la retraite, avait à peine un mois lorsque son père, membre du Parti communiste algérien et militant de l’indépendance de l’Algérie, a été arrêté à Alger, torturé et exécuté le 21 juin 1957 par l’armée coloniale française. Depuis, cet homme juste a poursuivi à sa façon le combat de son valeureux père et n’a cessé de prouver son amour exigeant de l’Algérie. Membre du comité d’organisation du Prix Maurice Audin de mathématiques, créé afin de perpétuer la mémoire de Maurice Audin et pour que se développe la collaboration algéro-française en mathématiques, il a accepté de répondre à quelques-unes de nos interrogations sur ce sujet précis.

Le Quotidien d’Oran : Le Prix de mathématiques Maurice Audin qui a été créé en 2004 en mémoire du chahid Maurice Audin, votre père, et pour que se développe la collaboration algéro-française en mathématiques sera-t-il décerné cette année 2020, malgré les perturbations causées par la pandémie du Covid-19 ? Ce Prix récompense à chaque fois deux lauréats : un mathématicien algérien exerçant en Algérie et un mathématicien français exerçant en France.

Pierre Audin : Ce Prix de mathématiques, qui avait existé de 1958 à 1963, c’est le mathématicien Gérard Tronel, aujourd’hui décédé, qui a eu l’idée géniale de le recréer au début des années 2000. Militant dans le Comité Maurice Audin pendant la guerre (la guerre d’Indépendance. NDLR) et après, il cherchait un moyen de faire avancer la vérité concernant Maurice Audin. Grâce à lui, depuis 2004, de façon symétrique, deux lauréats, l’un en France, l’autre en Algérie, traversent la Méditerranée pour exposer leurs travaux à leurs collègues. C’est une façon d’entretenir la coopération entre les mathématiciens des deux pays et c’est aussi une façon de regarder vers l’avenir et de construire cet avenir en s’appuyant sur le passé et en tirant les leçons d’une histoire hélas tragique à de nombreux égards. Cette année, la pandémie a retardé les opérations mais il y aura bien un Prix en 2020.

Q.O.: Dans le même esprit que le Prix Maurice Audin, une chaire Maurice Audin de mathématiques vient d’être dernièrement instituée. Elle doit permettre à un mathématicien algérien d’aller poursuivre sa recherche, pendant quelques semaines, avec des collègues en France, et la même chose doit se passer pour un mathématicien français en Algérie. Pouvez-vous nous parler davantage de cette chaire Maurice Audin et des raisons et objectifs qui ont motivé sa création ?

P. A.: Le 13 septembre 2018, le président de la République française s’est rendu chez ma mère pour lui remettre une déclaration officielle : il y reconnaissait que la France avait institué un système destiné à terroriser la population algérienne (arrestations arbitraires, torture, exécutions sommaires), système dont mon père, comme des milliers d’Algériens, a été victime. Depuis cette déclaration, un site web 1000autres.org a d’ailleurs été ouvert, qui concerne ces milliers de victimes. Dans les suites de cette déclaration, il y a cette initiative de l’Institut français d’Algérie de créer, en partenariat avec le MESRS, une chaire Maurice Audin qui accueillera un mathématicien français pendant quelques semaines. Cette chaire aurait déjà pu être créée en 2019, mais côté algérien, il n’y avait plus vraiment d’interlocuteur officiel. J’espère que, malgré la pandémie, ce projet va finir par aboutir. En attendant, le CNRS a accepté d’assurer la partie française : création d’une chaire Maurice Audin pour accueillir un mathématicien algérien qui travaillera pendant quelques semaines avec des collègues de sa discipline. La chaire Maurice Audin a ainsi été attribuée pour 2020 à M. Abdennasser Chekroun, maître de conférence à l’université Abou Bekr Belkaid de Tlemcen.

Q.O.: Vous êtes un Algérien de cœur Monsieur Pierre Audin, l’Algérie, son présent, son avenir, le sort de sa jeunesse ne vous laissent pas indifférent. Votre « idéal algérien » n’est-il pas simplement la poursuite du combat de votre regretté père ?

P. A.: Comme on dit, les chiens ne font pas des chats. Je suis le fils de Maurice Audin mais aussi le fils de Josette Audin : c’est elle qui m’a élevé, j’avais un mois quand mon père a été arrêté et assassiné. J’ai vécu mon enfance à Alger. Ma mère est née à Bab El Oued, elle a milité pour une Algérie indépendante, elle a passé sa vie à essayer d’abord de retrouver son mari, puis de faire condamner les tortionnaires et l’assassin, puis de faire savoir la vérité. La déclaration présidentielle du 13 septembre 2018 est arrivée quelques mois avant son décès, survenu après 61 ans de combat personnel et militant. Elle se désespérait de voir que l’Algérie n’était toujours pas devenue le pays pour lequel elle et son mari s’étaient battus. Elle s’est éteinte quelques jours avant le déclenchement du Hirak du 22 février 2019. Elle n’aura pas su que le peuple algérien avait repris la lutte, que la jeunesse algéroise manifestait place Maurice Audin pour une Algérie libre, indépendante, démocratique, fraternelle, multiculturelle.

Depuis quelques années il m’arrive de retourner en Algérie pour des actions de diffusion de la culture scientifique, en particulier en mathématiques. A ces occasions, j’ai travaillé avec des étudiantes et des étudiants algériens : ils sont extraordinaires, ils cherchent à apprendre, ils cherchent à expliquer, à faire partager leur plaisir de faire des mathématiques et les autres sciences. Ils veulent participer à la construction de l’Algérie de demain, aider à son développement, l’enrichir grâce à leurs compétences. Plus question pour eux de rester sur le bord du chemin : ils veulent avoir une reconnaissance, une carrière. Il reste beaucoup à faire certes mais ce pays est magnifique, son peuple est merveilleux et sa jeunesse est dynamique. Vendredi après vendredi, mardi après mardi, j’ai vu les reportages et les vidéos réalisés par les journalistes comme Khaled Drareni, j’ai reconnu les mêmes jeunes, passionnés et fiers de leur pays, que ceux avec lesquels j’ai pu travailler : j’ai confiance en eux, ils vont faire avancer l’Algérie.


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