Le mythe de la reconquête dans le discours d’Eric Zemmour et ses apories

  par Emmanuel Alcaraz *

  Zemmour vient de donner pour nom à son mouvement politique Reconquête. Il s’agit bien sûr d’une allusion à peine voilée à la Reconquista ayant eu lieu en Espagne où les royaumes chrétiens du Nord de l’Espagne ont opéré une reconquête pour chasser les musulmans de la péninsule ibérique, ce qui s’est achevé en 1492 avec la chute de l’émirat nasride de Grenade.

Le pape a donné à cette « guerre sainte » le même statut que les croisades. Celles-ci étaient un pèlerinage armé des chrétiens latins pour reprendre aux musulmans et conserver le Saint Sépulcre, censé, selon leurs croyances, abriter le tombeau du Christ, à Jérusalem. Ces croisades ont abouti à la fondation des Etats latins d’Orient ayant duré jusqu’à la prise de Saint jean d’Acre en 1291 par les musulmans.L’allusion à la reconquête d’Eric Zemmour fait ici référence à la volonté de faire cesser le « grand remplacement », expression de Renaud Camus, liée à des conceptions ethnicistes de la nation exprimant une crainte en France à l’égard de l’immigration extra-européenne. Le « grand remplacement » est en fait une expression empruntée à l’extrême-droite, au moment de l’affaire Dreyfus (1894-1906), qui stigmatisait les Juifs au sein de la nation française. Plus spécifiquement, l’identité de la France dans la rhétorique « zemmourienne » serait menacée par les immigrés musulmans sans cesse plus nombreux représentant un danger pour la paix publique, islam et islam radical étant équivalents dans ce discours populiste qui n’a aucun fondement scientifique.

D’où vient une telle essentialisation des immigrés et des musulmans ? Comment expliquer que Eric Zemmour soit devenu le fils qu’aurait rêvé d’avoir Jean-Marie Le Pen pour lui succéder à la tête de son mouvement ? L’hypothèse la plus probable ne serait-elle pas la blessure narcissique de la perte de l’Algérie française et plus globalement la perte des colonies de la République impériale ? Jean-Marie Le Pen est né en politique au moment de la guerre d’Algérie. Il a fondé différents mouvements pour défendre l’Algérie française. L’extrême-droite se revendiquait déjà de ce mythe de la croisade pour conserver l’Algérie à la France en se revendiquant de la figure de Jeanne d’Arc liée dès le XVe siècle à un imaginaire eschatologique de la guerre sainte comme l’a montré Colette Beaune. En 1957, les traditionalistes catholiques fondaient l’Alliance Jeanne d’Arc, sous le patronage du général Weygand, pour maintenir la souveraineté française en Algérie. En organisant ses rassemblements à Alger, lors de la journée des barricades en janvier 1960, le Front national français défilait en uniforme phalangiste aux pieds de la statue équestre de Jeanne d’Arc brandissant la croix, qui se trouvait à Alger devant la Grande Poste. Oran avait également une telle statue devant la cathédrale du Sacré-cœur, aujourd’hui une bibliothèque municipale. Ces statues ont été transférées en France à l’indépendance.

Ces activistes d’extrême-droite arboraient les symboles de la Reconquista espagnole, le joug et les flèches, emblème d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon qui avaient achevé de chasser les musulmans d’Espagne, symboles qui ont été repris par la phalange espagnole franquiste, une organisation fasciste dans l’Espagne de Franco, qui avait des admirateurs chez les Européens d’Algérie dont beaucoup étaient originaires de la péninsule ibérique.

Une telle manifestation a sans nul doute marqué Jean-Marie Le Pen qui s’en est souvenu pour créer sa fête de Jeanne d’Arc, le 1er mai, pour rivaliser avec celle du mouvement ouvrier alors que, depuis 1920, la fête officielle de la patrie dédiée à Jeanne dans le calendrier des commémorations officielles françaises est le deuxième dimanche de mai pour célébrer la prise d’Orléans en 1429 qui était occupée par les Anglais. Ce mythe de la croisade se retrouve dans tous les courants d’extrême-droite des royalistes aux adeptes du paganisme comme Dominique Venner. Seul l’ennemi change. La croisade contre le bolchevisme avait surtout leur préférence même si les militants de l’organisation d’extrême- droite Europe-Action, dirigée par Venner, la mâtinait de racisme anti-arabe dans les années 1960. François Duprat qui militait au Front national de Jean-Marie Le Pen dans les années 1970 lui substitue l’idée d’une croisade contre les ennemis intérieurs que seraient les immigrés. Cette thématique est approfondie par le dirigeant du Front National Jean-Pierre Stirbois et les idéologues du club de l’Horloge, ce qui a permis au Front national d’obtenir ses succès électoraux à partir des années 1980. Avec la menace terroriste, à partir des années 2000, les musulmans ont pris le relais des immigrés dans la logique de ce discours d’extrême-droite sans cesse en quête de son ennemi intérieur et de son bouc-émissaire.

C’est sur ce « fond de commerce » dans un contexte de sentiment d’abaissement de la France dans le contexte de la mondialisation et d’angoisse identitaire que surfe le journaliste et aujourd’hui candidat aux présidentielles Eric Zemmour, le tout assaisonné d’une crainte fantasmatique de perte de virilité du mâle blanc associée à une volonté de cantonner les femmes à des fonctions subalternes. Zemmour se met en scène comme l’héritier des chevaliers chrétiens voulant bouter les musulmans hors de France. Grand paradoxe de la part de ce descendant des Juifs d’Algérie qui s’étaient vus retirer leur citoyenneté française par le régime de Vichy, celui même qui faisait une confusion entre le culte de Jeanne d’Arc, sainte de la patrie et celui du maréchal Pétain dont Eric Zemmour a entrepris la réhabilitation. Eric Zemmour a-t-il oublié d’où il vient et qu’il ne sera jamais totalement accepté par cette extrême droite ? L’auteur du « détail de l’histoire », condamné pour contestation de crime contre l’humanité, Jean-Marie Le Pen disait d’ailleurs que si Éric est un ami avec qui il partage beaucoup, il ne le voyait pas comme président mais comme un polémiste tirant ses flèches sur les ennemis intérieurs de la France. Affaire de génération, me rétorquerez-vous. En 2017, Marine Le Pen, qui a beau jeu de se présenter comme le rempart des Français de confession juive contre le terrorisme, déclarait que la France n’était pas responsable de la rafle du Vel d’Hiv en 1942, ce qui est faux comme les recherches historiques sérieuses le montrent…

Le président Chirac a officiellement reconnu la responsabilité de la France pour ce crime en 1995. Il ne s’agit pas de renvoyer Eric Zemmour à sa judéité, lui qui se considère comme un Français de confession juive, obsédé par l’assimilation. C’est son droit. Il n’empêche qu’il est curieux de la part de ce monsieur d’afficher une telle proximité avec l’extrême-droite française qui, depuis l’affaire Dreyfus, n’a pas exprimé un fol amour pour les Juifs de France. Quand j’entends parler Henry de Lesquen, membre fondateur du club de l’horloge d’Eric Zemmour, je me dis que l’extrême-droite française n’a pas rompu avec cette tradition. On ne saurait que conseiller à notre compatriote algérien Eric Zemmour comme l’a si bien dit Kamel Daoud de lire le livre, préfacé par Edwy Plenel, Jeanne, de guerre lasse du philosophe Daniel Bensaïd, dont la famille était originaire d’Oran. Il pourrait alors comprendre que Jeanne, à qui il voue un culte dans son livre le suicide français, n’est pas un lieu de mémoire de l’extrême-droite, mais bien une héroïne féminine universelle de la résistance populaire contre toute forme d’oppression, tout comme Lallah Fatma N’Soumer est la Jeanne des Algériens comme l’a si bien dit Louis Massignon.

Rappelons à Eric Zemmour que lors de la première croisade aboutissant à la prise de Jérusalem en 1099 par les chevaliers chrétiens conduits par Godefroy de Bouillon, des milliers de juifs, de musulmans et de chrétiens d’Orient ont été massacrés indistinctement, qu’après l’achèvement de la Reconquista, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon ont expulsé les Juifs d’Espagne et que la nouvelle Espagne catholique adoptait au XVIe siècle les statuts dits de pureté du sang (limpieza de sangre), d’où l’urgence aujourd’hui de sortir pour cette campagne présidentielle française des usages populistes du passé, des fausses guerres de mémoire et des fausses guerres identitaires pour revenir à l’histoire et célébrer ce qui réunit les Français et leur vaut l’admiration du monde entier, les valeurs de la République française ayant influencé des textes majeurs comme la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les Français déçoivent d’autant plus lorsqu’ils n’appliquent pas ces principes fondamentaux, eux qui ont été les premiers à dire que l’homme le plus puissant du monde était l’égal du plus humble. Au nom de ces principes, la France a une tradition d’hospitalité vis-à-vis des étrangers. Ce n’est pas en stigmatisant les immigrés et les musulmans comme le fait le chef de Reconquête que la France pourra renouer avec sa grandeur. L’anti-patrie n’existe pas, nous sommes tous des humains et nous devons tous vivre et lutter ensemble. Le comprenant un peu tardivement, le philosophe espagnol Miguel de Unamuno avait tenté de l’expliquer aux phalangistes espagnols dans son discours de Salamanque en 1936 en pleine guerre civile espagnole.

*Docteur en histoire et agrégé d’histoire géographie. Il vient de publier Histoire de l’Algérie et de ses mémoires des origines au hirak publié chez Karthala.


        Premiers effets du discours raciste de Zemmour : la chasse à l’Algérien débute

Eric Zemmour pousse ses partisans à commettre des actes de violence. D. R.
Eric Zemmour pousse ses partisans à commettre des actes de violence. D. R.

Par Nabil D. – Effet direct du discours raciste ambiant en France, véhiculé notamment par le candidat à l’élection présidentielle d’avril prochain Eric Zemmour, deux «Arabes» ont été tabassés à Paris, selon le quotidien régional Le Parisien, qui publie un article intitulé «Tabassés et traités de sales Arabes en plein centre-ville». Le journal parle d’un «déchaînement de violence» et rapporte que «deux ados d’origine maghrébine ont été passés à tabac par une bande de jeunes issus de la communauté juive».

Les victimes, d’origine algérienne, sont deux jeunes sans histoires. L’un est lycéen. Qu’est-ce qui a motivé une telle agression commise par «un groupe de six à sept personnes», en pleine rue et d’une violence extrême ? «J’ai pas eu le temps de comprendre. Ahmed [une des deux victimes, ndlr] a pris un coup de poing. Et puis je me suis retrouvé au sol. On m’écrasait la tête avec les pieds, raconte Yacine. Ils disaient sales Arabes, vous n’avez rien à faire chez nous. Ici, c’est notre quartier !» lit-on dans Le Parisien, qui ajoute que les deux jeunes Algériens ont dû faire face à une meute formée d’une trentaine de personnes, selon la police, qui se sont servies de leurs casques moto pour frapper les deux «miraculés».

La police a confirmé l’existence d’injures racistes proférées par les agresseurs, qualifiées de «malsaines» et d’«intolérables» par le maire de la localité où se sont déroulés les faits. «Je sais que ces jeunes sont juifs, comme moi. Leur attitude dans la ville est désolante, mais c’est une minorité de petits cons», a-t-il commenté. «C’est beaucoup plus grave que cela», réagissent des sources qui lient ce grave dérapage au discours islamophobe et anti-algérien d’Eric Zemmour.

Le président de l’Observatoire français contre l’islamophobie n’a, lui, de cesse de mettre en garde contre une recrudescence des actes xénophobes et antimusulmans à l’approche de l’échéance électorale cruciale d’avril, accusant les médias dominants et des personnalités politiques de droite et d’extrême-droite de véhiculer la haine à travers leurs propos «inacceptables». Abdallah Zekri a, dans un communiqué faisant suite à une énième profanation d’un lieu de culte et d’un cimetière musulmans, invité les musulmans de France à «faire preuve de patience» et à ne pas répondre aux provocations car, a-t-il assuré, «Zemmour et ses clones feront pschitt».

N. D.


                   Zemmour veut «interdire» au président algérien d’entrer en France s’il est élu

Zemmour candidat d’extrême-droite
Eric Zemmour. D. R.

Par Nabil D. – Intervenant sur BFMTV, le candidat d’extrême-droite à la présidentielle française a affirmé que s’il était élu et que l’Algérie refusait de coopérer dans le plan d’extradition des ressortissants algériens qu’il compte accélérer et amplifier, le président algérien serait interdit d’accès au territoire français. Une décision qui a fait rire sous cape sur le plateau de la chaîne d’information en continu française. L’ancien chroniqueur, qui s’est lancé dans la politique en briguant la fonction suprême sans être jamais passer par les élections locales ou législatives, a annoncé d’autres mesures pour forcer les pays du Maghreb à accepter leurs citoyens en situation irrégulière.

Eric Zemmour compte stopper les visas et arrêter les fonds d’aide et les investissements, particulièrement en Algérie, au cas où ses desideratas n’étaient pas exhaussés par les autorités algériennes. «Attitude ridicule d’un novice en politique qui lance des cris d’orfraie et tire une rafale de menaces dans le tas, sans même en connaître les conséquences désastreuses sur la France», commente une source qui voit dans la sortie ratée d’Eric Zemmour la preuve du niveau bas jamais atteint des candidats à l’Elysée en avril prochain. «Zemmour a répété ses engagements, toujours les mêmes, envers une minorité de Français qui constitueront le socle de son électorat et qui ne dépasseront pas les 5 ou 6% à l’arrivée», assurent ces sources qui notent que les trois candidats de droite et d’extrême-droite, Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Eric Zemmour reflètent l’image de mégères qui se disputent les quelques centaines de milliers d’ultranationalistes dont le vote sera ainsi éparpillés. «Et c’est tant mieux !» ajoutent-elles.

Par ailleurs, Eric Zemmour a annoncé officiellement sa relation avec sa secrétaire, Sarah Knafo, avec laquelle il compte mener sa campagne pour la présidentielle. Cette relation fait dire à de nombreux observateurs de la scène politique française que le prétendant à la présidence de la France aura été l’acteur principal du grand remplacement qu’il dénonce lui-même, le couple étant originaire du Maghreb et ne portant pas un nom français comme veut l’imposer celui qui dit aller à la «reconquête» de la France.

Acculé par un journaliste sur les signes religieux ostentatoires, Eric Zemmour a marqué un court moment de silence, avant de lancer, d’une voix presque inaudible, que la kippa faisait aussi partie de ces symboles qu’il prohiberait dans l’espace public en même temps que le hidjab. Sa gêne apparente trahissait une peur vis-à-vis de la puissante communauté juive à laquelle il appartient mais qu’il a divisée en deux camps distincts, l’un, minoritaire, qui le soutient, l’autre, omnipotent, représenté par le CRIF, la LICRA et des personnalités politiques et médiatiques qui crient à la trahison.

N. D.


 

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