Qui est Svetlana Tikhanovskaïa, la Biélorusse prête à faire tomber Loukachenko ? (portrait)

  Le 29 mai 2020, sa vie a basculé. Ce jour-là, Svetlana Tikhanovskaïa voit son mari, Sergueï Tikhanovski, se faire arrêter pour « trouble à l’ordre public ».

Youtubeur en vue, il s’est présenté à l’élection présidentielle face à Alexandre Loukachenko, 65 ans, indéboulonnable président de la Biélorussie depuis vingt-six ans. Le « cafard », comme il l’appelle.

Sa candidature a été rejetée, il est maintenant derrière les barreaux. Svetlana Tikhanovskaïa décide « par amour » de se lancer dans la bataille. Elle a rencontré Sergueï il y a seize ans. Elle était étudiante, lui patron de boîte de nuit. Un costaud, une armoire à glace, de cinq ans son aîné, pour qui elle a eu le « coup de foudre ».

Svetlana Tikhanovskaya lors d’un meeting pendant la campagne présidentielle biélorusse à Maladzechna, le 31 juillet 2020. | SERGEI GAPON/AFP

    De femme au foyer à première opposante

Professeure d’anglais de formation, traductrice, Svetlana Tikhanovskaïa a laissé sa carrière de côté pour se consacrer à son fils aîné, né malentendant. En quelques jours, en quelques heures, elle passe de femme au foyer à première opposante d’Alexandre Loukachenko, surnommé le dernier dictateur européen.

Après avoir envoyé, par précaution, ses deux enfants en Lituanie, elle réussit à réunir les dizaines de milliers de parrainages nécessaires pour se présenter. Surprise, la Commission électorale valide sa candidature alors que celle de deux autres opposants, jugés plus sérieux, est rejetée.

« Une pauvre nana »

Il faut dire que Loukachenko ne prend pas au sérieux cette « femme ordinaire, une mère, une épouse », comme elle se décrit elle-même. Un macho pareil ne peut pas imaginer que les Biélorusses élisent une femme.

Pour Loukachenko, Svetlana Tikhanovskaïa est une « pauvre nana », une « pauvre petite chose »The Village, un site d’information biélorusse, la qualifie de « Jeanne d’Arc accidentelle ».

Candidate par amour et par conviction

Mais si, à 37 ans, elle s’est lancée dans l’aventure pour son mari « pour sa liberté, parce que je l’aime tellement », elle l’a fait aussi par conviction.

En suivant Sergueï dans ses déplacements, elle se rend mieux compte de la situation dans laquelle vit son pays, la pauvreté, l’arbitraire du pouvoir : « Comme beaucoup de Biélorusses, j’étais endormie toutes ces années. J’avais un revenu et une famille et je vivais dans une coquille comme tout le monde », raconte-t-elle dans une interview à Sky News.

 

Son style, simple et direct, peut-être moins rentre-dedans que celui de son mari, fait mouche. Elle dénonce avec aplomb, lors de ses deux interventions télévisées autorisées, les mensonges du régime biélorusse.

« Sveta » devient une égérie

Elle prend de l’assurance lors de meetings qui réunissent des dizaines de milliers de personnes : « J’abandonne ma vie tranquille pour (Sergueï), pour nous tous. Je suis fatiguée de tout devoir supporter, je suis fatiguée de me taire, je suis fatiguée d’avoir peur. Et vous ? », lance-t-elle fin juillet à Minsk.

Son programme a beau être vague, sa personnalité emporte l’adhésion des Biélorusses, de plus en plus nombreux à être fatigués par le règne du dictateur moustachu. Svetlana Tikhanovskaïa leur promet la libération des prisonniers politiques, un référendum constitutionnel et l’organisation de nouvelles élections libres sans trop parler de la Russie, grand allié de la Biélorussie.

« Sveta » devient une égérie. Mais elle ne se fait aucune illusion sur l’issue du scrutin. Elle s’attend à des « fraudes éhontées »« sans espoir » d’un vote juste.

« Je me considère vainqueur »

Le dimanche 9 août, le verdict tombe. Sans surprise. Alexandre Loukachenko est réélu avec 80,2 % des suffrages. Svetlana Tikhanovskaïa est officiellement créditée de 9,9 % des voix. Pourtant, elle ne se laisse pas abattre et revendique la victoire : « Le pouvoir doit réfléchir à comment nous céder le pouvoir. Je me considère vainqueur. »

Le ton est offensif mais, après avoir mené la campagne « la peur au ventre », Svetlana Tikhanovskaïa se sent aussi en danger. Durant la campagne, elle a reçu plusieurs appels anonymes la menaçant de la jeter en prison et de placer ses enfants à l’orphelinat.

Réfugiée en Lituanie

Ses deux enfants qu’elle décide de rejoindre en Lituanie alors que des milliers de manifestants se rassemblent à Minsk et dans plusieurs grandes villes du pays pour protester contre le gouvernement.

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« Je pensais que cette campagne (présidentielle) m’avait endurcie et donné la force de tout supporter. Mais je suis sans doute restée la femme faible que j’étais au début », a-t-elle expliqué dans une vidéo, les traits tirés.

 

Une autre vidéo est ensuite diffusée sur le compte Telegram de l’agence d’État Belta où elle demande à ses concitoyens au « respect de la loi » et à ne pas « descendre dans la rue ».

Mais personne n’y croit. Le message a dû être dit sous la contrainte lorsqu’elle s’était rendue au siège de la Commission électorale, au lendemain de l’élection, pour déposer plainte.

Prête à « agir en tant que leader national »

Depuis, le ton a changé. Avant la présidentielle, elle disait n’avoir aucune envie de devenir présidente, juste d’organiser des élections libres puis de rentrer à la maison frire des côtelettes « parce que ma vie, c’est ça. »

Ce lundi 17 août, dans une vidéo, Svetlana Tikhanovskaïa s’est dite prête à « assumer mes responsabilités et à agir en tant que leader national ». Peut-être a-t-elle été requinquée par les messages venus de l’étranger.

 

Paris, Berlin et Londres ont condamné la répression et émis des doutes sur l’élection. L’Union européenne ne l’a jugée « ni libre ni équitable » , quand les dirigeants russes et chinois, Vladimir Poutine et Xi Jinping, félicitaient le président Loukachenko.

Face à eux, face à Loukachenko, Svetlana Tikhanovskaïa lance : « Je n’ai pas voulu devenir une politicienne. Mais le destin a décrété que je me trouverais en première ligne face à l’arbitraire et l’injustice. »

Lors de ses meetings, elle avait pour habitude de lever son poing en signe de résistance. Elle ne semble pas près de le rabaisser.


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