Algérie / Presse : Il faut crever l’abcès !

     par Zahir Mehdaoui

   L’incarcération puis la condamnation du journaliste Khaled Drareni a remis, encore une fois, sur le tapis la «relation tourmentée» entre le pouvoir et la presse qui ne date pas, faut-il le rappeler, d’aujourd’hui. L’ouverture du champ médiatique en 1989, initié par l’ancien chef du gouvernement, Mouloud Hamrouche, sous la pression de la rue, était faussée dès le départ. Cette ouverture était une sorte de convulsion née des douloureux événements d’Octobre 88. Il faut reconnaitre cependant, en ce temps-là, que la presse dite «indépendante» était née d’une volonté d’un gouvernement d’accompagner l’ouverture économique par une ouverture politique et médiatique, et d’un besoin social d’avoir le droit à l’expression.

Les pères fondateurs qui avaient donné leur vie, à l’image de Tahar Djaout, Said Mekbel… avaient compris l’immense importance d’un relais, dans la réalité de la société pour que la presse exerce effectivement un pouvoir.

On peut même aller plus loin et admettre que seul le réel constitue un pouvoir… le pouvoir des « faits ». Ce qu’on appelle « l’objectivité » et qui n’est qu’une tentative d’approche du réel ne consiste-t-il pas à mobiliser à son profit le pouvoir du « fait » ? Le journal étant un sujet, il démultiplie le pouvoir de l’objet qu’il capte : tel était le sens de ce qu’on appelle souvent abusivement « objectivité ».

L’idée ou l’objectif dès l’ouverture du champ médiatique en Algérie était aussi, de mettre un terme à la pensée unique et dévoiler ce que le reste de la presse proche des tenants du pouvoir dissimulait.

Des dizaines de journalistes ont payé de leur vie leur refus de la compromission. L’histoire retiendra qu’ils sont morts la plume entre les doigts, refusant d’abdiquer devant les forces de l’obscurantisme incarnées par les extrémistes religieux mais aussi tous ceux, tapis dans l’ombre, qui décidaient du sort de ce pays comme si l’Algérie était une propriété privée. Bref, aujourd’hui si la déconvenue n’est pas totale, elle n’est pas très loin de l’être. Quel que soit l’angle d’observation qu’on voudrait prendre, la presse algérienne se présente surtout sous des aspects négatifs ou disons-le franchement, à quelques exceptions près, de honteux au regard de nombre de pratiques journalistiques et des comportements entachés de corruption de certains hommes et femmes des médias ou à tout le moins non satisfaisants, même si le paysage médiatique semble avoir radicalement changé par rapport à l’étouffant monopole du parti unique d’avant 1989.

L’actuel ministre de la Communication, Ammar Belhimer, parlant, en connaissance de cause pour avoir exercé notre métier durant près de 40 années, avait qualifié de « champ de ruine », l’état du secteur des médias en Algérie.

L’héritage de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika est un «champ de mines et de ruines», avait-il déclaré, il y a quelques mois, soulignant au passage que « l’Etat algérien est, depuis un an, dans un état de délabrement total ». Le verdict est sans appel !

Il existe, en effet, une anarchie caractérisée entretenue par certains cercles attachés au pouvoir réel, dans ce pays, afin de tuer dans l’œuf toute tentative d’émergence d’une presse professionnelle digne de ce nom. En distribuant des agréments et en instituant le monopole sur la seule source de revenus de la presse, bridée par ailleurs par des textes de lois dévoyés, le véritable pouvoir a créé un précédent grave.

L’examen de la régulation des métiers du journalisme et des entreprises médiatiques, en Algérie, présente des caractéristiques marquées par une tendance lourde : les « ouvertures contrôlées » opérées par le régime politique, notamment depuis le début de la décennie 2000, les textes législatifs et réglementaires étant sans cesse bousculés par les réalités. Le droit à une information de qualité est aussi sans cesse malmené. Quand les gouvernements successifs présentent la multiplication (plus de 160 journaux) des publications comme un trophée alors qu’en toile de fond ils ont permis à une légion d’escrocs de faire main-basse sur un secteur névralgique c’est à se demander dans quel monde vivent certains responsables. Tous les « esprits libres » qui ont refusé les « honneurs », par indépendance, refusant de rentrer dans l’establishment, la norme et qui ont refusé de devenir l’instrument d’un système, de devenir apparatchik, ont été sévèrement sanctionnés. De grands journaux, à l’image du ‘Quotidien d’Oran’, ont été privés de publicité durant près d’une décennie pour avoir critiqué cet establishment et cet ordre établi imposé par la force, la ruse et l’escroquerie d’état. L’autre scandale qui risque aussi de faire du bruit c’est les chaines de télévision crées et qui sont à l’origine de l’abrutissement des pans entiers de la société.

Au nombre d’une soixantaine approximativement, les télés commerciales offshore (ciblant l’Algérie et diffusées via les satellites) ont renforcé cette tendance à l’opacité dans la gestion et la diffusion. De statut juridique illégal, elles sont tolérées par les pouvoirs publics dans l’exercice de leurs activités, tant qu’elles ne contrevenaient pas en particulier à la pérennisation du régime. Aucune régulation n’est exercée sur elles, à la fois au niveau des ressources financières et humaines, tant et si bien qu’elles renforcent les logiques en cours dans la presse écrite de droit privé.

Les révélations de Larbi Ounoughi : l’arbre qui cache la forêt

Les révélations tonitruantes faites par le président-directeur général de l’ANEP ne sont que l’arbre qui cache la forêt, de l’avis de nombreux professionnels des médias. Larbi Ounoughi avait fait, il y a peu, des révélations fracassantes et donné des chiffres hallucinants sur la gestion passée et scandaleuse de l’Agence nationale d’édition et de publicité. Quarante journaux sortaient sous des prête-noms, près de 5.000 milliards sont définitivement perdus parce que ce sont des créances anciennes, plus de 4.000 milliards de centimes distribués sur la presse écrite depuis 2016, l’ANEP a eu à gérer un portefeuille de plus de 15.000 milliards de centimes, ces 20 dernières années, 107 titres ont miraculeusement cessé de paraître et les propriétaires disparus dans la nature.

Mais ce que ne dit pas aussi le patron de l’ANEP c’est le fait que les « médias » qui étaient partie prenante du système mafieux continuent de profiter à ce jour de la manne publicitaire. En fait les « groupes d’influence » qui ont saigné cette agence dont la raison d’être (selon la version galvaudée durant des années) était d’aider à l’émergence d’une presse professionnelle dont le pivot est le journaliste, continuent toujours de décider. Pis encore, ce qui n’a pas été révélé par M Ounoughi c’est tout cet argent sorti des caisses de l’ANEP, sans aucun justificatif. Il y aurait des centaines de milliards qui sont attribués à des médias, sans bon de commande et les insertions n’ont jamais été publiées, attestent des sources proches de ce dossier.

Jamais, en effet, une mafia dans le monde et à travers l’histoire n’a pu s’infiltrer, à l’intérieur des institutions officielles, comme c’est le cas dans notre pays. Faut-il s’avouer pour autant vaincu et laisser le « champ de ruine » dans son état ? Evidemment non. Les solutions existent pour peu qu’il y ait un courage politique d’affronter la réalité telle qu’elle se représente. «L’équilibrisme» utilisé et usité par le système jusqu’ici a montré ses limites. Il faut crever l’abcès et que cesse définitivement ce climat de terreur pour mettre en place les mécanismes réglementaires afin de fermer la porte, définitivement, devant tous les «aventuriers» qui tirent, malheureusement, encore les ficelles à tous les niveaux de responsabilité. Le pays est marqué, aujourd’hui, par des bouleversements sociopolitiques et économiques. Il faut absolument sortir de cette situation «kafkaïenne» dans laquelle se trouve l’Algérie et surtout mettre fin à ce rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme.


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